(Auto)biographie d'une conversion à l'islam : regards croisés sur une histoire de changement religieux dans le Bénin contemporain

Item

Resource class
Academic Article
Title
(Auto)biographie d'une conversion à l'islam : regards croisés sur une histoire de changement religieux dans le Bénin contemporain
list of authors
Marie Miran-Guyon
Vissoh, El Hadj Akan Charif
Abstract
fr Cet article a pour objet la conversion à l'islam du Béninois El Hadj Akan Charif Vissoh, dont la famille, mahi (fon), se partage entre cultes vodun et catholicisme. Tentant l'expérience de la co-écriture entre le converti lui-même, devenu imam de la mosquée centrale d'Allada et le chroniqueur de sa conversion, l'article propose tout à la fois une histoire de vie, un récit de conversion, un plaidoyer "réformiste" au nom des convertis à l'islam du Sud-Bénin et une relecture anthropologique et historique critique de ce narratif dans ses diverses articulations. Quelques comparaisons sont esquissées avec les trajectoires d'autres convertis autochtones du Ghana et de la Côte-d'Ivoire au XXe siècle. La conclusion revisite les débats sur la conversion religieuse en Afrique et au-delà. Bibliogr., notes, réf., rés. en français et en anglais. [Résumé extrait de la revue]
en This article recounts the conversion to Islam of El Hadj Akan Charif Vissoh, born in Benin to a Mahi (Fon) family following the traditional vodun cults and Catholicism. Co-written by the convert himself, later imam of Allada’s central mosque, and the chronicler of his conversion, it presents a life history, a conversion narrative, a "reformist" speech for the defense of converts to Islam in Southern Benin as well as a historical cum-anthropological analysis of this multilayered discourse.  In a comparative perspective, the article also sheds light on the experiences of other converts to Islam in XXth century southern Ghana and southern Côte-d’Ivoire. The conclusion revisits the debates on religious conversion in Africa and beyond.
Journal
Cahiers d'études africaines
issue
195
page start
655
page end
704
Date
2009
Language
Français
Wikidata QID
Q113527822
Spatial Coverage
Bénin
extracted text
Marie Miran & El Hadj Akan Charif Vissoh

(Auto)biographie
d’une conversion à l’islam
Regards croisés sur une histoire de changement
religieux dans le Bénin contemporain *

Cet article est le fruit d’une rencontre et d’une amitié singulière entre un
converti béninois à l’islam, devenu imam de la mosquée centrale d’Allada
et une historienne-anthropologue intéressée par l’étude des sociétés musulmanes dans le golfe de Guinée. Introduits par un ami ivoirien commun et
l’imam El Hadj Mohamed Ibrahim al-Habib de la mosquée zongo à Cotonou
au printemps 2003, notre rencontre a révélé l’imbrication de nos intérêts
réciproques à tenter l’aventure d’une collaboration expérimentale.
Issu d’un sous-groupe fon, de mère adepte des cultes vodun et de père
catholique, El Hadj Akan Charif Vissoh souhaitait raconter l’histoire mouvementée de sa vie et de sa conversion. Il le fit avec beaucoup d’émotion,
sans fausse pudeur, avec une richesse de détails dont le texte qui suit ne
donne qu’imparfaitement la mesure. De fait, ce récit ne fut pas sollicité
mais plutôt offert à l’écoute d’une oreille étrangère, sous la forme d’une
longue conversation initiale d’une quinzaine d’heures sur plusieurs jours.
Cette narration intime et personnelle était explicitement présentée comme
un plaidoyer collectif au nom des convertis à l’islam du Sud-Bénin, voire
au-delà. Elle ne voulait pas être le discours prosélyte d’un appelé qui appelle
à l’islam, comme en témoignent la discrétion avec laquelle sont abordées
*

Une première version de ce papier a été présentée à la conférence Conversion,
Modernity and the Individual with Particular Reference to Islam in Africa and
Asia, 25-26 novembre 2005, Centre for Modern Oriental Studies, Berlin. Charif
Vissoh souhaite exprimer sa profonde gratitude à sa regrettée épouse Ahouansou
Lucienne/Aïcha, à sa mère Wigniwolé Dagbégnon et à ses amis Mahmoud Diallo
du Sénégal, Abdoulaye Kanté du Mali, Fodé Sakho de la Guinée, Salia Traoré
et Mohamed Lamine Kaba de la Côte-d’Ivoire, Ayoub Patel de la Zambie, Cheikh
Abdoul Fatah Dessouki de l’Université al-Azhar d’Égypte et Hassan Adéchokan
et Daouda Lawal, PDG de COBEXIM, du Bénin. Marie Miran remercie les organisateurs et les participants de la conférence de Berlin ainsi que Karin Barber,
Katrin Langewiesche, Robin Law, Joël Noret, J. D. Y. Peel et Kadya Tall pour
leurs conseils éclairés sur divers aspects de cet article.

Cahiers d’Études africaines, XLIX (3), 195, 2009, pp. 655-704.

656

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

les dimensions théologique et spirituelle et plus encore l’accent délibéré mis
sur les difficultés multiformes que vivent les convertis au quotidien : dans
l’énoncé de ce cheminement religieux, les ombres se mêlent étroitement à
la lumière. La narration, performative, était clairement mise en scène comme
une prise de parole d’un acteur musulman rarement entendu (la figure du
converti) et comme une interpellation critique des musulmans nés dans
l’islam (ou « musulmans d’ascendance ») qui au mieux ignoreraient la
condition particulière des convertis, au pire leur refuseraient tout soutien
moral, logistique ou matériel. Le récit de Charif Vissoh s’inscrit malgré
tout dans une tradition de da‘wa (propagande ou mission islamique) dans
la mesure où il propose de réformer, au nom même de l’islam, certaines
mentalités et pratiques culturelles islamiques locales. De fait, pour l’imam
d’Allada, cette réforme est une condition préalable à la diffusion de l’islam
hors des communautés où il se trouve confiné, l’objectif étant d’aider aux
progrès de l’islam au Bénin sur les plans à la fois qualitatif et quantitatif.
Le paradoxe reste que Charif Vissoh, imam, enseignant coranique et journaliste à la radio La Voix de l’Islam, recourt à la confrontation avec un regard
extérieur, ni africain ni musulman, pour mieux solliciter l’attention de ses
coreligionnaires. L’essentiel, pour Vissoh, était que son appel soit publié,
dans l’idée que le passage de l’oral à l’écrit et du local à une plateforme
plus globale en renforcerait la portée et la légitimité, ne serait-ce que symboliquement. Sa signature certifie non seulement la forme et le fond de cet
appel mais aussi l’agencéité1 du converti prédicateur.
Les centres d’intérêt de recherche de Marie Miran l’orientaient, pour sa
part, vers les minorités musulmanes de l’Afrique occidentale atlantique dont
l’histoire et le devenir contemporains sont restés sous-étudiés en comparaison des sociétés plus anciennement et majoritairement islamisées de la zone
soudano-sahélienne, et ce, alors que le corridor Abidjan-Lagos est animé
d’une formidable vitalité religieuse qu’attestent les nombreux travaux consacrés aux christianismes, aux prophétismes africains et aux cultes (néo)traditionnels (Fourchard, Mary & Otayek 2005). Au terme d’une étude sur la
société musulmane d’Abidjan, faisant état de dynamiques locales d’islamisation mais surtout centrée sur les transformations internes des communautés
et de la culture religieuse islamiques dominantes (Miran 2006), la question
des convertis dits « autochtones »2 s’est présentée sous un angle inédit pour
pousser plus avant l’exploration du fait minoritaire, pour entendre des voix
1.
2.

Imparfaite traduction de l’anglais « agency », également rendue par « capacité
d’initiative ».
Le terme « autochtone » fait ici référence aux groupes ethniques lagunaires,
côtiers et forestiers de l’Afrique occidentale atlantique, dans l’ensemble marginalement islamisés. C’est une catégorie sociopolitique historiquement construite qui
ne fait sens que par son opposition au groupe des « allogènes » ou « allochtones ». Non sans racine dans le passé, le phénomène d’autochtonie ou « nativisme » est d’une brûlante actualité dans le contexte africain (BAYART, GESCHIERE
& NYAMNJOH 2001 ; AFRICAN STUDIES REVIEW 2006 ; POLITIQUE AFRICAINE 2008).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

657

souvent passées sous silence et pour enquêter sur le pluralisme et les
échanges interculturels en islam. Le tout s’inscrit dans la poursuite de
l’interrogation des processus de changement socioculturel qu’a traversé cet
espace à la fois frontière et carrefour de l’époque coloniale à l’âge de la
mondialisation actuelle.
Intrigante entre toutes est la question de la conversion qui correspond
au passage d’une religion majoritaire à une religion minoritaire — par son
poids démographique ou par son statut politique subordonné — qui plus
est quand l’islam minoritaire souffre d’une image publique plutôt négative,
comme c’est souvent le cas dans le golfe de Guinée3. L’interrogation principale concerne cependant moins le pourquoi que le comment de la conversion. Les aspects cognitifs, théologiques ou spirituels pouvant éclairer les
motivations de la conversion importent moins que la dimension expérientielle et relationnelle du passage d’une culture religieuse et d’une communauté de foi à une autre. L’ambition n’est pas de contribuer aux débats
théoriques sur la conceptualisation de la conversion religieuse mais de
mieux comprendre l’émergence et le devenir contrasté des individus et des
communautés de convertis autochtones à l’islam dans un contexte géographique et historique particuliers, en soulignant l’articulation de ce devenir
à celui des diverses communautés d’origine et de la société musulmane
plurielle, dans la juxtaposition des échelles locale, nationale et globale.
Sur le plan de la méthodologie quoique de manière très empirique et
fragmentaire, Marie Miran s’est par ailleurs interrogée sur la possibilité et
les modalités d’un dialogue de type « post-orientaliste » et « post-islamiste »
entre les milieux académiques, notamment occidentaux et les milieux religieux musulmans africains, pour confronter le défi du renouvellement des
études sur l’islam en Afrique4. Si l’idée cède quelque peu à la mode du
« penser global » valorisant les échanges interculturels, elle parie plus sérieusement sur la fécondité du décloisonnement des savoirs séculier/religieux
et du croisement des perspectives externe/interne. L’invitation de Charif
Vissoh au dialogue en a été un modeste laboratoire5.
3.

4.
5.

La conversion à l’islam est sensiblement différente quand elle se déroule dans
un contexte où l’islam est démographiquement majoritaire et/ou politiquement
dominant : voir, entre autres, LANGEWIESCHE (1998, 2003) sur le Yatenga, JONCKERS
(1998) sur les Minyanka du Mali, ANTHONY (2000) sur des Igbo de Kano, PENRAD
(1998) et BACUEZ (2005) sur Zanzibar. Quoique fort différent, un parallèle peut
être suggéré avec le contexte européen, théâtre de conversions d’Européens à
l’islam (KÖSE 1996 ; ALLIEVI 1998, 2000 ; ALLIEVI & DASSETO 1999). Les articles
d’OTTENBERG (1971) sur Afikpo en pays Igbo et de TRIAUD (1973) sur Ahua en
Côte-d’Ivoire figurent parmi les premiers à s’être penchés sur les convertis minoritaires du golfe de Guinée.
BRENNER (1999) a déjà souligné l’importance de la récente émergence d’une
« voix musulmane » dans les études islamiques africaines.
Notre collaboration fructueuse quoique forcément imparfaite — notamment parce
que les relations de pouvoir face à certaines inégalités dans l’économie de production de ce travail n’ont pu être complètement évacuées entre nous — a fait

658

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

Notre essai a donc au moins deux facettes d’objectifs croisés, requérant
autant de niveaux de lecture. À un premier niveau, El Hadj Vissoh retrace
l’histoire de sa vie de converti (mémoire autobiographique), en produisant
un récit de conversion (discours de domestication et d’appartenance à
l’islam) et un plaidoyer « réformiste » sur la question des convertis (discours
de différentiation identitaire intra-musulman et discours d’invite aux valeurs
supra-ethniques universalistes de l’islam). À un second niveau, Marie Miran
propose une analyse anthropologique et historique critique de ce narratif
dans ses diverses articulations, en esquissant quelques comparaisons à
l’appui d’autres récits de vie de convertis, recueillis en Côte-d’Ivoire et au
Ghana, afin de situer la trajectoire individuelle de Vissoh dans une perspective plus large. La conclusion revisite par le bas quelques aspects du vaste
débat académique sur la « conversion africaine » aux religions du salut.
La faiblesse de ce projet tient à la subjectivité de notre dialogue. Que
la source primaire du récit de conversion soit subjective est un truisme des
études sur le changement religieux. Le métanarratif de la conversion n’est
pas un exposé objectif mais une recomposition rétroactive de la construction
de soi. Il représente aussi une étape de la conversion (Fabre 1999a : 806)
et peut reproduire du dogme (Décobert 1998 : 59). Dans notre collaboration,
la subjectivité et la positionnalité du récit de Vissoh sont encore compliquées par le fait que celui-ci ait pris forme et se soit développé dans le
cadre de nos échanges, à Cotonou d’abord puis au fil de discussions régulières, écrites et orales, grâce au courrier postal et électronique et surtout
au téléphone (2003-2009). Parfois sollicités par des questions mais aussi
par la réflexivité de Vissoh sur son propre discours, des ajouts, des corrections de détail, des commentaires (mais aucune suppression) sont venus
étoffer la trame narrative originale, finalement reconstruite d’un commun
accord, par souci de clarté, selon une certaine linéarité chronologique, en
filtrant avec un zeste d’arbitraire les informations sur les personnages et les
événements « secondaires ». La relecture critique de la version finalisée de
cet article en a été la dernière occasion. À l’évidence, dans cet essai, nous
ne parlons pas toujours de la même voix, mais nos voix ne font pas que
se superposer : leur écho a changé la donne. Si notre dialogue pèche par
sa subjectivité, il atteste en retour de la vigueur de nos échanges intellectuels
et de la réciprocité dans notre travail, aussi inachevés soient-ils.

l’objet d’une analyse autocritique circonstanciée lors des « Débats de l’EHESS »
(MIRAN 2007b). Cette communication fera l’objet d’une publication ultérieure, la
longueur du présent article ne permettant pas d’en inclure ici la reprise.

659

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

PORTRAIT EN STUDIO D’EL HADJ VISSOH EN TENUE IMAMALE,
DANS LE RESPECT DU « PROTOCOLE » ISLAMIQUE BÉNINOIS
TURBAN, CHAPELET, TAPIS DE PRIÈRE), COTONOU,

(ABAYA DE LA MECQUE,

2007.

Entre cultes vodun et catholicisme : les origines ethniques et
familiales de Lucien Vissoh
El Hadj Charif Vissoh est né Akan Lucien Vissoh le 8 janvier 1953 à Logozohè, à une centaine de kilomètres au nord d’Abomey, capitale historique
du royaume du Danxomé, dans ce qui était alors la colonie française du
Dahomey. La bourgade de Logozohè, dans la commune de Savalou de
l’actuel Bénin, est majoritairement peuplée d’un sous-groupe fon, les Mahi,
relevant de l’aire linguistique dite aja-ewe. L’histoire atteste, depuis le
XVIIIe siècle, de la présence très minoritaire de musulmans dans l’État du
Danxomé, par la suite exposé à une influence islamique discrète. À la différence cependant du royaume asante et plus encore de l’empire yoruba
d’Oyo, les musulmans étaient presque exclusivement des étrangers, les Fon
du Danxomé ayant collectivement refusé d’embrasser l’islam (Law 1986 :
97). Vissoh considère en outre que de tous les sous-groupes fon, les populations mahi sont restées les plus réfractaires à l’islam. La mémoire collective,
au demeurant controversée, leur attribue la réputation d’un groupe montagnard acéphale et segmentaire, vivier d’esclaves, fermé aux étrangers et très
attaché à son autonomie y compris face au royaume du Danxomé avec qui
les Mahi ont entretenu des relations fort tumultueuses. De fait, les Mahi
seraient demeurés à ce jour une minorité nationale particulièrement attachée
à son identité (Anignikin 2001). Dans son Étude de l’Islam au Dahomey

660

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

parue en 1926, Paul Marty notait laconiquement à l’endroit des Mahi :
« Leur fétichisme très arriéré ne paraît pas devoir être prochainement entamé
par l’islam ; et leur caractère très fermé constitue un obstacle invincible à
ses missionnaires » (Marty 1926 : 4). À l’inverse, l’enracinement local de
la religion traditionnelle associée aux cultes vodun est ancien et très fort.
Une illustration en est la croyance, prévalente dans tout le Sud-Bénin, en des
origines mahi de Sakpata. Dans la cosmogonie fon, Sakpata est la divinité de
la terre et des maladies éruptives, hier variole, aujourd’hui sida : sa puissance n’a cessé d’être redoutée (Tall 1995 : 801).
D’après le recensement officiel de 2002, 46,5 % des résidents de la commune de Savalou — contre 23,3 % à l’échelle nationale — se prévalent
toujours des cultes traditionnels (RGPH du Bénin 2002). Vissoh souligne qu’à
la différence d’autres régions où des préjugés négatifs sur les cultes vodun
peuvent reléguer sa pratique dans l’obscurité, en pays mahi la religion traditionnelle est souvent pratiquée exclusivement, ouvertement et avec fierté.
C’est le cas de la mère de Vissoh, née vers 1923. Quoique simple fidèle,
elle est devenue une « référence » religieuse à Logozohè eu égard à son
grand âge. Après son mariage avec un chrétien, elle n’a opposé aucune
difficulté à ce que ses enfants soient élevés dans la seule tradition catholique, reconnaissant que depuis l’arrivée des colons, la tradition vodun serait,
selon ses propres dires, devenue « désuète » (ce qui, en fait, est loin d’être
le cas). Mais elle a personnellement toujours refusé de se convertir au christianisme, restant la seule adepte des cultes traditionnels dans sa famille.
L’évangélisation des missionnaires européens à la fois protestants et
catholiques et la paix coloniale française ont œuvré de concert à la conversion d’une frange importante des Mahi au christianisme au cours du
XXe siècle6. Certains devinrent de hauts cadres de l’administration civile
coloniale puis postcoloniale ou du clergé catholique, la conversion religieuse
représentant aussi une forme de conversion à la modernité occidentale. A
contrario, l’image dominante de l’islam restait celle d’une religion arriérée.
Le représentant le plus distingué de l’Église catholique au Bénin, le cardinal
Bernardin Gantin (1922-2008), est un Mahi de Covè (né à Toffo). Au terme
d’une carrière de plus de trente ans au Vatican, le cardinal Joseph Ratzinger
lui succéda au poste de doyen du Collège des cardinaux en 2002. Longtemps, le cardinal Gantin fut lui-même considéré comme un « papabile »,
l’homme qui aurait pu être le premier pape subsaharien7.
Le catholicisme fut introduit dans le village de Logozohè en 1928 par
un oncle paternel de Charif Vissoh. Le père de Vissoh, né vers 1912, couturiertailleur puis agriculteur, se convertit au christianisme à l’adolescence, mais
6.

7.

La commune de Savalou comptait 17,9 % de catholiques en 2002, contre 27,1 %
au niveau national. La proportion nationale des chrétiens, toutes tendances
confondues, est passée de 35,4 % en 1992 à 42,8 % en 2002 (RGPH du Bénin
1992, 2002).
À sa mort, le gouvernement béninois a décrété trois jours de deuil national :
L’Autre Quotidien, 14 mai 2008 ; Le Monde, 17 mai 2008.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

661

il ne fut longtemps catholique que de nom. Il épousa cinq femmes qui lui
donnèrent sept enfants — Lucien est l’aîné de ses fils. Mais à la fin de sa
vie, un réveil spirituel le fit embrasser le catholicisme avec ferveur. Il
divorça et se remaria religieusement avec l’une de ses femmes (qui n’est
pas la mère de Lucien). Jusqu’à sa mort en 2007 à l’âge de 95 ans, il était
toujours, au village, le premier arrivé à la messe.
Lucien Vissoh a été baptisé, comme consigné dans son « livret de catholicité » (certificat de baptême), mais il n’a pas fait sa communion. Il fut
scolarisé dans l’enseignement public et reçut, en plus du catéchisme, une
éducation catholique à la maison. À l’adolescence, à son entrée au collège
d’enseignement général de Savalou, il fut confié pour plusieurs années aux
bons soins de sa sœur aînée et de son mari, un couple de catholiques pratiquants, tous deux instituteurs, elle dans le public, lui dans le secteur privé
catholique. Vissoh acquit au fil des ans une solide connaissance de la Bible
et du christianisme. Mais s’il allait régulièrement à l’église et portait alors
une identité sociale catholique, il n’était pas « spécialement croyant » ; sa
foi fut un don de l’islam.
Bon élève, ambitieux et discipliné, le parcours scolaire de Vissoh fut
sans ombrage. Il était doué en mathématiques mais sa passion le portait
vers les langues. Il maîtrisa rapidement non seulement le français mais aussi
l’anglais. Dans la collectivité familiale akan (Vissoh, Awanou, etc.) de
Logozohè, d’autres connurent aussi la réussite scolaire puis professionnelle,
comme instituteur, ingénieur, médecin, pilote de l’air ou professeur d’université ; un parent devint même ministre du gouvernement de Mathieu
Kérékou ; un autre, professeur de physique, est l’actuel recteur de l’Université d’Abomey-Calavi. Ce qui a le plus bouleversé la sœur de Vissoh quand
elle apprit tardivement la conversion à l’islam de celui qu’elle avait élevé
comme son fils, c’est qu’il ait ruiné, en renonçant à des études supérieures
de type occidental, ce qu’elle voyait comme la perspective d’une brillante
carrière dans le secteur de l’emploi « moderne ».
Charif Vissoh se présente à ce jour comme le seul musulman de sa
famille, puisque même ses deux filles ont apostasié et se sont tournées vers
le christianisme (un jeune fils, toutefois, est resté musulman). Il ne connaît
que cinq ou six autres Mahi musulmans dans toute la commune de Savalou8
et lui seul a accompli le pèlerinage à La Mecque. Les musulmans de la
région — 11,2 % en 2002, contre 24,4 % à l’échelle nationale (20,6 % en
1992 ; RGPH du Bénin 1992, 2002) — sont tous des allogènes, venus du
Nord ou des pays voisins. Ainsi les parents de Vissoh ont-ils toujours perçu
son identité musulmane comme une anomalie et Charif a dû vivre avec des
pressions familiales discrètes mais constantes pour qu’il revienne à la religion des siens.
8.

Ainsi la conversion à l’islam du roi de Savalou, Tossoh Gbaguidi XIII, à l’occasion d’un voyage en Libye en 2008, a-t-elle défrayé la chronique, en dépit des
efforts de Vissoh pour apaiser la controverse. Le récit de cet événement à multiples facettes sera détaillé dans une publication ultérieure.

662

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

Entrée dans l’islam à Porto-Novo
En 1974, affecté dans un lycée de Porto-Novo, Lucien Vissoh quittait Savalou
pour le Sud-Bénin, où se concentraient alors la plupart des établissements
secondaires du pays. Le paysage socioreligieux de Porto-Novo, cité historique et capitale politique, contrastait vivement avec celui du pays mahi.
Sans être dominant, l’islam était fort d’une présence ancienne et bien établie
dans la géographie spirituelle de la ville9. Les Yoruba, que l’origine lointaine rattachait pour la plupart au royaume d’Oyo, étaient majoritaires parmi
les musulmans locaux. C’est ainsi qu’en gun, la langue du sous-groupe fon
dominant la ville, le mot Oyonu signifie tout à la fois « musulman » et
« Yoruba ». La communauté musulmane porto-novienne comptait toutefois
d’autres groupes sociaux et ethniques, parmi lesquels des descendants des
Afro-brésiliens — esclaves libérés venus s’installer dans la région au cours
du XIXe siècle (seule une minorité d’entre eux était musulmane) — et des
Gun ayant adopté l’islam. Le pluralisme communautaire s’exprimait également par la multiplicité des conceptions et pratiques de l’islam dont l’antagonisme fut souvent source de division (Abdoulaye 2003, 2007 ; Brégand
2007, à paraître). Ce pluralisme reflétait plus largement la diversité fort
prononcée de la scène religieuse porto-novienne, caractéristique de la sphère
vodun et plus encore de la nébuleuse chrétienne exceptionnellement composite. Les églises prophétiques, telle l’Église du Christianisme céleste fondée
dans la ville en 1947 et les multiples confessions évangéliques et pentecôtistes y concurrencent depuis longtemps le catholicisme et le protestantisme
« historiques ». Dans ce contexte pluriconfessionnel foisonnant, les diverses
religions attribuent des significations rivales aux signes de la vie sociale portonovienne. Mais l’économie spirituelle urbaine est aussi faite d’influences
réciproques et la tolérance a toujours dominé l’expérience quotidienne de
la cohabitation religieuse (Barbier & Dorier-Apprill 2002). C’est dans cet
environnement original, à distance de sa famille, que Lucien Vissoh a rencontré l’islam pour la première fois, l’année de la proclamation par le régime
de Kérékou de l’idéologie marxiste-léniniste.
En arpentant les rues de Porto-Novo peu après son arrivée au cours des
vacances d’été, Vissoh découvrit un bâtiment orné de calligraphies arabes.
La bâtisse était une école islamique, des élèves y récitaient le Coran. Vissoh
s’installa à l’écart pour écouter. Il fut frappé par l’étrange beauté de l’écriture arabe et des psalmodies. Animé par sa passion des langues, intrigué
et fasciné, Vissoh revint le lendemain et les jours qui suivirent pour s’imprégner de la vue et de l’écoute de l’arabe. De ces moments-là est né son désir
impérieux d’apprendre cette langue. Le maître coranique finit par interpeller
Vissoh qui s’expliqua. Le maître accepta sa présence et au fil des semaines,
sympathisa avec lui.
9.

Porto-Novo comptait 25 % de musulmans et 75 mosquées de quartier dans les
années 1990 (BARBIER & DORIER-APPRILL 2002).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

663

Par la suite, Lucien maîtrisant bien l’anglais, le maître lui proposa de
travailler pour un missionnaire égyptien en qualité d’interprète anglaisfrançais et fon — la langue maternelle de Vissoh et la lingua franca du
sud et du centre du Bénin. Ce missionnaire, Abdoul Fatah Dessouki, qui
ne parlait alors qu’arabe et anglais, avait été envoyé à Porto-Novo par l’Université d’al-Azhar au titre des activités de solidarité panislamique que coordonnait l’Arabie Saoudite, fraîchement inondée de pétrodollars. Une amitié
se noua entre Vissoh et Dessouki, qui lui proposa un jour de se convertir
à l’islam. Lucien y réfléchit puis accepta. Dessouki lui donna le prénom
islamique de son jeune fils, Charif (mais le converti choisit de conserver
son patronyme de naissance). Le laconisme de Vissoh sur l’acte formel de
sa conversion et sur les rituels qui l’accompagnèrent ne doit pas surprendre.
Pour ce lycéen de 21 ans, la conversion ne représentait qu’une ouverture
pour apprendre l’arabe. C’est le goût des langues qui le fit entrer dans
l’islam, soit un intérêt assez circonscrit quoique intellectuel. La foi ne se
révéla à Vissoh qu’ultérieurement, foi impénétrable mais ô combien décisive
puisqu’elle scella en définitive l’adhésion de Vissoh à sa nouvelle religion.
Il importe de souligner que c’est un Arabe étranger qui convertit Vissoh.
De fait, les musulmans locaux, pour la plupart des commerçants yoruba,
étaient peu préoccupés de prosélytisme et d’éventuelles conversions. Cette
situation se retrouvait chez les Hausa et les Yoruba du Ghana méridional
et chez les Dioula de Côte-d’Ivoire, principaux groupes ethniques islamisés
de ces régions de l’Ouest africain côtier. L’organisation d’activités et de
discours d’appel à l’islam (da‘wa) ne commença en effet à se développer
qu’à partir de la fin des années 1980 (Miran 2000, 2005). Dans l’imaginaire
populaire porto-novien, les Yoruba musulmans sont typiquement des riches
hommes ou femmes d’affaires, les El Hadj-s et El Hadja-s. Si des Gun se
convertissent occasionnellement à l’islam, on dit d’eux qu’ils veulent devenir riches. De leur côté, les Yoruba porto-noviens tendent à considérer les
convertis locaux comme des gens intéressés et hypocrites. C’est peu dire
que la communauté musulmane yoruba ait traditionnellement fait peu de cas
des convertis qu’elle regardait avec un mélange de mépris et de suspicion10.
La conversion de Vissoh fut en partie « relationnelle », pour reprendre la
typologie que Stefano Allievi (1998) a élaborée dans son étude des convertis
européens à l’islam. Le contexte de la conversion de Lucien est encore
éclairé par une analyse « du côté de l’offre », un autre concept d’Allievi
selon lequel l’offre provenant des milieux islamiques contribue, aux côtés
de la demande formulée par le converti, à expliquer l’origine de la conversion. C’est en effet une forme particulière d’islam qui a tenté Charif : non
10. Ces attitudes n’ont rien de spécifiquement yoruba : voir infra sur les Hausa du
Ghana et les Dioula de Côte-d’Ivoire. Mercedes GARCIA-ARENAL (2001 : 8) rappelle plus largement que « [l]a conversion comme moyen de franchir les frontières est inséparable des processus très complexes qui réalisent l’intégration et
qui, en même temps, incluent des phénomènes d’exclusion et de stigmatisation
par le groupe dominant ».

664

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

pas l’islam local dans sa version traditionnelle et ethnique yoruba mais
l’islam translocal dans ses atours « arabes » et « modernes », l’islam « réformiste » au sens large, plus que l’islam « wahhabite »11 stricto sensu. Bien
qu’il ignorât tout de ces distinctions intra-musulmanes à l’époque, il reste
que Vissoh est entré dans l’islam par la porte de l’écriture arabe et de la
volonté de comprendre la langue sacrée, métaphores du scripturalisme islamique et du savoir religieux issu des textes fondateurs de l’islam. De fait,
ces choix initiaux préfiguraient son identité musulmane « réformiste ».
Charif Vissoh ne présente pas sa conversion à l’islam comme un rejet du
catholicisme ni d’ailleurs de son milieu familial et ethnoculturel d’origine ;
l’attachement à son patronyme mahi en a été un premier signe. Vissoh met
au contraire l’accent sur les continuités, le christianisme ayant constitué une
étape nécessaire, « un pont », vers un monothéisme mieux affirmé. Le passage direct de la religion traditionnelle à l’islam aurait été, selon lui, des
plus difficiles. En dehors de la question de l’unicité de Dieu, Vissoh affirme
même ne rien reprocher au catholicisme. Il cite le Coran qui attribue une
origine divine à la diversité des religions. Ce qui compte, souligne-t-il, c’est
d’être pleinement croyant quelle que soit la croyance. Ses relations personnelles en milieu chrétien sont restées bonnes et il a ensuite pris part, en
tant que porte-parole musulman, à des rencontres islamo-chrétiennes.
Si la conversion à l’islam à partir des religions africaines traditionnelles
reste la plus courante, la conversion à partir du christianisme ne fait cependant pas exception12. Elle s’observe plus fréquemment depuis les années
1970-1980 mais se notait déjà à l’époque coloniale, voire auparavant. Dans
l’Entre-deux-guerres, des Ga d’Accra — le groupe ethnique « autochtone »
fondateur de la ville — préalablement convertis de la religion traditionnelle
ga au protestantisme, se sont tournés vers l’islam qu’incarnaient localement
les Hausa et les Yoruba originaires du Nigeria. À l’instar de Vissoh, la
mémoire ga ne présente pas la conversion à l’islam comme un rejet radical
du christianisme mais plutôt comme son prolongement. Les commerçants
hausa et yoruba étant peu prosélytes et les Ga ne parlant ni hausa ni yoruba
(les deux groupes ne vivaient d’ailleurs pas dans les mêmes quartiers), les
premiers Ga convertis découvrirent l’islam dans le texte même de la Bible,
en sa traduction anglaise. La figure de Jésus fut souvent lue comme annonciatrice de celle de Mohammed. Ainsi en Côte-d’Ivoire, un converti bété à
l’islam, ultérieurement imam à Gagnoa puis à Abidjan, prit-il en 1957
« Issa » pour prénom islamique en reconnaissance de la figure de Jésus
— Issa en arabe — à l’origine de sa révélation musulmane13. L’influence
11. Nos guillemets soulignent ici les limites de ces classifications faussement rigides
car évolutives et contextualisées.
12. Il en va de même des conversions de l’islam vers le christianisme, même dans
des régions où le christianisme est minoritaire (voir notamment LANGEWIESCHE
2003 ; COOPER 2007 ; FANCELLO 2007).
13. Entretien avec Issa Legré Azialaud, Abidjan, 28 octobre 1996 (les entretiens
référencés dans cet article ont été conduits par Marie Miran).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

665

du christianisme sur la communauté ga musulmane émergente, structurée
en 1930 en une Ga Muslim Aboriginal Society, était encore manifeste dans
l’organisation de Sunday schools islamiques, sur le modèle des Sunday
schools chrétiennes dont nombre de ces convertis avaient été élèves et pour
certains, enseignants (comme le pionnier Yushau Ayikwei Aryee). Au début,
la Bible en anglais, commentée en ga, était même le seul livre de ces écoles
islamiques hybrides : l’islam était littéralement enseigné au travers d’une
approche critique mais quasi-catéchistique de la tradition chrétienne. Il en
fut de même des premiers Fante musulmans14. À l’instar de Vissoh, le motif
qui domine l’explication que donnent les Ga de leur conversion à l’islam
est l’attrait du monothéisme absolu, la trinité révélant l’imperfection du
christianisme. Comme Vissoh, ces Ga musulmans préservèrent dans l’ensemble
une approche conciliatrice et bienveillante à l’égard de leurs frères chrétiens15.
Peu après la conversion de Vissoh à l’islam, Abdoul Fatah Dessouki
partit en congé en Égypte. Mais avant de s’absenter, il confia une lettre à
son protégé, que Vissoh perçut à l’époque comme une amulette couverte
d’inscriptions en arabe, avec la recommandation de la transmettre à Alpha
Hassan Adéchokan, maître islamique yoruba à Porto-Novo. Vissoh fut pris
de peur panique, persuadé que ce dernier allait lui « couper la tête ». Chez
les Fon du Bénin (Mahi et Gun inclus), il est en effet une croyance populaire
selon laquelle la richesse matérielle — surtout celle perçue comme socialement illégitime — a des origines surnaturelles et ésotériques, liées à
des pratiques maléfiques relevant de la « médecine » ou sorcellerie. Ces
croyances concernent spécialement la richesse mythifiée des marchands
yoruba de Porto-Novo, les El Hadj-s et les El Hadja-s. Comme les siens,
Vissoh était convaincu que les El Hadj-s pratiquent des sacrifices humains
et momifient leurs victimes, cachées dans des placards, qu’ils en prélèvent
des organes et que les têtes des sacrifiés vomissent de l’argent pour alimenter les fonds du sacrificateur. La littérature savante est laconique sur cet
imaginaire populaire, pourtant ancien et fort répandu. On en retrouve la
trace au XIXe siècle en pays yoruba où les mythes sur l’« argent magique »
des puissants ont été revivifiés de manière spectaculaire après la découverte
de gisements d’hydrocarbures et les booms pétroliers qui transformèrent brutalement le Nigeria dans les années 1970-1980 (Barber 1982 : 438 ; Lorand
Matory 1994 : 501). Pas de spécificité culturelle, cependant, dans ces représentations amalgamées de la richesse, du pouvoir et de la mort. En 2000
à Lakota, dans le sud-ouest ivoirien, un riche homme d’affaires malien fut
14. Entretiens avec Maulvi M. Yusuf Yawson, Hafiz Ahmad J. Saeed et Abubakr
Goar Gorman, responsables fanti de la ahmadiyya, Accra/Nyaniba estates,
30 juillet, 1er et 2 août 2008.
15. Divers entretiens à Accra/Korle Goño avec les dirigeants de la Ghana Muslim
Mission : Abdul Razak Tettey, Haruna Quarco, Suleman Kassim Quartey, septembre 2002 et Mohammed Kpakpo Addo, Aliyu Annoh, Iklima Kai CofiAmmah, Accra, août 2008.

666

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

sauvagement lynché par une foule l’accusant de sorcellerie et de trafic de
corps humains. Une mosquée qu’il avait en partie financée fut aussi saccagée16. De ces éléments comparatifs fragmentaires, il ressort que le stéréotype
du riche comme sorcier malfaisant relève davantage du facteur social que
des critères d’ethnicité ou de religion. Sa réceptivité en milieu fon a peutêtre été facilitée par une familiarité historique avec la pratique des sacrifices
humains, bien attestée dans le Danxomé précolonial (Law 1985) ou en
milieu gun de Porto-Novo, liée à l’importance de la décapitation comme
pratique mortuaire indispensable à la divinisation des ancêtres (Law 1989 ;
Jamous 1994). Dans les deux contextes, le fait que les El Hadj-s yoruba
incarnent, outre une puissance financière, une altérité ethnique et religieuse,
n’a pu que faciliter leur diabolisation. Avec le recul, Charif Vissoh attribue
une double paternité à ces préjugés. Ils reflèteraient d’une part les pratiques
syncrétiques et non islamiques de certains musulmans yoruba (Barbier &
Dorier-Apprill 2002). De l’autre, ils témoigneraient aussi de l’ignorance des
paysans fon ou gun à l’endroit du monde du commerce international dans
lequel évoluent les El Hadj-s : la richesse de ces derniers, incomparable à
la leur et acquise parfois rapidement, ne leur semble pouvoir s’acquérir
qu’illicitement et à leurs dépens. En cela, ces stéréotypes seraient la traduction de réalités socio-économiques contrastées.
En 1974, le jeune Charif Vissoh ne pouvait donc refouler la croyance
comme quoi la note en arabe à remettre à Hassan Adéchokan lui faisait
courir le risque de perdre sa tête. Une semaine durant, il s’interrogea sur
ce qu’il devait faire. Il décida finalement de s’exécuter, dans le double sens
de faire ce qu’on lui avait demandé et d’affronter la mort. Cet épisode en
dit long sur les tensions internes qui déchirèrent Vissoh dans ces moments
de doute sur sa conversion qui représentait à ses yeux un vrai pari existentiel.
Ces stéréotypes et ces doutes expliquent aussi pourquoi, par instinct de
protection, Charif fit d’emblée le choix de dissimuler sa conversion à sa
famille. Il redoutait la désapprobation et le rejet des siens et plus concrètement l’arrêt de tout soutien financier. La distance et le fait que dans les six
années qui suivirent sa conversion Vissoh n’eût qu’une pratique islamique
irrégulière, l’aidèrent à rester discret. Même si des parents éloignés révélèrent sa conversion plus tôt, Vissoh réussit à cacher son identité islamique
à ses proches pendant dix ans ! Mais il était alors devenu chef de famille
et financièrement autonome...
La note en arabe qu’avait rédigée l’Égyptien n’était qu’une lettre de
recommandation ; Vissoh survécut. Alpha Hassan Adéchokan avait étudié
à l’Université islamique de Médine fondée en 1961 par le royaume saoudien
pour former des missionnaires chargés de diffuser l’idéologie wahhabite de
par le monde. L’alpha a dû être l’un des pionniers de cette université à
venir enseigner au Bénin : dans les années 1990, le nombre des diplômés
16. Entretien avec Mamadou Diarrassouba, Lakota, 20 août 2001.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

667

béninois de Médine était toujours limité et leur insertion dans le tissu socioreligieux de Porto-Novo toujours problématique (Dissou 1999 ; Abdoulaye
2003). C’est ainsi que Vissoh commença son apprentissage de l’arabe et
de la doctrine islamique dans la médersa de l’alpha (qui parlait un peu le
français et le gun), sans frais de scolarité.
VISSOH PORTANT LE KEFFIEH
LORS D’UNE CONFÉRENCE ISLAMIQUE, (N. D.)

Quand Abdoul Fatah Dessouki revint au Bénin, il déménagea à Cotonou
avec sa famille mais continua de suivre de près l’éducation arabe et religieuse de Charif Vissoh. Il se démena pour l’envoyer à l’université cairote
d’al-Azhar, mais le projet achoppa quand Charif refusa d’informer ses parents
du projet, leur signature étant nécessaire pour l’obtention de son passeport.
À titre d’anecdote, un jour que Vissoh faisait établir son acte de naissance,
un fonctionnaire s’étonna de son nom et lui demanda s’il était musulman :
Charif se dissimula instinctivement en racontant que s’il avait choisi ce
prénom, c’était seulement parce qu’il aimait les sheriffs des westerns américains... Dessouki envoya à l’époque deux autres jeunes Béninois étudier
dans le monde arabe dont l’actuel imam de la mosquée zongo de Cotonou,
Mohamed Ibrahim al-Habib qui partit alors au Koweït. Parallèlement à ses
études au lycée de Porto-Novo puis à son entrée dans la vie active, Vissoh
prit des cours d’arabe par correspondance avec Dessouki à Cotonou.
Au lycée de Porto-Novo, Vissoh tomba amoureux d’une camarade déjà
croisée au collège de Savalou. C’était son alter ego : la prénommée Lucienne

668

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

était née le même jour et la même année que Lucien — « c’est seulement
l’heure qu’on ne sait pas ». Lucienne venait d’une famille gun catholique
du quartier Catchi de Porto-Novo. Elle donna naissance à deux filles : Lydia
(ensuite renommée Layal), en 1976 et Nassiri, en 1978. Puis Lucien et
Lucienne se marièrent. Lucienne était au courant de la conversion de Charif,
mais elle ne manifesta à l’époque aucun intérêt particulier pour l’islam.
Charif était de l’avis qu’il ne doit pas y avoir de contrainte en religion et
il ne voyait aucun inconvénient à ce que sa femme reste catholique. Le
couple coulait des jours heureux.
Six ans après son entrée dans l’islam, Charif Vissoh nourrissait toujours
l’ambition de parfaire son éducation arabo-islamique mais sa frustration
grandissait face aux contraintes sociales et matérielles qui le forçaient à une
pratique religieuse clandestine. Trop d’obstacles l’empêchaient d’atteindre
le but qu’il s’était fixé. Aussi décida-t-il, en 1980, de prendre la route
pour la Côte-d’Ivoire avec Lucienne, en laissant leurs filles chez sa mère
à Logozohè. En quête de savoir islamique, Vissoh cherchait un espace de
liberté où pratiquer sa religion loin du regard de ses parents : son départ
reproduisait implicitement le paradigme coranique de l’hijra et le modèle
de la rihla ou voyage/migration à des fins de formation religieuse (Schmitz
2006). Dans le même temps, la Côte-d’Ivoire d’Houphouët-Boigny offrait
aux migrants des perspectives de travail et Charif y avait des oncles et des
cousins éloignés qui pouvaient l’accueillir et l’aider à se mettre sur pied :
ces atouts pesèrent également dans le choix de la destination.

Devenir musulman : l’expérience de la migration en Côte-d’Ivoire
Charif et Lucienne Vissoh séjournèrent temporairement chez une cousine à
Bouaké puis s’installèrent chez un oncle maternel à Akoupé (sous-préfecture
d’Adzopé), dans le sud-est ivoirien, en zone forestière. En terre attié (akan)
comme dans le pays mahi, l’islam, minoritaire, avait une présence discrète.
Comme ailleurs en Côte-d’Ivoire méridionale, les musulmans nationaux
(Dioula pour la plupart) et étrangers (Burkinabè, Maliens, Guinéens, Nigériens, Sénégalais et autres) vivaient groupés dans des quartiers séparés,
appelés dioulakro (dioulabougou dans le sud-ouest), l’équivalent des zongo
du Ghana, du Togo et du Bénin. Commerçants, transporteurs, planteurs ou
manœuvres, peu prosélytes, formant une communauté à la fois hétérogène
et en voie de lente homogénéisation, les musulmans vaquaient à leurs
affaires sans perturber l’équilibre socioreligieux local. La ville ne faisait
pas mentir le mythe houphouëtiste d’une Côte-d’Ivoire cosmopolite, terre
de cohabitation interconfessionnelle paisible même si les relations entre
chrétiens et musulmans (et animistes dans une moindre mesure) relevaient
plutôt d’indifférence mutuelle et de pragmatisme bien compris que de tolérance éclairée (Miran 2006 : 52-53).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

669

L’oncle de Vissoh résidait en dehors du quartier musulman. Lui-même
était sans emploi mais sa femme avait un petit commerce d’attiéké (semoule
de manioc) au marché ; Lucienne s’y associa. C’est dans le dioulakro d’Akoupé
que Charif trouva un maître coranique, Abdoulaye Kanté, un Malien qui
avait fait ses études en Tunisie. Bien que locataire d’un riche marchand
wahhabite d’origine guinéenne du nom d’El Hadj Fodé Sakho, Kanté n’était
pas wahhabite et n’enseignait pas le rite wahhabite. Il n’était pas non plus
adepte d’une confrérie (tariqa) et n’initiait pas à la voie sufi (tassawwuf
ou mysticisme). Ces caractéristiques le rangeaient du côté des « réformistes », un groupe disparate aux frontières fluides dont le souci principal
était de revitaliser l’islam en l’intégrant harmonieusement à la « modernité ». La Côte-d’Ivoire méridionale avait été le théâtre de tensions et de
conflits ouverts entre wahhabites et « traditionalistes » dans les années 1970
mais Vissoh n’en fait pas écho sur Akoupé. Toutes proportions gardées, les
wahhabites et les réformistes tendaient à être plus ouverts que les « traditionalistes » à l’endroit des convertis à l’islam et plus soucieux de leur formation religieuse et de leur intégration sociale (Miran 1998).
Vissoh rapporte que le maître Abdoulaye Kanté fut tellement étonné
d’avoir affaire à un musulman béninois (son prototype du Béninois était
soit l’« animiste pur et dur » soit l’intellectuel chrétien) qu’après avoir
soumis Charif à un test d’arabe, il l’accueillit dans sa médersa sans frais
d’écolage. Par respect pour son âge, Vissoh fut dispensé du port du kaki
(l’uniforme scolaire). Les enfants ne se moquèrent pas moins de ce nouvel
élève qui avait l’âge d’être leur père. Le maître invita Charif à ne pas avoir
honte car sa maturité le ferait progresser plus vite et dans un an ou deux,
il pourrait le seconder dans l’encadrement des jeunes élèves. Il ne fallut
que trois mois à Vissoh pour être promu assistant. Le soir, le maître donnait
des cours de niveau avancé à ses assistants.
C’est dans cet environnement que la foi musulmane de Charif grandit
peu à peu, nourrie par le savoir islamique, la pratique religieuse et la coexistence avec les musulmans. De « relationnelle » à l’origine, la conversion de
Charif devint « rationnelle », selon la typologie d’Allievi (1998), transformant le converti en agent de son propre changement intérieur, de sa propre
« réforme » individuelle, à l’image d’une seconde conversion « interne »,
pour reprendre la catégorisation d’Hervieu-Léger (1999). C’est aussi à
Akoupé que Lucienne exprima pour la première fois son désir de se convertir à l’islam. Craignant qu’elle ne s’y sente contrainte, Vissoh l’invita à
prendre le temps de bien peser sa décision. Lucienne finit par se convertir
et devint Aïcha. D’après Charif, Aïcha devint meilleure musulmane que lui.
Si la conversion de Lucienne, à l’image de celle de bien d’autres femmes,
est à l’évidence « relationnelle » et liée au mariage, elle apparaît aussi motivée par une piété intérieure ne se réduisant pas à ces circonstances extérieures.
Charif s’était arrangé pour suivre ses cours à l’insu de ses hôtes. Le
jour arriva cependant où le secret de sa conversion fut découvert. Un cousin
fut dépêché d’Abengourou ; il réprimanda Vissoh vigoureusement. Bien que

670

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

VISSOH EN JEAN ET CHEMISE, FAISANT PRIER AÏCHA ET LEURS TROIS ENFANTS
DANS LEUR DOMICILE IVOIRIEN, (N. D.)

les propres parents de Charif — qui n’étaient pas encore au courant —
adoptèrent ultérieurement une posture plutôt neutre vis-à-vis de la foi islamique de leur fils, le reste de la famille réagit à cette révélation avec beaucoup d’aversion. L’oncle d’Akoupé le menaça d’expulsion. Charif aurait pu
emménager chez son maître, mais ce dernier ne voulait pas que les gens
disent que Charif quittait sa famille parce qu’il était devenu musulman.
Abdoulaye Kanté lui conseilla plutôt de proposer à son oncle de lui payer
un loyer pour rester chez lui. L’oncle tergiversa mais finit par accepter. Le
maître paya les deux premiers mois puis continua de subventionner le loyer
des Vissoh. Charif a gardé vivace le sentiment de honte qu’un quasi-étranger
payât son loyer pour vivre dans sa propre famille. Par ailleurs, le maître
employa Lucienne, « Madame Charif », à des travaux de ménage. Lucienne
apprit à piler du poisson qu’elle vendait en beignets aux élèves coraniques.
Plus tard, El Hadj Fodé Sakho, le riche commerçant propriétaire de la
médersa, fit un don à Charif et un don plus généreux encore à sa femme
pour les encourager dans la voie de l’islam. Les Vissoh envoyèrent une
partie de l’argent à leurs filles restées à Logozohè.
Le rejet familial des convertis n’avait rien d’inédit, c’était même plutôt
la norme. Les premiers Ga qui adoptèrent l’islam à Accra dans les années
1920 étaient pour la plupart issus de familles royales. En représailles à leur
conversion, ils furent emprisonnés dans le fort d’Osu pendant toute une
semaine et nourris au porc et au vin de palme17 ! On les moqua sous le
17. Entretiens avec Musa Akuetteh Idris et Ibrahim Okini Otto de la Ghana Muslim
Mission, Accra, 29 août 2002.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

671

sobriquet de Hausa boys18. Certains furent jetés hors du domicile familial.
D’autres se virent refuser la main de femmes de la communauté ga. Ce
n’est qu’avec les années que les relations des convertis avec leurs familles
s’apaisèrent. Les parents finirent par accepter l’idée que leurs fils (et parfois
aussi leurs filles) n’étaient pas devenus fous, qu’ils étaient restés des « gens
bien » et décents. On leur permit alors de participer de nouveau à la vie
de la communauté et les convertis y consentirent, à l’exception de tout ce
qui impliquait directement le fétiche et l’alcool. Comme les Ga musulmans
ne pouvaient plus verser l’alcool, ils n’étaient plus éligibles aux postes de
l’autorité traditionnelle. Dans ce contexte, la conversion à l’islam représente
une déchéance du statut social.
Des témoignages de convertis « autochtones » recueillis dans le sud de
la Côte-d’Ivoire abondent d’expériences similaires. La conversion à l’islam,
religion minoritaire, marginale, étrangère et méprisée était souvent perçue
par la famille comme une provocation, une attaque ou un déni du milieu
socioreligieux d’origine. C’était parfois même un mode de vie qui était
condamné, comme la pêche chez les Ahizi du village insulaire de Tiagba
dans la région de Cosrou (sous-préfecture de Dabou). Pour le pêcheur qui
reste de longues heures en pirogue sur la lagune ébrié, il n’est pas aisé de
pratiquer la prière musulmane : les Ahizi musulmans de la période coloniale
se sont donc aussi convertis à d’autres métiers, notamment le commerce19.
Dans les années 1930-1940 dans le village de Korékipra près de Daloa, les
Bété utilisèrent la requête coloniale des travaux forcés pour châtier leurs
frères convertis à l’islam20... La réconciliation des convertis avec leurs
familles a été difficile même si par souci d’apaisement les deux parties ont
cherché à minimiser leurs différends avec le temps.
Un an et deux mois après son arrivée à Akoupé, Charif excellait tant
et si bien dans ses études qu’El Hadj Fodé Sakho se chargea de son inscription à l’école franco-arabe la plus renommée d’Abidjan, le Centre culturel
islamique de Williamsville, du nom d’un sous-quartier d’Adjamé. El Hadj
Sakho se rendait à Abidjan toutes les semaines chez des Libanais pour
approvisionner son commerce de vaisselle. Il y fréquentait un compatriote
guinéen et coreligionnaire wahhabite, El Hadj Mohamed Lamine Kaba,
important théologien, figure de proue de la mouvance « réformiste » ivoirienne. Depuis sa fondation en 1976, Kaba dirigeait aussi la médersa de
Williamsville. Aux côtés d’autres pédagogues-conférenciers, il en fit un
grand centre d’apprentissage pour les plus jeunes mais aussi de réflexion
18. Les Ga tendaient à identifier tous les migrants musulmans aux Hausa. Sur les
relations entre les Ga et les musulmans à Accra jusque dans les années 1920,
voir PARKER (2000 : 163-169).
19. Entretiens avec Lekré Mamadou à Cosrou et Nguessan Mbaye à Tiagba, 26 août
2002, et avec Watta Abdul Wahab N’dri et Jaques Amian à Abidjan, 28 juin et
2 juillet 2006.
20. Entretien avec Moussa Menehouan, dit Moussa Koné et son frère, l’imam Issiaka
Menehouan, Korékipra, 20 août 2001.

672

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

prospective sur l’islam pour les étudiants, les cadres et les intellectuels
francophones (Delval 1980 : 65-66 ; Miran 2006 : 317-319).
Lamine Kaba, qui avait subi des déconvenues avec des convertis peu
sérieux, fut initialement réticent vis-à-vis de Vissoh. Mais devant son insistance, il lui donna sa chance. Vissoh étudia sous la direction de Salia Traoré,
diplômé d’arabe et de théologie de l’Université de Médine, salarié de la
Ligue islamique mondiale et, en 1982, imam des étudiants puis imam des
cadres musulmans du quartier résidentiel huppé de la Riviera. Les deux
hommes, de la même génération, se lièrent d’amitié. À Williamsville, les
cours se faisaient en alternance en arabe et en français dans toutes les
matières, religieuses comme profanes. De l’avis de Vissoh, le niveau des
professeurs de français était moins bon que ceux d’arabe mais Charif s’abstint de demander un poste d’enseignant en français par peur qu’on lui
reproche d’être venu chercher un emploi plutôt que d’étudier l’arabe. Finalement, au terme d’une période d’essai, Lamine Kaba fit savoir à Charif qu’il
était satisfait de ses progrès rapides et s’en sentait même honoré et, pour
allier l’acte à la parole, il lui offrit une somme d’argent symbolique. Charif
interpréta ce geste fort comme un pacte l’engageant à poursuivre son éducation islamique avec toujours plus de détermination.
Abidjan dépassait par son échelle et son urbanisme toutes les villes dans
lesquelles Vissoh avait vécu jusque-là. En cette cité aussi, contrairement
aux autres agglomérations du Sud, pas de dioulabougou : les musulmans,
nationaux et étrangers, vivaient dispersés dans tout le tissu urbain. La « ville
monde » (Vidal 2002), destination privilégiée des flux migratoires, vitrine
de la modernité ivoirienne à l’occidentale, était une mégapole en pleine
croissance où les possibilités d’ascension sociale n’excluaient pas des inégalités flagrantes : la ségrégation spatiale était avant tout sociale. À leur arrivée dans la capitale, les Vissoh logèrent d’abord dans le quartier populaire
d’Abobo, commune la plus peuplée de tout le pays, chez un ami d’enfance
originaire de Logozohè. Dans les semaines qui suivirent, Vissoh obtint des
responsables de Williamsville l’autorisation de s’absenter pendant un mois
pour mieux connaître la ville. Il leur taisait qu’il avait surtout besoin
d’argent et d’acquérir rapidement son autonomie. Son ami, chef de chantier
dans le bâtiment, le recommanda pour un menu travail de manœuvre. De
son salaire journalier, il économisa suffisamment pour permettre à Aïcha
de s’approvisionner en riz et en condiments pour monter un petit business
alimentaire de rue. Le couple se trouva une location dans le quartier. Au
bout d’un mois, Vissoh se trouvait en mesure de quitter son travail pour
retourner étudier alors qu’Aïcha continuait la cuisine et commença à pratiquer la couture. Ce n’est que de ce moment-là, grâce aux « sacrifices de
sa femme », que Charif Vissoh put consacrer l’essentiel de son temps à ses
études. Il trouva par la suite un petit travail en soirée comme répétiteur
auprès d’enfants libanais. Les revenus du couple leur permirent de s’acheter
une télévision, ce qui était encore rare au Bénin. Pour une somme modique,
Salia Traoré céda aussi aux Vissoh un vieux salon qu’il voulait remplacer.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

673

Charif était devenu un « petit patron » ! Il décida alors d’aller chercher ses
filles au village. C’était en 1983. Layal avait 7 ans, Nassiri, 5.
AÏCHA,

LAYAL ET NASSIRI VISSOH EN PRIÈRE, CÔTE-D’IVOIRE, (N. D.)

À Logozohè, la nouvelle de la conversion s’était répandue et Charif dut
faire face à des récriminations familiales. Ses parents acceptèrent toutefois
le fait avec philosophie, du moment qu’il s’en sortait. Les deux filles
n’avaient pas été scolarisées et ne parlaient que le fon. Leur grand-mère
leur était profondément attachée et Charif dut user de subterfuge pour les
lui arracher. Sa grande sœur qui vivait désormais à Cotonou mit Charif
en garde, sur la route du retour : comme les filles connaissaient peu leur
père, les gardes frontaliers ne manqueraient pas de croire qu’il partait les
« vendre » ! La frontière était alors fermée entre le Togo et le Ghana et le
voyage en bus par le Burkina fut particulièrement long et pénible.
À Abidjan, les Vissoh scolarisèrent Nassiri à l’école publique, mais
l’aînée, Layal, avait dépassé la limite d’âge pour y être admise. Elle fut un
temps scolarisée dans le privé jusqu’à ce qu’El Hadj Fodé Sakho demande
à ce que lui soit confiée son éducation. Layal partit à Akoupé, étudia à
l’école wahhabite et dut porter « le noir » (le hijab). Charif y était personnellement opposé mais n’osait confronter son bienfaiteur. Au bout d’une année
passée sans revoir ses parents, la fillette revint à Abidjan pour une semaine
de vacances. Or dans l’intervalle, elle avait totalement perdu la compréhension du fon. Ses parents en furent d’autant plus choqués et peinés qu’ils
ne pouvaient plus désormais communiquer directement avec elle : Nassiri,
la cadette, qui avait appris le dioula dans la rue, servait de traductrice (par

674

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

la suite, Charif apprit le dioula sur le tas). L’attachement de Charif Vissoh
à sa langue maternelle n’avait jamais fléchi. Pour lui, la conversion à l’islam
n’était pas synonyme d’aliénation culturelle. Il décida alors de garder Layal
auprès de lui. C’était un geste audacieux mais comme Charif était sérieux
dans ses études, El Hadj Sakho consentit à contrecœur à lui rendre la jeune
fille. Layal retrouva peu à peu l’usage du fon.
Charif Vissoh étudia pendant quatre ans au Centre culturel musulman
de Williamsville. Dès sa deuxième année, il fut recruté comme professeur
en langue française. Il avait calqué son enseignement sur celui du programme officiel, ce qui permit aux écoliers coraniques de passer le certificat
d’études primaires et pour certains d’entre eux, d’intégrer la classe de 6e
dans le public. À l’époque, Williamsville n’assurait pas le niveau du collège.
Cette passerelle évitait aux élèves de se retrouver dans l’impasse car il y
avait alors peu d’écoles islamiques supérieures en Côte-d’Ivoire et encore
moins de bourses disponibles pour aller étudier dans le monde arabe. Charif
partageait en cela le souci des réformistes d’allier islam et modernité.
À la maison, la santé d’Aïcha déclinait dangereusement des suites d’une
hypertension chronique. Au cours d’une grossesse difficile, elle dut être
hospitalisée et accoucha d’un enfant mort-né. Salia Traoré prit en charge
tous les frais médicaux. En ces heures difficiles, le soutien des amis musulmans des Vissoh fut spontané et précieux. Charif en a gardé un souvenir
fort et ne tarit pas d’éloge sur l’esprit de solidarité qui soudait la communauté réformiste d’Abidjan21.
Une longue hospitalisation assortie d’un régime strict sans sel fit chuter
la tension d’Aïcha mais aussi les revenus du couple. Charif envoya alors
femme et enfants à Akoupé chez El Hadj Sakho. À Akoupé, l’école islamique ne fonctionnait plus que le week-end et les filles furent inscrites en
semaine à l’école catholique. Charif n’y voyait que des avantages vu le bon
niveau d’enseignement qui y était dispensé. Deux ans et demi plus tard, le
couple eut un dernier enfant, Mohamed ben Charif.
Vers 1986, la mort du mécène fondateur du Centre de Williamsville
précipita le transfert de sa gestion aux mains de ses enfants. Lamine Kaba
dut se retirer. À la suite de Salia Traoré, Charif Vissoh déplaça ses activités
vers le quartier de la Riviera à Cocody où l’Association réformiste des
élèves et étudiants musulmans de Côte-d’Ivoire (AEEMCI) avait construit son
siège. Des cours étaient donnés à l’étage ; Charif y enseigna le français. À
cette époque, le milieu réformiste d’Abidjan noua des contacts avec une
ONG islamique basée aux États-Unis, la fondation SAAR, du nom du mécène
milliardaire saoudien, Suleiman Abdul al-Aziz al-Rajhi (Miran 2006 : 356357, 2007a). Vissoh fut recruté pour enseigner le français à un missionnaire
21. Cette solidarité était toutefois loin d’être toujours la norme en Côte-d’Ivoire. En
d’autres temps et d’autres localités, rejet et mépris des Dioula envers les nouveaux convertis ne faisaient pas exception. Entretiens avec Ibrahim Konan et
divers convertis ivoiriens, Abidjan, 2006-2009.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

675

anglophone et arabophone de la fondation SAAR, Ayoub Patel, Indien de Zambie.
L’homme d’affaires qui avait financé la construction du siège de l’AEEMCI,
un Sénégalo-Malien proche d’Houphouët-Boigny et gendre d’Amadou Hampâté
Bâ, offrit à Vissoh de l’envoyer en Arabie Saoudite, à condition d’obtenir
l’appui de son ami Mohamed Cissé, le fameux « marabout de Kérékou ».
Dans cette perspective, Charif rentra à Cotonou faire établir son passeport
mais sa famille le dissuada de rencontrer Cissé, convaincue que son voyage
serait utilisé pour du trafic de drogue22. Par peur, Vissoh renonça pour la
deuxième fois au projet de partir étudier dans le monde arabe.

La mort d’Aïcha : une double tragédie
La fondation SAAR Côte-d’Ivoire avait investi dans diverses entreprises génératrices de revenus avec pour objectif, à terme, l’autofinancement des activités réformistes locales et notamment un ambitieux projet scolaire à Grand
Bassam. Parmi ses opérations, l’ONG islamique acheta une plantation de
citronniers de 600 hectares à Mamini, entre Akoupé et Abengourou.
Mamini, en pays attié, était un village très fortement islamisé, quoique peuplé majoritairement d’allogènes au terroir, Dioula, Burkinabè, Maliens et
Guinéens confondus. Vers 1990, Vissoh fut recruté comme comptable à l’usine
d’huiles essentielles attenante à la plantation, la Société agro-industrielle de
Mamini (SAIM).
Peu avant son emménagement à Mamini avec ses trois enfants, Aïcha
revint au Bénin pour la première fois depuis dix ans. Son père et sa mère
étaient décédés d’hypertension depuis longtemps mais elle eut plaisir à
retrouver ses sœurs dont les activités commerciales, sans être prospères,
semblaient prometteuses. Aïcha informa sa famille à cette occasion de sa
conversion à l’islam, mais ses proches furent apparemment sceptiques,
convaincus que Lucienne y avait été forcée et que son islam n’était qu’une
façade. Mais le voyage se passa bien. Aïcha en nourrit le désir de reprendre
des activités commerciales.
À Mamini, une nouvelle grossesse s’en suivit d’un regain de tension et
d’une seconde naissance d’un enfant mort-né. Renonçant à d’autres maternités pour se consacrer exclusivement au commerce itinérant, Aïcha suggéra
alors à Charif de prendre une seconde épouse. Vissoh souhaitait rentrer
définitivement au Bénin avant que les enfants ne deviennent adultes parce
qu’il lui tenait à cœur qu’ils soient socialisés dans leur pays d’origine. Dans
cette perspective, c’est vers la communauté mahi de Daloa qu’il se tourna
pour qu’on lui propose une seconde femme. Née en Côte-d’Ivoire mais
originaire de Logozohè, Olive lui plut. Elle n’était pas musulmane mais ce
22. C’était probablement des préjugés. SIMONE (2001 : 35) confirme toutefois l’existence de rumeurs d’activités « mafieuses » conduites par des Africains à Djeddah
sous couvert du hadj et d’autres activités islamiques.

676

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

n’était pas un obstacle. Les parents redoutaient que leur fille ne soit
contrainte d’embrasser l’islam mais Charif les assura qu’il n’en serait rien
et que la jeune femme serait bien traitée. Le mariage fut donc célébré. Aïcha
présenta sa co-épouse au marché et lui apprit à porter le voile islamique
pour certaines occasions ; les deux femmes s’entendirent bien. Quelques
jours plus tard, Charif partit à Akoupé présenter Olive aux amis musulmans
et à la famille béninoise.
C’est à Akoupé que Charif fut informé de la subite détérioration de
l’état de santé d’Aïcha, restée à Mamini. Ses proches n’osaient en fait lui
annoncer frontalement la mauvaise nouvelle : Aïcha était en fait décédée
d’une crise fulgurante d’hypertension qui ne dura que deux jours. Rentré
précipitamment, Charif, accablé, dut se résoudre à l’évidence. Le corps de
sa femme avait déjà été lavé et enveloppé de tissu blanc. C’était en août
1992, une semaine jour pour jour après son second mariage. Aïcha avait
39 ans. Vissoh fit immédiatement prévenir un cousin de sa femme qui vivait
alors à Bingerville.
La belle-famille de Charif était catholique mais elle était restée fidèle
à la culture religieuse traditionnelle et tout particulièrement aux rites mortuaires claniques. Cet attachement n’avait rien d’inhabituel en milieu gun
(de même que chez les Fon, les Aïzo, les Xwéda, etc.). Dans son étude sur
le deuil dans le Sud-Bénin, Joël Noret (2003 : 496, 2006) a montré comment
les cérémonies d’enterrement donnent fréquemment lieu à des juxtapositions
voire à des interpénétrations de rituels, chrétiens et traditionnels. Les rites
funéraires traditionnels des Gun sont particulièrement complexes et sophistiqués. Très schématiquement, les funérailles se déroulent en deux phases
séparées d’une année ou plus. La première phase correspond à l’enterrement
du corps du défunt au domicile de sa naissance : les cheveux rasés et les
ongles coupés sont ensevelis dans une calebasse, le corps est revêtu de
beaux pagnes, les affaires personnelles et notamment la natte du défunt sont
brûlées, etc. La seconde phase correspond à la déification du mort : le crâne
est extrait, couvert de nouveaux pagnes puis déposé dans un autel de quartier
(à noter cependant que de nos jours, la décollation rituelle en milieu urbain
porto-novien s’est raréfiée : chez les chrétiens, quand l’enterrement a eu
lieu au cimetière, un petit pot est substitué au crâne). Le bon déroulement
de ces longues funérailles, à la fois familiales et communautaires, est impératif pour le repos de l’âme du mort — qui peut, le cas échéant, devenir
une présence maléfique pour les vivants — mais aussi pour la transformation
du mort en ancêtre, sans laquelle il n’est pas d’inscription des enfants du
lignage dans la suite des générations (Jamous 1994 : 154-155 ; Noret 2006).
Quand la mort survient loin du pays d’origine, comme dans le cas de
Lucienne/Aïcha, la tradition gun requiert que les ongles coupés et les cheveux rasés du défunt soient rapportés dans une calebasse avec du sable du
dessus de la tombe pour être enterrés dans la maison familiale du mort
(Jamous 1994 : 124, n. 10).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

677

À son arrivée à Mamini, le cousin de Bingerville, représentant la bellefamille de Charif Vissoh, demanda donc à ce que les ongles et les cheveux
de la défunte soient coupés et rasés. Mais les dignitaires religieux de la
communauté musulmane locale refusèrent catégoriquement cette requête,
arguant qu’en islam, le corps doit être enterré tel quel et qu’il est interdit
d’en enlever des parties. Une dispute verbale s’en suivit. Aucune partie ne
consentit à des compromis. De guerre lasse, les chefs religieux musulmans
invitèrent le cousin à prendre le corps tout entier et à aller lui-même l’enterrer ailleurs. Pris de cours et mis en position de faiblesse, le cousin renonça.
Sur ce, la défunte reçut sa dernière toilette et fut ensevelie au cimetière local.
Rentré à Bingerville, le cousin s’empressa d’avertir la famille de PortoNovo du décès impromptu et prématuré de Lucienne. Elle aurait été enterrée
avec un tel empressement, prétendit-il, que lui-même n’avait pu voir le
corps. Cette version des faits présentait délibérément la mort d’Aïcha comme
non naturelle et Charif fut aussitôt accusé d’avoir tué (ou « vendu ») sa
femme pour faire de l’argent (il fut aussi accusé de dissimuler sa fortune
pour ne pas la partager). Tous les préjugés des Gun sur l’origine maléfique
de la richesse des El Hadj-s yoruba de Porto-Novo refaisaient surface pour
accabler Vissoh...
De son côté, Charif avait envoyé un télégramme pour informer Logozohè
du décès de sa femme. Plusieurs courriers en retour l’informèrent du scandale qu’avait déclenché le cousin de Bingerville. Au Bénin, plusieurs parents
de Charif, venus présenter leurs condoléances à la famille de la défunte,
avaient même été retenus prisonniers à Porto-Novo. La famille endeuillée
exigeait de Vissoh qu’il rentre au plus vite au pays avec le corps exhumé
de Lucienne pour régler l’affaire. Ces nouvelles affligèrent profondément
Charif, déjà éprouvé par la mort de son épouse bien aimée. Il y avait là,
à ses yeux, un conflit de religion dont il fut une victime inutile. Rétrospectivement, Vissoh date même de cet événement précis sa motivation de créer
une association de soutien aux convertis à l’islam, convaincu que les musulmans d’ascendance ignorent tout des épreuves des convertis et manquent,
par conséquent, au devoir de leur porter secours.
Sa grande sœur conseilla à Charif de venir au Bénin avec ses trois
enfants, les aînées Layal et Nassiri, qui avaient alors 16 et 14 ans et le petit
Mohamed ben Charif. Vissoh s’endetta pour payer le voyage. À Porto-Novo,
Charif dut affronter sa famille et sa belle-famille, toutes deux fermement
convaincues que Charif avait trempé dans la mort de Lucienne par voie de
sorcellerie islamique. Un oncle de Vissoh, ancien ministre, lui suggéra de
se faire accompagner par des policiers en civil, au cas où la situation dégénérerait. Sur intervention de personnes extérieures, les proches de Vissoh
furent finalement libérés. Ils abandonnaient Charif aux mains de sa bellefamille à qui il revenait de décider de son sort. La tension régnait quand
le père et ses enfants furent admis dans la grande salle qui servait aux
réunions familiales. Mais dès que la belle-famille vit Charif qu’elle connaissait depuis l’adolescence, le soulagement prit le dessus. La famille de

678

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

Lucienne questionna Vissoh sur ce qui s’était passé. Charif donna sa version
des faits, en présence des enfants, non sans verser des larmes d’émotion.
Ses deux filles donnèrent indépendamment leur témoignage. Charif produisit
aussi tout le dossier médical de Lucienne depuis l’hospitalisation à Abidjan,
pour prouver qu’elle n’avait pas été abandonnée à son sort (la médecine
occidentale faisait taire l’allégation de « médecine » occulte). En outre, à
défaut d’ongles et de cheveux, Charif avait pris la précaution de venir avec
certains effets personnels de sa femme, notamment ses draps et ses couvertures, pour qu’ils servent de substitut dans l’accomplissement des rites
coutumiers. La belle-famille, apaisée, requit alors de Charif qu’il finance
l’organisation des cérémonies funéraires claniques à Porto-Novo. Elle
demanda encore à garder les enfants. Mais les parents de Lucienne étaient
décédés et les oncles sur place n’avaient pas une bonne situation. Les filles
elles-mêmes souhaitaient rester avec leur père. Charif emmena alors ses
enfants à Logozohè, où il s’expliqua avec sa propre famille, puis tous repartirent en Côte-d’Ivoire.
Il n’est pas rare que les différences dans la conception de la mort et
dans la pratique des rituels funéraires provoquent la discorde entre les communautés musulmane et non musulmane qui s’affrontent sur l’identité religieuse du converti à sa dernière heure. L’étude de Michelle Gilbert (1988)
sur la controverse religieuse qui suivit la mort d’un richissime Akan converti
au protestantisme dans le sud du Ghana en 1977 et celle de Katrin Langewiesche
(2003 : 245-304) sur les deux enterrements successifs, catholique puis traditionnel, d’un chef de village dans la province du Yatenga au Burkina en
1996, attestent de l’envergure de ces tensions qui ne sont pas limitées à
l’islam. Dans le Sud ivoirien, la perception non musulmane de la gestion
islamique de la mort a produit des préjugés tenaces. Une croyance populaire
relate que les musulmans, pour rendre le corps licite, égorgent leurs morts
à la manière des animaux qu’ils consomment. Les enterrements islamiques,
rapides et sobres, sont souvent perçus comme indignes et presque blasphématoires. C’est une opinion répandue chez les Bété dont les cérémonies
funéraires sont exceptionnellement sophistiquées, coûteuses et animées.
Souvent étalées sur plusieurs semaines voire davantage, les funérailles bété
représentent un événement communautaire de la plus haute importance.
Cette différence de rituel, associée au délaissement dans la mort, a longtemps représenté un frein réel à la conversion des Bété à l’islam. De fait,
depuis peu, les musulmans ivoiriens tendent à promouvoir des funérailles
islamiques plus élaborées et plus conviviales pour les Bété et pour d’autres
groupes de convertis, « pour faire bonne mesure » et « faire tomber les barrières »23. Ainsi la mort représente-t-elle une occasion sociale privilégiée
23. Entretien avec Moussa et Issiaka Menehouan, Korékipra, 20 août 2001, avec
l’imam Ibrahim Bredji, Abidjan, 6 septembre 2001 et avec Abdoul Malick, Drissa
Morre, Agnini Issa, Bénié Koffi et d’autres Agni musulmans du village de Damé,
Damé, 14 août 2008.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

679

pour réaffirmer les frontières entre religions, nulle part plus visibles qu’au
cimetière, où chaque religion a son espace séparé. Mais les funérailles sont
aussi parfois le terrain d’influences et d’aménagements culturels qui témoignent
de la complexité des interactions religieuses au cœur desquelles se situent
les convertis.

Devenir prédicateur islamique : le retour au Bénin
À Mamini, Olive donna naissance à un fils, Ibrahim, mais son refus de
s’occuper du petit Mohamed conduisit Charif à demander le divorce. En 1994,
Vissoh décida de rentrer définitivement au Bénin. Les filles étaient grandes :
Mohamed Lamine Kaba d’Abidjan s’était proposé de prendre en charge leur
scolarité mais Charif ne voulait pas que ses compatriotes disent de lui qu’il
les avaient « vendues ». Il crut bien faire de les rapatrier. Mais au Bénin,
ses deux filles se détournèrent de l’islam avec la bénédiction de la famille,
puis se convertirent au christianisme après s’être mariées à des catholiques.
Charif, atterré, coupa tout contact avec elles pendant un certain temps. Plus
tard, Olive envoya au Bénin le petit Ibrahim que Charif scolarisa dans une
médersa de Porto-Novo.
Son éducation terminée, sa foi affermie, Vissoh avait désormais l’ambition de devenir, à son tour, pédagogue de l’islam sur sa terre natale, assumant le rôle d’un converti militant ou « actif », par opposition aux convertis
« tranquilles », pour reprendre les qualificatifs d’El-Houari Setta (1999) sur
les convertis suisses à l’islam. Charif rejoignit alors progressivement les
rangs de la nouvelle élite réformiste arabisante et francophone du Sud-Bénin
dont l’importance collective grandit considérablement dans les années 1990
grâce au retour d’une nouvelle vague de diplômés du monde arabe. Cette
élite réformiste était toutefois minoritaire et par ailleurs fragilisée par des
divisions internes et des problèmes d’organisation (Abdoulaye 2003, 2007 ;
Brégand 2007, à paraître ; Miran 2005). La majorité musulmane restait en
effet attachée aux diverses formes de l’islam « traditionnel » et/ou soufi,
notamment dans leurs versions culturelles ethniques, essentiellement yoruba
et hausa. Déterminé à montrer par l’exemple que l’islam était incommensurable à l’ethnicité et que le savoir islamique pouvait s’acquérir sans passer
par les langues vernaculaires des musulmans locaux (et n’avait rien à voir
avec certaines coutumes ethniques), Vissoh avait très tôt pris la décision
de principe de n’apprendre ni la langue yoruba ni la langue hausa. Mais
ce choix rendit plus difficile son intégration sociale dans les communautés
musulmanes locales, tant à Porto-Novo qu’à Cotonou. Charif vécut cette
situation avec d’autant plus d’amertume qu’il gardait d’Abidjan le souvenir
d’un esprit communautaire islamique plus unitaire, minimisant au plan religieux les marqueurs identitaires ethniques ou nationaux24. Le paradoxe
24. Voir note 20.

680

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

l’incommodait qu’il se retrouvât marginalisé dans son propre pays en tant
que prédicateur islamique alors qu’il avait été plutôt bien intégré dans un
pays étranger du temps où il n’était qu’étudiant coranique.
Mais les difficultés n’eurent pas raison de sa détermination. À PortoNovo, Vissoh se fit embaucher comme maître coranique dans l’école du
premier alpha qu’il avait rencontré en 1974. Grâce au financement d’un
riche Gun de Porto-Novo — un ancien chargé d’affaires du Bénin au
Koweït, ami de la directrice de cabinet de Kérékou, une non musulmane
du village de Charif — Vissoh fit construire une mosquée dans le zongo
de Logozohè, surtout fréquentée par des Mossi burkinabè. Par la suite, Charif devint prédicateur en français et en fon dans une mosquée du quartier
Kouhoumou de Cotonou et traducteur en fon des sermons du vendredi de
l’imam de la mosquée zongo de Cotonou, El Hadj Mohamed Ibrahim al-Habib,
revenu du Koweït où l’Égyptien Abdoul Fatah Dessouki l’avait envoyé poursuivre ses études. Quand la FM privée La Voix de l’Islam, hébergée dans les
locaux de la mosquée zongo, fut lancée à la fin des années 1990, Vissoh fut
recruté pour animer diverses émissions en français et en fon. Parce que le
mariage figurait au nombre des questions abordées sur les ondes, une pression
fut exercée sur les journalistes célibataires pour qu’ils se marient. Un mariage
arrangé fut alors célébré entre Charif et Sofia, Yoruba musulmane, mais la
modestie matérielle de Vissoh fut source immédiate de tension. Parallèlement,
Charif entreprit de traduire le Coran de l’arabe en fon avec l’aide d’un spécialiste musulman non arabisant de linguistique fon, Miftaou Nondichao25. Au fur
et à mesure qu’avance la traduction à l’écrit, une version orale sur cassette est
aussi enregistrée (faute de financement, le projet avance lentement ; il était
toujours en chantier en 2009)26. Cette traduction du Coran en fon devrait être
la toute première puisque même les ahmadis, connus pour leurs multiples traductions du texte sacré en langues locales, n’en ont pas encore proposé une
dans la lingua franca du sud et du centre du Bénin. En 2001, Vissoh effectua
enfin le pèlerinage à la Mecque, « le plus beau cadeau que Dieu [lui ait] offert ».
En août 2005, en couronnement de ce long parcours, El Hadj Vissoh
fut nommé imam de la mosquée centrale d’Allada, dans le département de
l’Atlantique. Si cette nomination atteste de la légitimité religieuse conférée
au converti, elle fût aussi conclue par défaut, comme a tenu à le souligner
Vissoh. L’imam sortant était un commerçant nigérien originaire de Djerma.
Comme les fidèles se plaignaient de ne pas comprendre son sermon, non
traduit en fon, il se retira de mauvaise grâce. Un comité chargé de trouver
un nouvel imam nomma en intérim un El Hadj yoruba qui parlait bien le
fon. La veille du premier vendredi où il devait officier, il se rétracta subitement et n’accepta de revenir sur son refus qu’après avoir reçu l’assurance
25. Les Nondichao sont, depuis le XVIIIe siècle, une vieille famille de devins musulmans auprès des rois d’Abomey.
26. Charif s’est aussi lancé dans la traduction de certains recueils de Hadith pour
l’échéance du Ramadan 2009. Les enregistrements audio sont passés en boucle
à la radio.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

681

LE JOURNALISTE VISSOH DEVANT LES LOCAUX DE LA FM
LA VOIX DE L’ISLAM, MOSQUÉE ZONGO DE COTONOU, 2003

que le mihrab, la peau de mouton et d’autres attributs de l’imam contesté
seraient sortis de la mosquée. Peine perdue : la mort le surprit le lendemain
soir et tous conclurent à un envoûtement maléfique (la croyance en des
pratiques occultes islamiques n’est pas limitée aux non musulmans !). C’est
après ces événements que Vissoh fut contacté par l’intermédiaire de la radio
La Voix de l’Islam. Des collègues tentèrent de le dissuader d’accepter l’imamat d’Allada dans ces conditions, mais lui-même décida de braver le sort.
Non seulement il survécut, mais ses relations avec sa congrégation et l’ancien
imam s’avérèrent bonnes. Il établit en outre des relations de courtoisie avec
le roi d’Allada, un non musulman. Pendant trois ans, Vissoh, qui résidait
et travaillait à Cotonou en semaine, a régulièrement fait le trajet pour se
rendre à Allada le vendredi et donner son prêche, en arabe, en français et
en fon. Avec le temps cependant et l’élargissement progressif de ses activités de journaliste et de prédicateur, tant à Cotonou que sur l’ensemble du
territoire national, la charge imamale de la petite ville d’Allada s’avéra trop
contraignante. Vissoh eut à cœur de régler la question de sa succession par
un résident local avant de renoncer volontairement à sa fonction. Il entendait
aussi montrer par ce geste que l’imamat n’est pas forcément un poste à vie
mais qu’il peut faire l’objet de rotations. Vissoh n’hésiterait toutefois pas
à accepter une nouvelle charge imamale dans l’une des grandes mosquées
de Cotonou ou de ses proches environs.
El Hadj Charif Vissoh a ainsi accumulé un certain capital depuis son
retour au Bénin, même si ce capital est plus symbolique que matériel. Vissoh
peine en effet à assumer financièrement les frais de sa petite famille et pour
compléter ses revenus, il continue d’intervenir dans des écoles coraniques

682

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

et de donner des cours de Coran à domicile. Cependant il a la satisfaction
de « s’être prouvé », à la fois à ses propres yeux pour avoir accompli ses
objectifs personnels, aux yeux de sa famille qui a fini par reconnaître ses
réalisations et aux yeux de certains de ses coreligionnaires qui le consultent
et l’écoutent.

La

LIBPSCOM

: agir face aux difficultés spécifiques des convertis

Persuadé que nombre de nouveaux convertis sont confrontés aux mêmes
difficultés que celles qu’il a endurées au cours de sa vie, Charif Vissoh a
fondé à Cotonou en 2002 la Ligue islamique béninoise pour la promotion
et le soutien des convertis musulmans ou LIBPSCOM. Son objectif est à la fois
d’attirer l’attention des musulmans d’ascendance sur les problèmes spécifiques des convertis et de faciliter l’intégration de ces derniers au sein des
communautés musulmanes établies. La Ligue n’est pas stricto sensu une
association de convertis. Sur les 27 membres fondateurs (également membres
du bureau exécutif national), seuls 5 sont en fait des convertis dont le président Vissoh. Les autres, parmi lesquels des imams et des alphas, sont des
musulmans nés dans l’islam qui se dévouent pour améliorer les conditions
socioreligieuses des convertis au Bénin. Certains membres fondateurs
convertis ont également recruté leurs fils dans les rangs de l’association,
en anticipant le jour où ils auront à reprendre le flambeau. C’est le cas de
Justin Yelognon Bagan et de son fils Arnauld Matinkpon Bagan. El Hadj
Abdou Laly est quant à lui fils d’un Fon musulman et lui-même imam.
Parmi les Fon, la Ligue compte encore El Hadj Yacoub Malèhossou. Ce
dernier descend d’une famille pionnière de musulmans hausa que le roi du
Danxomé avait invitée en son royaume en échange de services islamiques.
Avec le temps cependant, les Malèhossou — étymologiquement « chef des
musulmans » — ont perdu l’usage du hausa et sont « devenus Fon ». Le
bureau de l’association compte par ailleurs un nombre important de femmes.
Vissoh a eu le souci d’inscrire l’origine ethnique des membres du bureau
sur les documents officiels de la LIBPSCOM pour parer à toute critique qui
aurait voulu délégitimer la Ligue comme une association de Fon. À l’inverse,
en Côte-d’Ivoire, les diverses associations de convertis qui ont vu le jour
depuis le milieu des années 1980 sont étroitement et explicitement associées
à une origine ethnique autochtone27. C’est aussi le cas de la Ghana Muslim
Mission fondée en 1957 qui recrute principalement en milieu ga et dans
une moindre mesure, en milieu fante et asante. Au Ghana à la fin des années
1960 et en Côte-d’Ivoire depuis le milieu des années 1990, ces associations
ont d’ailleurs été critiquées par les musulmans « nordistes » et « étrangers »
pour être nationalistes et xénophobes (en réaction, la communauté réformiste
27. Le cas de la nouvelle association de convertis qu’Ibrahim Konan était en train
de mettre sur pied au printemps 2009 est toutefois différent.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

683

PORTRAIT EN STUDIO DE VISSOH, PORTANT LA TENUE TRADITIONNELLE DES SAHÉLIENS
(BOUBOU TROIS PIÈCES EN BAZIN, AVEC CALOTTE ASSORTIE), COTONOU, 2007

ivoirienne s’efforce d’adopter une politique de main tendue valorisant les
convertis). En soulignant la nature pluriethnique de la LIBPSCOM qui correspond à son idéal d’un islam détaché de l’ethnicité ou supra-ethnique, Vissoh
a épargné ces contestations à son association.
La LIBPSCOM n’a toutefois pas échappé aux critiques et elle a connu des
difficultés. Bien que soutenue publiquement par de nombreux imams et par
des responsables d’associations et d’ONG islamiques réformistes, l’initiative
de Charif Vissoh a été accueillie en privé avec réserve, voire avec animosité.
Au niveau des principes, la principale critique repose sur l’affirmation qu’un
converti est un musulman comme les autres et qu’il ne doit pas recevoir
de traitement particulier susceptible de développer chez lui des complexes
d’infériorité ou de supériorité par rapport aux autres musulmans. La détresse
matérielle de certains convertis n’est pas considérée comme liée au changement religieux et n’appelle pas à une assistance spécifique, seulement à
l’aide offerte indistinctement à tous les musulmans démunis. Charif conteste
ces arguments avec la dernière énergie (détails ci-après). Son courroux à
ce sujet est la cause de relations parfois difficiles avec certains responsables

684

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

musulmans. Plus concrètement, le ressentiment contre la LIBPSCOM tient à la
concurrence que représente cette nouvelle organisation sur le marché déjà
très compétitif de la solidarité panislamique — le business du salut — en
provenance surtout des pays arabes producteurs de pétrole, principalement
l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe et la Libye. De fait, au moment de sa
création, la Ligue a reçu diverses promesses de soutien financier et logistique d’ONG arabes dont l’Agence des musulmans d’Afrique (AMA, koweïtienne). La plupart, cependant, n’ont pas été honorées. L’association a dû
alors modérer ses ambitions et fonctionner avec des moyens réduits. En
2008 toutefois, l’ONG koweïtienne Al-Muntada (Al-Muntada Al-Islami Trust)
s’est engagée à soutenir la LIBPSCOM. À ce jour, elle a fait un don de
1 034 Corans en arabe. Les dirigeants de la Ligue ont décidé de n’en distribuer des exemplaires qu’aux seuls convertis maîtrisant un rudiment d’arabe,
par souci aussi que le livre saint ne soit pas désacralisé par ignorance des
conditions de sa manipulation. La LIBPSCOM a ensuite acheté un stock du seul
trentième tome du Coran, réunissant les dernières sourates qui sont également les plus courtes, donc a priori les plus accessibles aux néophytes. Le
tome n’étant qu’une partie du Coran, aucune restriction ne contraint par
ailleurs son usage...
La principale activité de la LIBPSCOM est d’apporter un soutien psychologique aux convertis. Si nécessaire, la Ligue s’efforce aussi de rapprocher
ces derniers de leurs familles. Les musulmans d’ascendance et les imams
en particulier ne connaissent ni ne comprennent l’univers culturel d’origine
et les contraintes sociales des convertis. Quand il y a problème, les contacts
avec les parents des convertis sont rares et maladroits. Les familles peuvent
craindre que le chef musulman n’ait jeté un sort à l’enfant. Les membres
de la Ligue sont mieux avertis et davantage prévenants : le dialogue avec
les familles se noue plus facilement.
Pour se faire connaître et identifier les groupes de convertis, la LIBPSCOM
organise des tournées régulières en sillonnant le sud et le centre du Bénin.
À l’occasion de la première sortie de l’association, Vissoh découvrit plusieurs Mahi convertis à l’islam dans les villages de Toffo puis de Soklogbo.
Pour donner aux convertis une éducation islamique dans leur langue maternelle, Vissoh s’est rendu régulièrement à Toffo pendant plusieurs mois, ce
qui a provoqué d’autres conversions. Il y a aussi installé Sofia et Mohamed
ben Charif, fils d’Aïcha, scolarisé au Collège d’enseignement général local
mais déjà assez instruit dans le Coran pour être capable de diriger la prière
islamique. Malheureusement, Mohamed est décédé en février 2003 d’une
crise fulgurante de drépanocytose. Le contact avec Toffo s’est ensuite distendu.
La LIBPSCOM propose aussi des séminaires de formation mais sans grande
envergure faute de moyens. Les ONG arabes qui s’étaient engagées à offrir
des cours religieux dans les villages se sont rétractées face à la difficulté
de la tâche ; elles ne financent même pas les déplacements des membres
de la Ligue. Et Vissoh en conclut que ces ONG investissent davantage dans
leur propre promotion, à coup d’actions médiatiques dans les grandes villes,

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

685

que dans l’aide concrète aux convertis. Les dirigeants de la Ghana Muslim
Mission à Accra soulignent également l’oubli dont ils font l’objet de la part
des financeurs musulmans extérieurs. Ils accusent les associations dominées
par les musulmans d’ascendance, principalement les hausaphones, de détourner
cette aide à leur profit exclusif (l’affirmation mériterait toutefois d’être
nuancée).
Trente ans d’expérience personnelle et d’observation des convertis ont
permis à Charif Vissoh de dresser une liste schématique des principaux défis
et difficultés qui affectent spécifiquement les convertis à l’islam au Bénin.
En premier lieu vient le manque de suivi et l’indigence de la formation
religieuse. La conversion une fois formalisée, de nombreux convertis, particulièrement dans les zones rurales, sont livrés à eux-mêmes sans formation
islamique, ne serait-ce que de base, pour guider leur pratique de l’islam.
Quand existent des écoles, l’instruction religieuse est rarement donnée dans
les langues vernaculaires ou en français. Souvent, les convertis en désaccord
avec leurs familles ou rejetés par elles, n’ont de toutes façons pas les moyens
matériels de financer leur éducation islamique et celle de leurs enfants. En
outre, les plus âgés doivent en parallèle travailler et étudier.
Vissoh réitère la paucité du soutien moral et matériel des communautés
musulmanes béninoises qui auraient tendance à privilégier l’appartenance
ethnique à l’affiliation religieuse et conserveraient un certain mépris et une
méfiance voilée envers les nouveaux convertis. La société musulmane pourrait subventionner collectivement les cours aux convertis, suggère Vissoh,
afin d’en assurer la gratuité. Les riches commerçants et commerçantes qui
bâtissent des mosquées dans des villes qui en abondent pourraient être
encouragés à construire des écoles d’abord et des mosquées ensuite dans
des lieux plus démunis : ces investissements religieux, pour être moins
ostentatoires, répondraient davantage à l’injonction islamique d’œuvrer pour
la diffusion du message coranique et pour la justice sociale (ils endigueraient
aussi la fragmentation de l’espace religieux). Vissoh cite l’exemple d’un cousin
du cardinal Bernardin Gantin, Mahi comme lui, qui s’est converti à l’islam
à un âge respectable alors qu’il avait déjà à charge une famille nombreuse.
Charif l’a rencontré à plusieurs reprises au cours de ses tournées pour la
LIBPSCOM. Le fait est que la société musulmane ne s’est en rien mobilisée
pour l’encadrer et le soutenir même si sa conversion a attiré à Cotonou
l’attention de leaders musulmans qui voulaient la citer en exemple. Mais
Vissoh s’est opposé à cette médiatisation, de peur de provoquer l’hostilité
des parents du converti qui continuent de l’épauler au plan matériel. Sa
mise en quarantaine aurait eu des effets désastreux non seulement pour le
converti et sa propre famille, sans aide de la part des musulmans, mais aussi
sur la perception de l’islam par la société mahi locale28. En cela, la LIBPSCOM
diverge d’associations ghanéennes de musulmans convertis au christianisme,
telles le Converted Muslims Christian Ministries, qui ont adopté une
28. Sur la conversion controversée du roi de Savalou, voir note 8.

686

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

approche évangélique délibérément agressive et antagoniste vis-à-vis de leur
milieu socioreligieux d’origine (Dovlo & Asante 2003)29.
Le problème de l’intégration sociale des convertis n’est nulle part plus
aigu que sur la question du mariage. Il est en effet difficile pour un homme
converti d’épouser une musulmane ; c’est vrai aussi pour ses fils. Les Ga
musulmans d’Accra formulent la même récrimination. Dans l’Entre-deuxguerres, alors que les familles ga non musulmanes refusaient aux convertis
la main de leurs filles, les familles musulmanes hausa n’étaient pas mieux
disposées, convaincues que la consommation d’alcool et de porc avait par
trop souillé le sang des convertis. Symboliquement, les musulmans ga
n’étaient pas assez « propres »30, autrement dit, pas assez bons musulmans.
La peur d’une déconversion du mari et d’une désocialisation de la fille par
rapport à son milieu culturel d’origine a pu aussi peser. De nos jours, les
Ga musulmans se marient majoritairement entre eux, de manière endogamique31. Dans la même veine, dans le Sud-Bénin contemporain, y compris
dans les milieux musulmans urbains non traditionnels, il n’est pas rare qu’un
père concède à ses filles l’initiative de se choisir un époux, à la condition
expresse toutefois qu’il soit musulman et non converti. Il est possible que
ces pères craignent une conversion blanche qui ne servirait aux prétendants
qu’à accéder au mariage. Ces peurs n’en disent pas moins long sur l’opinion
et l’accueil réservés en privé aux convertis.
Les femmes converties n’ont pas à subir ces contraintes et ne manquent
pas d’opportunités pour se marier en milieu musulman. Mais quand la femme
convertie est mariée à un non musulman ou quand la conversion est postérieure au mariage, la loi islamique demande à l’épouse d’obéir à son mari,
ce qui peut poser problème si, par exemple, ce dernier ne veut pas que sa
femme prie à la maison.
Les femmes de convertis se convertissent souvent elles-mêmes à l’islam.
Si tel n’est pas le cas, le mari peut se montrer accommodant ou divorcer.
La situation est plus complexe pour les enfants et surtout pour les filles
des convertis. Soucieux d’assurer la reproduction de l’islam dans la famille,
les pères convertis ont à cœur de préserver l’identité musulmane de leur
descendance. Mais pour les filles qui se rebellent contre les contraintes islamiques réservées à leur sexe, notamment l’habillement et le choix du mari,
le soutien de la famille non musulmane est toujours possible. Parfois même,
surtout quand le milieu d’origine est matrilinéaire, les filles subissent des
pressions morales et matérielles pour renoncer à l’islam. Ces tensions enveniment les relations entre générations et entre sexes dans les familles de
convertis.
29. Sur le cas des Wahubiri wa Kislamu d’Afrique de l’Est, voir CHANFI (2008).
30. L’importance et la signification spirituelles de la propreté corporelle sont discutées
par PEEL (2000 : 211) dans le contexte yoruba musulman.
31. Entretiens avec Abdul Razak Tettey et Suleman Kassim Quartey, Accra, 30 août
et 6 septembre 2002.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

687

L’un des principaux défis du converti reste de préserver et même de
cultiver les aspects de son identité et de sa culture ethnique d’origine qui
ne sont pas contraires à l’islam, tout en s’épanouissant dans la religion du
Prophète. Charif Vissoh répète inlassablement que l’islam n’est le domaine
réservé d’aucun groupe ethnique particulier et que la conversion à l’islam
ne requiert en rien l’adoption des us et coutumes des ethnies musulmanes
démographiquement majoritaires, au Bénin ou ailleurs. Jusque dans les
années 1980, le phénomène était pourtant répandu en Côte-d’Ivoire méridionale32. Les Dioula développèrent à l’égard des convertis « une attitude bêtement impérialiste », pour reprendre l’expression d’un réformiste ivoirien33.
Processus d’islamisation et de dioulaïsation allaient de pair. Les convertis
adoptaient non seulement l’islam mais aussi un nom dioula, généralement
celui de leur « patron » musulman (Ouattara fréquemment en pays agni par
exemple), la langue dioula, l’habit distinctif des Dioula et même des coutumes non islamiques dioula. Le mépris des Dioula s’exprimait dans le choix
du terme tuubijôn pour les désigner, ce qui signifie esclave converti en
dioula (la pratique de donner son nom au converti rappelait de fait celle
qu’avait le maître de nommer son esclave34). En outre, il était désormais
interdit au converti de manger des repas préparés par des non musulmans,
fussent-ils de sa famille. Comme les convertis autochtones avaient une foi
aveugle dans leurs coreligionnaires venus du Nord, ces derniers en profitèrent pour les escroquer dans diverses opérations économiques comme dans
le commerce de la noix de kola. Les autochtones étaient d’autant plus dupes
qu’ils ignoraient tout du monde du commerce. Le converti se retrouvait
donc aliéné de sa communauté d’origine mais imparfaitement intégré dans
sa nouvelle communauté de foi. Ces attitudes finirent par provoquer un choc
en retour sous forme d’une crise identitaire qui éclaire, avec la montée de
l’ethnonationalisme au plan politique, l’approche quasi-xénophobe de certaines associations de convertis autochtones envers les Dioula et les étrangers, les catégories « Dioula » et « étranger » étant confondues. Depuis leur
émergence sur la scène nationale au milieu des années 1970, les réformistes
ivoiriens sont revenus sur ces pratiques dioula des générations précédentes.
Pour valoriser les convertis, ils invalident le critère ethnique et insistent sur
la primauté de la foi, de la pratique et du savoir religieux. Plus encore, ils
affirment que dans l’islam la pluralité des cultures religieuses est une
richesse pour l’umma en son entier et qu’aucune culture n’est supérieure
ou inférieure aux autres (Launay & Miran 2000 ; Miran 2000, 2006 : 448450). Les réformistes ivoiriens promeuvent aussi sur la scène publique un
32. Pour l’exemple de la « hausaïsation » des convertis gungawa de l’émirat de Yauri
au Nigeria, voir SALAMONE (1975).
33. Entretien avec Moussa Touré, Cotonou, 6 avril 2003.
34. À noter cependant que le terme « esclave » n’est pas toujours négatif puisque
tout musulman aspire à devenir « esclave d’Allah », en arabe « Abdallah », l’un
des prénoms les plus aimés d’Allah.

688

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

islam « ivoirien » post-dioula en partie « imaginaire », pour reprendre le
concept de Benedict Anderson (1991), islam qui ne délégitime pas pour
autant la culture religieuse dioula à l’échelle des communautés concrètes.
Toutes proportions gardées, cette évolution fait écho à l’émergence actuelle
d’un islam « européen » post-migratoire en Europe (Allievi 2000 : 157). La
position de Vissoh sur ces questions s’est d’ailleurs en partie forgée lors
de son séjour ivoirien.
De manière contrastée, les Ga musulmans d’Accra ont toujours refusé
de devenir Hausa. Ils sont restés dans leur quartier de Korle Goño sans
rejoindre le zongo des étrangers. Leurs premières associations jusqu’à l’actuelle
Ghana Muslim Mission ont été des organisations de da‘wa pour les Ga, les
Fante et les Asante, faisant la part belle à leurs langues vernaculaires. Aux
côtés des ahmadis — nombreux parmi les Fanti — les convertis ga ont
joué un rôle non négligeable dans la promotion d’une éducation islamique
« moderne » en anglais. La langue hausa reste la lingua franca des musulmans du Ghana toutes origines confondues, sauf chez les Ga. En outre, les
convertis sont restés attachés à leur nom de famille : indiquant la maison
du père et le clan, c’est un important marqueur d’identité ga. S’ils se sont
tenus à l’écart des pratiques traditionnelles faisant appel au « fétiche » et
à l’alcool, les musulmans ga ont eu à cœur de souligner certains parallèles
entre la religion ga et l’islam, notamment la circoncision, les cérémonies
de baptême et la dot. Au lieu de l’alcool offert traditionnellement, ils
donnent de l’argent. La réconciliation avec les familles a ainsi permis aux
convertis de rester intégrés dans leur société, en dépit des différences religieuses. De nombreuses familles ga comptent aujourd’hui des chrétiens, des
musulmans et des adeptes des cultes traditionnels sans que cela pose problème. A contrario, les leaders ga musulmans sont restés en conflit ouvert
avec leurs homologues hausa qui dominent la hiérarchie religieuse islamique
au plan national. Ainsi refusent-ils par exemple de reconnaître à l’imam
hausa de la mosquée Abossey Okai d’Accra son statut de National Chief
imam of Ghana35.
El Hadj Akan Charif Vissoh a conservé son patronyme et son prénom
mahi et il est resté attaché à divers aspects de la culture de ses parents,
tout spécialement à sa langue maternelle, le fon (en plus de ses activités
religieuses, Vissoh fait partie de la direction d’une association béninoise
pour la promotion de l’alphabétisation en langues nationales). Vissoh a pris
l’engagement de respecter scrupuleusement les règles traditionnelles de
bonne conduite sociale et de ne braver aucun des nombreux interdits associés à la culture religieuse vodun, notamment au plan alimentaire. Il reconnaît que ces restrictions n’ont rien d’islamique, mais argue qu’elles ne sont
pas non plus anti-islamiques (son argument est contesté par les musulmans
35. Entretiens avec Abdul Razak Tettey et Suleman Kassim Quartey, Accra, 30 août
et 6 septembre 2002. Voir aussi PELLOW (1985), KOBO (1999, 2005), MIRAN (2005).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

689

qui fixent des limites aux pratiques surérogatoires). Il participe en outre
financièrement à toutes les cérémonies familiales, catholiques ou traditionnelles, lors de naissances, de mariages ou de décès. Quand la famille par
exemple se réunit à l’église, Vissoh fait preuve de solidarité en étant présent,
mais seulement dans la cour ; il attend la sortie des siens pour les raccompagner à la maison. Cette approche accommodatrice a contribué à affermir
son intégration sociale dans son milieu d’origine : Vissoh se dit aujourd’hui
davantage aidé par sa famille de naissance que par ses frères en islam.
*

Revisiter les débats sur la conversion religieuse
La question de la conversion aux religions de salut en Afrique a été au
cœur d’un vaste et fructueux débat académique depuis la publication des
articles de Robin Horton (1971, 1975, 1984) et d’Humphrey Fisher (1973,
1985). En trente ans de dialogue et de controverse entre africanistes de
toutes disciplines, les interrogations et les interprétations se sont élargies,
complexifiées et profondément renouvelées — une historiographie en est
proposée dans Mary (1998) et Langewiesche (2003 : 54-72). En même
temps, l’étude des conversions religieuses se redéployait à la fois dans l’histoire (Fabre 1999) et dans un présent dominé par la montée des « nouveaux
mouvements religieux » (Rambo 1993, 1999 ; Lamb & Bryant 1999). La
question de la conversion n’a par ailleurs cessé d’être l’objet d’intenses
préoccupations de la part des dignitaires religieux eux-mêmes et continue
d’alimenter tant les discussions sur son herméneutique que les négociations
internes sur l’approche à adopter vis-à-vis des convertis. Loin de nous
l’ambition de refaire ici une lecture critique de ces débats ou d’y contribuer
au plan théorique ou théologique. Notre conclusion propose plus modestement de revisiter, à partir du vécu de Charif Vissoh, quelques aspects de
ces débats, en témoignage aussi de la convergence de nos regards inquisitifs
hétérogènes à l’endroit de la compréhension du phénomène de la conversion religieuse.
Vissoh présente sa conversion à l’islam comme un long cheminement
tortueux, certes jalonné de moments importants, positifs et négatifs, mais
surtout fait d’endurance et de progression au jour le jour : un processus
dans la durée. L’acte initial du rituel de conversion (la prononciation de la
shahada devant témoins) est minimisé au profit de la lente acquisition du
savoir religieux et de la domestication des pratiques islamiques, concourant
à la révélation de la foi. Il devient simple étape, évidemment décisive, mais
prélude à d’autres, la plus récente étant la mise en récit de sa conversion
dans cet article (un autre jalon pourrait être l’achèvement de sa traduction
du Coran en fon). Le processus de conversion ne se déroule pas pour autant

690

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

linéairement ; il est parfois discontinu, marqué de pauses, d’écarts et de
changements d’orientation. Il ne se clôt pas non plus à la faveur d’une
ultime étape mais reste en perpétuel parachèvement. Si Vissoh éclaire sa
propre conversion à la lumière d’une finalité téléologique allant dans le sens
d’un approfondissement croissant de son islam, il reconnaît que d’autres
conversions ont connu des cassures, des retours en arrière et ont pu même
aboutir à une déislamisation, comme dans le cas de ses filles et de convertis
croisés à Toffo.
Vissoh conteste ainsi la conception majoritaire de ses coreligionnaires
béninois pour qui la conversion est un passage dans l’islam si ce n’est
fugace du moins temporaire, le temps pour le converti d’acquérir le savoir
minimum nécessaire à l’accomplissement des prescriptions islamiques fondamentales (principalement savoir prier). Une fois le passage dans l’islam
effectué, le converti deviendrait indistinctement musulman et membre de
l’umma, il cesserait purement et simplement d’être converti. Alternativement, les musulmans arguent aussi parfois que le prophète Mohammed luimême était un converti — le premier converti à l’islam — et que tous les
musulmans à sa suite peuvent se dire convertis, ce qui aboutit en substance
à la même conclusion. Vissoh ne nie bien évidemment pas que les convertis
à l’islam soient d’abord et avant tout des musulmans et il appelle de ses
vœux leur intégration dans l’umma. Il maintient néanmoins la singularité
persistante de la condition du converti, ancrée dans les réalités sociales (et
psychologiques) si ce n’est dans les écritures sacrées elles-mêmes — dans
le contexte si ce n’est dans le texte. Aussi Vissoh revendique-t-il auprès
des musulmans d’ascendance la reconnaissance concrète du statut spécifique
de converti et plus encore des droits et des devoirs réciproques qui unissent
les musulmans nés dans l’islam et les convertis. Le débat reste ouvert.
En insistant sur la gradualité et la lenteur du passage d’une religion à
une autre, Vissoh diverge du modèle chrétien paulinien pour qui la conversion est un acte révélateur d’un profond changement intérieur, générateur
d’une rupture biographique radicale. L’influence de cette vision chrétienne
dans l’histoire ne saurait être minorée. Elle est, de nos jours, portée avec
le plus d’emphase par les mouvances évangélique et pentecôtiste (bornagain), pour qui la conversion est une seconde naissance tournant le dos
au passé36. Il faut néanmoins souligner qu’une nouvelle historiographie sur
le christianisme a montré que cette vision avait été en partie créée par une
tradition de mythes de conversion dramatisant la radicalité du changement
religieux. À l’encontre de la rhétorique théologique à vocation performative,
les conversions au christianisme auraient souvent été, en réalité, progressives (Morrison 1992, cité dans Calasso 2001 : 21 ; Rambo 1999). En
témoigne l’article de Shobana Shankar (2006) sur un converti au christia36. Voir par exemple MEYER (1998) sur le Ghana.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

691

PORTRAIT EN STUDIO D’EL HADJ VISSOH EN TENUE IMAMALE, VERSION MODE SAOUDIENNE
(ABAYA DE LA MECQUE ET KEFFIEH), COTONOU, 2007

nisme dans le Nord-Nigeria colonial, explicitement intitulé « A Fifty-year
Muslim Conversion to Christianity ». L’influence du modèle paulinien a été
à ce point dominant en Occident qu’il a longtemps servi de modèle générique dans l’étude des conversions d’autres traditions religieuses, y compris
en islam37. L’analyse de Vissoh se rapproche sur ce point de celle d’Humphrey Fisher (1994) qui différencie la conversion à l’islam de la conversion
au christianisme en Afrique en qualifiant la première de progressive et
d’évolutive. Son analyse rejoint également celles d’historiens du MoyenOrient et de l’islam des origines. Ainsi Mercedes Garcia-Arenal (2001 : 10)
affirme-t-elle, en référence aux contributions de Giovanna Calasso et de
Jocelyne Dakhlia dans son introduction à l’ouvrage Conversions islamiques,
que la notion de « conversion » en islam ne fait pas référence à un
« processus radical de changement intérieur mais [...] [à] un événement initial, promoteur d’un processus de changement qui définit la conversion comme création
d’intervalle. L’acte initial d’obéissance doit se doubler d’un changement extérieur
37. Voir par exemple la critique de CALASSO (2001 : 32-33) sur Bulliet.

692

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

précédent à la transformation intérieure qui devra se passer une fois dans la communauté [...]. Le corps a un statut religieux parallèle à celui du cœur : c’est pour cela
que l’habillement, l’alimentation et les usages hygiéniques occupent tant de place.
La dimension identitaire et culturelle de la conversion est donc d’une certaine façon
plus accentuée et plus impérieuse que sa dimension proprement religieuse »38.

Pour Garcia-Arenal, mieux que le terme « conversion », l’expression
d’« entrée dans l’islam » rend finalement mieux compte de ces subtilités.
Dans la même veine, Lambek (2000) parle pour sa part d’« acceptation de
l’islam » dans le contexte de Mayotte pour rendre compte du processus
complexe mais sans radicalité apparente que traverse le converti dans le
passage d’une cosmogonie à l’autre.
Le récit de conversion de Vissoh est inséré dans son histoire de vie :
le religieux n’est pas séparé des multiples autres facettes de son expérience
de converti. La continuité prévaut à cet égard entre les échelles individuelle
et collective : pour Vissoh, la catégorie du converti est autant sociale et
culturelle que religieuse. Au Bénin, les musulmans d’ascendance ne pensent
pas autrement et considèrent les enfants et parfois les petits-enfants de
convertis comme des convertis eux-mêmes. Dans le contexte multiculturel
particulier du golfe de Guinée, les convertis autochtones à l’islam représentent ainsi une minorité sociale marginalisée au sein de communautés
musulmanes qui exercent sur elle une domination hégémonique ethnique
et culturelle autant que religieuse. Vissoh s’est efforcé de convertir cette
marginalité en position avantageuse pour se propulser en tant que converti
sur la scène islamique, émergeant alors comme un nouvel acteur social. Ce
faisant, il redéfinit positivement le statut passablement méprisé du converti
et en fait le socle de ses revendications protestataires. Il réclame avant tout
une politique musulmane de reconnaissance et de promotion des droits de
la minorité convertie, équivalant à une sorte de discrimination positive. Mais
Vissoh critique aussi plus largement le provincialisme, le chauvinisme et
l’immobilisme de certains de ses coreligionnaires sud-béninois et il les
invite à renouer avec les valeurs fondatrices universelles de l’islam, en
s’ouvrant à l’altérité et à la modernité.
C’est pourquoi, au final, le récit de conversion que propose Vissoh dans
cet article est moins un témoignage spirituel qu’un acte sociopolitique au
nom des convertis et d’une vision réformiste de l’islam. Dans la trame narrative, le spirituel importe moins que le bilan en demi-teinte des expériences
vécues, les difficultés des convertis étant mises en exergue dans une perspective mobilisatrice. Il n’est pas question d’infirmer l’importance de la
dimension religieuse dans la conversion de Vissoh. Cette dimension est
essentielle et irréductible à tout le reste. Elle est ce qui éclaire pourquoi
Charif est devenu musulman et pourquoi il l’est resté. L’occasion de réaffirmer ici que le récit du converti, forcément partiel, subjectif et conditionné
38. C’est précisément l’argument de GAUSSET (1999) dans son étude sur le Cameroun.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

693

par les circonstances de sa production, ne rend qu’imparfaitement compte
du phénomène éminemment complexe qu’est la conversion religieuse...
À l’instar de Garcia-Arenal citée plus haut, historiens, sociologues et
anthropologues soulignent l’importance de la dimension sociale de la
conversion religieuse. Christian Décobert (2000 : 101) rappelle que « la visibilité sociale d’une pratique normée reconnue est l’un des signes d’accomplissement de la conversion religieuse ». Selon la conception coranique de
la conversion, les mots prononcés devant témoins doivent ensuite être extériorisés ou incarnés corporellement (embodied) en public (Dutton 1999 :
154). Pas de conversion strictement « privée » donc : la conversion marque
autant l’entrée dans une nouvelle religion que dans une nouvelle communauté. Le fait est d’autant plus marqué en islam que le salut individuel
n’est pas détaché de l’engagement pour le bien-être de toute la communauté
(Garcia-Arenal 2001 : 9-10).
La conversion est donc socialement structurée et génère des effets
sociaux (Langewiesche 2003 : 21). Comme l’a conclu Michelle Gilbert (1988 :
293) dans son article sur la conversion au christianisme d’un riche homme
d’affaires au Ghana : « La conversion religieuse a autant trait à l’action
sociale qu’au système des idées. » La traduction sociale de la conversion
peut varier considérablement dans le temps et dans l’espace, ce qui en
légitime l’étude historique, sociologique et anthropologique. Les nouveaux
thèmes de recherche reflètent cette sensibilité accrue au contexte de la
conversion, que ce soit au niveau individuel — l’individu étant le site
concret de la conversion —, au niveau collectif ou à l’intersection des deux,
les frontières entre le sujet et la société étant floues. L’étude des conversions
interroge ainsi plus largement les processus de changement socioculturel.
Si l’approche contextuelle éclaire les corrélations qui existent entre religion et société, elle se garde de réduire la conversion à une réponse mécanique dictée par l’environnement extérieur. Les interprétations fonctionnalistes
qui ne voient dans la conversion qu’un outil de positionnement social ou
politique ont été battues en brèche (Peel 1990 : 363 ; Hanretta 2005 :
482-483). Dans le cas de Charif Vissoh, le « gain » de la conversion n’est
d’ailleurs pas évident, à moins que soit pris en compte le bien-être spirituel
ici-bas et celui projeté dans l’au-delà. La lecture socio-historique des
conversions reconnaît l’importance des facteurs spirituels mais aussi la difficulté à les rationaliser. Pour Yasin Dutton (1999 : 164), quiconque peut se
convaincre d’entrer dans une religion peut tout aussi bien se convaincre
d’en sortir : en définitive, la raison doit reconnaître ses limites face aux
phénomènes qui la dépassent. Dans son article lumineux « Approaches to
the Study of Conversion to Islam in India », Richard Eaton (1985) rappelle
que l’islam est à la fois formé par les conditions socio-économiques et qu’il
transforme les comportements. D’où le défi de l’approche contextuelle qui
doit faire sens du « double rôle de l’islam, comme variable dépendante et
indépendante et [du] processus de conversion comme une interaction
constamment changeante et dynamique entre religion et société » (ibid. : 123).

694

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

Charif Vissoh évoque avec profusion les continuités qui relient (straddle)
sa vie d’avant et d’après son entrée dans l’islam. Bien qu’il ait pu craindre
que ses proches l’interprètent de la sorte, lui-même insiste sur le fait que
sa conversion n’a pas été une stratégie de différenciation contestataire ni
un rejet vis-à-vis de son milieu socioculturel et familial d’origine. Sa
conversion a été une réorientation, certes signifiante mais pas aliénante.
En cela, elle s’apparente à « un phénomène d’“addition”, et non pas de
“soustraction” » (Balivet 1996, cité dans Fabre 1999a : 973). Dans son vécu
au jour le jour, Vissoh n’apparaît pas avoir été « contraint par les notions
de différence ou de frontière culturelles » que réifient les religions du livre
(Brenner 2000 : 163). S’il a traversé des épreuves d’ostracisme vécues douloureusement, la cohabitation pragmatique et tolérante a eu le dessus dans
sa pratique quotidienne d’interaction avec les autres.
Le phénomène n’a rien à voir avec la formation — exceptionnelle —
de syncrétismes hétérodoxes qui dénaturent les religions établies et en créent
de nouvelles, à la manière de la Zetaheal Mission in Ghana, fondée à Accra
par une prophétesse sur la base de sa propre interprétation de l’islam et du
christianisme (Atiemo 2003)39. Ce qui est en jeu concerne l’importance des
échanges interculturels entre les différentes communautés de croyants et
leurs traditions religieuses. La trajectoire de Vissoh le fit chevaucher non
pas deux mais trois sphères confessionnelles. Dans une certaine mesure, son
approche de la religion traditionnelle vodun et du catholicisme ont influencé
son approche de l’islam. Il est possible que la profonde défiance de Charif
à l’égard de l’occultisme — étroitement (mais non exclusivement) associé
à ses yeux aux cultes traditionnels — ait nourri sa réserve à l’égard du
mysticisme islamique dont un fondement épistémologique est l’opposition
entre la catégorie du zahir (l’extérieur, l’exotérique, le visible) et celle du
batin (l’intérieur, l’ésotérique, le caché ou le secret). Charif est entré dans
l’islam en bravant littéralement la peur des ténèbres (sa conversion a par
la suite bouleversé sa conception de la mort, du malheur, de la maladie).
Il a trouvé en cette nouvelle religion le réconfort d’un monothéisme absolu
surpassant le christianisme. Bien que Vissoh se soit par la suite instruit sur
le soufisme et n’ait jamais condamné cette voie, il ne s’y est pas davantage
intéressé. Son islam, explique-t-il, suit seulement la tradition du Prophète
et le Coran. Il critique fermement toute pratique qui s’apparenterait à de la
sorcellerie islamique comme dans l’épisode de sa nomination à la tête de
la mosquée d’Allada. Dans le même temps, son attachement à la culture
fon l’a éloigné de l’approche anti-culturelle et arabisante des wahhabis,
longtemps côtoyés mais jamais ralliés. Le respect des protocoles sociaux
mahi et des interdits traditionnels vodun est, pour Vissoh, purement culturel : cela n’a rien de religieux, donc rien d’incompatible avec l’islam. Pour
39. Sur un mouvement similaire chez les Baga de Guinée, voir SARRO (2008).

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

695

les wahhabis, c’est une bid’a (innovation) purement et simplement antiislamique. Par ailleurs, s’il vénère la langue arabe, Vissoh est resté attaché
à sa langue maternelle. Ainsi le converti redéfinit-il la pertinence culturelle
de l’islam dans le contexte ethnique de ses origines, en renégociant l’interface du local et du global.
Vissoh s’est converti d’une religion du livre à une autre : l’attachement
au monothéisme a été une constante. S’il critique discrètement le mystère
de la sainte Trinité contraire au dogme islamique de l’absolue unicité de
Dieu, il admire ouvertement le modus operandi de l’Église catholique, notamment quant à l’action sociale et éducative, à l’usage des langues européennes
et vernaculaires, aux stratégies de communication et aux tactiques missionnaires. Ce que Vissoh réclame en fait des musulmans, c’est une prise en
charge des convertis à l’exemple des chrétiens qui ont des professionnels
de l’apostolat, valorisent les catéchumènes, assurent des cours de catéchisme
et pourvoient un encadrement socio-sanitaire de qualité. Pour élargir et faciliter l’accès au message chrétien, la Bible a été traduite en fon : Vissoh
veut faire de même pour le Coran. Il n’est pas impossible non plus que
Charif ait été inspiré par la tradition chrétienne du récit de conversion, transformant le témoignage intime en parole publique persuasive. Il est clair
en tous cas que ce n’est pas une tradition islamique. En adoptant le
réformisme — Vissoh définit son islam simplement comme « l’islam
moderne » —, il a importé dans sa nouvelle religion la modernité rencontrée
dans le christianisme.
À l’intersection des sphères religieuses vodun, catholique et islamique,
Charif Vissoh a joué plus généralement un rôle médian de traducteur. Il l’a
été au sens littéral, en tant qu’interprète de missionnaires étrangers et traducteur du Coran. Il l’a été aussi métaphoriquement, comme traducteur ou adaptateur culturel de l’islam auprès de sociétés locales marginalement islamisées.
Il aspire à l’être encore comme médiateur du processus de changement
socioculturel au service de l’islam réformiste40.
Les études sur la conversion religieuse favorisent désormais le modèle
interactionniste dont John Peel (1990, 2000) a donné une illustration percutante dans un article qui a fait école en milieu africaniste, « The Pastor
and the “Babalawo” : The Interaction of Religions in Nineteenth-Century
Yorubaland ». Peel définit la conversion en Afrique comme un processus de
communication passionnée entre les participants de deux cultures religieuses
hétérogènes et en définitive, comme le produit de leur interaction. Dans le
contexte religieux pluraliste de l’Afrique de l’Ouest, les sphères religieuses
chrétiennes, musulmanes et traditionnelles n’ont jamais été ni étanches ni
mutuellement exclusives. Leur évolution a été marquée par des processus
40. Pour un parallèle intéressant, voir les remarques d’ALLIEVI (2000 : 180) sur la
fonction de « traducteur » du converti européen à l’islam.

696

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

d’émulation et d’influence réciproques et ce, non seulement entre les religions traditionnelles et les monothéismes mais aussi entre l’islam et le christianisme (Sanneh 1980, 1996, 1997 ; Lorand Matory 1994 ; Brenner 2000 ;
Soares 2006). Toutes proportions gardées, leurs frontières sont fluides et
poreuses, porteuses de convergences autant que de divergences. La priorité
épistémologique, selon Peel (1990 : 339), doit être donnée à cette interaction, que ce soit entre individus ou entre cultures, a contrario de la tendance à étudier chaque sphère religieuse de manière isolée et compartimentée.
En référence aux deux volumes des Comaroff (1991, 1997) sur la rencontre
entre l’évangélisme colonial et les Tswana d’Afrique du Sud qui proposent
le concept de « conversation » pour dépasser les limites de celui de
« conversion », André Mary (2000 : 783) souligne que l’interaction
désigne aussi l’« articulation entre les dimensions (politiques, économiques,
culturelles) en jeu » dans la conversion religieuse. Dans cet article expérimental, nous avons ajouté l’interaction entre le converti et le chroniqueur
de sa conversion.
Marie Miran, Centre d’études africaines, EHESS, Paris.
Charif Vissoh, ancien imam de la mosquée centrale d’Allada, Bénin.

BIBLIOGRAPHIE

ABDOULAYE, G.
2003 « The Graduates of the Islamic Universities in Benin », in T. BIERSCHENK &
G. STAUTH (eds.), Yearbook of the Sociology of Islam, 4, « Islam in Africa » :
129-146.
2007 L’Islam béninois à la croisée des chemins. Histoire, politique et développement, Mainzer Beiträge zur Afrikaforschung (Université de Mainz).
AFRICAN STUDIES REVIEW
2006 Numéro spécial sur « Autochthony and the Crisis of Citizenship », 49 (2).
ALLIEVI, S.
1998 Les convertis à l’islam. Les nouveaux musulmans d’Europe, Paris, L’Harmattan.
2000 « Les conversions à l’islam. Redéfinition des frontières identitaires entre
individu et communauté », in F. DASSETO (dir.), Paroles d’islam. Individus,
sociétés et discours dans l’islam européen contemporain, Paris, Maisonneuve
et Larose : 157-182.
ALLIEVI, S. & DASSETO, F. (dir.)
1999 Numéro spécial sur les conversions à l’islam en Europe, Social Compass,
46 (3) : 243-362.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

697

ANDERSON, B.
1991 Imagined Communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism,
Londres-New York, Verso.
ANIGNIKIN, S.-C.
2001 « Histoire des populations mahi. À propos de la controverse sur l’ethnonyme
et le toponyme “Mahi” », Cahiers d’Études africaines, XLI (2), 162 : 243-265.
ANTHONY, D.
2000 « “Islam Does Not Belong to Them” : Ethnic and Religious Identities among
Male Igbo Converts in Hausaland », Africa, 70 (3) : 422-441.
ATIEMO, A.
2003 « Zetaheal Mission in Ghana : Christians and Muslims Worshipping Together ? »,
Exchange, 32 (1) : 15-36.
BACUEZ, P.
2005 « Devenirs musulmans à Zanzibar ou l’étrangeté de la conversion », Archives
de sciences sociales des religions, 131-132 : 101-121.
BALIVET, M.
1996 « Flou confessionnel et conversion formelle : de l’Asie-Mineure médiévale
à l’Empire Ottoman », in A. FOA & L. SCARAFFIA (eds.), Conversioni nel
Mediterraneo, Dimensioni e problemi della ricerca storica (Rome), 2 : 203-214.
BARBER, K.
1982 « Popular Reactions to the Petro-Naira », The Journal of Modern African
Studies, 20 (3) : 431-450.
BARBIER, J.-C. & DORIER-APPRILL, E.
2002 « Cohabitations et concurrences religieuses dans le golfe de Guinée. Le SudBénin, entre vodun, islam et christianismes », Géographies : Bulletin de
l’association des géographes français, 2, année 79 : 223-236.
BAYART, J.-F., GESCHIERE, P. & NYAMNJOH, F.
2001 « Autochtonie, démocratie et citoyenneté en Afrique », Critique internationale, 10 : 177-194.
BRÉGAND, D.
2006 « La Ahmadiyya au Bénin », Archives de sciences sociales des religions,
135, juillet-septembre : 73-90.
2007 « Muslim Reformists and the State in Benin », in B. SOARES & R. OTAYEK
(eds.), Islam and Muslim Politics in Africa, New York, Palgrave Macmillan :
121-136.
Á paraître Islam pluriel, l’archipel réformiste entre océan et lagune au Bénin,
Paris, Karthala.

698

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

BRENNER, L.
1999 « The Study of Islam in Sub-Saharan Africa », ISIM Newsletter, 4 : 31.
2000 « Histories of Religion in Africa », Journal of Religion in Africa, 22 : 143-167.
CALASSO, G.
2001 « Récits de conversion, zèle dévotionnel et instruction religieuse dans les
biographies des “gens de Basra” du Kitab al-Tabaqat d’Ibn Sad. Réflexions
autour de la notion de conversion selon l’islam », in M. GARCIA-ARENAL
(dir.), Conversions islamiques. Identités religieuses en Islam méditerranéen,
Paris, Maisonneuve et Larose : 19-47.
CHANFI, A.
2008 « The Wahubiri wa Kislamu (Preachers of Islam) in East Africa », Africa
Today, 54 (4) : 3-18.
COOPER, B.
2007 Evangelical Christians in the Muslim Sahel, Bloomington, Indiana University Press.
COMAROFF, J. & COMAROFF, J.
1991 Of Revelation and Revolution. Christianity, Colonialism, and Consciousness
in South Africa, vol. 1, Chicago, University of Chicago Press.
1997 Of Revelation and Revolution. The Dialectics of Modernity on a South African Frontier, vol. 2, Chicago, University of Chicago Press.
DÉCOBERT, C.
1998 « La conversion comme aversion », Archives de sciences sociales des religions, 104 : 33-60.
2000 « De la rationalité de la conversion religieuse », Les Cahiers du CEIFR, 2 :
100-130.
DELVAL, R.
1980 Les Musulmans d’Abidjan, Paris, Fondation nationale des sciences politiques,
CHEAM (« Cahiers du CHEAM, 10 »).
DISSOU, M.
1999 Regards sur le soufisme et sa pratique : le cas de Porto Novo, Porto-Novo,
publication à droit d’auteur.
DOVLO, E. & ASANTE, A. O.
2003 « Reinterpreting the Straight Path. Ghanaian Muslim Converts in Mission to
Muslim », Exchange, 32 (3) : 214-238.
DUTTON, Y.
1999 « Conversion to Islam : the Qur’anic Paradigm », in C. LAMB & M. D. BRYANT
(eds.), Religious Conversion. Contemporary Practices and Controversies,
Londres-New York, Cassell : 151-165.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

699

EATON, R. M.
1985 « Approaches to the Study of Conversion to Islam in India », in R. C. MARTIN,
(ed.), Approaches to Islam in Religious Studies, Oxford, Oneworld : 106-123.
FABRE, P.-A.
1999a « Présentation. Conversions religieuses. Histoire et récits », Annales. Économies. Sociétés. Civilisations, 54 (4) : 805-812.
1999b Recension de l’ouvrage d’A. FOA & L. SCARAFFIA (eds.), Conversioni nel
Mediterraneo, Dimensioni e problemi della ricerca storica (Rome), 2, 1996,
Annales. Économies. Sociétés. Civilisations, 54 (4) : 970-973.
FANCELLO, S.
2007 « Les défis du pentecôtisme en pays musulman (Burkina Faso, Mali) », Journal des africanistes, 77 (1) : 29-54.
FISHER, H.
1973 « Conversion Reconsidered : Some Historical Aspects of Religious Conversion in Black Africa », Africa, 43 (1) : 27-40.
1985 « The Juggernaut’s Apologia : Conversion to Islam in Black Africa », Africa,
55 (2) : 153-173.
1994 « Many Deep Baptisms : Reflections on Religious, Chiefly Muslim, Conversion in Black Africa », Bulletin of the School of Oriental and African Studies,
57 (1) : 68-81.
FOURCHARD, L., MARY, A. & OTAYEK, R. (dir.)
2005 Entreprises religieuses transnationales en Afrique de l’Ouest, Ibadan, IFRA ;
Paris, Karthala.
GARCIA-ARENAL, M. (dir.)
2001 Conversions islamiques. Identités religieuses en Islam méditerranéen, Paris,
Maisonneuve et Larose.
GAUSSET, Q.
1999 « Islam or Christianity ? The Choices of the Wawa and the Kwanja of Cameroon », Africa, 69 (2) : 257-278.
GILBERT, M.
1988 « The Sudden Death of a Millionaire : Conversion and Consensus in a Ghanaian Kingdom », Africa, 58 (3) : 291-314.
HANRETTA, S.
2005 « Muslim Histories, African Societies : The Venture of Islamic Studies in
Africa », Journal of African History, 46 (3) : 479-492.
HERVIEU-LÉGER, D.
1999 Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement, Paris, Flammarion.

700

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

HORTON, R.
1971 « African Conversion », Africa, 41 (2) : 85-108.
1975 « On the Rationality of Conversion » (parts 1 & 2), Africa, 45 (3-4) : 219235, 373-399.
1984 « Judaeo-Christian Spectacles : Boon or Bane to the Study of African Religions ? », Cahiers d’Études africaines, XXIV (4), 96 : 391-436.
JAMOUS, M.-J.
1994 « Fixer le nom de l’ancêtre (Porto-Novo, Bénin) », Le deuil et ses rites III,
Systèmes de pensée en Afrique noire, 13 : 121-157.
JONCKERS, D.
1998 « “Le temps de prier est venu” : Islamisation et pluralité religieuse dans le
sud du Mali », Journal des Africanistes, 68 (1-2) : 21-46.
KOBO, O.
1999 Transformations of Muslim Identity in 20th Century Ghana, Madison, University of Wisconsin-Madison.
2005 Promoting the Good and Forbidding the Evil : A Comparative Historical
Study of the Ahl-as-Sunna Islamic Reform Movements in Ghana and Burkina
Faso, 1950-2000, Ph. D., University of Wisconsin at Madison.
KÖSE, A.
1996 Conversion to Islam : A Study of Native British Converts, London, Kegan
Paul International.
LAMB, C. & BRYANT, M. D. (eds.)
1999 Religious Conversion. Contemporary Practices and Controversies, LondonNew York, Cassell.
LAMBEK, M.
2000 « Localising Islamic Performances in Mayotte », in D. PARKIN & S. HEADLEY
(eds.), Islamic Prayer Across the Indian Ocean : Inside and Outside the
Mosque, Richmond, Curzon Press : 63-97.
LANGEWIESCHE, K.
1998 « Des conversions réversibles : Études de cas dans le nord-ouest du Burkina
Faso », Journal des Africanistes, 68 (1-2) : 47-65.
2003 Mobilité religieuse. Changements religieux au Burkina Faso, Münster,
LIT-Verlag.
LAUNAY, R. & MIRAN, M.
2000 « Beyond Mande Mory : Islam and Ethnicity in Côte d’Ivoire », Paideuma,
46 : 63-84.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

701

LAW, R.
1985 « Human Sacrifice in Pre-Colonial West Africa », African Affairs, 84 (334) :
53-87.
1986 « Islam in Dahomey : A Case Study of the Introduction and Influence of
Islam in a Peripheral Area of West Africa », Scottish Journal of Religious
Studies, 7 (2) : 95-122.
1989 « “My Head Belongs to the King” : On the Political and Ritual Significance
of Decapitation in Pre-Colonial Dahomey », The Journal of African History,
30 (3) : 399-415.
LORAND MATORY, J.
1994 « Rival Empires : Islam and the Religions of Spirit Possession among the
Oyo-Yoruba », American Ethnologist, 21 (3) : 495-515.
MARTY, P.
1926 Étude de l’Islam au Dahomey : le bas Dahomey, le haut Dahomey, Paris,
Ernest Leroux.
MARY, A.
1998 « Retour sur la “conversion africaine” : Horton, Peel et les autres », Journal
des Africanistes, 68 (1-2) : 11-20.
2000 « Conversion et conversation : les paradoxes de l’entreprise missionnaire »,
Cahiers d’Études africaines, X (4), 40 : 779-799.
MEYER, B.
1998 « Make a Complete Break with the Past : Memory and Post-Colonial Modernity in Ghanaian Pentecostalist Discourse », Journal of Religion in Africa,
28 (3) : 316-349.
MIRAN, M.
1998 « Le wahhabisme à Abidjan : Dynamisme urbain d’un islam réformiste en
Côte d’Ivoire contemporaine (1960-1996) », Islam et Sociétés au Sud du
Sahara, 12 : 5-74.
2000 « Vers un nouveau prosélytisme islamique en Côte-d’Ivoire : une révolution
discrète », Autrepart, 16 : 139-160 [réimprimé en 2003, in A. PIGA (dir.),
Islam et villes en Afrique au sud du Sahara. Entre soufisme et fondamentalisme, Paris, Karthala : 271-291].
2005 « D’Abidjan à Porto Novo : associations islamiques, culture religieuse
réformiste et transnationalisme sur la côte de Guinée », in L. FOURCHARD,
A. MARY & R. OTAYEK (dir.), op. cit. : 43-72.
2006 Islam, histoire et modernité en Côte-d’Ivoire, Paris, Karthala.
2007a « “La lumière de l’islam vient de Côte-d’Ivoire” : Le dynamisme de l’islam
ivoirien sur la scène ouest-africaine et internationale », Revue canadienne
des études africaines, 41 (1) : 95-128.
2007b « La dynamique des regards croisés chercheurs/acteurs. Les études sur
l’islam dans le contexte sub-saharien », Paris, Les Débats de l’EHESS, panel
« Penser le terrain. Rendre le terrain : nouvelles pratiques, nouvelles technologies. L’“empathie” comme condition de la compréhension ? », 22 octobre.

702

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

MORRISON, K. F.
1992 Understanding Conversion, Charlottesvilles-Londres, University of Virginia Press.
NORET, J.
2003 « La place des morts dans le christianisme céleste », Social Compass, 50 (4) :
493-510.
2006 Autour de « ceux qui n’existent plus ». Deuil, funérailles et place des défunts
au Sud-Bénin, Thèse de doctorat, Bruxelles, Université libre de Bruxelles ;
Paris, EHESS.
OTTENBERG, S.
1971 « A Moslem Ibo Village », Cahiers d’Études africaines, 11 (2) : 231-260.
PARKER, J.
2000 Making the Town. Ga State and Society in Early Colonial Accra, Oxford,
James Currey ; Portsmouth, Heinemann.
PEEL, J.
1990 « The Pastor and the “Babalawo” : The Interaction of Religions in Nineteenth-Century Yorubaland », Africa, 60 (3) : 338-369.
2000 Religious Encounters and the Making of the Yoruba, Bloomington-Indianapolis,
Indiana University Press.
PELLOW, D.
1985 « Muslim Segmentation : Cohesion and Divisiveness in Accra », Journal of
Modern African Studies, 23 (3) : 419-444.
PENRAD, J.-C.
1998 « Yasin alias Philippe, fils de Jean-Désiré : du Shaba à Zanzibar, itinéraire
et horizons d’une conversion à l’islam », Journal des Africanistes, 68 (1-2) :
143-154.
POLITIQUE AFRICAINE
2008 Numéro spécial sur les « Enjeux de l’autochtonie », 112.
RAMBO, L. R.
1993 Understanding Religious Conversion, New Haven, Yale University Press.
1999 « Theories of Conversion : Understanding and Interpreting Religious
Change », Social Compass, 46 (3) : 259-271.
RGPH du Bénin
1992 Recensement général de la population et de l’habitat, Cotonou, République
du Bénin.
2002 Recensement général de la population et de l’habitat, Cotonou, République
du Bénin.

(AUTO)BIOGRAPHIE D’UNE CONVERSION À L’ISLAM

703

SALAMONE, F. A.
1975 « Becoming Hausa : Ethnic Identity Change and Its Implications for the
Study of Ethnic Pluralism and Stratification », Africa, 45 (4) : 410-424.
SANNEH, L.
1980 « The Domestication of Islam and Christianity in African Societies : A
Methodological Exploration », Journal of Religion in Africa, 11 (1) : 1-12.
1996 Piety and Power. Muslims and Christians in West Africa, Maryknoll,
Orbis Books.
1997 The Crown and the Turban. Muslims and West African Pluralism, Boulder,
Westview Press.
SARRO, R.
2008 The Politics of Religious Change on the Upper Guinea Coast, Iconoclasm
Done and Undone, Edinburgh, Edinburgh University Press.
SCHMITZ, J.
2006 « Hétérotopies maraboutiques en Afrique de l’Ouest : jihâd, hijra (XIXe siècle)
et migrations internationales », in M. MOHAMMAD-ARIF & J. SCHMITZ (dir.),
Figures d’islam après le 11 septembre : disciples et martyrs, réfugiés et
migrants, Paris, Karthala : 170-200.
SETTA, El-H.
1999 « Le Suisse converti à l’islam : émergence d’un nouvel acteur social », Social
Compass, 46 (3) : 337-349.
SHANKAR, S.
2006 « A Fifty-year Muslim Conversion to Christianity : Religious Ambiguities
and Colonial Boundaries in Northern Nigeria, c. 1906-1963 », in B. SOARES
(ed.), Muslim-Christian Encounters in Africa, Leiden, Brill : 89-114.
SIMONE, A. M.
2001 « On the Worlding of African Cities », African Studies Review, 44 (2) :
15-41.
SOARES, B. (ed.)
2006 Muslim-Christian Encounters in Africa, Leiden, Brill.
TALL, E. K.
1995 « Dynamique des cultes voduns et du Christianisme céleste au Sud-Bénin »,
Cahiers sciences humaines, 31 (4) : 797-823.
TRIAUD, J.-L.
1973 « Un cas de passage collectif à l’Islam en Basse-Côte-d’Ivoire au début du
siècle : le village d’Ahua », Cahiers d’Études africaines, IV (2), 14 : 316337.
VIDAL, C.
2002 « Abidjan, ville-monde (1957-2000) », Les Temps Modernes, 620-621 :
463-479.

704

MARIE MIRAN & EL HADJ AKAN CHARIF VISSOH

R ÉSUMÉ
Cet article a pour objet la conversion à l’islam du Béninois El Hadj Akan Charif
Vissoh, dont la famille, mahi (fon), se partage entre cultes vodun et catholicisme.
Tentant l’expérience de la co-écriture entre le converti lui-même, devenu imam de
la mosquée centrale d’Allada et le chroniqueur de sa conversion, l’article propose
tout à la fois une histoire de vie, un récit de conversion, un plaidoyer « réformiste »
au nom des convertis à l’islam du Sud-Bénin et une relecture anthropologique et
historique critique de ce narratif dans ses diverses articulations. Quelques comparaisons sont esquissées avec les trajectoires d’autres convertis autochtones du Ghana
et de la Côte-d’Ivoire au XXe siècle. La conclusion revisite les débats sur la conversion
religieuse en Afrique et au-delà.

A BSTRACT
(Auto)biography of an Islam Conversion. Cross Glances about a Story of Religious
changement in Contemporary Benin. — This article recounts the conversion to Islam
of El Hadj Akan Charif Vissoh, born in Benin to a Mahi (Fon) family following the
traditional vodun cults and Catholicism. Co-written by the convert himself, later imam
of Allada’s central mosque, and the chronicler of his conversion, it presents a life
history, a conversion narrative, a “reformist” speech for the defense of converts to
Islam in Southern Benin as well as a historical cum-anthropological analysis of this
multilayered discourse. In a comparative perspective, the article also sheds light on
the experiences of other converts to Islam in XXth century southern Ghana and southern Côte-d’Ivoire. The conclusion revisits the debates on religious conversion in
Africa and beyond.
Mots-clés/Keywords : Bénin, Côte-d’Ivoire, Ghana, christianisme, conversion, cultes
vodun, islam/Benin, Côte-d’Ivoire, Ghana, Christianity, conversion, vodun cults, Islam.

Media