Circulation dans les "communautés" musulmanes plurielles du Bénin : catégorisations, auto-identifications

Item

Resource class
Academic Article
Title
Circulation dans les "communautés" musulmanes plurielles du Bénin : catégorisations, auto-identifications
list of authors
Denise Brégand
Abstract
fr Cet article interroge les catégories employées pour caractériser l’islam à partir d’enquêtes anthropologiques au Bénin, en s’intéressant particulièrement à la catégorie « réformiste » et à sa variante « fondamentaliste ». Comment « les autres », autres musulmans, non-musulmans et chercheurs, catégorisent-ils ces croyants et militants de la « réislamisation » et comment ces acteurs s’auto-identifient-ils ? Sur le terrain, les classifications ne sont pas aussi tranchées ; dans le brouillage des catégories qui caractérise le champ de l’islam, des passerelles existent entre les différents courants, et certains croyants passent d’un mouvement à l’autre, à la recherche du groupe qui réponde à leurs désirs de religion et de sociabilité.
en This article questions categories which are used to define Islam in Benin, and focuses on “reformist” and “fundamentalist” categories. How do “the others”, other Muslims, no Muslims and researchers, categorize these believers and militants of “reislamization”, and how do people involved in Islam revivalism identify themselves? The fieldwork has brought to light that categories are not clear-cut. Through the shifting categories which characterize the Islamic field, links exist between currents and some believers go from a movement to another, looking for the group which will satisfy their desire of religion and sociability.
Journal
Cahiers d'études africaines
issue
206-207
page start
471
page end
491
Date
2012
Language
Français
Wikidata QID
Q113527817
Spatial Coverage
Bénin
content
fr 1Au Bénin comme dans d’autres pays d’Afrique, le religieux s’est imposé dans l’espace public à la faveur des libertés publiques garanties par la constitution promulguée en décembre 19901. Les musulmans, minoritaires à l’échelle nationale, ont peu participé aux débats politiques du début de la décennie, tout en ressentant la nécessité de s’organiser pour faire entendre leur voix. L’islam, majoritaire dans le nord du pays, et minoritaire dans le sud était, et reste souvent, pratiqué dans les confréries, d’une part la Tijâniyya dont la branche niassène, sous le nom de Tijâniyya/fayla a vivement concurrencé le courant plus ancien (Abdoulaye 2007 : 89-95) après le passage d’Ibrahim Niasse dans les années 1960, d’autre part, et dans une moindre mesure, la Qadiriyya.

2L’islam au Bénin connaît les dynamiques de changement qui traversent le monde musulman. L’islam confrérique se renouvelle avec les ordres mystiques récemment introduits par des personnalités appartenant à la bourgeoisie urbaine instruite de Porto Novo : la Alawiyya en 1990 et l’ordre Nimatullahi en 1991. Des mouvements prosélytes d’origine indienne, discrets pendant la période de la révolution, s’affirment désormais, la Ahmadiyya (Brégand 2006) et le tablîgh qui avaient pénétré depuis le Nigeria, respectivement dans les années 1960 et 1986. À côté de ces courants mystiques ou prosélytes, circonscrits, bien identifiés et emblématiques de la pluralité de l’islam, la tendance « réformiste », diffuse et hétérogène, portée dans un premier temps par les ong islamiques transnationales et par les diplômés des universités arabes, rejoints par les étudiants musulmans francophones, s’est donnée comme objectif la réislamisation de la base. La catégorie « réformisme » pose problème. Le « réformisme » est ici entendu comme la conception d’un islam jugé « orthodoxe » par ceux qui s’en réclament, par une pratique plus individualisée et plus consciente, par l’éducation religieuse et par le souci de moralisation de la vie quotidienne ; plutôt qu’un mouvement c’est un processus qui touche beaucoup plus de croyants que ceux qui s’en réclament. Les plus militants agissent dans des associations islamiques culturelles et caritatives très dynamiques fondées durant la première décennie du xxie siècle.

3Dans l’histoire de la pensée musulmane, Jamal al-Din al-Afghani, Muhammad Abduh, Rashid Rida sont considérés comme les premiers réformistes modernes (et la notion de modernité appelle également à discussion), cependant la quasi-totalité des acteurs catégorisés comme réformistes au Bénin ne les connaissent pas. Le réformisme affirme le refus de pratiques culturelles telles que les cérémonies célébrées une semaine, quarante jours, trois mois après les décès, et par la volonté de mettre fin aux pratiques magiques, talismans ou absorption de boissons obtenues en lavant la planchette sur laquelle est copié à l’encre un verset du Coran. Les acteurs « du renouveau », selon leur propre terminologie, s’opposent à cette « économie de la prière » (Soares 2009) générée par les services monnayés par les alfas et par les quêtes dans les mosquées. Cette tendance, qui prône l’étude et le retour aux textes, mobilise principalement les jeunes, hommes et femmes.

4Cette rapide présentation serait incomplète si l’on ne soulignait le fait que bon nombre de musulmans n’appartiennent ni aux confréries ni à la mouvance dite réformiste, ils respectent les piliers de l’islam tout en menant une vie sécularisée, c’est-à-dire que la religion n’est pas au centre de leurs actions et de leur vie quotidienne2 ; Benjamin Soares (2005 : 247) a fait le même constat au Mali.

5Les chercheurs qui veulent rendre compte de ces dynamiques se trouvent confrontés à la difficulté de nommer ce dont ils parlent et au fait que les intéressés ne se reconnaissent pas dans leurs catégories d’analyse et se montrent souvent réticents, voire soupçonneux devant l’intérêt qui leur est porté. Cet article interroge les catégories de l’islam à travers trois dimensions :

la catégorisation par les autres : autres musulmans, non-musulmans et chercheurs ;
l’auto-identification par les acteurs, les notions qu’ils emploient pour caractériser l’islam tel qu’ils le conçoivent et le pratiquent ;
la troisième partie tentera de restituer la complexité du terrain, en montrant que les classifications ne sont pas aussi tranchées. Dans le brouillage des catégories qui caractérise le champ de l’islam, les passerelles deviennent de plus en plus fréquentes entre les acteurs de la réislamisation et ceux qui ont souvent été catégorisés comme « traditionnalistes », il arrive aussi que certains croyants passent d’un mouvement à l’autre, à la recherche du groupe qui réponde à leurs désirs de religion et de sociabilité.

La catégorisation par les autres
6Qui sont les autres pour ceux que, par commodité, nous appellerons « réformistes » ? Qui sont ceux qui les nomment ? En quoi consiste l’acte de nommer et quelles sont ses conséquences ? (Bourdieu 1982).

7Les autres sont d’abord les musulmans qui vivent l’islam tel qu’ils l’ont hérité de leurs aînés. Les différences d’appréciation et de pratiques, doublées par des conflits de légitimité et de pouvoir, battent en brèche l’idéal d’une umma réunissant tous les croyants, les tentatives de réunification ont échoué devant les rivalités pour en assurer le leadership. Ainsi, dans ce cas, « les autres » sont les plus proches, ceux qui partagent la même foi mais, dans les conflits de pouvoir, désignent leurs coreligionnaires par des noms prenant dans le contexte une connotation péjorative. Les autres, ce sont aussi les habitants non musulmans, les voisins, parfois les membres d’une même famille. La cohabitation inter-religieuse se passe remarquablement bien au Bénin, et les Béninois qui redoutent la contagion du voisin nigérian, se montrent très vigilants pour préserver cette paix. Cependant, les non-musulmans, chrétiens majoritaires dans le Sud et adeptes des religions traditionnelles, ressentent une certaine inquiétude devant la multiplication des mosquées, « mosquées Koweït » financées pour la plupart par les ong des pays arabes, et devant le phénomène de réislamisation qui se donne à voir dans le voile des femmes — de toutes sortes — et dans les barbes et pantalons raccourcis des hommes ; ces « autres » non musulmans ont souvent une perception amplifiée du phénomène.

8Enfin, les autres ce sont les chercheurs dont les intéressés se demandent souvent ce qu’ils font, quels sont leurs objectifs, de quel droit ils écrivent sur eux, et réfutent les termes qu’ils emploient pour les désigner, et ici, en l’occurrence, en les désignant comme « réformistes ». Ils suspectent d’autant plus les chercheurs occidentaux que les pays d’où ils viennent, et la France plus que les autres, sont réputés pour leur islamophobie. Ainsi, au cours d’un entretien avec un groupe d’étudiants de l’Association des étudiants et élèves musulmans du Bénin (aceemub), le responsable de la da’wa exprime ainsi sa réticence :

« Nous ne savons pas à quoi cela va servir, il y a des journaux qui dénigrent l’islam. La religion de la personne influe forcément sur ses travaux »3.

9La question de la catégorisation, qui se pose à tous les chercheurs en sciences sociales, n’épargne pas ceux qui travaillent sur les sociétés musulmanes, un séminaire de l’Institut d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (iismm) intitulé « Multipolarités et nouvelles centralités en islam »4 s’est même donné comme thème de réflexion, la catégorisation dans une perspective comparative prenant en compte les terrains indiens, asiatiques, indonésiens, balkaniques et africains.

10Comment les catégorisations opèrent-elles sur le terrain ? Au début de la décennie 1990, alors que les femmes entièrement voilées de noir, se donnaient à voir, chaque année plus nombreuses à Djougou — ville très anciennement islamisée du nord du pays —, les musulmans de la Tijâniyya auxquels j’exprimais mon étonnement me répondaient : « Vous voyez bien que ce sont des wahhabites » (niqab = wahhabisme), une évidence ! La présence de ces femmes entièrement voilées de noir pour sortir, de même que le port du hidjab (voile), a participé ces vingt dernières années dans tout le Bénin à la plus grande visibilité de l’islam dans l’espace public. Employée dans un premier temps essentiellement par leurs coreligionnaires des turuq (confréries soufies), la désignation « wahhabite » s’applique aux musulmans qui veulent normaliser la religion en imposant une pratique qu’ils estiment orthodoxe. D’une manière générale, tous les diplômés des universités arabes et les représentants des ong arabes qui construisent des mosquées et rémunèrent les prédicateurs sont perçus et désignés comme tels, avec une mention spéciale de radicalisme5 pour les diplômés de l’Université de Médine, fondée pour former des prédicateurs. Comme dans les autres pays, le débat sur la position des bras pendant la prière s’est traduit par la désignation maintenant peu usitée « bras croisés », et il faut noter que si la désignation « wahhabite » perdure, elle a été doublée au tournant du millénaire par celle de Ahalli sunna (gens de la tradition), correspondant à la manière dont les intéressés s’identifient eux-mêmes ; cependant, reprise par leurs adversaires, elle se colorie d’une nuance péjorative qui comprend implicitement le radicalisme, l’obscurantisme, l’influence des pays où règne la loi islamique et le soupçon de vouloir islamiser la société. Le terme « salafiste » reste rarement utilisé au Bénin, et « l’islamisme », au sens de volonté de prendre le pouvoir pour imposer la loi islamique, n’y est pas à l’ordre du jour. Cependant, il arrive que des musulmans opposés à ce mouvement de réforme dans son ensemble accusent ses acteurs les plus en vue d’être des islamistes, et l’accusation prend alors une tournure politique.

11Galilou Abdoulaye a étudié le vocabulaire employé localement : munciri en général (munciri, de l’arabe munkir), celui qui refuse, est utilisé par les tijânî pour désigner les opposants à la pratique de leur tarîqa. C’est un peu dans ce sens que le mot wahhabiyya est aussi localement utilisé, de même que sankalami à Parakou :

« À ce mot inventé et utilisé à Parakou, il a été donné plusieurs sens. Pour le commun des musulmans de cette ville, les sankalami sont des “étudiants arabes”, des “gens sans avenir”, des “jeunes qui manquent de respect aux aînés”, et pour le tijâni, des “shaytân, des ennemis des turuq”. Pour certains anciens diplômés en arabe de Parakou, ce mot aurait été inventé par leurs adversaires pour faire allusion à leur manière onomatopéique et vantarde de parler l’arabe ».(Abdoulaye 2007 : 202, 242)

12Péjorative dans l’ensemble du monde musulman (hormis dans la péninsule arabique), cette désignation « wahhabite » a pour but de disqualifier l’adversaire. Le séminaire « Multipolarités et nouvelles centralités en islam » a constaté la généralisation du terme, de sa connotation péjorative, et le caractère polymorphe de ce qui est ainsi nommé. La doctrine trouve ses sources chez le juriste hanbalite de Damas, Ibn Taimiyya (1263-1328) et, comme le souligne Marc Gaborieau (1994), le terme « wahhâbi » peut désigner « des groupes fondamentalistes d’origine diverse », ainsi le terme est-il « attesté en Inde dès 1822 pour désigner les disciples d’Ahmed Barelwî et d’Ismâ’îl Shahîd (1779-1831) (qui, bien qu’) eux-mêmes soufis et voulant abolir le culte des saints ». Une étude des contextes locaux permet de considérer les articulations avec le soufisme.

13Quant aux chercheurs, s’ils ont employé dans les années 1990 le terme « wahhabite », ils préfèrent les catégories analytiques de « réformisme », de « fondamentalisme », réfutées par les intéressés pour qui « on ne peut réformer l’islam ».

14Le mouvement réformiste a, selon les contextes, adopté des principes d’actions différents, en particulier dans ses rapports avec les soufis. Ainsi, au Sénégal, Cheikh Touré (né en 1925) qui joua un rôle dans la diffusion des idées réformistes, ne rompit jamais avec la Tijâniyya (Loimeier 2005 : 32). Au Bénin, la génération des premiers « réformistes », jamais désignés comme tels, des intellectuels formés dans le système scolaire colonial fondèrent les premières associations culturelles, sans s’insurger contre l’islam soufi. Certains poursuivirent même leur recherche soufie tout en s’apparentant au réformisme par leur souci d’éducation et par leur modernité qui s’exprime dans leur rapport à la science et leur engagement pour une pratique consciente, plus individualisée.

15Parmi la génération de ceux qui partirent étudier dans les universités islamiques, seuls les diplômés d’al-Azhar acceptent le terme « réformiste », l’un d’eux déclare :

« Je suis pour la réforme, on ne peut pas dire à nos prédécesseurs qu’ils ont fait du mauvais travail. Il faut reconnaître ce qu’ils ont fait et chercher à redresser ce qui est mal vu sur le plan tactique, avoir le courage de dire non quand il faut le dire […], les jeunes arrivés avec une modernisation veulent changer des choses qui ne donnent rien à l’islam. On a cherché en tant que jeunes à éradiquer certaines pratiques. Quand on commence à évoluer dans ce sens, ça n’est pas facile »6.

16La dernière phrase fait bien sûr allusion à la résistance des imams et des notables. Cet interlocuteur de Porto Novo associe la réforme à la notion de modernité, le réformisme serait l’islam des « jeunes » ; dans le sud comme dans le nord du Bénin, la lutte pour le contrôle des mosquées et les postes d’imams exprime l’opposition des jeunes générations à la gérontocratie en place, et leur volonté de remplacer la légitimité de l’hérédité par la légitimité du savoir. Pour être moderne, il est nécessaire de répondre aux attentes des jeunes et des femmes. Les militantes de l’Association des élèves et étudiants musulmans du Bénin (aceemub) et du Conseil national des sœurs musulmanes du Bénin (cnsmb) s’opposent aux mariages arrangés ou forcés, encore en vigueur dans les familles musulmanes les moins éduquées, en s’appuyant sur leurs connaissances coraniques. C’est au sein même de leurs groupes d’appartenance, la famille, le village, le quartier, que les revendications des jeunes femmes de l’aceemub et du cnsmb prennent un sens : musulmanes réformistes, elles se placent dans un cadre de référence islamique pour s’exprimer et être prises en considération.

17Les acteurs de la réislamisation ne reconnaissent pas ces catégories de réformisme et de fondamentalisme, à l’exception des rares interlocuteurs ci-dessus mentionnés, tous se montrent fermes dans leur refus de ces notions :

« Il ne peut y avoir de réforme. Pour moi, c’est une manière de faire comprendre ce qui n’était pas compris. Ce n’est pas quelque chose qu’on est en train de réformer, mais plutôt de clarifier »7.

18Marie Miran (2006 : 295-296) a fait les mêmes observations chez les musulmans d’Abidjan où le réformisme, organisé et distinct dès les années 1970-1980, se déploya plus tôt qu’au Bénin. Si nous décidons d’inclure dans la catégorie « réformisme » tous ceux qui prônent le retour à la sunna (ce qui fait partie de la loi, de la tradition), cette catégorie présente une grande hétérogénéité entre ceux qui acceptent de contextualiser la révélation coranique et son application dans le monde d’aujourd’hui et ceux qui font une lecture littéraliste des textes. Pour les premiers, la modernité de l’islam, que tous revendiquent, est indissociable de son historicité.

19À côté de ceux qui engagent les musulmans à vivre leur religion dans la contemporanéité, d’autres adoptent une posture « revivaliste », voulant revenir à l’islam pur des origines (donc anti-contextualistes) ; ils cherchent leurs modèles dans la société de Médine. Les plus rigoristes, souvent catégorisés comme « fondamentalistes », partagent ce trait avec les membres du Tablîgh. Tous se montrent très attachés aux normes vestimentaires, pantalons courts et barbes pour les hommes, niqab pour les femmes lorsqu’elles sortent, aux codes sociaux et particulièrement aux rapports de genre. Une partie d’entre eux correspond d’ailleurs davantage à la catégorie « néo-fondamentaliste », autre catégorie d’analyse, employée pour désigner ceux qui se caractérisent par la volonté de soumettre tous les « actes et comportements humains à la norme islamique » et par l’anti-occidentalisme culturel (Roy 2002 : 134-135).

20Mais toutes ces appellations ne sont pas satisfaisantes, car elles ne rendent pas compte de l’imprégnation diffuse de ces idées chez les musulmans, sans que ceux-ci militent pour cette mutation. L’impact du « réformisme » se traduit dans le processus de réislamisation : réislamisation des jeunes issus de familles musulmanes qui rompent avec les pratiques religieuses de leurs parents, da’wa et impact sur les convertis, prêches en vue de moraliser la société et volonté de moraliser la politique « par le bas ».

21Et comment, a contrario, désigner les musulmans non réformistes, membres des confréries ou pas ? Certains chercheurs emploient l’adjectif « traditionaliste » pour indiquer que cet islam est un héritage, d’autres évoquent un « islam libéral », et leurs détracteurs musulmans « réformistes » les accusent de « bid’a ». Est bid’a ce qui n’est pas conforme à la loi, à la tradition. Les « réformistes » déclarent bid’a les pratiques des soufis. Les imams, membres des confréries leur renvoient le compliment, l’un d’eux nous dit « Ahalli sunna ? Dites plutôt Ahalli bid’a »8. L’adjectif « traditionaliste » renvoie à la notion de tradition, par ailleurs contestée et mal définie. En vérité, cet islam « traditionaliste » n’est évoqué que pour l’opposer à l’islam « réformiste » et, bien évidemment, les intéressés n’emploient jamais un tel adjectif, ils n’ont d’ailleurs pas à se nommer, leur islam est un fait établi ; si la question leur est posée, ils se disent sunnites, se définissent par l’école de droit qu’ils suivent, majoritairement malékite, et par la confrérie à laquelle ils appartiennent.

22Les nouvelles turuq, Nimatullahi et Alawiyya se sont d’abord implantées à Porto Novo, introduites par des intellectuels ayant travaillé et vécu en Occident. Yacouba Fassassi, grand maître de l’ordre Nimatullahi qu’il introduisit en 1991, a connu celui-ci à Washington lorsqu’il travaillait au fmi. Les adeptes de ces ordres mystiques ont soutenu le processus de démocratisation, ils sont des mystiques, leur conception de l’islam peut être qualifiée de « libérale », au sens de non politique, non militante, acceptant la laïcité de l’État.

23Ces catégories nous ramènent au schéma devenu classique, d’un « African Islam » opposé à un « Islam in Africa » ; le premier réfère au contexte, aux formes locales, le second désigne les nouvelles tendances (Westerlund & Evers Rosander 1997). Trop sommaire, cette bipolarisation ne tient pas compte des musulmans qui ne sont ni soufis ni réformistes et elle ignore le fait que la circulation des idées du renouveau dépasse les groupes qui s’en réclament. Les acteurs de la réislamisation ont-ils, quant à eux, recours à un vocabulaire qui les différencie des autres ?

L’auto-identification des acteurs du « vrai islam »
24Pour les acteurs de la réislamisation, « il n’y a qu’un islam », ils déclarent leur engagement au service du « renouveau », mais certains d’entre eux refusent même cette notion :

« Il ne peut pas y avoir de renouveau. Il y avait des pratiques qui n’avaient rien à voir avec l’islam, il y avait des brassages entre coutumes et religion. Maintenant, on fait la part des choses, il y a un réveil »9.

25Ils déclarent pratiquer « le vrai islam », « l’islam authentique », « l’islam comme il faut », ce qui suppose que l’islam « des autres » n’est pas « le vrai islam ». Marie Miran (2006 : 444) a noté cette revendication de la vérité présente dès les années 1980 chez les musulmans de Côte-d’Ivoire et la situe dans une continuité historique :

« Cet énoncé de vérité fait intégralement partie du processus de revivalisme islamique et inscrit les nouvelles élites d’Abidjan dans le prolongement historique des revivalismes que connut l’Ouest africain depuis le xviiie siècle »10.

26Ces croyants qui revendiquent la vérité se dénomment eux-mêmes Ahalli sunna (Ahl al-sunna, gens de la tradition). Cette appropriation de la dénomination Ahl al-sunna dans un contexte où la quasi-totalité des musulmans est sunnite, est spécifique à l’Afrique occidentale. En effet, en Asie du Sud-Est, ce sont au contraire les « traditionalistes » qui se désignent ainsi11.

Les Ahalli sunna : littéralisme, rigorisme et moralisation
27Ils exercent une influence diffuse à partir de points d’ancrage et cherchent à occuper les postes d’imams pour diriger la communauté musulmane. Le contrôle des mosquées est à la base de leur stratégie et, lorsqu’ils ne peuvent contrôler les mosquées existantes, ils créent leurs propres lieux, se réunissent sous des abris en attendant de trouver les fonds qui permettront la construction d’une mosquée. Bien que rien ne leur interdise de fréquenter les mosquées tenues par les imams « traditionnalistes », ils préfèrent créer des nouveaux lieux islamisés qui deviennent leurs lieux de prêche, de débats et d’enseignement. Sans référence intellectuelle revendiquée, ils s’appliquent à la stricte observance de règles enseignées dans les universités de Médine, du Koweït, ou du Nigeria, récusent les grandes écoles juridiques de l’islam. Les interlocuteurs Ahalli sunna de Porto Novo tiennent tous le même discours :

« Nous nous débarrassons de tout ce qui est doctrine, malékite, hanbalite, etc. Nous nous percevons comme une religion strictement légaliste. Il est vrai que le Prophète dit qu’à chaque siècle il y aura un réformateur, c’est-à-dire quelqu’un qui va réveiller la conscience des gens, car il est vrai que de jour en jour, les gens se démarquent de ce qui devrait être la conscience de l’islam. Maintenant, par rapport à chaque touche qu’ont donnée ces réformateurs, nous ne sommes pas figés, nous sommes légalistes, nous pensons que l’islam a ses textes. On ne doit pas dire qu’on est du bord d’un réformateur ou d’un autre, nous essayons de voir lequel se rapproche le plus des textes, le Coran et les hadiths »12.

28Ils ne reconnaissent que le Coran et les hadîth, le licite et l’illicite, et, pour l’interprétation des textes, se réfèrent principalement à Al-Boukhari, et Muslim13.

29S’ils ne se réfèrent pas explicitement aux penseurs réformistes, l’influence conjuguée et diffuse d’Abd-el Wahhab, de Mawdudi et d’al Banna s’ajoute à celle de prédicateurs et théoriciens venant des États islamiques du Nord Nigeria tout proche, qui s’expriment en hausa sur l’unique radio islamique La voix de l’islam émettant depuis la mosquée Zongo de Cotonou, et ont un fort impact sur les auditeurs.

30Très populaire chez les militants de la réislamisation, Tariq Ramadan, venu plusieurs fois à Cotonou, a participé à plusieurs séminaires internationaux dans la sous-région, et la radio La voix de l’islam diffuse ses enregistrements durant les créneaux horaires en français14. Du fait de la proximité du Nigeria, l’influence de Yan Izala, et par là-même d’Abubacar Gumi (1922-1992)15, reste vivante ; le mouvement Yan Izala de Malanville, ville frontalière au nord du Bénin et marché international, en est une émanation directe. Ce mouvement n’a pu obtenir une mosquée qu’en mars 2001 après d’âpres conflits locaux (Abdoulaye 2007 : 213-231), mais Yan Izala n’a pas pu s’implanter à Porto Novo car les imams et notables les en ont empêchés16.

31Conscients du contexte politique de leur pays, les Ahalli sunna n’ont pas comme projet la conquête du pouvoir politique pour imposer les lois islamiques. Ils poursuivent l’objectif de réislamisation de la base musulmane, d’islamisation de la vie quotidienne, de moralisation de la société. L’application de la charî’a reste pour eux un idéal inaccessible au Bénin :

« Pour nous la loi divine est là. Ici, ça n’est pas possible, à moins que tout le monde soit musulman. Nous sommes dans un pays laïque, mais nous sommes persuadés intérieurement qu’avec la charia, on peut réglementer la société, parce qu’avec la charia, tous les enfants doivent aller à l’école, les droits de l’homme doivent être respectés »17.

32Devant l’impossibilité politique d’espérer la charî’a, ils l’appliquent dans leur vie privée. Ainsi la loi ne reconnaissant que la monogamie18, ils ne se marient pas civilement et peuvent épouser quatre femmes religieusement. Ils veulent éradiquer tout comportement interprété comme une forme de vice et moraliser la vie publique, ce souci revient comme un leitmotiv. Très formalistes, ils insistent sur les codes sociaux : codes vestimentaires, rapports de genre, et se montrent très pointilleux sur les aspects rituels de la religion, posture bras croisés, rituels de purification, insistant dans leurs stages de formation sur les ablutions qui doivent suivre les actes de la vie jugés impurs19.

Une mouvance, une circulation

33L’hétérogénéité du courant apparaît dès lors que sont abordés des sujets tels que l’idjtihad20 ou la question des femmes.

34Nous l’avons vu, une partie d’entre eux accepte le principe de l’idjtihad et une lecture contextualisée du Coran, tandis que d’autres restent partisans d’une lecture littéraliste et s’en tiennent aux interprétations des « pieux ancêtres » (« salaf »), cependant tous participent d’un même mouvement qui se décline dans tous les degrés. Ainsi, l’imam réformiste de la mosquée de Zongo, souvent présenté par l’oxymoron « Ahalli sunna non rigoriste », par les intellectuels de son entourage, est un lettré qui accepte le principe de l’interprétation du Coran tout en ayant les mêmes références que les Ahalli sunna plus littéralistes. Dans ses sermons21, il reprend les interprétations des hadîths de Boukhari et Mouslim, et l’association Ahalli sunna de Malanville, Ansâru sunna, fondée en 1998 par cheikh Sad22, l’a choisi comme président honoraire. Il n’y a pas de différence de fond entre eux, il y a des différences de degré qui s’échelonnent au sein de la mouvance Ahalli sunna. Ce n’est pas tant une question de dogme qu’une question de pratiques et de codes sociaux.

35Si nous considérons la question des femmes et des rapports de genre, les militantes de l’aceemub et du cnsmb revendiquent le libre choix du mari et veulent occuper un emploi, tandis que les épouses des Ahalli sunna les plus radicaux vivent en claustration dans des ménages polygames. Les militantes du cnsmb ne condamnent cependant pas la polygamie et, à l’instar des femmes réformistes de Dakar interviewées par Erin Augis (2005), donnent les mêmes arguments que les hommes : la nature de ces derniers les pousserait à commettre l’illicite et l’islam interdit l’adultère. Quant aux femmes vivant en claustration, elles fréquentent les cours ouverts par des entrepreneurs religieux qui leur enseignent des rudiments d’arabe, le Coran et comment « être une bonne épouse et une bonne mère selon le Coran et la sunna »23.

36Parmi les codes sociaux en vigueur, la séparation des sexes est une nécessité appliquée de façon paradoxale. Les hommes ne serrent pas la main des femmes, mais la présence de celles-ci, y compris des jeunes, dans les mosquées où prêchent les imams réformistes, participe du réveil. Cléo Cantone (2005, 2006) a fait les mêmes observations dans les mosquées ibadou du Sénégal24. Dans les mosquées réformistes, les femmes prient dans le même espace que les hommes, séparées par un rideau ou un voile, la nouveauté par rapport aux anciennes mosquées réside dans le fait qu’elles y ont accès quel que soit leur âge, et qu’elles peuvent voir l’imam faire son sermon. Hommes et femmes pénètrent dans la mosquée de Zongo de Cotonou par deux entrées différentes, dans une stricte séparation des sexes, la seule obligation pour les femmes étant de se couvrir les cheveux comme dans toutes les mosquées. Après la prière du vendredi à la mosquée Oumar Ben Khatab construite à côté du campus d’Abomey-Calavi dans la banlieue de Cotonou avec des fonds saoudiens, les filles de l’aceemub participent à des débats mixtes dans un espace mixte ; ainsi, paradoxalement, le voile qui matérialise la séparation entre les sexes devient facteur de mixité. Les termes « frères » et « sœurs » constituent des codes sociaux en même temps qu’ils représentent des messages qui s’adressent « aux autres ».

Revendication de la modernité de l’islam
37Le discours sur le renouveau de l’islam est toujours associé à celui de la modernité25 ; une étudiante de l’aceemub déclare : « L’islam, c’est moderne »26, énoncé en forme de slogan souvent entendu au cours des entretiens. Tous ces interlocuteurs se définissent comme modernes mais en ne donnant pas exactement le même sens à la notion de modernité.

« Est-ce vu sous le sens occidental, encourager la liberté et le libertinage ? Selon moi, la modernité, c’est ce qui permet à l’homme d’être au niveau, d’accepter les découvertes scientifiques et de les adapter à son islam. Si c’est cela, la modernité est contenue dans l’islam. Le premier verset incite à la recherche. Le Coran parle de la biologie, de la physique, de la médecine. On ne peut pas être musulman et s’écarter de la modernité, seulement le musulman se met des limites »27.

38Cet interlocuteur, lui-même scientifique, veut adapter les découvertes à l’islam, et non l’inverse ; pour reprendre une expression convenue, il s’agit d’islamiser la modernité. Les Ahalli sunna acceptent les découvertes tout en refusant qu’elles induisent des changements dans la société. Par ailleurs, en prônant un islam dégagé des cultures locales, en échappant, par le refus des cérémonies, au système sans fin de la dette (Marie 1997), en remplaçant la redistribution facteur de prestige social par une zakat organisée, ils évoluent nécessairement vers l’individualisation, et en ce sens ils font preuve de modernité (Roy 2004).

39Mais sur la question de la modernité, les réformistes n’ont pas l’exclusivité. Les musulmans des confréries peuvent eux aussi être extrêmement modernes. Une partie des notables de Porto Novo sont à la fois universitaires, scientifiques, ou hommes et femmes d’affaires internationaux, qadirî, tijânî ou mystiques des ordres Nimatullahi ou Alawiyya.

40Tous les acteurs religieux catégorisés comme réformistes se sont engagés dans la da’wa qui se déploie selon deux axes : la réislamisation, conservatrice dans ses positions concernant les rapports de genre et ses références à la société de Médine, et la prédication en vue de conversions. Leur militantisme les conduit à investir l’action sociale, ils distribuent des vivres dans les quartiers pauvres lors des fêtes musulmanes, visitent les prisonniers, organisent des brigades de nettoyage et de surveillance des quartiers. Pour eux, la réislamisation correspond au choix d’un islam conscient, non hérité, à une quête qui passe par l’étude des textes. Chacun s’attribuera ou non une marge de liberté dans l’interprétation, dans les pratiques au quotidien, dans les rapports de genre. Les idées et les modes d’action bougent et dans la pluralité de leurs identités, ces militants expérimentent des possibilités pour harmoniser les cadres de référence à l’intérieur desquels ils évoluent en étant tout à la fois des citoyens, des agents économiques, des militants associatifs et des militants du « vrai islam ».

Perméabilité des catégories et mutations
41Si des moments de tension opposent les militants réformistes aux imams et notables de l’islam établi, d’une manière générale, la situation ne se présente pas de manière aussi tranchée.

42Les prédicateurs arabisants n’ont pas apporté une nouveauté radicale, car parmi les musulmans des générations précédentes, une élite locale instruite dans le système occidental avait entrepris depuis plusieurs décennies la promotion de l’éducation religieuse et de l’étude des textes, et ces anciens cadres des secteurs public et privé font bien la différence entre ce qui relève de l’islam et ce qui relève des coutumes, sans pour autant se livrer à une guerre contre les confréries auxquelles appartiennent d’ailleurs certains d’entre eux. On peut être à la fois adepte d’une confrérie et influencé par la pensée « réformiste ». Ces ajustements s’observent au sein de l’Union islamique du Bénin (uib)28, interface entre les musulmans et le pouvoir, qui a connu des moments de fortes tensions avec certains arabisants poussés par les ong arabes transnationales. Cette association, accusée par ses détracteurs de représenter l’islam officiel, reste présidée par les imams héréditaires, mais une partie de ses membres, ouverts aux idées « réformistes », mettent l’accent sur l’éducation et négocient avec les ONG islamiques transnationales qui construisent des mosquées et des centres islamiques29.

43Les premières associations pour une meilleure connaissance de l’islam ont vu le jour à l’époque coloniale, ce n’est qu’à partir de 1956, avec la Jeunesse étudiante musulmane du Dahomey (Jemd), que l’on entre dans un militantisme actif30. La jemd fut l’œuvre d’élèves du lycée Victor Ballot, établissement scolaire le plus prestigieux de Porto Novo qui formait les cadres de l’administration coloniale. Le premier président Machioudi Dissou est resté un pivot du mouvement associatif jusqu’à présent. Après l’indépendance obtenue en 1960, les objectifs changent, la jemd devient Jeunesse musulmane du Dahomey (jmd), avec l’entrée de ses anciens membres dans la vie active. Poursuivant l’objectif de mieux faire connaître l’islam, ils donnaient des conférences dans tous les départements et jouaient des pièces de théâtre31. Avec la révolution de 1974, la jmd devint Jeunesse musulmane du Bénin (jmb) en 1975, et adhéra à la World Association Muslim Youth (wamy), fondée à l’initiative de l’Arabie Saoudite. L’objectif de mieux faire connaître l’islam, l’effort éducatif, la connexion avec la wamy dénotent une influence « réformiste » attestée dans toute l’Afrique de l’Ouest.

44Emblématique de ces associations culturelles, l’Organisation pour la culture islamique du Bénin (ocib) qui fit suite en 1986 à une association fondée en 1961, s’est donné pour but principal « l’éducation islamique selon le Coran et la sunna »32. Aujourd’hui, l’ocib perdure et travaille en coordination avec les associations plus jeunes au sein du Réseau des associations islamiques du Bénin33, et cette collaboration est certainement la raison de sa pérennité, ses membres les plus actifs ont poursuivi le dialogue avec les générations montantes. Ainsi, son président El hadj Yaaya Alidou, inspecteur de la Banque commerciale du Bénin à la retraite, me fut présenté en mars 2005 par un de ses voisins, El Hadj Mohamed Kebir, Ahalli sunna déclaré, après que celui-ci m’eut reçue dans son école coranique pour femmes mariées. Le respect mutuel et le dialogue existent entre ces deux croyants engagés dans la da’wa dont l’un est réputé Ahalli sunna intransigeant, et l’autre membre de l’Union islamique du Bénin ; tous deux sont convaincus de la nécessité de « faire la da’wa », de scolariser les filles34 et de maintenir le lien social. À Porto Novo également, des intellectuels engagés dans l’islam s’efforcent de maintenir le lien, ainsi el Hadj Machioudi Dissou, très respecté comme ancien doyen de la faculté d’agronomie et comme acteur du mouvement associatif, par ailleurs connu comme membre de la Qadiriyya, n’hésite-t-il pas à répondre aux Ahalli sunna lorsqu’il n’est pas d’accord avec les propos qu’ils tiennent à la radio locale dans des émissions religieuses35. Il intervient afin de corriger des affirmations qu’il juge erronées et dans un souci de dialogue, de cohésion sociale.

45Les femmes de l’Union des femmes musulmanes du Bénin constituent le versant féminin de ces associations culturelles islamiques qui ont ouvert la voie aux associations réformistes, sans en présenter les caractères normatifs. Ces femmes non voilées, figures d’exception de leur génération, ayant occupé ou occupant encore des postes de cadres ou d’enseignantes, parrainent maintenant les étudiantes de l’accemub pour lesquelles elles représentent des modèles36.

46Comment nommer ces précurseurs du mouvement associatif ? Ils réfutent toute catégorisation, et même si les idées réformistes les ont influencés, eux aussi refusent cette catégorie, au nom de l’impératif « on ne peut réformer l’islam »37. Ils jouent un rôle important entre les anciennes générations attachées à leurs pratiques et prérogatives et les nouvelles générations qui veulent faire changer celles-ci. Cependant ces précurseurs n’ont pas l’exclusivité de ces rôles car il arrive que les réformistes diplômés des universités islamiques établissent eux-mêmes des passerelles avec les générations qui les ont précédés.

47Les arabisants qui reviennent après de longues années passées dans les universités arabes se trouvent confrontés au problème de l’emploi ; titulaires d’un diplôme non reconnu, ils doivent « se placer » sur le marché du travail islamique où les postes sont rares, et ne peuvent espérer se faire employer que par les ong islamiques transnationales dans les mosquées et les écoles plus rares qu’elles construisent. Les ong transnationales établies au Bénin développent un projet de mise aux normes de l’islam dans le sens de l’orthodoxie. Ceci s’est traduit par des incidents récurrents depuis le début des années 1990, essentiellement liés aux nominations d’imams38, elles doivent cependant compter avec l’Union islamique du Bénin et le contrôle de l’État. Lorsque ces arabisants accèdent, souvent après de longs conflits, à un poste d’imam, ils deviennent des entrepreneurs religieux, et tout en gardant une perspective « réformiste », la plupart se notabilisent et se « reconnectent » (Roy 2008) avec leur société. Ils avaient d’ailleurs, en général, reçu leur première formation religieuse au sein des confréries. C’est le cas de l’imam de la mosquée de Zongo à Cotonou, né dans une famille d’imams et fils de feu le Cheikh de la Tijâniyya niassène (Brégand 2009a). Le même phénomène s’est produit à Parakou pour la nomination d’un imam dans la mosquée du centre islamique de Zongo II construit par l’Agence des musulmans d’Afrique. Très activistes quand ils briguent les postes, après y avoir accédé, ils deviennent des notables responsables et tendent plutôt à éviter les conflits. Quelquefois, le passage se fait sans heurt, ainsi à Sakete, au nord de Porto Novo, le jeune imam diplômé de Médine arrivé à ce poste à la demande des anciens, intervient toujours pour calmer les conflits naissants et travaille avec la municipalité à l’amélioration de la gestion de la ville39.

48En outre, l’appartenance à un courant n’est ni définitive, ni exclusive, ainsi tel interlocuteur, que nous appellerons Karim, figure de proue à Cotonou du mouvement associatif islamique au service de la da’wa pour le « renouveau de l’islam », a suivi un stage de roqya avec Ben Halima Abderraouf lors du passage de celui-ci durant sa tournée ouest-africaine40. L’appartenance de Ben Halima Abderraouf au Tablîgh est bien connue, et Karim, homme très « moderne », par ailleurs engagé pour la démocratie et le développement économique de son pays, gagne sa vie comme « capteur de djinns » tout en continuant de fréquenter les associations réformistes de la mosquée de Zongo. Les nécessités économiques ont souvent des effets inattendus sur l’actualité religieuse dans ces villes où la religion peut offrir des moyens de survie. En outre, la reconversion professionnelle de Karim est en lien avec le succès de ces thérapies sans doute influencées par les séances d’exorcisme en vigueur dans les groupes prosélytes chrétiens. Une nouvelle « économie de la prière » (Soares 2005) a remplacé ou se superpose à celle que dénoncent les militants réformistes. Ces errances religieuses d’un groupe à l’autre n’ont rien d’exceptionnel, qu’il s’agisse des conversions ou du passage d’un groupe à l’autre au sein de l’islam.

49❖

50La scène islamique au Bénin présente des communautés éclatées, cependant, tous les musulmans se réclament de l’umma ; il est beaucoup plus facile d’appartenir à une « communauté imaginée » (Anderson 1996) mondiale, que de s’unifier sur le plan local. Les identifications font partie des enjeux : dans l’hétérogénéité des conceptions et pratiques de l’islam, chacun a le sentiment de pratiquer le « vrai islam », avec pour danger, la non-reconnaissance de l’islam des autres. Les conflits sémantiques traduisent des compétitions et des conflits de pouvoir.

51Les évolutions en cours signalent une forte autonomisation des croyants, qu’il s’agisse des fidèles des nouvelles turuq, ordre Nimatullahi et Alawiyya, ou des jeunes réformistes. À l’inverse, dans cette mobilité religieuse observée dans les villes, certains rechercheront l’appartenance à un groupe, le Tablîgh ou la Ahmadiyya qui, de même que les groupes évangéliques et pentecôtistes, englobe la vie de ses membres.

52Les catégorisations restent au Bénin les mêmes en 2010 que durant la décennie 1990, la singularité ouest-africaine réside dans l’appropriation de la désignation Ahalli sunna par ceux qui prônent un islam orthodoxe et une pratique normative. Les jeunes militants de la mouvance « réformiste » restent à l’écart des confréries ; au moment des enquêtes sur lesquelles repose cet article, il ne se développait pas dans les villes du Bénin des courants néo-confrériques à l’instar de ceux qu’a rencontrés Fabienne Samson (2006) à Dakar. Néanmoins, les jeunes réformistes de Porto Novo et Cotonou, comme les néo-confrériques du Dahiratoul Moustarchidina Wal Moustarchidaty et du Mouvement mondial pour l’unicité de Dieu situent leur action dans une société frappée par le chômage, ils ont investi la société civile et militent pour un ordre social plus juste et plus moral. Par-delà les catégorisations religieuses, l’engagement dans ces mouvements traduit des préoccupations économiques, sociales, politiques.

53Enfin, alors que nous nous interrogeons sur la pertinence des catégories « réformisme », « fondamentalisme », déjà celles-ci sont dépassées, et les nouvelles catégories construites avec les préfixes « post » et « néo » nous ramènent à la question initiale de la catégorisation.

Bibliographie
Abdoulaye, G.
2007 – L’islam béninois à la croisée des chemins. Histoire, politique et développement, Köln, Mainzer Beiträge zur Afrikaforschung, Rüdiger Köppe Verlag.

Anderson, B.
1996 – Imagined Communities, London, Verso (Trad. L’imaginaire national, Paris, La Découverte, 1996).

Augis, E.
2005 – « Dakar’s Sunnite Women : The Politics of Person », in M. Gomez-Perez (dir.), L’islam politique au sud du Sahara, Paris, Karthala : 309-325.

Banegas, R.
2003 – La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Karthala.
DOI : 10.3917/kart.undef.2003.03

Baubérot, J.
2009 – Les laïcités dans le monde, Paris, PUF.
DOI : 10.3917/puf.baube.2014.01

Bayart, J.-F. (dir.)
1993 – Religion et modernité politique en Afrique Noire, Paris, Karthala.

Benzine, R.
2004 – Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel.

Bourdieu, P.
1982 – Ce que parler veut dire, Paris, Fayard.

Brégand, D.
1998 – Commerce caravanier et relations sociales au Bénin, Paris, L’Harmattan.
2006 – « La Ahmadiyya au Bénin », Archives de sciences sociales des religions, 135 : 73-90.
2009a – « Du soufisme au réformisme : la trajectoire de Mohamed Habib, imam à Cotonou », Politique Africaine, 116 : 121-142.
2009b – « Les réformistes et l’État au Bénin », in R. Otayek & B. Soares (dir.), Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala : 187-210.

Brenner, L. (ed.)
1993 – Muslim Identity and Social Change in Sub-saharian Africa, London, Hurst & Co.
2000 – Controlling Knowledge. Religion, Power and Schooling in a West Africain Muslim Society, London, Hurst & Co.

Cantone, C.
2005 – « “Radicalisme” au féminin ? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les mosquées à Dakar », in M. Gomez-Perez (dir.), op. cit. : 119-130.
2006 – « The Contemporary Mosque Phenomenon as lieux de sociabilité : Gender, Identity and Space », Conférence internationale, Les lieux de sociabilité urbaine dans la longue durée en Afrique, Paris, CEAN-Sedet, 22-24 juin.

Constantin, F. & Coulon, C. (dir.)
1997 – Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala.

Coulon, C. (dir.)
2002 – L’Afrique politique : islams d’Afrique entre le local et le global, Pessac, CEAN ; Paris, Karthala.

Gaborieau, M.
1994 – « Wahhabisme : une seule étiquette pour des mouvements divers », La Lettre d’Asie centrale, 2, Paris, EFEO ; Paris, EHESS-CECMC : 1-2.

Gellner, E.
1992 – Postmodernism, Reason and Religion, London-New York, Routledge.
DOI : 10.4324/9780203410431

Gomez-Perez, M. (dir.)
2005 – L’islam politique au sud du Sahara, Paris, Karthala.

Holder, G. (dir.)
2009 – L’islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala.

Kane, O. & Triaud, J.-L. (dir.)
1998 – Islam et islamismes au sud du Sahara, Paris, Iream-Karthala.
DOI : 10.3917/kart.kane.1998.01

Loimeier, R.
1997 – « Islamic Reform and Political Change. The Example of Abubakar Gumi and the Yan Izala Movement in Northern Nigeria », in D. Westerlund & E. E. Rosander (eds.), African Islam and Islam in Africa, London, Hurst & Company : 286-307.
2003 – « Patterns and Peculiarities of Islamic Reforms in Africa », Journal of religion in Africa, 33 (3) : 237-262.
2005 – « De la dynamique locale des réformismes musulmans. Études biographiques (Sénégal, Nigeria et Afrique de l’Est) », in M. Gomez-Perez (dir.), op. cit. : 29-47.

Marie, A.
1997 – L’Afrique des individus : itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala.
DOI : 10.3917/kart.marie.2008.01

Mayrargue, C.
2002 – Dynamiques religieuses et démocratisation au Bénin : pentecôtisme et formation d’un espace public, Thèse de doctorat, Bordeaux, Université de Bordeaux IV.
2009 – « Pluralisation et compétition religieuses en Afrique subsaharienne. Pour une étude comparée des logiques sociales et politiques du christianisme et de l’islam », Revue internationale de politique comparée, 16 (1) : 83-98.

Miran, M.
2006 – Islam, histoire et modernité en Côte-d’Ivoire, Paris, Karthala.
DOI : 10.3917/kart.miran.2006.01

Miran, M. & Vissoh, H. A. C.
2009 – « (Auto)biographie d’une conversion à l’islam. Regards croisés sur une histoire de changement religieux dans le Bénin contemporain », Cahiers d’Études africaines, XLIX (3), 195 : 655-704.

Otayek, R. (dir.)
1993 – Le radicalisme islamique au Sud du Sahara, Paris, Karthala.

Otayek, R. & Soares, B. (dir.)
2009 – Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala.

Piga, A. (dir.)
2003 – Islam et villes en Afrique au sud du Sahara. Entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala.

Roy, O.
2002 – L’islam mondialisé, Paris, Éditions du Seuil.
2004 – « Modernisation, réformisme et réislamisation », Mouvements, 36 : 22-31.
2005 – La laïcité face à l’islam, Paris, Stock.
2008 – La Sainte Ignorance, Paris, Éditions du Seuil.
DOI : 10.14375/NP.9782020538343

Samson, F.
2006 – « Identités islamiques dakaroises. Étude comparative de deux mouvements néo-confrériques de jeunes urbains », Autrepart, 3 (39) : 1-19.

Soares, F.
2005 – Islam and the Prayer Economy, History and Authority in a Malian Town, London, Edinburg University Press.
DOI : 10.1515/9781474472753

Westerlund, D. & Evers Rosander, E.
1997 – African Islam and Islam in Africa. Encounters between Sufis and Islamists, London, Hurst & Company.

Notes
1 Sur la conférence nationale et le processus de démocratisation, voir Banegas (2003). Sur les églises évangéliques et pentecôtistes au Bénin, voir Mayrargue (2002). Parmi les ouvrages traitant de l’affirmation des expressions religieuses en Afrique, voir Otayek (1993), Brenner (1993), Constantin & Coulon (1997), Westerlund & Evers Rosander (1997), Kane & Triaud (1998), puis durant la décennie suivante, Coulon (2002), Piga (2003), Gomez-Perez (2005), Otayek & Soares (2009), Holder (2009).

2 La société se sécularise quand « les représentations sociales du monde et les comportements de la vie publique s’autonomisent par rapport à la religion » (Baubérot 2009 : 18) ; « C’est lorsque le religieux cesse d’être au centre de la vie des hommes, même s’ils se disent toujours croyants ; les pratiques des hommes comme le sens qu’ils donnent au monde ne se font plus sous le signe de la transcendance et du religieux » (Roy 2005 : 19).

3 Entretien à l’Université d’Abomey Calavi, 4 mars 2005. On remarquera que le chercheur est supposé avoir une appartenance religieuse.

4 Séminaire de l’IISMM, « Multipolarités et nouvelles centralités en islam » sous la responsabilité d’Andrée Feillard, Élizabeth Allès, Amina Mohamed-Arif et Éric Germain.

5 « Radicalisme », « radical », expriment des degrés, non des catégories.

6 Monsieur Bakary, Porto Novo, 26/01/2005. Parti en Lybie en 1983, il revient au Bénin en 1985 à cause de la guerre puis, en 1986, il est admis à Al-Azhar au Caire où il restera treize ans. En même temps que l’enseignement d’al-Azhar, il suit à l’Université américaine des cours d’anglais, de chimie et de biologie. Lorsqu’il revient au Bénin, il enseigne le français et l’arabe dans des madrasa de Porto Novo et Cotonou.

7 L’amir de l’ACEEMUB, Dramani A. Moudachirou, décédé dans un accident de voiture. Entretien en février 2005 à l’Université d’Abomey-Calavi.

8 Un imam de Porto Novo, février 2005.

9 Un responsable associatif, Porto Novo, Quartier Dodgi, février 2005. Entretien en français. Tous les interlocuteurs de Cotonou et Porto Novo mentionnés dans cet article sont francophones.

10 L’auteure fait ici référence à Brenner (2000).

11 Ces remarques ont suivi mon intervention et celle de Marie Miran le 5 janvier 2009, lors de la séance « Autorité religieuse protéiforme et brouillage des catégories » au séminaire de l’IISMM, « Multipolarités et nouvelles centralités en islam ».

12 Entretien à Porto Novo, le 26/01/2005.

13 Al-Bukhari, Muhammad (194/810-256/870). Au ive siècle, il fut placé, avec le recueil de Muslim à la tête des traditions sunnites. Muslim b. al-Hadjdjadj (né 202/817 ou 206/821, selon les sources) son recueil de hadîth al-Djami al-sahîh regroupe 4 000 traditions. Encyclopédie de l’islam, édition 1993. Il est à noter que les cheikhs de la Tijâniyya enseignent également, mais non exclusivement, les hadîth de Boukhari et Muslim.

14 Lors des enquêtes en 2005, 2006, 2008, quatre créneaux horaires sont réservés aux émissions en français : 6 h 30-7 h, 9 h-10 h, 18 h 30-19 h, 21 h 30-22 h 30 (« Comprendre l’islam »). C’est durant cette dernière session que la radio diffusait les cassettes de Tariq Ramadan. Selon des informations recueillies en 2011, La voix de l’islam, ayant vu ses subventions diminuer, a limité ses émissions.

15 Fondateur au Nigeria en 1978 du mouvement radical Yan Izala (Jamaat Izalat al-bida wa iqamat al-sunna : Société pour l’éradication de l’innovation démoniaque et l’établissement de la sunna) il a contribué, par son idéologie et son action, à l’instauration de la charî’a dans les États du Nord. Voir Loimeier (1997, 2003).

16 Selon les imams eux-mêmes.

17 Entretien au quartier Vodgi, Porto Novo, 25/01/2005.

18 La version du Code des personnes et de la famille, adoptée par l’Assemblée nationale en juin 2004, ne reconnaît que la monogamie.
Article 125 : « Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la mention sur le registre de l’état civil de la dissolution du précédent. » Article 143 : « Seul le mariage monogamique est reconnu. »

19 Sources : le programme de stages de perfectionnement, et un entretien avec un militant à Porto Novo en février 2006.

20 Idjtihad : effort d’interprétation personnelle de la loi.

21 La traduction française des sermons du vendredi est disponible à la librairie de la mosquée.

22 Abdoulaye (2007 : 217-227) relate les troubles qui survinrent à Malanville, liés aux prêches de cheikh Sad puis à sa candidature au poste d’imam de la nouvelle mosquée construite à la sortie de Malanville en direction du Niger.

23 Entretiens en 2006 et 2008 à l’école de la Place de Bulgarie à Cotonou, dont le directeur el Hadj Mohamed Kebir m’a toujours très bien reçue.

24 Ibadou : terme local désignant ceux qui s’opposent aux confréries.

25 Comme dans la pensée de Jamal al-din al-Afghani, Mohamed Abduh et Rashid Rida, bien que les interlocuteurs ne mentionnent jamais ces penseurs. Voir supra.

26 Y. étudiante en économie, entretien en février 2005.

27 C. L. militant actif pour le renouveau de l’islam. Porto Novo 28/02/2006.

28 Fondée en 1984.

29 Entretiens avec l’imam central de Cotonou, el Hadj Aboubacar Ousmane, alors président de l’UIB, le 7 février 2005, avec des membres de l’UIB parmi lesquels M. A. diplômé d’al Azhar, membre du bureau (le 15 février 2005 à Cotonou).

30 Nous tenons ces informations du professeur Machioudi Dissou, rencontré plusieurs fois à son domicile à Porto Novo, en février-mars 2005, février 2006 et février 2008. Machioudi Dissou, professeur à la retraite, a été doyen de la faculté d’agronomie.

31 El Hadj Osseini Nourou faisait partie de la troupe, entretien à Porto Novo le 24 janvier 2004.

32 Entretien avec el Hadj Yaaya Alidou, le 03/03/2005 et le 06/03/2006.

33 Réseau des associations islamiques initié par l’imam réformiste de la mosquée de Zongo à Cotonou.

34 El Hadj Mohamed Kebir avait alors 19 enfants, ceux qui avaient atteint l’âge scolaire étaient scolarisés à l’école publique « car, dit-il, c’est avec le français que nous pouvons faire la da’wa ». L’enseignement religieux est alors dispensé le samedi et/ou le dimanche. Alors que les épouses d’El Hadj M. K. vivent recluses, El Hadj Yaaya Alidou me parle avec fierté de sa fille, ingénieure en agro-alimentaire, qui faisait partie de la délégation béninoise à une conférence mondiale des femmes à New York.

35 Entretien à Porto Novo avec El Hadj Machioudi Dissou, 1er mars 2006. À propos des émissions religieuses, signalons que n’importe quel groupe religieux peut « acheter » un temps d’antenne sur les chaines de radio et de télévision.

36 Entretien avec les membres du bureau au domicile de la présidente Madame Bio Tchané, 10/03/2005.

37 Un membre de l’Union des femmes musulmanes du Bénin, 10/03/2005.

38 Les principales ONG islamiques transnationales sont l’Agence des musulmans d’Afrique (Koweit) al-Muntada al-Islamiyya (Royaume-Uni), International Islamique Charitable Organization (IICO-Koweit), Organisation mondiale d’assistance islamique (Arabie Saoudite) AMAI (lybienne), l’AMAI est plus ouverte aux courants non réformistes. Sur les incidents liés aux nominations d’imams, voir Abdoulaye (2007) et Brégand (1998).

39 Par exemple en convainquant les musulmans qu’il est préférable, pour l’hygiène publique, d’abattre rituellement les moutons et chèvres à l’abattoir municipal plutôt que dans les concessions. Entretien avec le maire de Sakete en février 2005.

40 Roqya : soigner par la lecture de versets et diverses autres pratiques. Dans le cas d’Abderraouf, il s’agit surtout de capter les djinns qui sont à l’origine des troubles. Voir le site de Ben Halima Abderraouf : <http://benhalimaabderraouf.free.fr/>. « Le captage c’est la manière que nous attrapons les djinns, les convertissons dans l’Islam par la grâce d’Allah et les tuons au besoin. Pour capter il faut disposer d’une personne qui peut le faire qu’on appelle capteur. »
extracted text
Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

Circulation dans les
« communautés » musulmanes
plurielles du Bénin
Catégorisations, auto-identifications
Circulation in the Plural Muslim “Communities” of Benin. Categorizations, Selfidentifications.
Denise Brégand

1

Au Bénin comme dans d’autres pays d’Afrique, le religieux s’est imposé dans l’espace
public à la faveur des libertés publiques garanties par la constitution promulguée en
décembre 19901. Les musulmans, minoritaires à l’échelle nationale, ont peu participé aux
débats politiques du début de la décennie, tout en ressentant la nécessité de s’organiser
pour faire entendre leur voix. L’islam, majoritaire dans le nord du pays, et minoritaire
dans le sud était, et reste souvent, pratiqué dans les confréries, d’une part la Tijâniyya
dont la branche niassène, sous le nom de Tijâniyya/fayla a vivement concurrencé le
courant plus ancien (Abdoulaye 2007 : 89-95) après le passage d’Ibrahim Niasse dans les
années 1960, d’autre part, et dans une moindre mesure, la Qadiriyya.

2

L’islam au Bénin connaît les dynamiques de changement qui traversent le monde
musulman. L’islam confrérique se renouvelle avec les ordres mystiques récemment
introduits par des personnalités appartenant à la bourgeoisie urbaine instruite de Porto
Novo : la Alawiyya en 1990 et l’ordre Nimatullahi en 1991. Des mouvements prosélytes
d’origine indienne, discrets pendant la période de la révolution, s’affirment désormais, la
Ahmadiyya (Brégand 2006) et le tablîgh qui avaient pénétré depuis le Nigeria,
respectivement dans les années 1960 et 1986. À côté de ces courants mystiques ou
prosélytes, circonscrits, bien identifiés et emblématiques de la pluralité de l’islam, la
tendance « réformiste », diffuse et hétérogène, portée dans un premier temps par les ONG
islamiques transnationales et par les diplômés des universités arabes, rejoints par les
étudiants musulmans francophones, s’est donnée comme objectif la réislamisation de la
base. La catégorie « réformisme » pose problème. Le « réformisme » est ici entendu

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

1

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

comme la conception d’un islam jugé « orthodoxe » par ceux qui s’en réclament, par une
pratique plus individualisée et plus consciente, par l’éducation religieuse et par le souci
de moralisation de la vie quotidienne ; plutôt qu’un mouvement c’est un processus qui
touche beaucoup plus de croyants que ceux qui s’en réclament. Les plus militants agissent
dans des associations islamiques culturelles et caritatives très dynamiques fondées durant
la première décennie du XXIe siècle.
3

Dans l’histoire de la pensée musulmane, Jamal al-Din al-Afghani, Muhammad Abduh,
Rashid Rida sont considérés comme les premiers réformistes modernes (et la notion de
modernité appelle également à discussion), cependant la quasi-totalité des acteurs
catégorisés comme réformistes au Bénin ne les connaissent pas. Le réformisme affirme le
refus de pratiques culturelles telles que les cérémonies célébrées une semaine, quarante
jours, trois mois après les décès, et par la volonté de mettre fin aux pratiques magiques,
talismans ou absorption de boissons obtenues en lavant la planchette sur laquelle est
copié à l’encre un verset du Coran. Les acteurs « du renouveau », selon leur propre
terminologie, s’opposent à cette « économie de la prière » (Soares 2009) générée par les
services monnayés par les alfas et par les quêtes dans les mosquées. Cette tendance, qui
prône l’étude et le retour aux textes, mobilise principalement les jeunes, hommes et
femmes.

4

Cette rapide présentation serait incomplète si l’on ne soulignait le fait que bon nombre de
musulmans n’appartiennent ni aux confréries ni à la mouvance dite réformiste, ils
respectent les piliers de l’islam tout en menant une vie sécularisée, c’est-à-dire que la
religion n’est pas au centre de leurs actions et de leur vie quotidienne2 ; Benjamin Soares
(2005 : 247) a fait le même constat au Mali.

5

Les chercheurs qui veulent rendre compte de ces dynamiques se trouvent confrontés à la
difficulté de nommer ce dont ils parlent et au fait que les intéressés ne se reconnaissent
pas dans leurs catégories d’analyse et se montrent souvent réticents, voire soupçonneux
devant l’intérêt qui leur est porté. Cet article interroge les catégories de l’islam à travers
trois dimensions :
• la catégorisation par les autres : autres musulmans, non-musulmans et chercheurs ;
• l’auto-identification par les acteurs, les notions qu’ils emploient pour caractériser l’islam tel
qu’ils le conçoivent et le pratiquent ;
• la troisième partie tentera de restituer la complexité du terrain, en montrant que les
classifications ne sont pas aussi tranchées. Dans le brouillage des catégories qui caractérise
le champ de l’islam, les passerelles deviennent de plus en plus fréquentes entre les acteurs
de la réislamisation et ceux qui ont souvent été catégorisés comme « traditionnalistes », il
arrive aussi que certains croyants passent d’un mouvement à l’autre, à la recherche du
groupe qui réponde à leurs désirs de religion et de sociabilité.

La catégorisation par les autres
6

Qui sont les autres pour ceux que, par commodité, nous appellerons « réformistes » ? Qui
sont ceux qui les nomment ? En quoi consiste l’acte de nommer et quelles sont ses
conséquences ? (Bourdieu 1982).

7

Les autres sont d’abord les musulmans qui vivent l’islam tel qu’ils l’ont hérité de leurs
aînés. Les différences d’appréciation et de pratiques, doublées par des conflits de
légitimité et de pouvoir, battent en brèche l’idéal d’une umma réunissant tous les

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

2

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

croyants, les tentatives de réunification ont échoué devant les rivalités pour en assurer le
leadership. Ainsi, dans ce cas, « les autres » sont les plus proches, ceux qui partagent la
même foi mais, dans les conflits de pouvoir, désignent leurs coreligionnaires par des
noms prenant dans le contexte une connotation péjorative. Les autres, ce sont aussi les
habitants non musulmans, les voisins, parfois les membres d’une même famille. La
cohabitation inter-religieuse se passe remarquablement bien au Bénin, et les Béninois qui
redoutent la contagion du voisin nigérian, se montrent très vigilants pour préserver cette
paix. Cependant, les non-musulmans, chrétiens majoritaires dans le Sud et adeptes des
religions traditionnelles, ressentent une certaine inquiétude devant la multiplication des
mosquées, « mosquées Koweït » financées pour la plupart par les ONG des pays arabes, et
devant le phénomène de réislamisation qui se donne à voir dans le voile des femmes — de
toutes sortes — et dans les barbes et pantalons raccourcis des hommes ; ces « autres » non
musulmans ont souvent une perception amplifiée du phénomène.
8

Enfin, les autres ce sont les chercheurs dont les intéressés se demandent souvent ce qu’ils
font, quels sont leurs objectifs, de quel droit ils écrivent sur eux, et réfutent les termes
qu’ils emploient pour les désigner, et ici, en l’occurrence, en les désignant comme
« réformistes ». Ils suspectent d’autant plus les chercheurs occidentaux que les pays d’où
ils viennent, et la France plus que les autres, sont réputés pour leur islamophobie. Ainsi,
au cours d’un entretien avec un groupe d’étudiants de l’Association des étudiants et
élèves musulmans du Bénin (ACEEMUB), le responsable de la da’wa exprime ainsi sa
réticence :
« Nous ne savons pas à quoi cela va servir, il y a des journaux qui dénigrent l’islam.
La religion de la personne influe forcément sur ses travaux » 3.

9

La question de la catégorisation, qui se pose à tous les chercheurs en sciences sociales,
n’épargne pas ceux qui travaillent sur les sociétés musulmanes, un séminaire de l’Institut
d’études de l’islam et des sociétés du monde musulman (IISMM) intitulé « Multipolarités et
nouvelles centralités en islam »4 s’est même donné comme thème de réflexion, la
catégorisation dans une perspective comparative prenant en compte les terrains indiens,
asiatiques, indonésiens, balkaniques et africains.

10

Comment les catégorisations opèrent-elles sur le terrain ? Au début de la décennie 1990,
alors que les femmes entièrement voilées de noir, se donnaient à voir, chaque année plus
nombreuses à Djougou — ville très anciennement islamisée du nord du pays —, les
musulmans de la Tijâniyya auxquels j’exprimais mon étonnement me répondaient : « Vous
voyez bien que ce sont des wahhabites » (niqab = wahhabisme), une évidence ! La présence
de ces femmes entièrement voilées de noir pour sortir, de même que le port du hidjab
(voile), a participé ces vingt dernières années dans tout le Bénin à la plus grande visibilité
de l’islam dans l’espace public. Employée dans un premier temps essentiellement par
leurs coreligionnaires des turuq (confréries soufies), la désignation « wahhabite »
s’applique aux musulmans qui veulent normaliser la religion en imposant une pratique
qu’ils estiment orthodoxe. D’une manière générale, tous les diplômés des universités
arabes et les représentants des ONG arabes qui construisent des mosquées et rémunèrent
les prédicateurs sont perçus et désignés comme tels, avec une mention spéciale de
radicalisme5 pour les diplômés de l’Université de Médine, fondée pour former des
prédicateurs. Comme dans les autres pays, le débat sur la position des bras pendant la
prière s’est traduit par la désignation maintenant peu usitée « bras croisés », et il faut
noter que si la désignation « wahhabite » perdure, elle a été doublée au tournant du
millénaire par celle de Ahalli sunna (gens de la tradition), correspondant à la manière dont

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

3

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

les intéressés s’identifient eux-mêmes ; cependant, reprise par leurs adversaires, elle se
colorie d’une nuance péjorative qui comprend implicitement le radicalisme,
l’obscurantisme, l’influence des pays où règne la loi islamique et le soupçon de vouloir
islamiser la société. Le terme « salafiste » reste rarement utilisé au Bénin, et
« l’islamisme », au sens de volonté de prendre le pouvoir pour imposer la loi islamique,
n’y est pas à l’ordre du jour. Cependant, il arrive que des musulmans opposés à ce
mouvement de réforme dans son ensemble accusent ses acteurs les plus en vue d’être des
islamistes, et l’accusation prend alors une tournure politique.
11

Galilou Abdoulaye a étudié le vocabulaire employé localement : munciri en général (
munciri, de l’arabe munkir), celui qui refuse, est utilisé par les tijânî pour désigner les
opposants à la pratique de leur tarîqa. C’est un peu dans ce sens que le mot wahhabiyya est
aussi localement utilisé, de même que sankalami à Parakou :
« À ce mot inventé et utilisé à Parakou, il a été donné plusieurs sens. Pour le
commun des musulmans de cette ville, les sankalami sont des “étudiants arabes”,
des “gens sans avenir”, des “jeunes qui manquent de respect aux aînés”, et pour le
tijâni, des “shaytân, des ennemis des turuq”. Pour certains anciens diplômés en arabe
de Parakou, ce mot aurait été inventé par leurs adversaires pour faire allusion à
leur manière onomatopéique et vantarde de parler l’arabe ».(Abdoulaye 2007 : 202,
242)

12

Péjorative dans l’ensemble du monde musulman (hormis dans la péninsule arabique),
cette désignation « wahhabite » a pour but de disqualifier l’adversaire. Le séminaire
« Multipolarités et nouvelles centralités en islam » a constaté la généralisation du terme,
de sa connotation péjorative, et le caractère polymorphe de ce qui est ainsi nommé. La
doctrine trouve ses sources chez le juriste hanbalite de Damas, Ibn Taimiyya (1263-1328)
et, comme le souligne Marc Gaborieau (1994), le terme « wahhâbi » peut désigner « des
groupes fondamentalistes d’origine diverse », ainsi le terme est-il « attesté en Inde dès
1822 pour désigner les disciples d’Ahmed Barelwî et d’Ismâ’îl Shahîd (1779-1831) (qui,
bien qu’) eux-mêmes soufis et voulant abolir le culte des saints ». Une étude des contextes
locaux permet de considérer les articulations avec le soufisme.

13

Quant aux chercheurs, s’ils ont employé dans les années 1990 le terme « wahhabite », ils
préfèrent les catégories analytiques de « réformisme », de « fondamentalisme », réfutées
par les intéressés pour qui « on ne peut réformer l’islam ».

14

Le mouvement réformiste a, selon les contextes, adopté des principes d’actions différents,
en particulier dans ses rapports avec les soufis. Ainsi, au Sénégal, Cheikh Touré (né en
1925) qui joua un rôle dans la diffusion des idées réformistes, ne rompit jamais avec la
Tijâniyya (Loimeier 2005 : 32). Au Bénin, la génération des premiers « réformistes », jamais
désignés comme tels, des intellectuels formés dans le système scolaire colonial fondèrent
les premières associations culturelles, sans s’insurger contre l’islam soufi. Certains
poursuivirent même leur recherche soufie tout en s’apparentant au réformisme par leur
souci d’éducation et par leur modernité qui s’exprime dans leur rapport à la science et
leur engagement pour une pratique consciente, plus individualisée.

15

Parmi la génération de ceux qui partirent étudier dans les universités islamiques, seuls les
diplômés d’al-Azhar acceptent le terme « réformiste », l’un d’eux déclare :
« Je suis pour la réforme, on ne peut pas dire à nos prédécesseurs qu’ils ont fait du
mauvais travail. Il faut reconnaître ce qu’ils ont fait et chercher à redresser ce qui
est mal vu sur le plan tactique, avoir le courage de dire non quand il faut le dire […],
les jeunes arrivés avec une modernisation veulent changer des choses qui ne

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

4

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

donnent rien à l’islam. On a cherché en tant que jeunes à éradiquer certaines
pratiques. Quand on commence à évoluer dans ce sens, ça n’est pas facile » 6.
16

La dernière phrase fait bien sûr allusion à la résistance des imams et des notables. Cet
interlocuteur de Porto Novo associe la réforme à la notion de modernité, le réformisme
serait l’islam des « jeunes » ; dans le sud comme dans le nord du Bénin, la lutte pour le
contrôle des mosquées et les postes d’imams exprime l’opposition des jeunes générations
à la gérontocratie en place, et leur volonté de remplacer la légitimité de l’hérédité par la
légitimité du savoir. Pour être moderne, il est nécessaire de répondre aux attentes des
jeunes et des femmes. Les militantes de l’Association des élèves et étudiants musulmans
du Bénin (ACEEMUB) et du Conseil national des sœurs musulmanes du Bénin (CNSMB)
s’opposent aux mariages arrangés ou forcés, encore en vigueur dans les familles
musulmanes les moins éduquées, en s’appuyant sur leurs connaissances coraniques. C’est
au sein même de leurs groupes d’appartenance, la famille, le village, le quartier, que les
revendications des jeunes femmes de l’ACEEMUB et du CNSMB prennent un sens :
musulmanes réformistes, elles se placent dans un cadre de référence islamique pour
s’exprimer et être prises en considération.

17

Les acteurs de la réislamisation ne reconnaissent pas ces catégories de réformisme et de
fondamentalisme, à l’exception des rares interlocuteurs ci-dessus mentionnés, tous se
montrent fermes dans leur refus de ces notions :
« Il ne peut y avoir de réforme. Pour moi, c’est une manière de faire comprendre ce
qui n’était pas compris. Ce n’est pas quelque chose qu’on est en train de réformer,
mais plutôt de clarifier »7.

18

Marie Miran (2006 : 295-296) a fait les mêmes observations chez les musulmans d’Abidjan
où le réformisme, organisé et distinct dès les années 1970-1980, se déploya plus tôt qu’au
Bénin. Si nous décidons d’inclure dans la catégorie « réformisme » tous ceux qui prônent
le retour à la sunna (ce qui fait partie de la loi, de la tradition), cette catégorie présente
une grande hétérogénéité entre ceux qui acceptent de contextualiser la révélation
coranique et son application dans le monde d’aujourd’hui et ceux qui font une lecture
littéraliste des textes. Pour les premiers, la modernité de l’islam, que tous revendiquent,
est indissociable de son historicité.

19

À côté de ceux qui engagent les musulmans à vivre leur religion dans la contemporanéité,
d’autres adoptent une posture « revivaliste », voulant revenir à l’islam pur des origines
(donc anti-contextualistes) ; ils cherchent leurs modèles dans la société de Médine. Les
plus rigoristes, souvent catégorisés comme « fondamentalistes », partagent ce trait avec
les membres du Tablîgh. Tous se montrent très attachés aux normes vestimentaires,
pantalons courts et barbes pour les hommes, niqab pour les femmes lorsqu’elles sortent,
aux codes sociaux et particulièrement aux rapports de genre. Une partie d’entre eux
correspond d’ailleurs davantage à la catégorie « néo-fondamentaliste », autre catégorie
d’analyse, employée pour désigner ceux qui se caractérisent par la volonté de soumettre
tous les « actes et comportements humains à la norme islamique » et par l’antioccidentalisme culturel (Roy 2002 : 134-135).

20

Mais toutes ces appellations ne sont pas satisfaisantes, car elles ne rendent pas compte de
l’imprégnation diffuse de ces idées chez les musulmans, sans que ceux-ci militent pour
cette mutation. L’impact du « réformisme » se traduit dans le processus de
réislamisation : réislamisation des jeunes issus de familles musulmanes qui rompent avec
les pratiques religieuses de leurs parents, da’wa et impact sur les convertis, prêches en
vue de moraliser la société et volonté de moraliser la politique « par le bas ».

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

5

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

21

Et comment, a contrario, désigner les musulmans non réformistes, membres des confréries
ou pas ? Certains chercheurs emploient l’adjectif « traditionaliste » pour indiquer que cet
islam est un héritage, d’autres évoquent un « islam libéral », et leurs détracteurs
musulmans « réformistes » les accusent de « bid’a ». Est bid’a ce qui n’est pas conforme à la
loi, à la tradition. Les « réformistes » déclarent bid’a les pratiques des soufis. Les imams,
membres des confréries leur renvoient le compliment, l’un d’eux nous dit « Ahalli sunna ?
Dites plutôt Ahalli bid’a »8. L’adjectif « traditionaliste » renvoie à la notion de tradition, par
ailleurs contestée et mal définie. En vérité, cet islam « traditionaliste » n’est évoqué que
pour l’opposer à l’islam « réformiste » et, bien évidemment, les intéressés n’emploient
jamais un tel adjectif, ils n’ont d’ailleurs pas à se nommer, leur islam est un fait établi ; si
la question leur est posée, ils se disent sunnites, se définissent par l’école de droit qu’ils
suivent, majoritairement malékite, et par la confrérie à laquelle ils appartiennent.

22

Les nouvelles turuq, Nimatullahi et Alawiyya se sont d’abord implantées à Porto Novo,
introduites par des intellectuels ayant travaillé et vécu en Occident. Yacouba Fassassi,
grand maître de l’ordre Nimatullahi qu’il introduisit en 1991, a connu celui-ci à
Washington lorsqu’il travaillait au FMI. Les adeptes de ces ordres mystiques ont soutenu le
processus de démocratisation, ils sont des mystiques, leur conception de l’islam peut être
qualifiée de « libérale », au sens de non politique, non militante, acceptant la laïcité de
l’État.

23

Ces catégories nous ramènent au schéma devenu classique, d’un « African Islam » opposé
à un « Islam in Africa » ; le premier réfère au contexte, aux formes locales, le second
désigne les nouvelles tendances (Westerlund & Evers Rosander 1997). Trop sommaire,
cette bipolarisation ne tient pas compte des musulmans qui ne sont ni soufis ni
réformistes et elle ignore le fait que la circulation des idées du renouveau dépasse les
groupes qui s’en réclament. Les acteurs de la réislamisation ont-ils, quant à eux, recours à
un vocabulaire qui les différencie des autres ?

L’auto-identification des acteurs du « vrai islam »
24

Pour les acteurs de la réislamisation, « il n’y a qu’un islam », ils déclarent leur
engagement au service du « renouveau », mais certains d’entre eux refusent même cette
notion :
« Il ne peut pas y avoir de renouveau. Il y avait des pratiques qui n’avaient rien à
voir avec l’islam, il y avait des brassages entre coutumes et religion. Maintenant, on
fait la part des choses, il y a un réveil »9.

25

Ils déclarent pratiquer « le vrai islam », « l’islam authentique », « l’islam comme il faut »,
ce qui suppose que l’islam « des autres » n’est pas « le vrai islam ». Marie Miran (2006 :
444) a noté cette revendication de la vérité présente dès les années 1980 chez les
musulmans de Côte-d’Ivoire et la situe dans une continuité historique :
« Cet énoncé de vérité fait intégralement partie du processus de revivalisme
islamique et inscrit les nouvelles élites d’Abidjan dans le prolongement historique
des revivalismes que connut l’Ouest africain depuis le XVIIIe siècle »10.

26

Ces croyants qui revendiquent la vérité se dénomment eux-mêmes Ahalli sunna (Ahl alsunna, gens de la tradition). Cette appropriation de la dénomination Ahl al-sunna dans un
contexte où la quasi-totalité des musulmans est sunnite, est spécifique à l’Afrique
occidentale. En effet, en Asie du Sud-Est, ce sont au contraire les « traditionalistes » qui se
désignent ainsi11.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

6

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

Les Ahalli sunna : littéralisme, rigorisme et moralisation
27

Ils exercent une influence diffuse à partir de points d’ancrage et cherchent à occuper les
postes d’imams pour diriger la communauté musulmane. Le contrôle des mosquées est à
la base de leur stratégie et, lorsqu’ils ne peuvent contrôler les mosquées existantes, ils
créent leurs propres lieux, se réunissent sous des abris en attendant de trouver les fonds
qui permettront la construction d’une mosquée. Bien que rien ne leur interdise de
fréquenter les mosquées tenues par les imams « traditionnalistes », ils préfèrent créer des
nouveaux lieux islamisés qui deviennent leurs lieux de prêche, de débats et
d’enseignement. Sans référence intellectuelle revendiquée, ils s’appliquent à la stricte
observance de règles enseignées dans les universités de Médine, du Koweït, ou du Nigeria,
récusent les grandes écoles juridiques de l’islam. Les interlocuteurs Ahalli sunna de Porto
Novo tiennent tous le même discours :
« Nous nous débarrassons de tout ce qui est doctrine, malékite, hanbalite, etc. Nous
nous percevons comme une religion strictement légaliste. Il est vrai que le Prophète
dit qu’à chaque siècle il y aura un réformateur, c’est-à-dire quelqu’un qui va
réveiller la conscience des gens, car il est vrai que de jour en jour, les gens se
démarquent de ce qui devrait être la conscience de l’islam. Maintenant, par rapport
à chaque touche qu’ont donnée ces réformateurs, nous ne sommes pas figés, nous
sommes légalistes, nous pensons que l’islam a ses textes. On ne doit pas dire qu’on
est du bord d’un réformateur ou d’un autre, nous essayons de voir lequel se
rapproche le plus des textes, le Coran et les hadiths »12.

28

Ils ne reconnaissent que le Coran et les hadîth, le licite et l’illicite, et, pour l’interprétation
des textes, se réfèrent principalement à Al-Boukhari, et Muslim13.

29

S’ils ne se réfèrent pas explicitement aux penseurs réformistes, l’influence conjuguée et
diffuse d’Abd-el Wahhab, de Mawdudi et d’al Banna s’ajoute à celle de prédicateurs et
théoriciens venant des États islamiques du Nord Nigeria tout proche, qui s’expriment en
hausa sur l’unique radio islamique La voix de l’islam émettant depuis la mosquée Zongo de
Cotonou, et ont un fort impact sur les auditeurs.

30

Très populaire chez les militants de la réislamisation, Tariq Ramadan, venu plusieurs fois
à Cotonou, a participé à plusieurs séminaires internationaux dans la sous-région, et la
radio La voix de l’islam diffuse ses enregistrements durant les créneaux horaires en
français14. Du fait de la proximité du Nigeria, l’influence de Yan Izala, et par là-même
d’Abubacar Gumi (1922-1992)15, reste vivante ; le mouvement Yan Izala de Malanville, ville
frontalière au nord du Bénin et marché international, en est une émanation directe. Ce
mouvement n’a pu obtenir une mosquée qu’en mars 2001 après d’âpres conflits locaux
(Abdoulaye 2007 : 213-231), mais Yan Izala n’a pas pu s’implanter à Porto Novo car les
imams et notables les en ont empêchés16.

31

Conscients du contexte politique de leur pays, les Ahalli sunna n’ont pas comme projet la
conquête du pouvoir politique pour imposer les lois islamiques. Ils poursuivent l’objectif
de réislamisation de la base musulmane, d’islamisation de la vie quotidienne, de
moralisation de la société. L’application de la charî’a reste pour eux un idéal inaccessible
au Bénin :
« Pour nous la loi divine est là. Ici, ça n’est pas possible, à moins que tout le monde
soit musulman. Nous sommes dans un pays laïque, mais nous sommes persuadés
intérieurement qu’avec la charia, on peut réglementer la société, parce qu’avec la
charia, tous les enfants doivent aller à l’école, les droits de l’homme doivent être
respectés »17.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

7

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

32

Devant l’impossibilité politique d’espérer la charî’a, ils l’appliquent dans leur vie privée.
Ainsi la loi ne reconnaissant que la monogamie18, ils ne se marient pas civilement et
peuvent épouser quatre femmes religieusement. Ils veulent éradiquer tout comportement
interprété comme une forme de vice et moraliser la vie publique, ce souci revient comme
un leitmotiv. Très formalistes, ils insistent sur les codes sociaux : codes vestimentaires,
rapports de genre, et se montrent très pointilleux sur les aspects rituels de la religion,
posture bras croisés, rituels de purification, insistant dans leurs stages de formation sur
les ablutions qui doivent suivre les actes de la vie jugés impurs19.

Une mouvance, une circulation
33

L’hétérogénéité du courant apparaît dès lors que sont abordés des sujets tels que l’idjtihad
20
ou la question des femmes.

34

Nous l’avons vu, une partie d’entre eux accepte le principe de l’idjtihad et une lecture
contextualisée du Coran, tandis que d’autres restent partisans d’une lecture littéraliste et
s’en tiennent aux interprétations des « pieux ancêtres » (« salaf »), cependant tous
participent d’un même mouvement qui se décline dans tous les degrés. Ainsi, l’imam
réformiste de la mosquée de Zongo, souvent présenté par l’oxymoron « Ahalli sunna non
rigoriste », par les intellectuels de son entourage, est un lettré qui accepte le principe de
l’interprétation du Coran tout en ayant les mêmes références que les Ahalli sunna plus
littéralistes. Dans ses sermons21, il reprend les interprétations des hadîths de Boukhari et
Mouslim, et l’association Ahalli sunna de Malanville, Ansâru sunna, fondée en 1998 par
cheikh Sad22, l’a choisi comme président honoraire. Il n’y a pas de différence de fond
entre eux, il y a des différences de degré qui s’échelonnent au sein de la mouvance Ahalli
sunna. Ce n’est pas tant une question de dogme qu’une question de pratiques et de codes
sociaux.

35

Si nous considérons la question des femmes et des rapports de genre, les militantes de l’
ACEEMUB et du CNSMB revendiquent le libre choix du mari et veulent occuper un emploi,
tandis que les épouses des Ahalli sunna les plus radicaux vivent en claustration dans des
ménages polygames. Les militantes du CNSMB ne condamnent cependant pas la polygamie
et, à l’instar des femmes réformistes de Dakar interviewées par Erin Augis (2005), donnent
les mêmes arguments que les hommes : la nature de ces derniers les pousserait à
commettre l’illicite et l’islam interdit l’adultère. Quant aux femmes vivant en
claustration, elles fréquentent les cours ouverts par des entrepreneurs religieux qui leur
enseignent des rudiments d’arabe, le Coran et comment « être une bonne épouse et une
bonne mère selon le Coran et la sunna »23.

36

Parmi les codes sociaux en vigueur, la séparation des sexes est une nécessité appliquée de
façon paradoxale. Les hommes ne serrent pas la main des femmes, mais la présence de
celles-ci, y compris des jeunes, dans les mosquées où prêchent les imams réformistes,
participe du réveil. Cléo Cantone (2005, 2006) a fait les mêmes observations dans les
mosquées ibadou du Sénégal 24. Dans les mosquées réformistes, les femmes prient dans le
même espace que les hommes, séparées par un rideau ou un voile, la nouveauté par
rapport aux anciennes mosquées réside dans le fait qu’elles y ont accès quel que soit leur
âge, et qu’elles peuvent voir l’imam faire son sermon. Hommes et femmes pénètrent dans
la mosquée de Zongo de Cotonou par deux entrées différentes, dans une stricte séparation
des sexes, la seule obligation pour les femmes étant de se couvrir les cheveux comme dans

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

8

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

toutes les mosquées. Après la prière du vendredi à la mosquée Oumar Ben Khatab
construite à côté du campus d’Abomey-Calavi dans la banlieue de Cotonou avec des fonds
saoudiens, les filles de l’ACEEMUB participent à des débats mixtes dans un espace mixte ;
ainsi, paradoxalement, le voile qui matérialise la séparation entre les sexes devient
facteur de mixité. Les termes « frères » et « sœurs » constituent des codes sociaux en
même temps qu’ils représentent des messages qui s’adressent « aux autres ».

Revendication de la modernité de l’islam
37

Le discours sur le renouveau de l’islam est toujours associé à celui de la modernité 25 ; une
étudiante de l’ACEEMUB déclare : « L’islam, c’est moderne » 26, énoncé en forme de slogan
souvent entendu au cours des entretiens. Tous ces interlocuteurs se définissent comme
modernes mais en ne donnant pas exactement le même sens à la notion de modernité.
« Est-ce vu sous le sens occidental, encourager la liberté et le libertinage ? Selon
moi, la modernité, c’est ce qui permet à l’homme d’être au niveau, d’accepter les
découvertes scientifiques et de les adapter à son islam. Si c’est cela, la modernité est
contenue dans l’islam. Le premier verset incite à la recherche. Le Coran parle de la
biologie, de la physique, de la médecine. On ne peut pas être musulman et s’écarter
de la modernité, seulement le musulman se met des limites » 27.

38

Cet interlocuteur, lui-même scientifique, veut adapter les découvertes à l’islam, et non
l’inverse ; pour reprendre une expression convenue, il s’agit d’islamiser la modernité. Les
Ahalli sunna acceptent les découvertes tout en refusant qu’elles induisent des
changements dans la société. Par ailleurs, en prônant un islam dégagé des cultures
locales, en échappant, par le refus des cérémonies, au système sans fin de la dette (Marie
1997), en remplaçant la redistribution facteur de prestige social par une zakat organisée,
ils évoluent nécessairement vers l’individualisation, et en ce sens ils font preuve de
modernité (Roy 2004).

39

Mais sur la question de la modernité, les réformistes n’ont pas l’exclusivité. Les
musulmans des confréries peuvent eux aussi être extrêmement modernes. Une partie des
notables de Porto Novo sont à la fois universitaires, scientifiques, ou hommes et femmes
d’affaires internationaux, qadirî, tijânî ou mystiques des ordres Nimatullahi ou Alawiyya.

40

Tous les acteurs religieux catégorisés comme réformistes se sont engagés dans la da’wa
qui se déploie selon deux axes : la réislamisation, conservatrice dans ses positions
concernant les rapports de genre et ses références à la société de Médine, et la
prédication en vue de conversions. Leur militantisme les conduit à investir l’action
sociale, ils distribuent des vivres dans les quartiers pauvres lors des fêtes musulmanes,
visitent les prisonniers, organisent des brigades de nettoyage et de surveillance des
quartiers. Pour eux, la réislamisation correspond au choix d’un islam conscient, non
hérité, à une quête qui passe par l’étude des textes. Chacun s’attribuera ou non une marge
de liberté dans l’interprétation, dans les pratiques au quotidien, dans les rapports de
genre. Les idées et les modes d’action bougent et dans la pluralité de leurs identités, ces
militants expérimentent des possibilités pour harmoniser les cadres de référence à
l’intérieur desquels ils évoluent en étant tout à la fois des citoyens, des agents
économiques, des militants associatifs et des militants du « vrai islam ».

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

9

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

Perméabilité des catégories et mutations
41

Si des moments de tension opposent les militants réformistes aux imams et notables de
l’islam établi, d’une manière générale, la situation ne se présente pas de manière aussi
tranchée.

42

Les prédicateurs arabisants n’ont pas apporté une nouveauté radicale, car parmi les
musulmans des générations précédentes, une élite locale instruite dans le système
occidental avait entrepris depuis plusieurs décennies la promotion de l’éducation
religieuse et de l’étude des textes, et ces anciens cadres des secteurs public et privé font
bien la différence entre ce qui relève de l’islam et ce qui relève des coutumes, sans pour
autant se livrer à une guerre contre les confréries auxquelles appartiennent d’ailleurs
certains d’entre eux. On peut être à la fois adepte d’une confrérie et influencé par la
pensée « réformiste ». Ces ajustements s’observent au sein de l’Union islamique du Bénin
(UIB)28, interface entre les musulmans et le pouvoir, qui a connu des moments de fortes
tensions avec certains arabisants poussés par les ONG arabes transnationales. Cette
association, accusée par ses détracteurs de représenter l’islam officiel, reste présidée par
les imams héréditaires, mais une partie de ses membres, ouverts aux idées
« réformistes », mettent l’accent sur l’éducation et négocient avec les ONG islamiques
transnationales qui construisent des mosquées et des centres islamiques29.

43

Les premières associations pour une meilleure connaissance de l’islam ont vu le jour à
l’époque coloniale, ce n’est qu’à partir de 1956, avec la Jeunesse étudiante musulmane du
Dahomey (JEMD), que l’on entre dans un militantisme actif30. La JEMD fut l’œuvre d’élèves
du lycée Victor Ballot, établissement scolaire le plus prestigieux de Porto Novo qui
formait les cadres de l’administration coloniale. Le premier président Machioudi Dissou
est resté un pivot du mouvement associatif jusqu’à présent. Après l’indépendance
obtenue en 1960, les objectifs changent, la JEMD devient Jeunesse musulmane du Dahomey
(JMD), avec l’entrée de ses anciens membres dans la vie active. Poursuivant l’objectif de
mieux faire connaître l’islam, ils donnaient des conférences dans tous les départements et
jouaient des pièces de théâtre31. Avec la révolution de 1974, la JMD devint Jeunesse
musulmane du Bénin (JMB) en 1975, et adhéra à la World Association Muslim Youth (WAMY
), fondée à l’initiative de l’Arabie Saoudite. L’objectif de mieux faire connaître l’islam,
l’effort éducatif, la connexion avec la WAMY dénotent une influence « réformiste »
attestée dans toute l’Afrique de l’Ouest.

44

Emblématique de ces associations culturelles, l’Organisation pour la culture islamique du
Bénin (OCIB) qui fit suite en 1986 à une association fondée en 1961, s’est donné pour but
principal « l’éducation islamique selon le Coran et la sunna »32. Aujourd’hui, l’OCIB perdure
et travaille en coordination avec les associations plus jeunes au sein du Réseau des
associations islamiques du Bénin33, et cette collaboration est certainement la raison de sa
pérennité, ses membres les plus actifs ont poursuivi le dialogue avec les générations
montantes. Ainsi, son président El hadj Yaaya Alidou, inspecteur de la Banque
commerciale du Bénin à la retraite, me fut présenté en mars 2005 par un de ses voisins, El
Hadj Mohamed Kebir, Ahalli sunna déclaré, après que celui-ci m’eut reçue dans son école
coranique pour femmes mariées. Le respect mutuel et le dialogue existent entre ces deux
croyants engagés dans la da’wa dont l’un est réputé Ahalli sunna intransigeant, et l’autre
membre de l’Union islamique du Bénin ; tous deux sont convaincus de la nécessité de

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

10

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

« faire la da’wa », de scolariser les filles34 et de maintenir le lien social. À Porto Novo
également, des intellectuels engagés dans l’islam s’efforcent de maintenir le lien, ainsi el
Hadj Machioudi Dissou, très respecté comme ancien doyen de la faculté d’agronomie et
comme acteur du mouvement associatif, par ailleurs connu comme membre de la
Qadiriyya, n’hésite-t-il pas à répondre aux Ahalli sunna lorsqu’il n’est pas d’accord avec les
propos qu’ils tiennent à la radio locale dans des émissions religieuses35. Il intervient afin
de corriger des affirmations qu’il juge erronées et dans un souci de dialogue, de cohésion
sociale.
45

Les femmes de l’Union des femmes musulmanes du Bénin constituent le versant féminin
de ces associations culturelles islamiques qui ont ouvert la voie aux associations
réformistes, sans en présenter les caractères normatifs. Ces femmes non voilées, figures
d’exception de leur génération, ayant occupé ou occupant encore des postes de cadres ou
d’enseignantes, parrainent maintenant les étudiantes de l’ACCEMUB pour lesquelles elles
représentent des modèles36.

46

Comment nommer ces précurseurs du mouvement associatif ? Ils réfutent toute
catégorisation, et même si les idées réformistes les ont influencés, eux aussi refusent
cette catégorie, au nom de l’impératif « on ne peut réformer l’islam »37. Ils jouent un rôle
important entre les anciennes générations attachées à leurs pratiques et prérogatives et
les nouvelles générations qui veulent faire changer celles-ci. Cependant ces précurseurs
n’ont pas l’exclusivité de ces rôles car il arrive que les réformistes diplômés des
universités islamiques établissent eux-mêmes des passerelles avec les générations qui les
ont précédés.

47

Les arabisants qui reviennent après de longues années passées dans les universités arabes
se trouvent confrontés au problème de l’emploi ; titulaires d’un diplôme non reconnu, ils
doivent « se placer » sur le marché du travail islamique où les postes sont rares, et ne
peuvent espérer se faire employer que par les ONG islamiques transnationales dans les
mosquées et les écoles plus rares qu’elles construisent. Les ONG transnationales établies
au Bénin développent un projet de mise aux normes de l’islam dans le sens de
l’orthodoxie. Ceci s’est traduit par des incidents récurrents depuis le début des années
1990, essentiellement liés aux nominations d’imams38, elles doivent cependant compter
avec l’Union islamique du Bénin et le contrôle de l’État. Lorsque ces arabisants accèdent,
souvent après de longs conflits, à un poste d’imam, ils deviennent des entrepreneurs
religieux, et tout en gardant une perspective « réformiste », la plupart se notabilisent et
se « reconnectent » (Roy 2008) avec leur société. Ils avaient d’ailleurs, en général, reçu
leur première formation religieuse au sein des confréries. C’est le cas de l’imam de la
mosquée de Zongo à Cotonou, né dans une famille d’imams et fils de feu le Cheikh de la
Tijâniyya niassène (Brégand 2009a). Le même phénomène s’est produit à Parakou pour la
nomination d’un imam dans la mosquée du centre islamique de Zongo II construit par
l’Agence des musulmans d’Afrique. Très activistes quand ils briguent les postes, après y
avoir accédé, ils deviennent des notables responsables et tendent plutôt à éviter les
conflits. Quelquefois, le passage se fait sans heurt, ainsi à Sakete, au nord de Porto Novo,
le jeune imam diplômé de Médine arrivé à ce poste à la demande des anciens, intervient
toujours pour calmer les conflits naissants et travaille avec la municipalité à
l’amélioration de la gestion de la ville39.

48

En outre, l’appartenance à un courant n’est ni définitive, ni exclusive, ainsi tel
interlocuteur, que nous appellerons Karim, figure de proue à Cotonou du mouvement
associatif islamique au service de la da’wa pour le « renouveau de l’islam », a suivi un

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

11

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

stage de roqya avec Ben Halima Abderraouf lors du passage de celui-ci durant sa tournée
ouest-africaine40. L’appartenance de Ben Halima Abderraouf au Tablîgh est bien connue, et
Karim, homme très « moderne », par ailleurs engagé pour la démocratie et le
développement économique de son pays, gagne sa vie comme « capteur de djinns » tout en
continuant de fréquenter les associations réformistes de la mosquée de Zongo. Les
nécessités économiques ont souvent des effets inattendus sur l’actualité religieuse dans
ces villes où la religion peut offrir des moyens de survie. En outre, la reconversion
professionnelle de Karim est en lien avec le succès de ces thérapies sans doute influencées
par les séances d’exorcisme en vigueur dans les groupes prosélytes chrétiens. Une
nouvelle « économie de la prière » (Soares 2005) a remplacé ou se superpose à celle que
dénoncent les militants réformistes. Ces errances religieuses d’un groupe à l’autre n’ont
rien d’exceptionnel, qu’il s’agisse des conversions ou du passage d’un groupe à l’autre au
sein de l’islam.
49



50

La scène islamique au Bénin présente des communautés éclatées, cependant, tous les
musulmans se réclament de l’umma ; il est beaucoup plus facile d’appartenir à une
« communauté imaginée » (Anderson 1996) mondiale, que de s’unifier sur le plan local.
Les identifications font partie des enjeux : dans l’hétérogénéité des conceptions et
pratiques de l’islam, chacun a le sentiment de pratiquer le « vrai islam », avec pour
danger, la non-reconnaissance de l’islam des autres. Les conflits sémantiques traduisent
des compétitions et des conflits de pouvoir.

51

Les évolutions en cours signalent une forte autonomisation des croyants, qu’il s’agisse des
fidèles des nouvelles turuq, ordre Nimatullahi et Alawiyya, ou des jeunes réformistes. À
l’inverse, dans cette mobilité religieuse observée dans les villes, certains rechercheront
l’appartenance à un groupe, le Tablîgh ou la Ahmadiyya qui, de même que les groupes
évangéliques et pentecôtistes, englobe la vie de ses membres.

52

Les catégorisations restent au Bénin les mêmes en 2010 que durant la décennie 1990, la
singularité ouest-africaine réside dans l’appropriation de la désignation Ahalli sunna par
ceux qui prônent un islam orthodoxe et une pratique normative. Les jeunes militants de
la mouvance « réformiste » restent à l’écart des confréries ; au moment des enquêtes sur
lesquelles repose cet article, il ne se développait pas dans les villes du Bénin des courants
néo-confrériques à l’instar de ceux qu’a rencontrés Fabienne Samson (2006) à Dakar.
Néanmoins, les jeunes réformistes de Porto Novo et Cotonou, comme les néo-confrériques
du Dahiratoul Moustarchidina Wal Moustarchidaty et du Mouvement mondial pour
l’unicité de Dieu situent leur action dans une société frappée par le chômage, ils ont
investi la société civile et militent pour un ordre social plus juste et plus moral. Par-delà
les catégorisations religieuses, l’engagement dans ces mouvements traduit des
préoccupations économiques, sociales, politiques.

53

Enfin, alors que nous nous interrogeons sur la pertinence des catégories « réformisme »,
« fondamentalisme », déjà celles-ci sont dépassées, et les nouvelles catégories construites
avec les préfixes « post » et « néo » nous ramènent à la question initiale de la
catégorisation.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

12

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

BIBLIOGRAPHIE
ABDOULAYE, G.

2007 – L’islam béninois à la croisée des chemins. Histoire, politique et développement, Köln, Mainzer
Beiträge zur Afrikaforschung, Rüdiger Köppe Verlag.
ANDERSON , B.

1996 – Imagined Communities, London, Verso (Trad. L’imaginaire national, Paris, La Découverte,
1996).
AUGIS, E.

2005 – « Dakar’s Sunnite Women : The Politics of Person », in M. GOMEZ-PEREZ (dir.), L’islam
politique au sud du Sahara, Paris, Karthala : 309-325.
BANEGAS, R.

2003 – La démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Karthala.
BAUBÉROT, J.

2009 – Les laïcités dans le monde, Paris, PUF.
BAYART, J.-F. (DIR.)

1993 – Religion et modernité politique en Afrique Noire, Paris, Karthala.
BENZINE, R.

2004 – Les nouveaux penseurs de l’islam, Paris, Albin Michel.
BOURDIEU , P.

1982 – Ce que parler veut dire, Paris, Fayard.
BRÉGAND , D.

1998 – Commerce caravanier et relations sociales au Bénin, Paris, L’Harmattan.
2006 – « La Ahmadiyya au Bénin », Archives de sciences sociales des religions, 135 : 73-90.
2009a – « Du soufisme au réformisme : la trajectoire de Mohamed Habib, imam à Cotonou »,
Politique Africaine, 116 : 121-142.
2009b – « Les réformistes et l’État au Bénin », in R. OTAYEK & B. SOARES (dir.), Islam, État et société en
Afrique, Paris, Karthala : 187-210.
BRENNER, L. (ED.)

1993 – Muslim Identity and Social Change in Sub-saharian Africa, London, Hurst & Co.
2000 – Controlling Knowledge. Religion, Power and Schooling in a West Africain Muslim Society, London,
Hurst & Co.
CANTONE, C.

2005 – « “Radicalisme” au féminin ? Les filles voilées et l’appropriation de l’espace dans les
mosquées à Dakar », in M. GOMEZ-PEREZ (dir.), op. cit. : 119-130.
2006 – « The Contemporary Mosque Phenomenon as lieux de sociabilité : Gender, Identity and
Space », Conférence internationale, Les lieux de sociabilité urbaine dans la longue durée en Afrique, Paris,
CEAN-Sedet, 22-24 juin.
CONSTANTIN , F. & COULON , C. (DIR.)

1997 – Religion et transition démocratique en Afrique, Paris, Karthala.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

13

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

COULON , C. (DIR.)

2002 – L’Afrique politique : islams d’Afrique entre le local et le global, Pessac, CEAN ; Paris, Karthala.
GABORIEAU , M.

1994 – « Wahhabisme : une seule étiquette pour des mouvements divers », La Lettre d’Asie centrale,
2, Paris, EFEO ; Paris, EHESS-CECMC : 1-2.
GELLNER, E.

1992 – Postmodernism, Reason and Religion, London-New York, Routledge.
GOMEZ-PEREZ, M. (DIR.)

2005 – L’islam politique au sud du Sahara, Paris, Karthala.
HOLDER, G. (DIR.)

2009 – L’islam, nouvel espace public en Afrique, Paris, Karthala.
KANE, O. & TRIAUD, J.-L. (DIR.)

1998 – Islam et islamismes au sud du Sahara, Paris, Iream-Karthala.
LOIMEIER, R.

1997 – « Islamic Reform and Political Change. The Example of Abubakar Gumi and the Yan Izala
Movement in Northern Nigeria », in D. WESTERLUND & E. E. ROSANDER (eds.), African Islam and Islam
in Africa, London, Hurst & Company : 286-307.
2003 – « Patterns and Peculiarities of Islamic Reforms in Africa », Journal of religion in Africa,
33 (3) : 237-262.
2005 – « De la dynamique locale des réformismes musulmans. Études biographiques (Sénégal,
Nigeria et Afrique de l’Est) », in M. GOMEZ-PEREZ (dir.), op. cit. : 29-47.
MARIE, A.

1997 – L’Afrique des individus : itinéraires citadins dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala.
MAYRARGUE, C.

2002 – Dynamiques religieuses et démocratisation au Bénin : pentecôtisme et formation d’un espace public,
Thèse de doctorat, Bordeaux, Université de Bordeaux IV.
2009 – « Pluralisation et compétition religieuses en Afrique subsaharienne. Pour une étude
comparée des logiques sociales et politiques du christianisme et de l’islam », Revue internationale
de politique comparée, 16 (1) : 83-98.
MIRAN, M.

2006 – Islam, histoire et modernité en Côte-d’Ivoire, Paris, Karthala.
MIRAN, M. & VISSOH , H. A. C.

2009 – « (Auto)biographie d’une conversion à l’islam. Regards croisés sur une histoire de
changement religieux dans le Bénin contemporain », Cahiers d’Études africaines, XLIX (3), 195 :
655-704.
OTAYEK, R. (DIR.)

1993 – Le radicalisme islamique au Sud du Sahara, Paris, Karthala.
OTAYEK, R. & SOARES, B. (DIR.)

2009 – Islam, État et société en Afrique, Paris, Karthala.
PIGA, A. (DIR.)

2003 – Islam et villes en Afrique au sud du Sahara. Entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala.
ROY, O.

2002 – L’islam mondialisé, Paris, Éditions du Seuil.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

14

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

2004 – « Modernisation, réformisme et réislamisation », Mouvements, 36 : 22-31.
2005 – La laïcité face à l’islam, Paris, Stock.
2008 – La Sainte Ignorance, Paris, Éditions du Seuil.
SAMSON , F.

2006 – « Identités islamiques dakaroises. Étude comparative de deux mouvements néoconfrériques de jeunes urbains », Autrepart, 3 (39) : 1-19.
SOARES, F.

2005 – Islam and the Prayer Economy, History and Authority in a Malian Town, London, Edinburg
University Press.
WESTERLUND, D. & EVERS

ROSANDER, E.

1997 – African Islam and Islam in Africa. Encounters between Sufis and Islamists, London, Hurst &
Company.

NOTES
1. Sur la conférence nationale et le processus de démocratisation, voir BANEGAS (2003). Sur
les églises évangéliques et pentecôtistes au Bénin, voir MAYRARGUE (2002). Parmi les
ouvrages traitant de l’affirmation des expressions religieuses en Afrique, voir OTAYEK
(1993), BRENNER (1993), CONSTANTIN & COULON (1997), WESTERLUND & EVERS ROSANDER (1997),
KANE & TRIAUD (1998), puis durant la décennie suivante, COULON (2002), PIGA (2003), GOMEZPEREZ (2005), OTAYEK & SOARES (2009), HOLDER (2009).
2. La société se sécularise quand « les représentations sociales du monde et les
comportements de la vie publique s’autonomisent par rapport à la religion » (BAUBÉROT
2009 : 18) ; « C’est lorsque le religieux cesse d’être au centre de la vie des hommes, même
s’ils se disent toujours croyants ; les pratiques des hommes comme le sens qu’ils donnent
au monde ne se font plus sous le signe de la transcendance et du religieux » (ROY 2005 :
19).
3. Entretien à l’Université d’Abomey Calavi, 4 mars 2005. On remarquera que le chercheur
est supposé avoir une appartenance religieuse.
4. Séminaire de l’IISMM, « Multipolarités et nouvelles centralités en islam » sous la
responsabilité d’Andrée Feillard, Élizabeth Allès, Amina Mohamed-Arif et Éric Germain.
5. « Radicalisme », « radical », expriment des degrés, non des catégories.
6. Monsieur Bakary, Porto Novo, 26/01/2005. Parti en Lybie en 1983, il revient au Bénin
en 1985 à cause de la guerre puis, en 1986, il est admis à Al-Azhar au Caire où il restera
treize ans. En même temps que l’enseignement d’al-Azhar, il suit à l’Université
américaine des cours d’anglais, de chimie et de biologie. Lorsqu’il revient au Bénin, il
enseigne le français et l’arabe dans des madrasa de Porto Novo et Cotonou.
7. L’amir de l’ACEEMUB, Dramani A. Moudachirou, décédé dans un accident de voiture.
Entretien en février 2005 à l’Université d’Abomey-Calavi.
8. Un imam de Porto Novo, février 2005.
9. Un responsable associatif, Porto Novo, Quartier Dodgi, février 2005. Entretien en
français. Tous les interlocuteurs de Cotonou et Porto Novo mentionnés dans cet article
sont francophones.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

15

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

10. L’auteure fait ici référence à BRENNER (2000).
11. Ces remarques ont suivi mon intervention et celle de Marie Miran le 5 janvier 2009,
lors de la séance « Autorité religieuse protéiforme et brouillage des catégories » au
séminaire de l’IISMM, « Multipolarités et nouvelles centralités en islam ».
12. Entretien à Porto Novo, le 26/01/2005.
13. Al-Bukhari, Muhammad (194/810-256/870). Au IVe siècle, il fut placé, avec le recueil de
Muslim à la tête des traditions sunnites. Muslim b. al-Hadjdjadj (né 202/817 ou 206/821,
selon les sources) son recueil de hadîth al-Djami al-sahîh regroupe 4 000 traditions.
Encyclopédie de l’islam, édition 1993. Il est à noter que les cheikhs de la Tijâniyya enseignent
également, mais non exclusivement, les hadîth de Boukhari et Muslim.
14. Lors des enquêtes en 2005, 2006, 2008, quatre créneaux horaires sont réservés aux
émissions en français : 6 h 30-7 h, 9 h-10 h, 18 h 30-19 h, 21 h 30-22 h 30 (« Comprendre
l’islam »). C’est durant cette dernière session que la radio diffusait les cassettes de Tariq
Ramadan. Selon des informations recueillies en 2011, La voix de l’islam, ayant vu ses
subventions diminuer, a limité ses émissions.
15. Fondateur au Nigeria en 1978 du mouvement radical Yan Izala (Jamaat Izalat al-bida wa
iqamat al-sunna : Société pour l’éradication de l’innovation démoniaque et l’établissement
de la sunna) il a contribué, par son idéologie et son action, à l’instauration de la charî’a
dans les États du Nord. Voir LOIMEIER (1997, 2003).
16. Selon les imams eux-mêmes.
17. Entretien au quartier Vodgi, Porto Novo, 25/01/2005.
18. La version du Code des personnes et de la famille, adoptée par l’Assemblée nationale
en juin 2004, ne reconnaît que la monogamie.
Article 125 : « Nul ne peut contracter un nouveau mariage avant la mention sur le registre
de l’état civil de la dissolution du précédent. » Article 143 : « Seul le mariage
monogamique est reconnu. »
19. Sources : le programme de stages de perfectionnement, et un entretien avec un
militant à Porto Novo en février 2006.
20. Idjtihad : effort d’interprétation personnelle de la loi.
21. La traduction française des sermons du vendredi est disponible à la librairie de la
mosquée.
22. A BDOULAYE (2007 : 217-227) relate les troubles qui survinrent à Malanville, liés aux
prêches de cheikh Sad puis à sa candidature au poste d’imam de la nouvelle mosquée
construite à la sortie de Malanville en direction du Niger.
23. Entretiens en 2006 et 2008 à l’école de la Place de Bulgarie à Cotonou, dont le
directeur el Hadj Mohamed Kebir m’a toujours très bien reçue.
24. Ibadou : terme local désignant ceux qui s’opposent aux confréries.
25. Comme dans la pensée de Jamal al-din al-Afghani, Mohamed Abduh et Rashid Rida,
bien que les interlocuteurs ne mentionnent jamais ces penseurs. Voir supra.
26. Y. étudiante en économie, entretien en février 2005.
27. C. L. militant actif pour le renouveau de l’islam. Porto Novo 28/02/2006.
28. Fondée en 1984.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

16

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

29. Entretiens avec l’imam central de Cotonou, el Hadj Aboubacar Ousmane, alors
président de l’UIB, le 7 février 2005, avec des membres de l’UIB parmi lesquels M. A.
diplômé d’al Azhar, membre du bureau (le 15 février 2005 à Cotonou).
30. Nous tenons ces informations du professeur Machioudi Dissou, rencontré plusieurs
fois à son domicile à Porto Novo, en février-mars 2005, février 2006 et février 2008.
Machioudi Dissou, professeur à la retraite, a été doyen de la faculté d’agronomie.
31. El Hadj Osseini Nourou faisait partie de la troupe, entretien à Porto Novo le 24 janvier
2004.
32. Entretien avec el Hadj Yaaya Alidou, le 03/03/2005 et le 06/03/2006.
33. Réseau des associations islamiques initié par l’imam réformiste de la mosquée de
Zongo à Cotonou.
34. El Hadj Mohamed Kebir avait alors 19 enfants, ceux qui avaient atteint l’âge scolaire
étaient scolarisés à l’école publique « car, dit-il, c’est avec le français que nous pouvons
faire la da’wa ». L’enseignement religieux est alors dispensé le samedi et/ou le dimanche.
Alors que les épouses d’El Hadj M. K. vivent recluses, El Hadj Yaaya Alidou me parle avec
fierté de sa fille, ingénieure en agro-alimentaire, qui faisait partie de la délégation
béninoise à une conférence mondiale des femmes à New York.
35. Entretien à Porto Novo avec El Hadj Machioudi Dissou, 1 er mars 2006. À propos des
émissions religieuses, signalons que n’importe quel groupe religieux peut « acheter » un
temps d’antenne sur les chaines de radio et de télévision.
36. Entretien avec les membres du bureau au domicile de la présidente Madame Bio
Tchané, 10/03/2005.
37. Un membre de l’Union des femmes musulmanes du Bénin, 10/03/2005.
38. Les principales ONG islamiques transnationales sont l’Agence des musulmans
d’Afrique (Koweit) al-Muntada al-Islamiyya (Royaume-Uni), International Islamique
Charitable Organization (IICO-Koweit), Organisation mondiale d’assistance islamique
(Arabie Saoudite) AMAI (lybienne), l’AMAI est plus ouverte aux courants non réformistes.
Sur les incidents liés aux nominations d’imams, voir ABDOULAYE (2007) et BRÉGAND (1998).
39. Par exemple en convainquant les musulmans qu’il est préférable, pour l’hygiène
publique, d’abattre rituellement les moutons et chèvres à l’abattoir municipal plutôt que
dans les concessions. Entretien avec le maire de Sakete en février 2005.
40. Roqya : soigner par la lecture de versets et diverses autres pratiques. Dans le cas
d’Abderraouf, il s’agit surtout de capter les djinns qui sont à l’origine des troubles. Voir le
site de Ben Halima Abderraouf : <http://benhalimaabderraouf.free.fr/>. « Le captage c’est
la manière que nous attrapons les djinns, les convertissons dans l’Islam par la grâce
d’Allah et les tuons au besoin. Pour capter il faut disposer d’une personne qui peut le faire
qu’on appelle capteur. »

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

17

Circulation dans les « communautés » musulmanes plurielles du Bénin

RÉSUMÉS
Résumé
Cet article interroge les catégories employées pour caractériser l’islam à partir d’enquêtes
anthropologiques au Bénin, en s’intéressant particulièrement à la catégorie « réformiste » et à sa
variante « fondamentaliste ». Comment « les autres », autres musulmans, non-musulmans et
chercheurs, catégorisent-ils ces croyants et militants de la « réislamisation » et comment ces
acteurs s’auto-identifient-ils ? Sur le terrain, les classifications ne sont pas aussi tranchées ; dans
le brouillage des catégories qui caractérise le champ de l’islam, des passerelles existent entre les
différents courants, et certains croyants passent d’un mouvement à l’autre, à la recherche du
groupe qui réponde à leurs désirs de religion et de sociabilité.
Circulation in the Plural Muslim “Communities” of Benin
This article questions categories which are used to define Islam in Benin, and focuses on
“reformist” and “fundamentalist” categories. How do “the others”, other Muslims, no Muslims
and researchers, categorize these believers and militants of “reislamization”, and how do people
involved in Islam revivalism identify themselves? The fieldwork has brought to light that
categories are not clear-cut. Through the shifting categories which characterize the Islamic field,
links exist between currents and some believers go from a movement to another, looking for the
group which will satisfy their desire of religion and sociability.

INDEX
Keywords : Benin, Self-Identification, Categorization, Fundamentalism, Islam, Reformism
Mots-clés : Bénin, auto-identification, catégorisation, fondamentalisme, islam, réformisme,
« vrai islam »

AUTEUR
DENISE BRÉGAND
Les Afriques dans le monde (LAM), Bordeaux.

Cahiers d’études africaines, 206-207 | 2012

18

Media