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Title
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Études sur l'Islam au Dahomey
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list of authors
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Marty, Paul
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Abstract
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fr
Livre I. - Le bas Dahomey (Le milieu - La communauté isla-mique -) (p. 1-52) Livre II. - Le haut Dahomey (Le milieu - les groupements ethiques - les collectivités et individualités islamiques - Le droit coutumier - Les institutions sociales - Croyances animistes et pratiques médico-magiques) (p. 153-272) Conclusions (p. 272-273) Annexes (1-12, p. 276-291) Bibliographie (Annexe 12, p. 291).
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Place of Publication
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Paris
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Publisher
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Éditions Ernest Leroux
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Date
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1926
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number of pages
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295
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extracted text
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COLLECTION DE LA REVUE DU MONDE M USULM AN
PAUL MARTY
ÉTUDES SUR L’ISLAM
AU DAHOMEY
LE BAS DAHOMEY — LE HAUT DAHOMEY
PA RI S
É D IT IO N S
28,
ERNEST
RUE
BONAPARTE
LEROUX
(v i* )
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
LIVRE PREMIER
I R BAS DAHOMEY
CHAPITRE PREMIER
Le m ilieu.
I. — Groupements ethniques.
Le bas Dahomey est ethnographiquement le Dahomey
tout court. C’est l'autorité française qui, en créant l’ac
tuelle colonie de ce nom (décret du 22 juin 1894), y a com
pris administrativement tous les territoires qui s’étendaient
au Nord du royaume du Dahomey jusqu’au cours du
moyen Niger. De ce jour-là, il y a eu un haut et un bas
Dahomey.
Le Dahomey primitif signifiait donc : a) le palais d’Abomey (Agbomé) ; b) par extension, tout le territoire que
commandait le souverain d’Abomey ; c) latissimo sensu,
les deux anciens royaumes côtiers d’Abomey et de Porto-
2
É T U D ES SU R L’ISLAM AU
DAHOM EY
Novo (Hogbonou), peuplés par les ram eaux F on, de la
race Ehoué.
i ' Fon. — Les Fon constituent le principal ram eau de
la grande race Ehoué. Ils s’apparentent aux Adja, leurs
prédécesseurs dans la suprématie politique du pays. On
retrouve ces Adja encore ethniquem ent bien conservés
dans certains groupements de la forêt, et notam m ent dans
la partie occidentale de la colonie, â A thiém ê,sur les rives
du Mono et la frontière du Togo. Ce sont des peuplades
très indépendantes, fort sauvages et livrées, com m e tous
les habitants de la zone sylvestre, à l’anarchie sociale.
Les Fon se trouvaient groupés, à la période histo riq u e,
en trois royaumes : Allada, Abomey et Porto-Novo, les
deux derniers étant issus du prem ier et Abomey ayant
fini par absorber Allada, mais non point Porto-Novo.
Les Dahoméens d’Abomey, qui ont eu à lu tter contre
de puissants voisins, notam m ent les Yorouba-Nago du Nigéria, et qui devaient chercher dans la guerre des res
sources, que le sol ne pouvait leur donner, sont devenus
au xvm‘ siècle un peuple exclusivement m ilitaire. La né
cessité leur fit un caractère énergique et des guerres h e u
reuses leur permirent de faire de nom breuses captives,
dont les plus parfaites au point de vue physique, au lieu
d’être vendues, étaient gardées comme épouses. La gé
nération que nous avons trouvée était donc le ré su ltat
d’une sélection et la supériorité des Dahoméens d ’Abo
mey ne saurait encore, à l’heure actuelle, être m ise en
doute.
Le royaume d ’Abomey, situé dans la région la m oins
fortunée, éprouva rapidement l’envie et la nécessité d ’étendre
sa domination sur ses voisins plus riches. E ntre 1720 et
1730, Agadja le Conquérant prit Allada (Ardres), d ’où étaient
venus ses ancêtres, et substitua sa puissance à celle des
Alladiens, sur la côte, dans les royaum es du Ju d a(O u id ah )
LE BAS DAHOMEY
3
et de Jacquin (Diakin). Les Dahoméens (Abomey) tentè
rent aussi de soumettre les Adja. Ils auraient sans aucun
doute pris le royaume de Porto-Novo et constitué ainsi
une sorte d’unité nationale, si notre intervention n ’avait
anéanti leurs tentatives.
Les Fon d’Allada étaient plutôt par tempérament cultiva
teurs et commerçants que guerriers. Ils habitent un pays
fertile, à proximité de la côte, dans la zone d'action du com
merce européen.
Les Fon de Porto-Novo (Hogbonou, en langue fon ;
Adjaché,en yerouba) sont plus éloignés encore du caractère
primitif de leurs ancêtres. Ils étaient déjà des guerriers fort
médiocres ; le travail de laterreet le commerce les attirent
uniquement. Leur royaume est né, il y a deux siècles, de
dissensions à la cour d’Allada.
Les Fon constituent la plus grande branche de la race
Ehoué, qui couvre les moyen et bas Dahomey et le bas
Togo, entre les grandes races Yoroubaà l’est en Nigéria, et
Achanti à l’ouest, en Gold Coast. Ils se nomment euxmêmes les Fon, et leur langue est le fongbé. Les Yorouba,
ou Nago, les appellent les Djedje ou Egoun.
Travailleurs, disciplinés, adonnés aux travaux agricoles
mais s’adaptant assez facilement aux chantiers maritimes,
ferroviaires, ou autres, les Dahoméens constituentunpeuple
intéressant entre tous, et sur lequel il est permis de fonder
de beaux espoirs. •
On estime leur chiffre total à 400.000 environ, en très
grande majorité fétichiste. Des catholiques y sont au
nombre d’une dizaine de mille, les protestants au nombre
d’un millier. L’islam commence à peine à y faire son appa
rition : à peine pourrait-on citer quelques personnalités fon
islamisées à Porto-Novo, Sakété, Pobé, Zagnanado. Pour
donner un chiffre, disons 2ooà 3oo au total.
2. — Mahi. Au nord du royaume d’Abomey, inclus dans
4
É T U D E S SU R L'iSLAM
AU
DA H O M EY
les Nago à l’est et à l ’ouest, et déjà au x ap p ro ch es des
Bariba du nord, c’est-à-dire dans le m oyen D a h o m ey ,
s’étend le peuple Mahi, qu’on rattache quelquefois aux
Yorouba-Nago, et plus souvent aux F on-D ahom éens. C ’est
à cette dernière souche q u ’il faut certainem ent les lier ; de
leur propre aveu, ils constituent un ram eau dah o m éen , à
qui son isolement, sa sauvagerie, et ses luttes avec les dynastes d’Abomey ont donné une certaine a u to n o m ie. Les
alliances m atrim oniales avec les Nago voisins, d its T ch a b é
ne sont pas rares d’ailleurs.
Le cœ ur même de leur agglom ération est la région com
prise entre Paouignan, Savé et Ouessé. Ce sont d ’excellents
agriculteurs : leurs cultures de coton sont p a rtic u liè re m e n t
renommées.
Inclus dans lés cercles de Savé et de Savalou, les M ahi
sont au m axim um une dizaine de mille, tous an im iste s.
Leur fétichisme très arriéré ne parait pas devoir être p ro
chainement entam é par l’islam ; et leur caractère très ferm é
constitue un obstacle invincible à ses m issionnaires.
3. — IJouéda. — A usud du royaum e du D ahom ey, dans
le cercle actuel de O uidah, et dans celui du M ono, vit une
population, apparentée à la grande souche É houé, et qu i se
donne le nom de Houéda ou H ouédanou. Les Fon les ap p el
lent Péda, nom que les vieux au teu rs ont déform é q u elq u e
fois en Quéda. Les prem iers cartographes en av a ie n t fait
Juda, et nous-mêmes Ouidah ; les Anglais W h y d a h .
Ce groupem ent ethnique a existé à l’état in d ép en d a n t,
avecSahécomm ecapitale(Savié, Sahié, Xavier, de nos pères)
jusqu’entre 1720 et 1730, époque de la conquête du pays p ar
les Dahoméens d ’Abomey. Nous avons, p ar la re la tio n du
chevalier Des Marchais, un excellent ouvrage s u r l’h isto ire,
les m œurs, la religion, le com m erce in térieu r et ex térieu r
de ce pays, dans les dernières années de son indépendance.
Un chapitre, intitulé « D’un peuple appelé M alais » est à
LE BAS DAHOMEY
5
citer presque en entier. On y saisit sur le vif l’apparition
des premiers musulmans sur la côte dahoméenne et les re
lations commerciales qui s’établirent par la suite entre les
sujets des royaumes d’Ardres, deJaquin et deJuda, et ces
trafiquants musulmans (Malé) Haoussa, ou métis de Tripolitains, de Touareg, de Bella et de Haoussa, qui arrivent
incontestablement du Sokoto, de Kano, de Zinder, et du
Bornou. Il faut faire, bien entendu, la part de l’exagération
ou de l’ignorance du chevalier Des Marchais, ou plutôt de
son chroniqueur le Père Labat.
« On ne sait pas au juste d ’où sont originaires les peuples
dont je vais parler, quoiqu’il y ait un grand nombre d’années
qu’ils trafiquent au royaume d’Ardres, pas un nègre de ce
païs n’a eu la curiosité ou le courage d’aller avec eux pour
les mieux connoître.
« Ce fut en 1704, qu’il en parut pour la première fois à
Juda. Ils n’étoient que deux, grands, bien faits, de bonne
mine ; l’un étoit blanc, c’est-à-dire bazanné, l’autre étoit
noir. L’un et l’autre sçavoient écrire, et écrivoient exacte
ment tout ce qu’ils voyoient, et surtout le prix des marchan
dises dont ils s’informoient exactement, aussi bien que des
mœurs et des coutumes des peuples. Cette curiosité et cette
exactitude à tout remarquer ;et à tout écrire, leur fut fu
neste. On les mit en prison, après avoir renvoyé l’interprète
qu’ils avoient pris à Jaquin, et les serviteurs qu’ils avoient
amenéz du même endroit, parce qu’on ne voulut pas dé
plaire au Roi d’Ardres, dont ils étoient sujets.
« Mais pour les Malais, qu’on prit pour des espions en
voyés par leur Roi, dans le dessein de venir conquérir le
païs, après qu’ils en auroient bien reconnu la situation et
les forces ; on s’en défit sans bruit et on n ’en a plus en
tendu parler.
« Les Nègres de Juda, qui vont trafiquer hors de leur
païs, ont eu depuis ce tems-là des occasions de connoître
ces peuples dans le royaume d’Ardres et dans les païs qui
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ÉT UD ES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
sqpt situés au nord-est. Ils ont reconnu que c ’étoient
d ’honnêtes gens, paisibles, de bon commerce, avec lesquels
il y a des profits considérables à faire, attendu q u ’ils am è
nent avec eux de bons esclaves, chargez de diverses sortes
de marchandises, d’un débit avantageux, dans le pais. Les
bonnes relations, qu’ils en ont faites, ont obligé le Roi et
les Grands du royaume à les faire assurer qu’ils seroient
bien reçus à Juda, qu’il y feroient leur commerce en toute
sûreté ; ce qu’on leur a confirm é par les sermens les plus
solennels, au nom du grand Serpent. Ces assurances en ont
attirez quelqu’uns à Xavier, et c’est à Jaquin que le Che
valier des M... en a vu, et q u ’il a m arqué dans son Journal
et dans ses mémoires ce que j’en vais raportcr.
«Ces peuples parlent arabe et écrivent fort bien en cette
langue. Ils sont pleins d ’esprit, habiles dans le commerce
et de bonne foi. Ils sont braves, curieux, industrieux. Pour
leur religion, je n ’en puis rien dire, mes mémoires ne m ’en
instruisent pas assez ; il y a pourtant bien de l’apparence
qu’ils sont Mahometans. Ils ne vont point à pied com m e
les Nègres de Juda, ils ont des chevaux de la taille et de la
force des chevaux de carosse, dont on se sert en France ;
ils n’ont pas l’usage de les férer, et cela seroit inutile, ca r
ces animaux ont tous la corne très noire et très dure, q u o i
qu'ils soient de différens poils.
« Ils employent trois Lunes, c’est-à-dire, quatre vingt-dix
jours à venir de leur païs à Ardres : à com pter ces journées
àdixlieües par jour, ce seroit neuf cens lieues, mais com m e
on ne fait guerres de si longues marches sans se reposer
au moins de trois jours l'un, et que ces m archands co n
duisent avec eux des esclaves très-chargés de vivres et de
marchandises ; je crois q u ’on peut compter q u ’ils ne sont
éloignéz d ’Ardres que d ’environ six cens lieües (i).
(i 1 aoo à 3oo lieues environ. Le Père La bat ne sait pas que les caravanes
stations de 8, i5 et m ême 3o fours dans certains villages de le u r
route et pour des raisons diverses.
font des
LE BAS DAHOMEY
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Autre réflexion. « Ils ont des toiles de coton, des mousse
lines, des Indiennes de Perse et des Indes. Ils ne les tirent
pas des Européens qu’ils ne connoissent seulement pas ; il
faut donc qu'ils les tirent des Indiens ou des Arabes ; ils
sont par conséquent des environs de la Mer Rouge et des
frontières de I Etiopie (i). Les Sçavans corrigeront ma con
jecture, comme ils le jugeront à propos.
« Ces gens sont vêtus de longues robes amples et plissées,
qui leurtombent jusqu’aux talons, aveedes manches longues
et larges, rien ne ressemble mieux aux coules de nos Béné
dictins : un capuchon assez large et pointu est attaché à
cette robe ; ils s’en couvrent la tête, quand ils le jugent à
propos. Ces robes sont de laine ou de toile de coton, bleues
ou blanches ; ils ne portent point d’autres couleurs. Ils ont
sous cette robe des chemises blanches de toile de coton et
sous ces chemises des calçons de la même toile et de la
même couleur, dont le fond va plus d’à demie jambes et les
bouts jusqu’à sur leurs pieds, comme les portent les Le
vantins. Ils ont à leurs pieds des sandales de cuir. Ils ont
des ceintures assez larges de toile, ou de mousseline, de
grands mouchoirs pendans à leurs ceintures, et des sacs
qui leur servent de poches sur leur sein au-dessus de leurs
ceintures. Ils retroussent leurs robes à l’aide de ces cein
tures, quand ils sont à cheval. Ils portent tous la tête rasée,
mais ils ont un soin extrême de nourrir leur barbe, et plus
elle est longue et fournie, plus ils s’en croyent honorez. Ils
n’ont pas d’armes dans leurs voyages, qu’un grand couteau
àguaine passé dans leur ceinture et un sabre de trois pieds
et demi de longueur, y compris la poignée. Ce sabre est
fait comme nos battoirs de longue paume ; la palette est
tranchante des deux côtez, le manche est plat et la poignée
ronde. Ils tirent ce fer de leur païs, le fabriquent et le trem(i) Erreur manifeste. Ils viennent du pays Haoussa, entre Niger et Tchad.
Il est vrai que certains d'entre eux étaient originaires de Tripolitaine ou de
Tunisie.
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ÉTUDES SUR l ’ i SUAM AU DAHOMEY
pent eux-mêmes ; ce fer est si doux, et la trempe qu’ils
lui donnent est telle q u ’il roulent comme un carton le
manche autour de la palete et le portent sous leur bras
gauche comme un livre. Cette arme scroit inutile, s’ils
frapoient du plat, elle plieroit, mais en frappant du taillant,
le manche qui ne plie pas sur la largeur, mais seulement
sur son épaisseur, demeurere roide et porte de terribles
coups.
* On en voit à Ardres qui ont des fusils ; ils les font
dans leur païs, ils sont plus courts que les nôtres, ce sont
à proprement parler des mousquetons de gros calibres qui
portent des balles de huit à la livre. Leur poudre est infé
rieure à la nôtre, cependant ils ne se m ettent guerre en
peine d’en acheter, peut-être ont-ils éprouvé que leurs fu
sils ne pouvoient résister à son effort. 11 est étonnant que
des gens si sages n ’ayent pas compris qu’il n ’y avoit q u ’à
en diminuer la quantité, pour la proportionner à la force
de leur armes.
« Ceux qui ont vû leurs fusils disent qu’il sont fort
ju s te s , e t que la culasse et la batterie sontà peu près comme
les nôtres, quoique travaillez moins délicatement.
« Leur païs renferme quantité de métaux, comme or,
argent, plomb, cuivre, étain et fer.
« Leur cuivre rouge est d'une espèce très-particulière. Ils
en font des anneaux assez larges, q u ’ils portent à l’index
de la main droite. Ces anneaux sont des phosphores qui
étant exposez sur une table ou à terre, dans un lieu obscur,
rendent autant de lumière que deux bougies allum ées en
pourroient rendre. Aussi assurent-ils, q u ’ils ne se servent
pas d ’autre lumière pendant la nuit...
« Ces peuples ne se vendent pas les uns les autres. Les
esclaves dont ils se servent dans leurs païs et ceux qu’ils
conduisent à Ardres et à Juda, sont des étrangers q u ’ils
achètent sur leur route et aux environs de leur païs. On e s
time beaucoup ces esclaves, ils sont forts et de bonne vo
LE BAS DAHOMEY
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lonté ; ils les conduisent toujours chargez de marchandises,
comme ivoire, toiles de coton, fabriquées dans leurs pais
et aux Indes.
« Ils ne prennent en échange que de l’eau de vie en ancres
de vingt-cinq pots et des bouges (i). Depuis quelques
années, ils prennent aussi quelques curiosités d’Europe.
Ils sont habiles dans le commerce, examinent beaucoup ce
qu’on leur présente, et ne sont pas faciles à se laisser
tromper, du reste pleins de droiture et de bonne foi.
« On ne sçait pas au juste, de quelle Religion ils sont,
on prétend avoir découvert qu’ils sont circoncis. Cette
marque ne peut pas décider sur la Religion qu’ils profes
sent, s’ils sont Juifs ou Mahométans ou Idolâtres, parce
que la circoncision se pratique presque dans toute l’Afrique.
On voit des esclaves qui viennent du centre de ce vaste
païs qui sont circoncis, sans avoir aucune teinture du Ju
daïsme, ni du Mahométisme.
« Ce qui pourroil faire penser qu’ils sont juifs, c’est qu’ils
ne mangent pas de toutes sortes de viandes, ils choisissent
les animaux terrestres qu’ils veulent manger, les tuent
eux-mêmes et les accommodent ; mais ce choix des viandes
et leur délicatesse à ne se servir que de celles qu’ils ont
accommodées eux-mèmes, est un usage parmi les Maho
métans. D’ailleurs ils boivent tous de l’eau de vie et même
des liqueurs et du vin, ce qui ne convient point aux Ma
hométans rigides (2).
« Ils parlent le pur arabe, prient Dieu plusieurs fois le
jour, ils n’ont ni fétiches, ni gris gris, et ne se lavent point
avant de faire leur prière. Ils lisent et écrivent fort bien
leur langue.
(1) Paquets de cauris, coquillages-monnaie.
(2) Ces marchands étaient incontestablement musulmans. L ’usage des li
queurs alcooliques ne saurait le faire mettre en doute. Comme on le verra
plus loin, l'islam noir permet de nombreuses tolérances à ses fidèles. Disons,
comme le Chevalier Des Marchais, que ce ne sont point des « Mahométans
rigides »
10
ÉTUDES SUR LISLAM AU DAHOMEY
« On a remarqué à Juda et à Jaquin, qu’ils témoignent
plus d’amitié et plus d’inclination pour les François, que
pour les autres Européens qu’ils voyent dans ces villes. Cela
auroit dû inviter ies Directeurs de notre commerce à en
voyer quelqu’uns de leurs commis avec eux, afin de m é
nager un établissement de commerce avec eux, qui ne peut
être que très-avantageux à la Compagnie. Il faudrait pour
réussir danscette entreprise, que celui ou ceux qu’on enver
rait à cette découverte, sçussent la langue arabe, qu’ils
sçussent prendre les hauteurs et mesurer la distance des
lieux où ils passeraient, et sur tout que ce fussent des gens
sages, de bonnes mœurs, d une santé forte et vigoureuse,
et que l’espérance d’une récompense, proportionnée à la
grandeur du travail et aux risques q u ’il y a dans un si
long voiage, les excitât à l’entreprendre et à faire avec la der
nière exactitude toutes les remarques nécessaires pourconnoître le pais des Malais, et, s’il se pouvoit, de leurs voisins.
« Le Chevalier des M... a de bonnes raisons pour croire
que ces peuples sont voisins de la Mer Rouge, ou des côtes
orientales d’Afrique ; et il m ’aassuré plusieurs fois, que s’il
eut pù quitter le vaisseau q u ’il commandoit, il auroit
accompagne ces marchands Malais dans leur voyage. »
Les populations Houéda habitaient surtout les rives des
lagunes et du lac Ahémé, où elles se livraient-à la fois aux
cultures et à la pèche. C’est là q u ’on retrouve aujourd’hui
leurs descendants les plus purs,
A l'époque de la conquête dahoméenne, certains de ces
indigènes furent dépossédés de leurs biens par les vain
queurs. D’autres au contraire surent s’attirer la confiance
des rois d'Abomey, achetèrent des esclaves et les placèrent
sur les terrains qu’ils occupaient primitivement. Ils devin
rent ainsi un des éléments les plus riches et les plus in
fluents de la contrée. Aujourd’hui encore ces autochtones,
très fiers de s’appeler Houédanou, forment la base respec
tive des principales familles de Ouidah. Généralement hon-
LE BAS DAHOMEY
I
nêtes et demeurés attachés à leur sol, les Houéda consti
tuent un groupement fort intéressant. Il n’a été nullement
pénétré par l’islam, bien que, depuis trois quarts de siècle,
des commerçants nago et haoussa fussent établis, comme
on le verra, dans son sein. II s’ouvre en revanche, avecune
facilité, qui ne fera que croître, à l’influence des missions
chrétiennes.
4. Kpla. — Les Kpla sont avec les Fon, les Alahi, et les
Houéda un des rameaux de la race éhoué. Ils couvraient
jadis le cordon littoral du bas Dahomey, delà frontière du
Togo à la lagune de Lagos. Ils avaient fondé le royaume
deDjaquin, dont la capitale, Offra, est à peu près impos
sible à retrouver aujourd’hui, ayant vraisemblablement été
enfouie dans le déplacement des lagunes, mais qui devait
se trouver non loin d’Abomey-Calavi.
Le royaume de Diaquin, ou de Djaquin (ou Jaquin),
comme disaient nos pères, eut une histoire florissante au
xvn» siècle. Il disparutcommecelui des Houéda de Juda, lors
de la conquête dahoméenne d’Abomey (1725). Les habi
tants se sont fondus parmi les envahisseurs, sauf un cer
tain nombre, qui se trouvaient ou qui se réfugièrent sur
les bords du lac Ahémé et qui furent les ancêtres des Kpla
actuels, dans le cercle du Mono.
Ils n’avaient pas été touchés par l’islam au temps de leur
indépendance, et ils ne le furent pas davantage par la suite,
sous la domination dahoméenne, encore que dans les
deux cas, ils aient vu passer chez eux les captifs musul
mans du Nord qui allaient s’embarquera Ouidah pour le
Brésil ou les Antilles.
(1) La conquête dahoméenne (Abomey) de Ouidah, entre 1720 et 1730, a eu
en eftet pour résultat de supprimer complètement les relations directes des
commerçants « Malé > avec la mer. Désormais les musulmans des pays
Haoussa durent s’arrêter au Nord et au Nord-Est du royaume d’Abomey,
et passer par l ’intermédiaire des gens d’Abomey pour leur trafic avec la
côte. Ce n'est que vers 1840 qu’ils commencent à réapparaître sur la plage.
Il
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
Depuis notre occupation, le prosélytisme des marabouts
ne les a pas encore atteints.
En résumé, la raceéhoué occupe avec ses divers peuples,
partiellement ou totalement suivant les lieux, tout le bas
Dahomey, c’est-à-dire tous les cercles côtiers (Porto-Novo,
Cotonou, Ouidah, Mono), plus les cercles d’Allada, d’Abomey et de Zagnanado, et une partie des cercles de Savé et de
Savalou. Elle y comprend les peuples Fon (Alladiens, Daho
méens, Fon de Porto-Novo), Adja, Mahi, Houédaet Kpla.
Ils ont toutefois été pénétrés par les Nago sur la frontière
orientale, et par les Agaïa ou Mina sur la frontière occiden
tale.
5. Agaïn (M ina').— Les Mina, assez récemment im
migrés de Gold Coast, s’apparentent à une race indéter
minée, qui a été chassée par les invasions achanti vers
la mer, le long de laquelle ils se sont effilochés vers
l’est, jusqu'à Cotonou, comme les Apolloniens (Zéma) le
faisaient vers l’ouest. Ils se nomment eux-mêmes Agaïn. Le
nom de Mina qu’on leur donne généralement est d ’origine
portugaise. Il tire sans doute son origine d’Elmina (Gold
Coast), où on les retrouve. On leur donne aussi et bien à
tort, celui de Popo, qui est le nom de deux localités cô
tières ; Petit Popo ou Anécho ; (Togo) et Grand Popo ou
Kpla (Dahomey), où ils nesont d’ailleurs qu’une minorité.
Ce nom vient des navigateurs portugais : ce fut celui d ’un
chef Adja du Mono.
A l’intérieur, les Agaïn ou Mina se livrent à la culture
agricole, mais sans grand effort. Sur la côte, ils sont géné
ralement passeurs de barre, piroguiers et pagayeurs. Ils
rendent ici à la navigation les services, qu’en d’autres
lieux rendent les Kroumen.
Les Mina, surtout ceux de la côte ; Anéche, Agoué, Grand
Popo, ont été pénétrés par l’influence des missions chré
tiennes, catholiques et protestantes ; françaises, anglaises et
LE BAS DAHOMEY
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allemandes. Ils évoluent tous vers le christianisme, et ne
se laissent nullement entamer par l’islam. Les jeunes gens
instruits essaiment comme fonctionnaires ,et commerçants
dans tout le bas-Dahomey.
6. Nago. — L’Est et le nord-Est du bas Dahomey sont
peuplés de groupements et de sous-groupements du grand
peuple Yorouba de la Nigéria. On les trouve au sortir
môme de Cotonou et de Porto-Novo ; ils s’échelonnent le
long de la frontière de la Nigéria par Sakété, Pobé, la bor
dure orientale du cercle de Zagnanado, et enfin dans les
cercles de Savé et de Savalou (moyen Dahomey), où ils
s’épanouissent.
On trouve même quelques-unes de leurs pointes dans le
Sud du cercle de Djougou, soit autour de Bassila, soit à
Alédjo. Dans ces régions du Nord, on les appelle « Tchabé»,
du nom de la tribu locale. Le nom de Nago est d’ailleurs
d’origine dahoméenne et signifie « les court-vêtus ». Euxmêmes ont gardé celui de Yorouba.
A part quelques centaines de Haoussa commerçants, ce
sont les Nago qui fournissent tout l’élément musulman du
bas et du moyen Dahoméen, soit chez eux, soit dans les
cercles où ils ont immigré. De l’autre côté de la fron
tière anglaise, les Yorouba, puissants et nombreux, peu
plent la région d’Abéokouta. C’est de là que viennent ceux du
Dahomey.
Les Nago sont des agriculteurs avisés, qui mettent en
valeur par des cultures intensives, soit constantes, soit
coupées de jachères tous les territoires qu’ils occupent, de
la « banlieue » de Porto-Novo à Carnot-Ville. Ce sont aussi
des commerçants habiles, rapaces, et pas toujours très scru
puleux. On les considère un peu dans le bas Dahomey
comme les dioulas du pays.
Les Nago ont des coutumes qui diffèrent sensiblement
de ce qu’on voit dans les autres sociétés noires ; leur société
v
14
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
se distingue par l’élasticité du bien familial, par la liberté
conjugale de la femme, par l’indépendance prématurée et
l’émancipation précoce des enfants, par l’insoumission
chronique aux chefs traditionnels, en un mot par une sorte
d’anarchie sociale, qui ne se retrouve que dans les popula
tions sylvestres.
Les Nago ont été pénétrés pacifiquement ; ils sont donc,
comme tous les peuples qui se trouvent dans le même cas
en A. O. F., d ’une administration extrêmement difficile.
11 est manifeste que la dure leçon militaire du début leur
a fait défaut. Les opérations de police, qu’on est obligé de
renouveler de temps en temps chez eux (Holli, Kétou), ne
valent pas le droit et le fait d’une conquête bien établie.
De plus, l'absence ou la faiblesse des cadres politiques et
sociaux rend fort pénible le contact administratif. On ne
saurait croire combien dans ce domaine une bonne suc
cession facilite les choses. On a pu le dire pour le Dahomey
proprement dit. 11 y avait là, à Abomey, une dynastie forte
et respectée. Une organisation politique, sérieuse et fort
bien comprise, avait discipliné les populations. Nous avons
eu qu'à nous substituer au Gouvernement central, gardant
précieusement toute l’armature, et laissent en place les chefs
locaux. Les populations, continuant à avoir affaire à leurs
chefs traditionnels, sont restées dans le cadre séculaire de
leurs disciplines. Un ordre parfait régne dans le royaume
d’Abomey, et l’avance de l’islam en est retardée indéfini
ment. Il n ’y a pas de place à prendre ici.
Fétichistes encore en totalité, il y a un demi-siècle,
les Nago ont été le champ d ’action des missions catholi
ques et protestantes du Dahomey et de la Nigéria. Aussi
un grand nombre d’entre eux se sont-ils convertis au chris
tianisme. Les néo-catholiques demeurent surtout au
Dahomey, et les néo-protestants en Nigéria. L ’islam a
également bénéficié de ce mouvement de transform ation
spirituelle, qui d’ailleurs avait commencé à son profit,
LE BAS DAHOMEY
l5
bien antérieurement, par l'effort ou plutôt par l’exemple des
marabouts. On compte actuellement sur les 100.000 Nago
du Dahomey, près de 10.000 catholiques, 2.5oo protestants,
25.000 musulmans et 62.000 fétichistes.
Très travaillés par les missions protestantes anglaises de
Nigéria, les Yorouba des villes ont considérablement évo
lué depuis un quart de siècle. A côté de la mission-mère
qui est wesléycnne méthodiste, il s’est fondé une église
dissidente qui est purement noire avec rituel anglican et
pratiques mormonnes (polygamie). Ces convertis ont adopté
à leur langue le système des caractères latins, et voici que
par l’effort des pasteurs, avocats et commerçants de cette
race intelligente, on voit surgir en Nigéria toute une litté
rature yorouba. Les imprimeries du Lagos mettent à jour
des brochures religieuses, historiques, ethniques ; elles
débordent chez les Nago du Dahomey, et y font l’objet de
commentaires ardents. C’est le pendant de ce qui se passe
chez les Haoussa pour les caractères arabes.
7. Haoussa. — Les Haoussa, dits ici Gambari, sont ori
ginaires de la Nigéria. Etablis depuis un nombre variable
de générations, ils ont fini par se fixer dans les grandes
villes de la côte : Porto-Noyo, Cotonou-Ouidah, GrandPopo, et même de l’intérieur : Abomey, Allada, où les atta
chaient leurs intérêts, surtout commerciaux, mais ils con
tinuent à former de petites colonies, toutes musulmanes,
et très fermées, partant très indépendantes vis-à-vis des
pouvoirs locaux, qui sont fétichistes.
Jadis, évidemment, leur mépris ou leur insolence res
taient dissimulés : le bourreau local aurait eu vite fait d'y
mettre bon ordre. Aujourd’hui ces éléments étrangers cons
tituent souvent des fauteurs d’indiscipline, et il est fâcheux
de constater que les autochtones nago, qui se convertissent
à l ’islam, se croient tenus de les suivre dans cette voie, et
naturellement de les dépasser. Un clan musulman, celui
■6
É T U D E S S U R L’iSLAM A U DA HO M EY
qui était jadis dirigé par Bakari, chapelain m u su lm an du
roi Toffa, et que commande aujourd’hui Sériki Djiffa, est
resté toutefois fidèle à sa tradition de dévouem ent et d ’obéis
sance à l’autorité locale, à Porto-Novo.
Ces Gambari, ne dépassent pas le chiffre de 2.000 ; ils
s’adonnent uniquem ent au com m erce et ne possèdent pas
de terre ; on signale pourtant, depuis quelques années, une
certaine tendance, chez nom bre d ’entre eux, à devenir
propriétaires u rbains. Leur costum e diffère sensiblem ent
de celui des autochtones. Ils ont im porté les larges chem ises
et amples boubous de leur pays haoussa (N orthern Nigéria),
et ce costume national est devenu en quelque sorte le vête
ment classique des m usulm ans, quelle que soit leur o ri
gine. Ils m ettent des chaussures et arborent des parapluies,
prétentions qui sont entrées dans les m œ urs aujourd’hu i,
mais qui jadis auraient donné lieu à une sévère répression
de la part du roi et des grands dignitaires de la couronne,
qui seuls avaient droit à ces insignes aristocratiques.
8. Créoles. — On rencontre dans les grandes villes cô
tières : Porto-Novo, Cotonou, Ouidah, Godomey, G randPopo, Agoué, et même à Allada et à Abomey un élém ent
social, très évolué, relativement à la masse indigène et q u ’on
appelle généralem ent « créoles portugais » ou plus exactetement « créoles brésiliens ».
Il faut entendre ici « créoles » dans le sens où il est p ris
généralement sur la côte d’Afrique, c’est-à-dire m étis ou
m ulâtres, nés dans le pays, et non dans son acception
propre.
De ces « créoles » une partie seulement m érite ce titre :
ce sont des familles d ’origine brasilo-portugaisc, d o n t les
ancêtres sont venus s ’établir, au cours des trois d ern ie rs
siècles, sur les côtes du golfe du Bénin, et qui o n t fait
souche ici, en s'alliant à des fem m es indigènes. Au sang
indien que certains avaient déjà dans les veines est venu
LE BAS DAHOMEY
'7
s'ajouter à profusion le sang noir, de sorte qu’il faut sou
vent de la bonne volonté pour voir, à l’œil nu, que ces
créoles ont eu des ascendants européens.
Ils portent au surplus les plus grands noms de l’aristo
cratie portugaise : d’Almeida, Albuquerque, da Costa, da
Souza, da Silva, Oliveira, Campos, Sacramento, et en con
çoivent une vanité exagérée, encore que les attaches de
beaucoup d’entre eux avec ces grandes familles lusitaniennes
n’aient été incontestablement, à l’origine, que des liens
de servilité.
La deuxième catégorie de « créoles » ne mérite à aucun
titre ce nom. Ce sont les descendants d’anciens captifs noirs
transportés par les négriers en Amérique, surtout au Brésil,
au début du xix" siècle, et qui, libérés par rachat indivi
duels ou par les traités internationaux et les révolutions
locales, ont pu regagner la côte d'Afrique. Leur ancienne
servitude n’a pas abaissé leur condition actuel, car c’étaient
la plupart du temps des gens libres ou même des nobles
et des princes qui, faits prisonniers à la guerre ou dans
des razzias par les rois d’Abomey, étaient vendus par leurs
représentants de Ouidah aux négriers européens. Au sur
plus, ce genre de captivité chez les blancs n’avait pas le
caractère déshonorant que l’état de servitude entraîne chez
les noirs.
Si la première catégorie des créoles est tout entière catho
lique, la seconde au contraire a fourni beaucoup de musul
mans à la Côte des Esclaves. En effet, nombredes premiers
ascendants étaient des Yorouba ou des Haoussa, d’origine
nettement musulmane. Ce n’est pas le baptême sommaire
et contraint, que les Padres brésiliens leur donnèrent avec
une déplorable facilité, qui put leur faire abandonner la
religion de leurs pères, au moins pour les plus âgés d’entre
eux.
Déjà, en 1866, ils disaient à l’abbé Pierre Bouche, mis
sionnaire : « J’étais esclave quand je fus baptisé ; j’étais
i8
É T U D E S SU R L’ iSLAM AU DAHOM EY
au pouvoir de mon maître : mon m aître voulut que je fusse
baptisé ; je me laissai faire. » Revenus chez eux et au co n
tact d’autres musulmans de leur race, ils sont ren trés
naturellement dans le giron de l’islam. On ne sau rait les
traiter de renégats catholiques. Les Pères des M issions
Africaines en conviennent eux-mêmes. Plusieurs d ’ailleurs
reviennent, mais, à bon escient cette fois, au catholicism e,
sans doute par le désir secret de se rapprocher de la civi
lisation européenne, que représentent les créoles cath o
liques. C’est pourquoi l’on voitdans une même fam ille des
branches catholiques et des branches m usulm anes. Et à
l’intérieur d’une même famille, on constate que sans ra i
son apparente, lesenfants évoluent tantôt vers l’une, tan tô t
vers l’autre de ces religions.
Voici les noms des principales familles « créoles » m u
sulmanes. Ce n'est q u ’exceptionnellement que celles-là o n t
du sang blanc dans les veines. E llesontsim plem ent gardé
les noms des familles, auxquelles elles étaient incorporées.
Elles continuent d ’ailleurs à vivre d ’une vie à moitié eu ro
péenne.
Famille Paraïso ;
—
Alarcos ;
—
Adrian Da Gloria ;
— E m m anuel;
— Lopez ;
— Do Rego Laureano ;
— Da Silva ;
— Pereira Francisco Ignacio ;
— Francisco Antonio ;
— Cols ;
—
M oreira;
—
Manuel Daouda.
Ces créoles des deux catégories, dont plusieurs, com m e
conseillers des rois du Dahomey, nous ont fait jadis une
LE BAS DAHOMEY
>9
vive opposition, sont aujourd’hui très dévoués à l’autorité
française, qui les emploie dans l’administration ou le com
merce. Plusieurs ont fait des fortunes considérables.
Les créoles musulmans en particulier représentent l’élé
ment discipliné de la communauté musulmane du basDahomey, par opposition aux Gambari-Haoussa, et surtout
aux Nago, qui affectent de mépriser l'autorité locale, parce
qu’elle est fétichiste.
Quelques Nago, Haoussa et Sénégalais tendent à se rap
procher, à Porto-Novo, des créoles musulmans. Ils for
ment à eux tous une petite société relativement évoluée, et
qui se fait de l’islam une conception moderne, tout à fait
curieuse, que le reste de la communauté, fidèle à la tradi
tion et aux conceptions noires, repousse obstinément.
II. — Croyances et rites fétichistes.
Le bas Dahomey est, aux yeux de l’Islam, la terre de
« l’infidélité» par excellence. Le fétichisme, au sens propre
du mot l’idolâtrie, y fleurit partout. 11 n’entre pas évidem
ment dans le cadre de cet ouvrage de décrire le fétichisme
dahoméen. Il n'est pas inutile toutefois d’en tracer les prin
cipales lignes, autant pour faire connaître le milieu, où
vivent péniblement les petites communautés musulmanes
locales, que pour comprendre les obstacles presque invin
cibles que l’islam trouve ici à son désir d’extension.
Il importe tout d’abord de poser un principe, qui n’a pas
suffisamment été dégagé jusqu'à présent. C’est que ce féti
chisme, tant des Fon que des Yorouba, est essentiellement
monothéiste et comporte dans son principe une dose incon
testable de spiritualisme. Un seul Dieu : Mahou, en longbé ;
Elémi en yorouba. Entre le créateur et les créatures, une
multitude de génies (fétiches, du portugais feïttçao) aux-
20
É T U D E S SU R L'ISLAM A U DAHOMEY
quels, d’après la tradition, la race noire plus spécialement,
a été confiée et dont l’intervention régit tous les actes de
l’existence. En principe donc, et certainem ent aux yeux
des prêtres féticheurs et des « sages » de la nation, les figu
rations plastiques ne sont que des images de ces êtres su r
hum ains.
Le fétiche (Vodoun en fongbé, Oricha en yorouba), n ’est
plus ici, comme généralem ent dans l’Afrique noire, un
objet quelconque, débris informe de n ’im porte quel corps,
anim al, végétal ou m inéral. Le fétiche est généralem ent,
danslebas Dahomey, unereprésentation scupturale,à forme
hum aine ou anim ale, quelquefoisun anim al même ; et bien
entendu pour la foule, ce culte des fétiches va lap lu p artd u
temps jusqu’à l’anthropolâtrie ; et les adorations et hom
mages sem blent bien s’adresser alors à ces affreuses statues
de bois, à ces horribles et inform es magots de terre de
barre, où des coquilles d ’œ ufs rem placent les yeux, où les
traits et les m em bres sont dessinés en lignes grim açantes,
ou obscènes. Bien rares sont les figurations, où l’a rte t l’h u
m anité reprennent quelques droits. Et encore semble-t-il
q u ’on puisse avancer hardim ent que cette quasi-régularité,
qu’on trouve parfois dans certains traits du visage ou dans
certaines lignes du corps, est sans aucun doute un effet de
l’influence européenne, qui se fait sentir sur les côtes du
golfe de Bénin depuis plusieurs siècles.
Tous ces fétiches ne paraissent pas être la représentation
de la divinité, mais sim plem ent la divinisation des forces
naturelles. Les Dahoméens du sud : Fon, Houéda, M ina, etc.,
font très bien la différence, et reconnaissent en M ahou,
l’Être suprême, créateur et régulateur de l ’univers. Mais
Alahou se désintéresse de sa création, et ce sont les Vodoun
qui pratiquement interviennent dans la m arche des affaires
humaines ou naturelles. C’est donc à eux que doivent
s’adresser les hommages.
Les fétiches com prennent n o ta m m e n t: i° T o-V odoun,
LE BAS DAHOMEY
21
esprits des lieux, habitent les pierres, les buissons, les
arbres, c’est le « gênius loci » ; 2°Ako-Vodoun, esprits pro
tecteurs des familles ; 3° Honnou-Vodoun, génies protec
teurs des groupes sociaux ou politiques, etc.
La couleuvre est l’objet d’une vénération générale dans
tout le bas Dahomey. De la région côtière, elle est montée
à Allada et à Abomey. Il ne s’agit d’ailleurs que du python,
appelé vulgairement boa, espèce inoffensive. C’est le bon
serpent, le «dangbé ».
La croyance à l’existence post-mortelle est ici univer
selle. L’homme revit après la mort, dans un monde voisin
et bien entendu mal défini, avec les mômes besoins et les
mômes plaisirs. Cette croyance qui ne se rapproche qu’à
demi de celle de l’islam, a engendré, dans la pratique, des
conclusions bien différentes, au point de vue du culte des
morts. On les verra plus loin. Le type le plus curieux de
cette divinisation est celui deKpaté, à Ouidah, qui par ses
signaux de paix attira à terre les premiers navigateurs eu
ropéens.
Le fétiche du tonnerre, « Hébiosso » ou « Chango », est
fort redouté, partant très honoré. Les manifestations de sa
colère sont les indices certains de la condamnation divine.
Aussi la mort par la foudre est-elle une preuve de culpabi
lité et d’infamie.
Hou, l’Océan, ou plus exactement la barre, l’éternelle et
dangereuse barre delà côte d’Afrique, est un fétiche fort en
honneur chez les populations maritimes.
Sakpata, la variole, est honorée partout. Elle a ses autels
dans les carrefours.
Le fétiche « Logba » est la personnification de l’esprit du
sol et du lieu. C’est le protecteur du terroir, du foyer, etc.
Les missionnaires ont jadis contribué à le faire prendre
pour le diable à cause de ses cornes et de son volumineux
génitoire. Il n ’en est rien. Le « logba », si courant au
Dahomey et vénéré môme des musulmans, ressemble à s’y
22
ÉTUDES SU R L'iSLAM AU DAHOMEY
méprendre, aux dieux lares des romains, à leurs pénates
familiales et locales.
Dans la région d’Ouidah, on honore aussi le dieu du feu :
Zo. Ni Zo, ni même les emblèmes, où il est contenu ou qui
le représente, ne doivent jamais sortir de la case sacrée, où
ils sont enfermés. Le grand féticheur du feu, le « Zonon »
y veille attentivement. Il est vrai que dans certaines cir
constances exceptionnelles, le Zo est sorti, et alors de toutes
parts les incendies ont éclatés dans la région. Mais l’Adm i
nistration française n ’a pas admis cette justice secrète, et le
Zonon, incontestablement coupable, a été puni. En 1912
encore, le Zonon de Ouidah était interné pour une durée de
5 ans hors du Dahomey.
Il importe, en effet, de veiller à ce que les divers prêtres et
féticheurs, pour prouver la force de leur Dieu, ne se livrent
pas sur le public à de dangereuses expériences.
Le fétichisme dahoméen comporte des rites sacrés, dont le
sacrifice humain formait jadis la base universelle.
Bouche a décrit tout au long ces affreuses holocaustes,
qui accompagnaient les décès des rois ou desgrands chefs,
et où les têtes tombaient par centaines. 11 im portait, en effet,
que le roi ne partit pas seul pour l’autre monde. Certains
animaux d’ailleurs : singes, biches, vautours, liés aux vic
times et bâillonnées comme elles, les accompagnaient dans
leur triste sort. Les mulâtres et créoles portugais euxmêmes en étaient à suivre l’exemple et offraient au prince
leur don personnel, victimes qu’il joignait aussitôt aux
autres. Une partie des femmes du défunt le suivait aussi
dans la tombe, en s’empoisonnant à l'issue des funérailles.
On les y aidait d’ailleurs, quand elles tém oignaient de
quelque mauvaise volonté.
Le même cérémonial était suivi pour les simples notables
LE BAS DAHOMEY
23
ou chefs de famille; les sacrifices étant réduits à un ou
deux captifs.
Aujourd’hui, c’est surles animaux domestiques : chèvres,
cabris, chiens, poulets, qu'a dévié cette tendance à la com
munion mystique avec l’au-delà ; et toute fête religieuse,
tout décès de quelque importance provoque une hécatombe
de victimes sacrificielles.
A l’Est, chez les Nago de Pobé et de Zagnanado, on pra
tique, au cours des tam-tams fétiches de nuit, des orgies
sans nom. On déterre les cadavres des «victimes du fé
tiche », on les souille, on les fait cuire, et enfin on les mange
avant le lever du soleil. L’interdiction de continuer ces hi
deuses coutumes a été pour beaucoup dans l’hostilité sour
noise et souvent meurtrière, que nous ont témoignée ces
populations, dès le début, et dans la révolte qui les agita
en 1915-1916, et qui amena une répression fort pénible.
(Holli-Kétou.)
Le couleuvre est aussi l’objet de rites sacrés qu’il serait
trop long d’exposer ici et, qu’au surplus, on trouvera décrit
dans l’abbé Pierre Bouche, encore que cet ouvrage excel
lent soit incomplètement documenté sur le fétichisme. On
retiendra que cette couleuvre jouit un peu partout de la
même liberté qu’un animal domestique, qu’elle se glisse
dans les cases, les rues et les champs, sans qu’on puisse lui
faire le moindre mal et q u ’elle reçoit les hommages et les
offrandes des visiteurs. Certaines de ces couleuvres, spécia
lement fétiches, vivent et sont entretenues dans des cases
sacrées par des féticheuses spéciales, sortes de vestales at
tachées à leur service. 11 en est ainsi par exemple à GrandPopo et à Ouidah.
Le feu est dans les mêmes conditions l’objet d’un culte
spécial dans les régions de Ouidah, d’Allada, et même par
tiellement d’Abomey et Zagnanado.
24
ÉTUD ES SU R L’ISLAM AU DAHOMEY
Des sortes de « rogations », processions de téticheuses
pour demander la pluie ou le soleil, pour conjurer les effets
d’une épidémie, d’une épizootie, des maladies agricoles, de
la foudre, etc., sont très en honneur chez ces populations.
Elles se rapprochent assez de celles que font les m usul
mans voisins. Mais chez les fétichistes la mise en scène est
beaucoup plus théâtrale: les rythmes, la cadence, les génu
flexions se mêlent aux chants et même à des tintements de
clochettes.
Les fêtes saisonnières sont l’objet de cérémonies spécia
les où la magie, et même chez les Yorouba et les Mina, le
libertinage entremêlent leurs rites. Les féticheuses, sortes
de bacchantes en furie, et en folie, y jouent le principal
rôle par leurs danses échevelées, leurs processions et le
reste. Ce sont surtout chez les Mina (Ouîdah, Agoué), que
ces pratiques sont en honneur, sous les yeux attristés des
marabouts étrangers, mais avec la participation secrète de
nombre de néo-musulmans, plus fidèles à leurs traditions
q u ’à leurs nouvelles croyances.
La commémoration des défunts, issue de la croyance à
l’existence post morlem, ressemble fort ici au culte des
morts, en usage dans l’antiquité classique, ou encore en
Chine à l’heure actuelle. Les ancêtres sont devenus, dans
l’esprit de la foule, les fétiches protecteurs de la famille.
Leurs crânes sont rassemblées dans une petite chapelle
mortuaire, dont le chef de famille a l’entretien. Il leur fait
des offrandes, balaie le sol devant eux, prie et sonne de la
clochette à leurs pieds. Une fête annuelle, fort solennelle,
rassemble tous les membres de la famille autour de ces ves
tiges des ancêtres et par des sacrifices divers, on affirme la
solidarité des temps et des générations. Nous sommes loin
de l’islam classique. Aujourd'hui, bien entendu, les sacri
LE BAS DAHOMEY
25
fices humains ont disparu des fêtes familiales, comme des
fêtes de villages ou des fêtes de groupements de villages, de
cantons, ou même d’Ètats.
Tous ces fétiches, nationaux ou particuliers, -collectifs,
familiaux ou individuels, sont toujours l'objet d’une même
vénération. Les réjouissances publiques ou privées, les of
frandes, les danses, les tam-tams, les festins, beuveries et
orgies rassemblent en des fêtes très courues, les hommages
de foules souvent considérables. Pour le reste, chacun en
tretient sa dévotion par des pratiques personnelles, et qui
varient fort, suivant le tempérament réaliste ou mystique de
l’individu, suivant son éducation, et souvent aussi, sui
vant ses fréquentations d’indigènes christianisés ou isla
misés.
Les fétiches officiels ou de groupements ont leurs mi
nistres respectifs, qu’il faut au moins signaler d'un mot :
les féticheurs et féticheuses (Vodounou). Prêtres du fétiche,
ils vivent à l’écart de la foule, forment une société spéciale,
se reproduisent par l’endogamie, et utilisent une langue
conventionnelle et secrète. Ils sont souvent unis par les
liens d’associations, soit secrètes, sont à demi-patentes, telles
que les collèges de féticheurs ou féticheuses, attachés à un
temple. Ils ne forment pas une société complètement
fermée, puisque certains enfants étrangers, soit ravis par
eux, soit offerts par les parents, soit incorporés parfois dans
leurs rangs, après une éducation appropriée dans des sortes
de séminaires. A leurs qualités et fonctions sacerdotales, ils
joignent, la plupart du temps, encore qu’ils s’en défendent,
soit celles de sorciers ou magiciens (Bokonou), au sens où
on l’entend d’ordinaire dans les sociétés noires, c’est-à-dire
d’agents de mal et de désordre, soit celles de contre-sorciers,
médecins de sorciers, maîtres-mires, devins, c’est-à-dire
d’agents de bien et de guérisons. En somme, ils sont les
agentsdes communications surhumaines entre les créatures
et les génies (fétiches).
26
ÉT U D ES SU R L’ ISLAM AU DAHOMEY
Le fétiche joue un rôle im portant dans la vie judiciaire
des indigènes. C’est à lui qu’on a recours chaque fois que
la procédure est infructueuse, et souvent avant toute p ro
cédure. C’est lui qui est l’agent ordinaire des ordalies: poi
sons d ’épreuves, boissons diverses, immersions dans la la
gune, etc. ; qui les ordonne et qui les interprète. C’est lui,
qui, par son interm édiaire, le féticheur, indique l’auteur du
délit inconnu, de l’accident fâcheux, de la maladie incom
préhensible. C’est encore lui qui fait procéder à la condam
nation e tà l’exécution des victimes. 11 est vrai que, sousle
régime français, ces m eurtres, à la fois judiciaires et rituels
deviennent de plus en plus rares et que ce sont m aintenant
les anim aux domestiques qui font les frais de ces expia
tions.
En tout cas, il est hors de doute que le fétiche, mêm e
réduit à un rôle plus modeste, est encore aujourd’hui, sauf
exception, un auxiliaire de la justice, et un agent de l’ordre
public.
La distance qui sépare ici le fétichisme de l ’islam est
incommensurable, et c’est sans doute la raison pour la
quelle la religion du prophète a si peu progressé dans le
bas Dahomey. Ces peuples anim istes, vigoureusement cons
titués par une arm ature très solide de croyances, de trad i
tions et de droit coutum ier, fortement encadrés par des
dynasties et des chefs héréditaires.solidement défendus p ar
des sociétés de féticheurs et féticheuses, qui font la plus
vive opposition à l’islam, comme d ’ailleurs à nos institu
tions françaises, ces peuples, dis-je, ne sont pas m ûrs e n
core pour la conversion islamique.
Sous ce revêtement de croyances et de rites fétichistes,
LE BAS DAHOMEY
*7
Ie sentiment que beaucoup d’entre eux ont de Mahou,
« la divinité par excellence, l'Être suprême », pourra-t-il
u n jour se purifier et se rapprocher de la notion unitaire
d Allah? Les missionnaires européens, qui sont mieux placés
que quiconque pour analyser les croyances fétéchistes,
assurent avoir « découvert sous l’extérieur grossier et
repoussant du fétichisme, un enchaînement de doctrines,
tout un système religieux, où le spiritualisme tient la plus
grande place. « Dans ce cas, la distance qui sépare ces
animistes noirs des religions islamique ou chrétienne se
rait moins grande qu elle ne paraît, mais il n’en reste pas
moins que le culte si profond, si invétéré des fétiches sera
toujours un obstacle extrêmement sérieux à toute conver
sion. Et si à la rigueur, certaines adaptations sont possibles
dans les confessions chrétiennes, il n’en va pas de même
pour l’islam. Pour celui-ci, rebelle à toute figuration
humaine de la divinité, et de son cortège d ’anges, de bien
heureux, ou de saints, cet obstacle devient quasi-infran
chissable.
3
C H A P IT R E II
La com m unauté islam ique.
1. — P hysionomie de l’islam.
L’islam bas dahoméen est, au point de vue mystique,
une dérivation des confréries de la Nigéria. C’est par Lagos
que l’islam et son inséparable compagne, la « voie » ou
confrérie, s'est introduite sur la côte des Esclaves. Mais,
derrière Lagos, on retrouve les Zaouia d ’Abéo-Kouta,
d’Ibadan et surtout d'Ilorin (élément Yorouba) et de Kano
et de Sokoto (élément Haoussa).
En dernière analyse les deux seules voies, suivies ici, et
qui sont les voies Qadria et Tidiania, ont pris naissance,
au moins dans leur forme noire, en territoire français. Les
Qadria dérivant tous des pontifes de l’empire poullo
d’Othman dan Fodio, à Sokoto (fin du xviii’ siècle et début
du xix® siècle). Or celui-ci émanait des royaumes peul du
Macina, fils spirituels des grands Kounta de Tom bouctou.
Quant aux Tidiania, ils sont d’une époque beaucoup plus
récente. Il ne semble pas que cet ouird ait été connu jusqu’à
la fin du xix' siècle, date où apparaissent les dernières
bandes d’Ahmadou, fils d’al-hadj Omar, qui, chassées de
Ségou et de Bandiagara, viennent échouer en Northern Ni
i
I
LE BAS DAHOMEY
29
geria. Elles y laissèrent, au milieu de beaucoup de troubles,
uncertain nombrede moqaddem de leur ordre quiont attri
bué avec ardeur des affiliations qui tout de suite ont
fait prime.
Ces origines mystiques sont d’ailleurs parfaitement in
connues aux marabouts du bas Dahomey et nous n’avons,
dans la pratique, qu’à retenir, comme eux, que c’est aux
Zaouia nigériennes anglaises q u ’ils se rattachent. C’est
donc de ce côté-là que doit se porter l’attention.
Il faut ajouter que les liens entre fils spirituels et Zaouiamères ne sont pas du tout rompus. De temps en temps, on
voit apparaître des marabouts Haoussa du Nord, ou Ktapa
et Yorouba du Sud, qui, arrivant par Lagos, pénètrent à
Porto-Novo, et de là se répandent par tout le pays ; ils
passent, leur bâton à la main, ardents, infatigables, inat
tendus, disparaissant à l’improviste, rarement surpris ; ils
répandent partout la bonne parole, réchauffent la ferveur,
recueillent des cadeaux. Ce n'est pas là, à vrai dire, une
propagande bien dangereuse, puisqu’elle reste dans le do
maine spirituel, mais en d’autres circonstances, et dirigée
par des intentions perfides, elle pourrait le devenir consi
dérablement.
Ces groupements musulmans de la côte sont circonscrits
aux seuls peuples Nago (Yorouba) et Haoussa. Ils ne se si
gnalent pas par un prosélytisme bien ardent. Est-ce en rai
son de leur ignorance religieuse ? de leur foi, bien minime
souvent ? des dissensions intestines qui les travaillent ?
Pour toutes ces raisons sans doute. En tout cas, les con
versions des fétichistes, soit Dahoméens, soit Houéda, Popo,
Kpla, etc., n’apparaissent pasencore. Tout au plus pourraiton signaler deux ou trois familles fon de Porto-Novo,
dont les chefs commencent à faire la prière, derrière les
marabouts Nago ou Haoussa.
3o
ÉTUDES SUR L’ iSLAM AU DAHOMEY
La réaction du fétichisme est extrêmement faible. U n cher
féticheur du Holli Kétou (nago), à qui je le faisais rem ar
quer, ne crut pouvoir me faire une meilleure réponse qu’en
m’apportant un masque Yorouba, représentant une figure
de « Malé » ou musulman, sur le front de qui s’est noué
un serpent sacré. Peut-être pensait-il que cette image, re
présentation de la puissance supérieure du fétiche et de la
défaitedc l’islam, et consécutive sans douteàdes cérémonies
secrètes, suffirait à terrasser la religion envahissante et à
maintenir les croyances traditionnelles.
Il se trompait certainement. Il faut remarquer avec force
que les Dahoméens sont au seuil d’une crise religieuse,
dont on sent déjà les prodromes. Leur fétichisme inconsis
tant disparaîtra au souffle des doctrines spiritualistes du
christianisme et de l'islam. Ils iront tout naturellement,
quand l’heure sonnera, et elle ne paraît pas éloignée au
delà d’une génération, au moins pour les milieux urbains,
à l’une ou à l'autre de ces deux religions, suivant les cir
constances, suivant l'action des missionnaires, et suivant
notre propre politique. Il faut souligner fortement, qu’ici
comme ailleurs, la neutralité confessionnelle de notre part
avantage considérablement le prosélytisme islamique.
On a vu, pendant la guerre, certains groupements isla
miques, notamment l’un de ceux de Porto-Novo, arborer
des drapeaux anglais et venir faire sur la grande place des
manifestations plus ou moins correctes, sous le couvert
d’une anglophilie déplacée, et certainement tout extérieure.
Il ne faut pas juger d’après les apparences.
D’une façon générale, toutes ces communautés sont
animées d'un excellent esprit de loyalisme. Composées de
commerçants quelquefois frondeurs, mais qui, malgré tout,
sont trop intelligents pour ne pas comprendre que les pos-
LE BAS DAHOMEY
3l
sibilités de leur commerce, comme leur sécurité, sont le
fait de notre présence, et que sans nous, ils seraient vite la
proie et la victime des fétichistes, chefs et populace, qui
les entourent, elles nous sont certainement fort attachées.
Ce sont là des choses qui d’ailleurs peuvent leur être dites
et répétées. Une trop grande discrétion, un tact trop déli
cat ne sont pas de mise ici.
On a eu maintes preuves de leur loyalisme pendant la
guerre. On ne citera que celle-ci.
Les adresses des musulmans de l’Afrique du Nord, de
1915, produisirent partout le meilleur effet. A Porto-Novo,
l’imam Qassoumou, accompagné du chef politique de la
communauté, Paraïso, prit solennellement charge de ce
volume,et il en fit donner lecture, les trois vendredis sui
vants, à la mosquée, à l’issue de la prière publique, par son
fils Alfa Mamadou Bello, lettré de valeur. Le volume fut
par la suite rapporté avec pompe dans les archives de la
mosquée, où il est toujours déposé.
Dans les autres postes, ceux du Nord comme ceux du
Sud. Kandi, Djougou, Parakou, Savé, Ouidah, Cotonou,
ces adresses furent lues dans les mêmes conditions et avec le
même succès (avril 1915).
Cette manifestation de loyalisme des musulmans de
l’Afrique du Nord eut pour effet de susciter un pareil
mouvement dans toute l'Afrique Occidentale. Ces adresses
furent éditées, comme on le sait, par la Revue du Monde
Musulman (1). Le Dahomey n’y resta pas étranger: Souaïbou notamment, commerçant nigérien, établi à Cotonou, et
qui, depuis, a été élu imam de la ville, établit au nom de
ses coréligionnaires une adresse remarquable. Elle arriva
malheureusement trop tard à Dakar pour pouvoir être in
sérée, comme d’ailleurs celles des autres marabouts daho
méens, dans le Recueil précité (avril 1916).
(1) Vol, X X IX , pp. 5-167; et X X X III, r partie, pp. 1-147.
3i
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
L’altitude des musulmans vis-à-vis des chefs locaux, tous
fétichistes, est généralement correcte. Ils visent à n’avoir
avec eux que le moins de rapports possibles, et à se sous
traire à leur autorité.
Cependant leurs dissensions permanentes, et quelquefois
aiguës, comme à Porto-Novo, obligent quelquefois certains
d’entre eux à se rapprocher du prince pour le mettre de
leur parti et influencer par son intermédiaire le parti ad
verse. On en verra le détail à Porto-Novo.
A Porto-Novo encore, les m usulmans ont tenté à plu
sieurs reprises, à la mort du chef supérieur, de susciter
une candidature nouvelle. Ce fut d ’abord celle de Sohé,
ûls de Gbédessin, et dont les attaques musulmanes sont
connues. Après l’échec de celui-ci, ils se rabattirent sur
Sohingbé et, derrière ce prétendant, se livrèrent à une agi
tation effrénée. La chose est exposée plus bas.
En attendant, et quoique le chef supérieur, Houdji, ne
soit pas leur homme, pas plus d’ailleurs que les autres
grands chefs locaux, on les voit, dans le but d ’en imposer
aux populations, se glisser aux premières places, auprès du
roi, des juges ou des représentants de l’autorité, faire bande
à part dans les cérémonies officielles et se livrer enfin à
toutes sortes de manœuvres savantes pour faire croire aux
simples qu’ils ont une place dans le commandement.
On verra dans le détail, par la suite, que l ’islam s ’est
introduit dans le bas Dahomey, il y a moins d ’un siècle
par deux voies différentes : la première est une voie dé
tournée, puisqu’elle arrive du Brésil. Les indigènes m usul
mans du moyen Dahomey ou de Nigéria, Nago ou Haoussa,
Pl . I, a. — Porto-N ovo : Mosquée du quartier Zébou (Alfa Saroukou).
P u 1,6.— Porto-N ovo : Mosquée du quartier llassou-Komé (imam Laouani).
LE BAS DAHOMEY
33
faits prisonniers par les rois dahoméens, et vendus aux
négriers, étaient transportés dans l’Amérique du Sud.
Quelques-uns se rachetèrent, d'autres furent libérés par
les révolutions de 1848 et suivantes. A cette date, on les
voit débarquer des bateaux américains et s’établir sur toute
la côte, de Petit-Popo à Lagos. Ceux-là avaient été quelque
peu transformés, par leur séjour au Brésil et leur contact
avec la civilisation christiano-lusitanienne de ce pays.
Quelques-uns avaient même été baptisés, par le zèle, trop
peu prudent des Padres : leur mentalité et leurs mœurs
s’en sont toujours ressenties, et ce sera en définitive avec
beaucoup de jalousies, de haines, de compétitions et de
rivalités personnelles et familiales, la cause de ces scissions
qui déchirent périodiquement les collectivités musulmanes
du bas Dahomey et qui pour la principale d’entre elles, celle
de Porto-Novo, ont atteint un degré d’acuité vraiment irré
ductible.
Le second élément, qui a contribué à la formation de la
collectivité musulmane du bas Dahomey, est également
d’origine Nago (Yorouba) et Haoussa. Celui-là est libre et
provient d’infiltrations de la Nigéria, depuis l'occupation
européenne. Il est beaucoup plus rebelle à l’influence du
monde extérieur et tend à évoluer dans le plan de l’islam
soudanais.
Nous y reviendrons à propos de Porto-Novo, mais ce
qui est curieux à retenir dès maintenant c’est ce mélange
de vestiges de christianisme et de pratiques et croyances
d’islam. 11 faut être à Porto-Novo pour voir les vénérables
patriarches de la communauté, honneur de la mosquée,
Al-hadj Mohamed Mokhtar, ou Soulé, revenus à leurs
boutiques, se transformer en les distingués Senhor
G. M. Lopez ou Senhor Ignacio Paraïso.
11 faut voir encore Porto-Novo, les jours de fête ou de
rogation, des processions de musulmans défiler, le soir,
dans les rues, à la lueur de lanternes multicolores et bril
34
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
lantes, sur lesquelles se détachent en lettres de jais : « Defensor fidei, Sidi Mohamed. » Qui peut être le plus cour
roucé, ou du Prophète, assaisonné au latin et transform é
en « défenseur de la foi », ou du vaillant chevalier brazilolusitanien, qui mérita jadis ce beau titre et qui, trahi par
ses descendants, est aujourd’hui vaincu par l’islam ?
Il faut être à Agoué, à Cotonou,à Ouidah et ailleurs pour
voir les jeunes enfants de l’école coranique fréquenter avec
assiduité les écoles confessionnelles, catholiques ou protes
tantes, et aussi, bien entendu, l’école administrative.
A Porto-Novoet ailleurs, plusieurs familles, les da Souza,
les Campes, les Paraïso, les Alarkos, sont mi-catholiques
mi-musulmanes : deux frères, séparés devant Dieu, s’en
vont bras dessus bras dessous jusqu’à la porte de l’église ou
de la mosquée, et là chacun prend le côté de ses préfé
rences. On se retrouve à la fin de l’office, aussi fraternel
lement unis. L’imam de Porto-Novo lui-même, Al-hadj
Mohammed Laxvani, ne craint pas, et on lui en a fait re
proche parmi les siens, d’accompagner ses amis catho
liques jusqu’aux portes de l’église et jusque dans le jardin
de la mission, et d ’y entamer des conversations avec les
Pères.
Les enterrements sont suivis par toute la population
oisive, quelle que soit la forme religieuse exhibée. M usul
mans et chrétiens courent même, sans façon, derrière le
cercueil fétichiste, à parois latérales vitrées, qu’on tran s
porte au galop à travers les rues de la ville et où on voit le
cadavre sauter et se trémousser au milieu des grelots et des
clochettes. C’est, dit-on, par l’effet de la joie qu’il éprouve,
ayant terminé heureusement sa vie, d’aller retrouver ses
ancêtres.
Mais le plus beau phénomène du genre, sinon le plus
important, est la grande fête annuelle du séminaire de fé
ticheurs d’Ajarra, près de Porto-Novo, qui coïncide avec
une fête locale chrétienne de Porto-Novo même (début de
LE BAS DAHOMEY
35
l’année). Un grand pèlerinage catholique se rend par train
spécial à Adjarra, dès le matin, et alors on voit dans l’im
mense cour de la mission locale la procession suivante,
tout à fait inouïe : en tête, les enfants de Marie avec leurs
bannières bleues et leurs figures angéliques marchent aussi
gravement que le permet l’irrésistible besoin de bamboula
qui les agite ; à la suite, tels des démons conduisant des
anges, une troupedeséminaristes-féticheurs, les uns recou
verts de leurs horribles masques, les autres, sans masques,
mais les remplaçant avantageusement par leurs grimaces
et contorsions, tous couvant de l’œil, malgré leurs airs
égarés, le baril de tafia qui s’avance processionnellement,
porté comme l’arche sainte au milieu du groupe ; à la
suite, une musique de foire à saxophones, trombones à
coulisse, et pistons, s’avance et piétine au pas cadencé, et
met la note gaie et bruyante. Quand les joues sont dégonflées,
on s’aperçoit que les braves musiciens sont les meilleurs
souffleurs de la bienveillante mission protestante. Les ma
rabouts, très dignes, la tête enveloppée des énormes tur
bans des grands jours, suivent la musique en égrenant
leur chapelet. Derrière eux, les bouffons brasilo-Iusitaniens, dans des tenues hétéroclites, allant de la redingote
en soie et du huit-reflets, au pyjama rose et aux pantoufles
de tapisserie, se livrent à leurs pitreries accoutumées en
chantant l’air en vogue : « Carolina, Carolina. » La foule
innombrable suit le mouvement : sexes, âges, et religions
confondus.
Sous la véranda, les autorités regardent avec sympathie
le défilé et offrent elles-mêmes un spectacle d’union sacrée
non moins édifiant. Il y a d’abord les Pères et Sœurs,
maîtres de céans ; leurs invités et voisins immédiats, les
chefs, professeurs, prêtres-féticheurs, puis les visiteurs
blancs de Porto-Novo, de toutes églises et de toutes loges,
et enfin les invités noirs : roi ou chef supérieur, ou son dé
légué, roi de la nuit, etc., en tenues d’amiraux suisses,
36
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
doublés de deux ou trois marabouts, imams et cheikhs, la
fleur de l'islam local.
Cette fête d’Adjarra est le symbole de la société du bas
Dahomey.
Les mosquées sont de grandes cases en terres de barre,
recouvertes soit de chaume, dans les villes, de tôle ondulée.
Les plus belles sont entourées d’une véranda spacieuse, de
briques ou de terres de barre, couverte aussi, et fort agréable.
A l’intérieur, le sol bien damé est quelquefois recouvert de
nattes. Mais en général chaque fidèle apporte avec lui sa
petite peau de chèvre ou de mouton.
Le mihrab est généralement bien situé. 11 se signale par
une protubérance dans la paroi du mur.
La chaire consiste en une petite plate-forme à laquelle on
accède par 2 ou 4 marches.
11 n’y a pas toujours d’eau pour les ablutions. A Cotonou,
par exemple, à Ouidah, on n’y a pas pensé, et chacun est
censé les faire chez lui, ou doit apporter sa petite théière.
Ailleurs, l'imam vigilant a fait placer un canari plein
d’eau dans un coin de la cour.
Par suite delà juxtaposition dans toutes les villes de la
côte de deux groupements musulmans, l’un Nago, l’autre
Haoussa, l’on trouve, la plupart du temps, deux mosquées
dans chaque ville, qui possède une communauté musul
mane: une mosquée pour les Haoussa, une mosquée pour
les Nago. Les difficultés qui fleurissent à Lagos et à PortoNovo, et qui n ’ont pu être résolues que par le principe de la
séparation complète et de la double mosquée-cathédrale,
ont été réglées plus facilement partout ailleurs. Conformé
ment à la loi islamique, il n ’y a qu’une seule mosquéecathédrale, c’est-à-dire une seule mosquée où la prière
solennelle de la mi-journée du vendredi soit célébrée avec
pompe dansla même ville. Chaque communauté est arrivée
LE BAS DAHOMEY
37
par des moyens différents à cette conclusion, heureuse par
son orthodoxie, et nécessaire pour la sécurité publique.
La mosquée est dite en nago « massalachi » et en
Haoussa « massajidi », termes qui dérivent évidemment du
« masjid » arabe.
Il n’y a rien de spécial à dire sur les fêles religieuses isla
miques. Elles sont célébrées ici avec l’appareil accoutumé
de réjouissances, tam-tams, festins, beuveries, toilettes et
parures, que j’ai maintes fois décrit pour les populations
noires de l’A. O. F. Elles n ’offrent rien de spécial dans le
bas Dahomey.
11 n’y a généralement pas de cimetières musulmans dans
le bas et le moyen Dahomey. Les individus, attachés à la
loi du prophète, Nago et Haoussa, continuent à suivre sur
ce point les errements fétichistes des races auxquelles ils
appartiennent, c’est-à-dire qu’ils enterrent les morts dans
les cases.
A Porto-Novo, seulement, ville plus évoluée, il y a un
cimetière musulman, doté d’un mausolée central, fort
coquet. Le cimetière est entouré d’un mur et fermé à
clef.
A Cotonou, les musulmans ont un quartier spécial dans
le cimetière communal.
Partout c’est l’inhumation privée. La tentative, faite par
les musulmans d’Abomey pour se créer un cimetière, est
demeurée infructueuse, à la suite des attentats des popula
tions locales qui allaient, la nuit, enlever les crânes des ca
davres pour la confection des fétiches.
11 est d’usage de ramener, toujours, les défunts dans leurs
villages pour y être inhumés. Cependant les commerçants
voyageurs n’ont pas toujours la chance de finir leurs jours
3S
ÉT UD ES SU R L'iSLAM A U
DAHOMEY
dans leur case. En ce cas, on inhum e le cadavre su r place,
non toutefois sans lui avoir coupé des ongles et des m èches
de cheveux et de barbe. Ces débris représentatifs seront
rapportés à son village et enterrés dans la case, à la place
que leur propriétaire aurait dû occuper.
Profitons de l’occasion pour faire justice de cette légende
qui court les milieux du bas Dahomey, tant fétichistes que
chrétiens, et qui était déjà signalée à l’abbé Pierre Bouche
en 1866. « Les musulmans dans ces contrées ont un moyen
expéditif d’abréger l’agonie des leurs : ils leur p lan ten t le
couteau dans la gorge, car un croyant ne doit pas paraître
devant Mahomet dans les transes de l'agonie. » Rien n ’est
plus faux. C’est évidem m ent le mode sacrificiel des bêtes de
boucherie, destinées à l’alim entation des m usulm ans, qui
a donné lieu aces ridicules histoires.
La circoncision est, bien entendu, en honneur chez les
m usulm ans ; elle y est d’im portation religieuse car les
Nago fétichistes ne la pratiquent pas. Il en va de même de
l’excision des femmes, assez peu courante il est vrai. Ces
pratiques de circoncision et d’excision sont pour beaucoup
dans la répulsion que les populations d ’origine T h o u é
(Adja, Fon,H ouéda, Kpla, etc.), ainsi que les M ina (Agaïn),
professent pour l’islam. Les Nago m usulm ans sont tournés
en dérision par les fétichistes à cause de cette m utilation.
Les femmes excisées sont ridiculisées et injuriées en pleine
rue. On les considère com m e des femmes incom plètes. A
chaque instant, les Nago, hommes et femmes, s’entendent
gratifier de l’épithète m alsonnante de : « Gbo », c ’est-à-dire
«coupé». La chose va si loin que certaines vieilles fam illes
Nago, immigrées sur la côte, à Ouidah p ar exem ple, ou à
Grand-Popo, finissent par laisser tom ber cette pratique.
LE BAS DAHOMEY
39
L'enseignement islamique est assez répandu dans toutes
les communautés musulmanes du bas Dahomey, moins
sans doute parce qu’il est islamique que parce qu’il est la
«science», dont toutes ces populations sont extraordinai
rement avides.
On reste confondu de voir les foules scolaires qui se pres
sent dans les écoles de la côte. A Porto-Novo par exemple,
les écoles administratives ont 800 élèves, et les écoles con
fessionnelles au moins autant, et on refuse sans cesse du
monde. Lesécoles coraniques ont de 5oo à 600élèves. Une
centaine de ces enfants suivent à la fois les cours de l’école
française et ceux de l’école coranique.
11 en va de même à Cotonou, Ouidah, Grand-Popo, Agoué,
Allada, Abomey, Zagnanado, etc.
Ces enfants appartiennent surtout aux familles des cita
dins, mais dans les écoles régionales, on commence à voir
les populations rurales, surtout dahoméennes, venir, avec
la même ardeur sinon avec le même succès, se presser au
tour des maîtres.
Les garçons sont évidemment les plus nombreux, mais,
à la côte au moins, il y a aussi beaucoup de fillettes à
l’école coranique. Dans le moyen Dahomey au contraire :
Savalou, Savé, Tchaourou, etc., les fillettes ne fréquentent
pas l’école.
Les maîtres d’école, sauf quelques-uns, sont illettrés au
delà de toute mesure. La plus grande partie sait tout juste
lire, épelant péniblement un arabe, que d’ailleurs ils ne
comprennent pas. Leur science est toutefois suffisante pour
leur pédagogie, qui consiste à faire réciter aux enfants sur
la planchette quelques versets du Coran. H est curieux de
constater que ces maîtres sans envergure, niais d’esprit
éminemment commercial, s’ingénient souvent à apprendre
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
aux enfants la technique des caractères arabes, de façon à
leur permettre de pouvoir écrire le Haoussa, et quelque
fois aussi le Nago, qui manquent de caractères écrits. Par
la suite, ces enfants, devenus commerçants a leur tour,
disposent d’un moyen assez pratique de correspondance,
de comptabilité, etc.
Le maître d’école est dit ici: «alfa », abréviation, comme
on sait, d’al-fahim « le docte », ou d’al-faqih « le juriste »,
à moins que ce titre ne soit une corruption d’arfan, mot
Mandé qui signifie « chef, maître ».
Le « lettré, le savant » est dit « kéhoumi », de « kého »
lire.
Le musulman,dans toutes les langues du bas Dahomey
est dit» malé (t) », terme qui paraît être une corruption
du titre de « mala », que se donnent ici les marabouts
Haoussa, par abréviation de « mallani ». On sait que dans
toute la Nigéria et au territoire de Zinder, « Mallani » si
gnifie «docteur, professeur» (du vocablearabe« maallem,
meallim), et que ce titre est arboré par tout lettré qui se
respecte.
On pourrait signaler bien d'autres preuves de l’influence
arabe dans le vocabulaire des peuples Haoussa et Nago is
lamisés, et notamment dans la terminologie religieuse et
dans l ’onomastique humaine. Ces deux domaines sont
complètement arabisés et islamisés, mais il faut parfois de
la subtilité pour découvrir ces origines lointaines, tant les
déformations et altérations sont constantes et profondes.
Les écoles sont installées dans des cours, des hangars ou
ou apatams. des écuries, ou dans des chambres "basses,
sa es, et mal ventilées. Elles ne comportent aucune installa
tion spéciale.
Je n ai pas \u dans le bas Dahomey une seule femme,
manresse d’école coranique.
L® rhogr«pbt en *
'
V o ir n o t a m m e n t D e s M a r c h a is .
CODSer,<' l « q u à n o s j o u r s . C fr . v o l . L U I , p . 3 5 . .
LE BAS DAHOMEY
4‘
L’enseignement supérieur n’est représenté sérieusement
qu’à Porto-i\ovo, où une vingtaine de jeunes gens étudient
un peu de Rissala, deTohfa, de Lakhdari, et de Dalail alKhaïrat (i). Ailleurs, à Cotonou et à Ouidah, trois ou quatre
adolescents perdent leur temps à faire semblant de lire ces
ouvrages, que ni eux ni leur maître ne comprennent.
Voici les statistiques, aussi serrées que possible, des écoles
maraboutiques et de leur clientèle enfantine dans le bas
Dahomey.
Cercle de Porto-Novo .
Cercle de Cotonou . . .
Cercle de Ouidah . . . .
Cercle de M o n o ............
Cercle d’Allada . . . .
Cercle d’Abomey . . .
Cercle de Zagnanado .
Cercle de Savé.............
Cercle de Savalou . . .
T otal . . . .
20 écoles . 55o élèves
4 — • • Co —
5 — . . 5o —
5o —
7 —
3o —
3 — .
5o —
4 —
6 —
40 —
9 —
90 —
1 —
5 —
5q écoles
925 élèves
Si à ce chiffre on ajoute g5 écoles et 975 élèves que
donnent les statistiques du haut Dahomey, on obtient pour
l’ensemble de la colonie i5q écoles et 1.900 élèves.
Les ouvrages arabes sont assez répandus dans les bou
tiques des musulmans, ou les bibliothèques des marabouts.
Ils arrivent d Orient ou d Alger (Kaddour Roudoci) ou de
Tunis (Mohammed Lamin), par Cotonou, mais aussi par
Lagos, où parait s’exercer un trafic important de ce rayon
de librairie. Les Syriens ne l’ont d’ailleurs pas négligé.
Ces ouvrages relèvent de la littérature sacrée et ne présen
tent aucun intérêt spécial.
Outre les ouvrages, destinés à la vente aux noirs, les Sy
riens reçoivent, pour leur propre compte, de Beyrouth,
(1) C fr. ici c o l. X X V I I I , 93-94.
42
ÉT UD ES SU R L’ ISLAM A U
DAHOM EY
d ’Alexandrie, de New-York ou de Buenos-Aires, des jo u r
naux et volumes arabes de toute nature.
Les gravures et chromos d ’avant guerre, d ’origine alle
mande ou italienne, et qui étaient surtout im portées p ar
la frontière du Togo, n ’ont plus reparu.
Les amulettes, talismans, gri-gris m usulm ans et féti
chistes, fleurissent en abondance. Il y en a partou t et pour
tout. Retenons cette rem arque que faisait Toutée, en 1891,
à Abomey, et qui est toujours vraie, et qui com pte p o u r tout
le Dahomey et même, peut-on dire, pour tous les pays
noirs. « Les populations fétichistes ont beau accueillir la loi
du Prophète ; elles n ’en restent pas m oins croyantes à
leurs fétiches et le plus piquant, c ’est que ce sont les ap ô
tres eux-mêmes de la foi nouvelle qui procèdent à la fab ri
cation des fétiches et qui en tiren t profit. » C’est q u ’en
effet l’Islamisme (pas plus que le Judaïsm e, etc.) n ’exclut
les génies, interm édiaires surnaturels entre le C réateur et
les créatures.
11 n ’y a pas de juridiction proprem ent m usulm ane dans
le bas Dahomey, mais partout où la com m unauté m u su l
m ane est de quelque im portance, elle est représentée au sein
des tribunaux, soit de cercle, soit de subdivision, par des as
sesseurs de son statut. Ainsi est sauvegardée la règle fo n
damentale de la justice indigène en Afrique occidentale que
le statut du justiciable doit toujours être représenté dans
la composition du tribunal.
On trouvera donc des juges m usulm ans dans les trib u
naux de cercle et de subdivision de Porto-Novo (PortoNovo, Sakété, Adj<?h°n) ï de Cotonou, de O uidah, de
Mono (Grand-POpO, Bopa), d'Allada (Allada, AbomeyCalavi), de Savé, et de Savalou.
Le droit appliqué es1 droit coutum ier Nago, quelquefois
Haoussa, imprégné plus ou moins suivant les circons-
43
LE BAS DAHOMEY
tances, les juges, ou les constitutions en cause, de 1 in
fluence islamique.
Dans le domaine économique les musulmans Nago et
Haoussa ont un champ d’activité qui est le seul qu’ils
exploitent, mais qu'ils tiennent bien : le négoce. Leur acti
vité commerciale est prodigieuse dans toutes les branches
du trafic, depuis le petit colportage de village en village,
jusqu’au grand commerce de bœufs, de palmisteset d’huile
avec les puissantes firmes françaises et anglaises de la côte.
Leur activité agricole est, en revanche, à peu près nulle.
Dans plusieurs villes de la côte, et notamment à PortoNovo, les commerçants musulmans ont poursuivi pendant
plusieurs années un but qui, pour n’être pas répréhen
sible en soi, encore que les procédés employés fussent con
damnables, pouvait avoir de graves conséquences écono
miques. Us projetèrent très nettement l’accaparement des
terres à la faveur des prêts usuraires (i fr. 25 pour 9 jours),
qu’ils consentaient aux indigènes, et pour lesquels ils ré
clamaient des gages fonciers. C’était surtout chez les
commerçants et notables Yorouba que se dessina ce mou
vement à partir de 1908, et ce n’est pas seulement sur des
immeubles de rapport qu’il porta, mais plusieurs fois sur
des terrains suburbains. C’est ainsi que des palmeraies
de familles fon, que la coutume rend inaliénables, sont
passées aux mains de Nago musulmans. Sans attenter à la
liberté des transactions, il convenait pourtant de régula
riser, et même d’enrayer, jusqu’à un certain point, ce
mouvement dont la progression trop brusque pouvait de
venir inquiétante pour l’équilibre social des populations et
transformer les propriétaires en fermiers de leurs propres
biens. De nombreux avertissements furent donnés aux
indigènes. Des condamnations pour usurelurent prononcées
par les juridictions locales, dans certains cas vraiment
4
44
É T U D E S SU R L'ISLA M A U
DAHOM EY
odieux. Enfin interdiction fut faite aux chefs de village et
de q u artier d’au toriser les m utations de la p ro p riété fo n
cière entre indigènes sans passation devant l’au to rité
adm inistrative d’une convention écrite, en la form e prévue
par le décret du 2 mai 1906.
Ces diverses m esures paraissent avoir rétabli l’équilibre
et ram ené le jeu des tractations im m obilières à un chiffre
norm al.
Dans les prem ières années du siècle, alors que l’activité
com m erciale de ces colporteurs G am bari et Nago, p a r la
co n c u rre n ceq u ’elle faisait aux autochtones, n'était pas sans
causer quelque in q u iétude, le fisc, qui ne perd jam ais ses
droits, fit re m arq u er que, p ar ces déplacem ents perpétuels,
les m arc h an d s m u su lm an s échappaient au recensem ent et
p ar conséquent à l ’im pôt de capitation. Pour^ces diverses
raisons, on im posa une feuille d ’identité aux m u su lm an s
de passage, et p ar un excès de zèle, on l’étendit m êm e aux
m u su lm an s résid an t à Porto-N ovo (Décision du g o u v er
n eu r du D ahom ey en date du 12 avril 1906). Depuis ce
tem ps, on est revenu à une plus saine conception des
choses.
L ’islam isation des Haoussa et des Nago du bas D ahom ey
s’est traduite a u p o in t de pue social, p ar diverses influences
dans les dom aines de l’alim entation et du vêtem ent.
11 est certain q u e d ’une façon générale les m u su lm a n s
ont écarté de leur alim entation : les boissons alcooliques,
de toute provenance européenne, et la chair du cochon d o
m estique. L eur a 5Stinence est beaucoup m oins com plète
p o u r lesproduits in d 'g ènes •' vin de Pa,m e>ou ch a ir de s a n
glier.
Mais m êm e po ur les produits nettem ent p ro h ib és p ar
l’islam , il y a, poUr beaucoup de gens, des accom m odem ents
avec le ciel. C’était pa r exemple le cas pour A chém ou, roi
I.E BAS DAHOMEY
45
de Savé, prédécesseur du roi actuel Mamadou,et qui reçut
fort courtoisement le capitaine Toutée. « Il était musul
man, dit Toutée, et presque comme tous les noirs, mariait
sa foi nouvelle avec les principes de la plus parfaite idolâ
trie. Pourtant sa religion était assez robuste pour l’empécher de boire des liquides fermentés. II se défiait donc de
ce que je pouvais lui offrir à boire et apprit avec plaisir
que je ne prenais pas de vin. » En revanche, Achémou
mangeait fort bien du porc, et prenait part avec plaisiraux
distributions qu’en faisait l’officiera ses hommes
Par ailleurs, Mahmadou, interprète de Toutée pour les
langues haoussa, nago, bariba, fit preuve, dans le même
Savé, d’une horreur invincible pour tout ce qui de près ou
de loin touchait au cochon, tandis qu’ « il acceptait au con
traire l’eau-de-vie, dont il était censé se faire des frictions
sur la tète et par grande exception se rincer aussi la
bouche ». Ces cas se rencontrent aussi fréquemment, sans
qu’on puisse deviner quelle est la raison de ces choix entre
les diverses interdictions alimentaires musulmanes.
Dans le domaine vestimentaire, la transformation du
musulman a été bien plus complète encore. Être musulman
c’est, en quelque sorte et à la fois, avoir le droit et le de
voir de s’habiller. Chez les peuplades fétichistes, qui sont
nues ou à peu près, le désir de s’habiller, sans paraître ri
dicule aux yeux de ses compatriotes, est d’une puissante at
tirance vers l’islam.
Les musulmans portent tous la gandoura, ou tunique,
plus ou moins brodée, à manches larges et courtes, ouverte
en triangle sur le haut de la poitrine, et tombant jusqu’aux
genoux (Tobé). En outre, ils font usage d'une culotte très
large, descendant jusqu’au bas des jambes, ou s’arrêtant
aux genoux. Le pantalon est serré à la taille, au moyen d’un
cordon à coulisse, La coiffure n’est autre que l’inévitable
chéchia, bordée généralement d’un turban (Laouani). Les
jours de fête ou de cérémonie, les türbans s’enroulent
46
ÉTUDES SUR L ’ISLAM. AU
DAHOM EY
pressés et nombreux autour des tètes, se défiant les uns les
autres et témoignant de la sagesse, de la science, et des ver
tus islamiques de leurs porteurs.
Les femmes musulmanes ne se différencient pas dans
leurs vêtements de la coutume des femmes fétichistes, elles
ont la tète généralement couverte.
Les chaussures des hommes consistent généralem ent en
sandales en peau de biche ou de coba, ou en babouches
nord-africaines (saloubata). Les souliers com m encent à
faire leur apparition, au moins chez les jeunes. Les féti
chistes usent d ’ailleurs aussi de cette licence de la chaus
sure, qui était autrefois le privilège du roi et de la haute
aristocratie.
Il en va de même du parapluie, ou parasol, que les m u
sulmans arborent tous, non sans outrecuidance, dans les
rues des villes. Il est vrai que la vue d ’un grand chef le leur
fait rengainer prudemment. L'émancipation morale n ’est
pas encore complète.
Quant aux enfants, on les habille souvent de blanc, et
notamment les jours de fête et de procession, conform é
ment à celte parole du Prophète que le blanc est le m eil
leur des vêtements.
Les musulmans aiment la parure et affectent souvent,
même les jours serviles, de s’habiller avec recherche, c ’est
une tendanceque signalait déjà l ’abbé Pierre Bouche, entre
t866 et 1872, à unc époque où pourtant la prudence était
une règle absolUe pour eux.
« Les Malais (c’est-à-dire les musulmans), dit-il, aim ent
le faste et affectcnt des airs de grandeur; presque toujours
ils ont des arrneSt particulièrement des cim eterres, ren
fermés dans dçs fourreaux en cuir colorié. Aux jours de
gala, les principaus d ’entre eux sortent sur des chevaux
richement capara<-onnés. Ils se font suivred’une nom breuse
escorte, en im p o ^n t au vulgaire par l’éclat de leur cos
tume. >
LE BAS DAHOMEY
47
On ne saurait terminer ce chapitre sans signaler les
petites infiltrations musulmanes qui se sont glissées, pour
la notation du temps, dans la société fon-dahoméenne, si
rebelle de par ailleurs à tout ce qui de près ou de loin tou
chait à l’islam.
C'est ainsi qu’à côté de la semaine traditionnelle de
5 jours, les Fon ont, depuis le miljeu du xviii* siècle, une
semaine de sept jours, incontestablement musulmane, si
l’on s’en rapporte aux noms des jours : Vodoun-gbé ; Ténigbé ; Tata-gbé ; Azan-gbé ; Lamissi-gbé ; Ahosouzan-gbé ;
Sibi-gbé. Gbé signifie en fongbé « jour » ; Vodoun « le
fétiche». Vodoun-gbé : c’est le jour du fétiche, le dimanche.
Mais téni, tata (ou talata), lamissi, sibi, sont évidemment
les termes arabes correspondants de lundi, mardi, jeudi,
samedi.
Avec ces jours s’est introduit, au moins chez les chefs,
plus cultivés, leur qualité faste ou néfaste. Elle se combine
avec la qualité faste ou néfaste des jours traditionnels du
calendrier dahoméen pour jeter le trouble ou l’espérance
dans les âmes de ces simples.
Notons enfin que l’année lunaire est connue des Daho
méens, et que la révolution des mois se présente aussi avec
un caractère faste et néfaste. Or le premier des mois
lunaires est dit néfaste pour la mise en train de tout
travail, et spécialement des travaux manuels, ce qui ne va
pas sans gène, et n’est d’ailleurs qu’à moitié suivi, quand
cette première lune coïncide avec certains travaux agrico
les. Les gens disent que cette tradition est d’origine «àlalé».
c’est-à-dire musulmane.
É T U D E S SU R L'iSLAM
4«
II. — G roupements
i.
et
A U DA HO M EY
I ndividualités islam iques .
— Cercle de Porlo-Novo.
a) Historique. — Une abondante tradition orale, et
même quelques docum ents m anuscrits, p erm ettro n t sans
doute prochainem ent à un érudit colonial de dégager les
grandes lignes de l’histoire du royaum e dahom éen de
Porto-Novo (i).
De cette trad itio n , il ressort que le fondateur de la
dynastie, T é-A gbanli, prince d ’AUada, eut pour successeurs
cinq de ses enfants, intronisés rois sous les nom s de DéH akpon, Dé-Lokpon, Dé-Houdé, Dé-Mossé et Dé-H ougni.
De ces cinq branches, deux seules ont encore des descen
dants, susceptibles de régner, le droit au trône s’éteignant,
en effet, du fait que le père n ’a pas régné : celles de DéHakpon et. de Dé-Messé. De la prem ière sont issus : DéSodji, qui régna de i85o à 1864 ; Dé-Tofïa son fils, qui
régna de 1874 à 1908 ; A djiki, u n de ses fils, qui lui succéda
sous le nom de Dé-Gbédessin et régna ju sq u ’en novem bre
1913 ; enfin Agom a, autre fils de Toffa, qui règne sous le
nom de Dé-Houdji depuis 1913. Depuis la m ort de T offa,
l’autorité française a officiellem ent substitué le titre de
« chef supérieur » à celui de roi. Mais rien n ’est changé
aux yeux des indigènes.
Dans la deuxièm e branche, celle de Dé-Messé, a régné en
dernier lieu, Dé-Mekpon (1864-1872). A la m ort de DéToffa, la descendance de Dé-Mekpon a été écartée d u trône,
contrairem ent d'ailleurs à la loi dynastique, qui veut que le
(1) Cf. le B ulletin
f A . O. F .
C om ité d'É tudcs h istoriqu es et scien tifiq u es de
(n« î, *naét ,^,1).
LE BAS DAHOMEY
49
roi soit pris successivement dans chaque branche de la
maison royale. Mais on verra plus bas pourquoi. La des
cendance de Mekpon est représentée aujourd’hui par Sohingbé, dont il est parlé plus loin.
Jusqu’àSodji, la religion musulmane est presque incon
nue dans le royaume de Porto-Novo. L’origine toute pre
mière de la communauté remonte à Dé-Tognon, père de
Dé-Mekpon et prédécesseur de Dé-Sodji. On voit bien pas
ser quelques colporteurs Nago ou Haoussa, venus de la
Nigéria, mais dans cette ambiance d ’un fétichisme si hos
tile et si hiérarchisé, ils cachent en quelque sorte leur dra
peau.
A l’avènement de Sodji, les deux courants islamiques se
dessinent déjà et vont s’accentuer de plus en plus. D’une
part, les migrations Nago et Haoussa vont croître d’impor
tance. D’autre part, dès l'année précédente même, José
Paraiso, de retour de sa captivité du Brésil, a mis le pied
sur la côte des Esclaves et de nombreux compagnons le
suivront.
Nous allons voir tour à tour chacun de ces courants.
Sous la souveraineté du roi Sodji, alors que les Euro
péens s’établissaient à Porto-Novo et que la France signait
le traité de protectorat de 1863, le pays devint relativement
calme. Les Nago, chassés de leurs villages à la suite des
rivalités intestines, et ceux qui se livraient au commerce,
se fixèrent à Porto-Novo, où ils étaient assurés désormais
de la sécurité. Les colporteurs Haoussa arrivaient du nord
à leur suite.
Avec ces migrations, le nombre des musulmans s’accrois
sait progressivement. Quand arrivaient les heures saintes,
ils se réunissaient soit en plein air, soit sous un apatam ou
dans une case, pour prier en commun. Ils choisissaient un
chef parmi les plus instruits en arabe et le plus âgés, et le
mettait devant eux pendant le salam. Le premier chef ainsi
désigné fut un Haoussa : Seïdou (vers i85o).
5o
ÉTUD ES SU R L’iSLAM AU DAHOMEY
Les fétichistes du pays insinuaient que cette religion
n ’était qu’un nouveau fétiche, venu de la Nigeria, et q u ’il
n'y avait pas lieu de l’adopter. Cependant, le roi et un
grand nombre d’habitants s’intéressaient au nouveau
culte.
C’est à Ouézouméque fut construite la première mosquée
de quartier.
Depuis le temps où l’islam a pris un réel développement
dans le royaume de Porto-Novo, il était d’usage que le roi
régnant possédât un « alfa », qui récitât des prières à son
intention, tous les jours, et surtout les vendredis.
C’est cet alfa qui confectionnait au roi des amulettes, et
des gris-gris, mi-fétichistes, mi-islamiques, pour am éliorer
son bien -être, pour asseoir la tranquillité du pays, ou pour
conjurer les mauvais esprits.
L’alfa Seîdou, prince Yorouba de Oyo, fut le chapelain
de Sodji. En témoignage de reconnaissance, le roi octroya
à Seîdou un vaste terrain au quartier Akpassa, à proxi
mité de son palais, pour y construire une grande mos
quée.
Le terrain, donné à l’alfa du roi, avait été cédé p arles
prêtres fétichistes de la variole « cham pana». Il était limité
au nord par le marché, au sud par la maison W illiam
Thompson et une ruelle, qui conduit à la lagune Choki, à
l’est par le palais royal.
Cette première mosquée-diouma était très rudim entaire.
C’était une grande case rectangulaire, construite avec de la
terre de barre, et couverte en paille. Là, tous les m usul
mans de Porto-Novo, d’ailleurs peu nombreux à cette
époque, se rendaient chaque vendredi pour dire leur prière,
sous la présidencede l’alfa Seîdou, leur premier imam. L e
roi s’intéressait beaucoup à la nouvelle religion, et il visi
tait parfois la mosquée.
C'est à ce moment que se place l’arrivée de plus en plus
abondante des « créoles ».
LE BAS DAHOMEY
5l
Grâce aux traités de 1848, i863, i865 et 1888, relatifs à
l’abolition de l’esclavage, quelques esclaves de l’Amérique
du Sud libérés, revinrent dans leur pays d’origjne avec leurs
descendants.
La plupart de ceux qui débarquèrent sur la côte du Bé
nin étaient originaires de la Nigéria, et par conséquent
issus des Yorouba, ou Nago, des Haoussa, et même des
Fon.
Ces esclaves libérés, au lieu de se rendre dans leur vil
lage natal, avaient préféré s’établir sur le littoral, où ils
voyaient flotter les drapeaux des nations européennes qui
les avaient délivrés du joug de l’esclavage.
En contact avec les « Blancs », ils étaient, en effet, à
l’abri de toute oppression brutale de la part des rois indi
gènes, leurs anciens tyrans, qui avaient le droit de vie ou
de mort sur eux.
Et c’est pour cette raison que l’on rencontrait à Badagry,
à Lagos, à Sémé, à Godomey, à Ouidah, à Agoué, des
hommes qui s'intitulaient « créoles », et à qui on a gardé
ce nom, encore qu’il soit détourné ici de son sens propre.
Sous les règnes de Sodji et de Mekpon, on vit s’établira
Porto-Novo de nombreux créoles, qui rendirent par la
suite de grands services au pays, et qui furent des négo
ciants ou des artisans habiles, des diplomates éclairés.
Ces créoles se divisaient en deux groupes distincts : les
créoles chrétiens et les créoles musulmans. Malgré la diffé
rence de leur culte, ils vivaient en parfait accord, se rappe
lant qu'ils étaient de vieux compagnons de misère.
José Paraïso, que certains disent prince héritier Yorouba
de Ovo, père de l’actuel Ignacio Paraïso, et l’un des pre
miers créoles musulmans, débarqua à Badagry en janvier
i85o. Il alla ensuite s’installer à Sémé, où vivaient depuis
quelques années son ami Domingo. Là, dit-on, il reçut
plusieurs fois de son pays des émissaires qui venaient l’ap
peler pour le mettre sur le trône vacant de ses parents. 9^.
5a
ÉTUDES SUR L’ ISLAM AU DAHOMEY
clinant les honneurs, il se serait contenté de nouer des re
lations d'amitié avec le roi son cousin.
En i85i, Sodji monta sur le trône de Porto-Novo. Le
nouveau roi avait beaucoup d ’ennemis tant à l’intérieur
qu’à l’extérieur. Il chercha des alliances de toute part. A cet
effet, il pria José Paraïso de venir s’installer à Porto-Novo,
où il pouvait compter sur le secours de son cousin, roi de
Oyo, en cas d'attaque.
Le roi concéda un vaste terrain à son nouvel ami
José Paraïso, au quartier Issalé-Odo. Celui-ci forma une
nouvelle famille, et ne tarda pas à avoir une nombreuse
progéniture.
Installé à Porto-Novo, José Paraïso fit moult présents et
rendit de nombreux services au roi Sodji. Il devint son
ami et son principal conseiller (Traité de protectorat de
i863).
Nombreux furent alors les créoles qui venaient grossirla
population porto-novicnne en se plaçant sous la protection
de l’ami du roi.
Respecté et aimé par les créoles, ses protégés, José Paraïso
exerça une certaine influence sur toute la population Nago
de la ville et de la banlieue.
Il y retrouvait son cousin Scïdou, imam de Porto-Novo.
Il contribua à la conversion, ou plutôt au retour à la foi
musulmane, de la plupart de ses compatriotes qui, au
Brésil, avaient été baptisés trop sommairement pour faire
de bons chrétiens. Il défendit avec fermeté la religion m u
sulmane et ses adeptes contre la persécution des fétichistes
et de leurs prêtres jaloux.
C’est à ce moment que se forment, du fait des deux cou
rants que nous avons indiqués, les deux tendances, et par
suite les deux clans qui vont se déchirer jusqu’à l’heure ac
tuelle :
Les musulmans créoles et leurs amis d’une part ; les
musulmans locaux d ’autre part.
53
LE BAS DAHOMEY
Les premiers, disentaujourd’hui leurs défenseurs, étaient
relativement plus civilisés, plus expérimentés et plus riches;
ils contribuaient au bien-être de leurs frères non civilisés.
Ils étaient généreux et apportaient à la religion commune
leur concours moral et matériel. Ils défendaient souvent
leurs frères de race ou de religion contre les mauvais trai
tements que le roi et les princes pouvaient leur faire subir.
De plus, ils montraient un grand désintéressement dans
l’attribution des revenus de la mosquée : aumônes, dons,
zara, etc. Ils les abandonnaient aux musulmans locaux.
Les seconds, ou, comme on les appelle, les « musulmans
illettrés », étaient au début obéissants, et soumis, se lais
sant guider par leurs congénères créoles. C’est à eux que
revenaient les revenus de la mosquée.
Après la mort de Seïdou, vers 1860, le titre d'imam fut
conféré à Ousman, de la maison Afodjé. Jusqu’alors les
deux groupes de musulmans vivaient en bonne intelli
gence « parce que chaque classe savait observer son
rang ».
Quand Ousman m ourut vers 1883, deux alfa : Abdoulqadri (Bawala), père de Saroukou, alfa actuel, et Mamadou
Omaba, fils de Seïdou, oncle de l’imam actuel Lawani, se
disputèrent la dignité de chef de la communauté islamique.
Cet incident eût provoqué de graves désordres, et même
troublé la tranquillité publique, si le roi Toffa n’y avait
mis fin en désignant d’autorité Mamadou.
Après l’élection de cet imam, le calme se rétablit aussitôt
et la vie des fidèles reprit son cours normal.
C’est à cette date, vers i885, que se place la construction
de la grande mosquée du quartier Akpassa.
Le nombre des adeptes allait toujours croissant. Il arriva
un temps où la mosquée devint si exiguë qu'elle ne put
contenir ses fidèles.
L’imam Mamadou fit appel à ses gens pour l’agrandis
sement du temple. C’est alors que les musulmans créoles
*
54
ÉTUDES SUR L'ISLAM’ AU DAHOMEY
conçurent l’idée de bâtir une grande et belle mosquée, à la
mode européenne.
Cette proposition reçut l’assentiment général, et chacun
voulut y contribuer dans la mesure de ses ressources. Les
créoles recueillirent l'argent nécessaire, et firent les com
mandes en Angleterre, par l’intermédiaire des maisons
locales. La foule des illettrés fournit la main-d'œuvre ; son
alimentation fut assurée pendant cette période parla caisse
générale.
Au bout de quatorze mois de travaux, la mosquée,
grande et belle pour l’époque, était achevée. Elle fut im
médiatement inaugurée par l’imam Mamadou Seïdou (188G).
La fin de cet imamat (1899) ne présente rien de saillant
dans l'histoire de la communauté musulmane de PortoNovo. Cependant la rancune des partisans de Bawala ne
s'était pas éteinte.
Sous le pontificat de son successeur Al-hadji Moutarou
(Mokhtar) de Sokomey (1899-1909), la paix ne parut pas
troublée. Tout le monde s’était mis d’accord, en effet, sur
le nom de ce saint homme, mais les rivalités allaient se
faire jour à nouveau, avec la mort du roi Tofla (1908) et
celle de l’imam Al-hadji Moutarou (1909). De ce jour-là, le
schisme a irrémédiablement déchiré la communauté isla
mique de Porto-Novo.
Dé-Toffa, roi de Porto-Novo, mourait le 7 février 1908.
Plusieurs princes avaient des droits à la succession, entre
autres son fils, Adjikj, et Sohingbé, fils de Dé-Mokpon.
Celui-ci ne nous avait pas été sympathique. Par ses agis
sements, il nous avait contraints à rompre le traité, conclu
en i863, arec son prédécesseur. Son fils Sohingbé avait
suivi ses traditions. II avait soutenu les Dahoméens du Nord,
dans la guerre engagée contre nous et contre le roi Tofla.
Il affichait ouvertement ses sympathies anglaises, tradition
nelles dans la branche du Dé-Mossé. 11 était d’ailleurs lui-
LE BAS DAHOMEY
55
même fixé en Nigeria, dans le village frontièrede Djoffrin,
où il possède d’importantes palmeraies à cheval sur les
deux territoires.
Pour ces raisons, sa candidature fut écartée et Adjiki,
fidèle ami de la France et fils de Tofia, fut nommé roi, ou
plutôt « chef supérieur des territoires français du Bénin »,
car on profita de l’occasion pour supprimer officiellement
le titre royal, au moins dans notre style administratif. 11
prit le nom de Gbédessin. Sa nomination recueillit immé
diatement l’adhésion du parti créole, très loyaliste, et très
désireux de le montrer.
Elle chagrina, au contraire, le clan des musulmans locaux
qui avaient lié partie avec Sohingbé et en espéraient de
grands avantages. Ce groupe de musulmans se livra donc, à
la suite de Sohingbé, à une série de manifestations et d’in
trigues, qui n’eurent aucun résultat politique, puisque le
nouveau roi était nommé et bien nommé, mais elle dressa
l’un contre l’autre les deux partis musulmans, et inaugura
le conflit.
Sur ces entrefaites, l ’imam Al-hadji Moutarou décéda
(1909). Le parti des créoles était encore assez fort pour im
poser son candidat : il disposait d’ailleurs des sympathies
du roi , il fit donc élire Bissiriou, fils de l’ancien imam
Mamadou.
Bissiriou, que nous verrons plus loin, eut un pontificat
des plus agités ; la construction de la nouvelle grande
mosquée venait d ’ètre décidée : c’est le signal, et ce sera
l’occasion des polémiques acerbes qui durent toujours.
L’année 1913 voit m ourir à la fois le roi Gbédessin et
l’imam Bissiriou.
Sohingbé, accouru aussitôt deNigéria pour poser sa can
didature, se vit écarter de nouveau. Agoma, fils de Tofia et
frère du précédent, était installé sur le trône sous le nom
de Dé-Houdji. On put alors assister à Porto-Novo à des
manifestations d ’indiscipline sans précédent de la part de
56
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAH0MEV
Sohingbé et de scs partisans, dont bien entendu la fraction
musulmane locale des Nago Porto-Noviens.
Sohingbé fut arrêté. Quelques heures plus tard, il fai
sait parvenir des excuses, au gouverneur, « regrettant,
disait-il, d'avoir ressuscité une question déjà réglée ». Il
promettait de se tenir désormais à l’écart de toute manifes
tation et demandait à rentrer chez lui, à Djoffrin, pour y
vivre en simple particulier. On accéda à ses instances et il
fut reconduit à la frontière. L'affaire n’eut pas de suites.
Quant à l’imam Bissiriou, il eut pour successeur, Qassoumou, son vicaire (naïbi), vieux maître d’école effacé,
qui essaya de jouer tant bien que mal un jeu de bascule
entre les deux partis, et qui, créature des créoles et de Paraiso au début, finit par se laisser capter par le clan op
posé. Il est mort en juin 1920.
b) Schismes de la communauté musulmane. — Dans le
cadre historique, esquissé ci-dessus, nous allons essayer de
tracer l’exposé des schismes qui déchirent la communauté
musulmane de Porto-Novo, entravent son développement
et finissent par lui enlever tout prestige.
On en a vu plus haut les origines lointaines. Aujourd'hui
les jalousies, les compétitions et les haines ont atteint un
degré qu’on ne soupçonne pas. Ce schisme, dans l’état ac
tuel des choses, est irréductible, et comme pour tous les
schismes, il n’y a de paix possible que si chacun reste chez
soi et que si toute contrainte, réciproque ou extérieure, est
écartée.
Un vieux marabout de Ouidah, interrogé sur ces riva
lités. faisait une réponse qui est pleine de sagesse : « Il n’y
a rien à faire à Porto-Novo. Il en a toujours été ainsi. Ils
sont en république, et chacun veut profiter de la place à
son tour. Il n’y a qu’à les laisser tranquilles. »
Deux faits: la construction de la nouvelle mosquéecathédrale (diouma), dont le début remonte à dix ans, et la
LE BAS DAHOMEY
5/
succession de l’imam Qassoumou, ont mis le feu aux
poudres, provoqué un classement définitif des partis, et
partagé irréductiblementcette communauté en deux groupes
que, pour la commoditédudiscours, on peut appeler groupe
Paraïso, groupe Mouteirou, du nom de leurs véritables
chefs.
Les chefs religieux : imam Lawani pour le premier, Alfa
Saroukou pour le second, ne sont que des figurants.
Depuis 1911, année où plusieurs jeunes gens étaient re
venus très excités d ’Orient, et décidés à faire prévaloir une
politique active de l’islam chez les fétichistes dahoméens,
la lutte avait commencé ouvertement. Le parti des jeunes,
si on peut dire, car il comprend les plus vieilles barbes lo
cales, trouvait trop tiède la croyance des créoles, trop som
nolente leur pratique, trop peu conformes à l’islam leurs
moeurs et leur vie, trop libérale leur attitude vis-à-vis de
l’administration.
La construction de la mosquée-diouma venait d’ètre dé
cidée. Les jeunes essayèrent de supplanter du premier coup
« les créoles » dans la direction des affaires, en soulevant
une querelle au sujet de cette mosquée. Ils accusèrent Pa
raïso d’avoir dilapidé les fonds qui lui avaient été confiés.
N’arrivant pas à ses fins par ce procédé, le parti démasqua
davantage ses intentions, en demandant à l’autorité fran
çaise de nommer un chef des musulmans.
L’homme proposé pour cette dignité était Bakari, beaupère d’un des chefs les plus actifs du parti jeune musul
man, Mouteiro Soulé, et ancien délégué de Toffa dans
l’Ouémê, fonctions dans l'exercice desquelles il montra la
mesure de sa rapacité et de sa duplicité. La demande de
nomination d’un chef des musulmans était basée sur ce
que cet emploi existait autrefois. Au temps de Sodji, père
de Toffa, un chef des musulmans fut, en effet, désigné ;
l’islam commençait à s’infiltrer alors à Porto-Novo ; ses
adeptes étaient groupés dans un seul quartier, et il leurfal-
5S
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
lait un homme responsable auprès de l’autorité supérieure
du pays. Mais aujourd’hui la situation était tout autre. Les
musulmans sont disséminés dans tous les quartiers de la
ville. Ces quartiers ont des chefs choisis sans distinction de
religion, ou plutôt sans qu’on ait cherché en eux d'autres
qualités que celle de notables, autochtones, compétents, et
responsables auprès du chef supérieur et de nous-mêmes.
Accéder au désir des jeunes musulmans équivalait à recon
naître une situation politique à un groupement religieux,
composé en général d ’éléments étrangers. Le parti des
« Hadji » subit donc un second échec.
11 ne se tint pas pour battu et, dans le mois de no
vembre 1913, il émit une nouvelle prétention, celle d'avoir
un imam à lui et dese séparer nettement des anciens. Cette
prétention fut rejetée. La mort de l’imam en fonctions fit
revivre la querelle peu après. D’accord avec l’autorité fran
çaise, le chef supérieur intervint, comme il en avait le
droit. Il put faire admettre par tous un seul imam choisi
parmi les vieux musulmans, mais les deux clans restèrent
partagés sur le choix d'un naïbi ou adjoint au grand prêtre.
Le parti des hadji désirait pour celte dignité le nommé Saroukou, qui est précisément celui q u ’il voulait à sa tète,au
moment où il avait essayé de rompre avec les anciens.
Ceux-ci prétendaient qu’il n'y avait pas nécessité immédiate
à la nomination d'un nouvel adjoint au nouvel imam, l’ad
joint de l’ancien existant encore.
La situation dura ainsi plusieurs années (1910-1917) et
non parfois sans conflit. Il était évident que, sous ce calme
apparent, ni les uns ni les autres n ’abdiquaient leurs pré
tentions. Le 27 avril 1915, le groupe Mouteïrou marque un
point. Bakari, son chef, beau-père de Mouteïrou, vient de
mourir. On lui fait des funérailles grandioses, auxquelles
assistent le Résident et le représentant du Gouverneur. Et
tout le parti d’exploiteraussitôtàson avantage ces marques
de sympathie.
59
LE BAS DAHOMEY
En 1917, la scission s aggrave encore. Jusque-là le vieil
imam Qassoumou était resté soumis aux directions de
Paraïso. Celui-ci, soutenu par l’administration, à qui il a
donné, depuis trente ans, des gages nombreux de son loya
lisme, et d’autre part maître en sous-main par l’imam de
l’administration religieuse, avait régenté à sa guise ses co
religionnaires. Les choses n’en allaient d’ailleurs pas plus
mal.
A partir de cette date, les réclamations se font jour avec
véhémence. On reproche à Paraïso son absolutisme. Le
défaut d’équilibre de sa position islamique, sa tiédeur reli
gieuse, sa vie, ses mœurs sociales, et ses fréquentations
créoles-portugaises à base européenne et chrétienne n’ins
piraient plus confiance depuis longtemps à ces musulmans
peu lettrés, mais fervents. De plus, plusieurs de ses fils,
et notamment l’aîné, sont revenus au catholicisme. Aussi
écrivaient-ils : « Nous rencontrons des difficultés dans
l’exercice de notre culte. L’imam est devenu le subor
donné de AI. Ignacio Paraïso. Nous protestons contre tous
agissements tendant à nous discréditer auprès des autorités,
et à modifier nos coutumes religieuses. AI. Paraïso n’est ni
imam, ni sériki, etaucune fonction, comme musulman, ne
lui a été conférée, ni reconnue par nous. Nous ne pouvons
non plus lui reconnaître sur nous une autorité quelconque,
car c’est lui quia provoqué les dissensions actuelles...
« M. Ignacio Paraïso n’a au surplus aucune instruction,
ni des connaissances religieuses supérieures ni suffisantes
à nous imposer. Il n’est que catholique converti, et ne peut
revendiquer, comme nous, d'être de souche musulmane.
C’est d’ailleurs notre uléma, déjà cité ici, qui lui a imposé,
à sa conversion, le nom de Soulé Paraïso, qu’il porte dans
notre religion.
« Nous demandons à Monsieur le gouverneur de vouloir
bien nous délivrer de la terreur que sème M. Paraïso par
son influence parmi les vrais adeptes de l’islam... »
5
6o
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
En même temps, les dissidents, n’acceptent plus la di
rection administrative de Paraïso sur la com m unauté m u
sulmane, se nommaient un chef particulier, dont il estm alaisé de définir les fonctions. Ce ne pouvait être un chef
politique, puisqu’ils dépendent et ne peuvent dépendre que
de Houdji, roi du pays, et de ses représentants : chefs de
cantons et de quartiers. C’était en quelque sorte le repré
sentant général des intérêts matériels des m usulm ans, le
président temporel de leur synode, le « seriki al-moussoulimin ». Seriki est un terme Haoussa et Nago, qui corres
pond à amirou, émir. Ce sériki fut Aïbouki Adéromou, un
des plus violents adversaires de Paraïso, et aujourd’hui
décédé.
Paraïso cherchait à parer le coup en accusant les dissi
dents, auprès du Gouverneur (22 juin 1917), de s’arroger
le droit « d'expliquer le Coran à la mosquée générale, sans
consentement et avis préalable de l’imam ». II ajoutait
adroitement : « Si on ne met pas un frein à ces agissements,
il y a lieu de craindre une très grande sédition de gravité.
C’est un devoir de vous mettre au courant de tous ces
mouvements pour prévenir l’imprévu, car ces gens cher
chent, depuis plusieurs années, à créer des difficultés en
refusant tous les bons conseils qui leur ont été adressés par
les autorités supérieures, en voulant s’arroger par euxmêmes des droits où ils sont incompétents, et continuer à
pratiquer l’islam d’une manière illicite, en m aintenant la
mauvaise tradition que la routine leur a conservée. »
Ce n’était vrai que très partiellement. En effet, les diffi
cultés n'étaient pas pour l'administration, mais pour
Paraïso, qui essayait de se couvrir derrière elle. Quant à
l'orthodoxie des dissidents, elle est évidemment douteuse,
mais celle de Paraïso l’était-elle moins ?
Au surplus, les dissidents augmentaient de jour en jour,
et déjà le vieil imam Qassoumou, sa principale force, lui
échappait. 11 ne rompait pas ouvertement avec Paraïso,
LE BAS DAHOMEY
6l
mais se renfermant chez lui donnait à tous l’impression
qu’il avait repris sa liberté. Quant à son fils, Alfa Mamadou Bello, il passait ouvertement au clan Moutéirou.
Le groupement Mouteïrou est beaucoup plus nombreux
que l’autre. Il a pour lui les vieilles barbes de l’islam, peu
lettrées, mais fort vénérées ; il renferme aussi plusieurs
Hadji. Il représente, à tort ou à raison, l’esprit islamique,
tel que le comprennent les sociétés noires. Ses chefs sont
incontestablement dans la tradition et dans l’ambiance
africaines. Ils le savent et ils veulent rester tels. Son chef
religieux, Alfa Saroukou, esta peu près illettré, ce qui lui
vaut l’hostilité de l’autre parti, qui estime qu’à ce degré
d’ignorance, il n’est pas permis de présider la prière et de
faire un prône, mais il est en revanche considéré comme
un saint homme.
Ce parti Mouteïrou a contre lui d’être inféodé, par ses
origines et par son alfiliation mystique, aux races et con
fréries de la Nigéria anglaise ; et il a montré, par diverses
manifestations pendant la guerre, qu’il était de tendances
anglaises.
C’est ainsi que, le 22 août 1916, on vit apparaître sur la
place Jean-Bayol, au milieu d’un grand concours de foule
un cortège de 120 jeunes Nago, uniformément vêtus de
boubous blancs et de bonnets verts, et tenant en main de
petits drapeaux britanniques. Ils se livrèrent à des chants
et à des danses devant l’hôtel du Gouvernement de la colo
nie, en entrecoupant leurs ébats de cris répétés : « Vive
l’Angleterre. » La manifestation n’avait rien de subversif,
même avec les réflexions que certains ne craignaient pas
d’émettre à haute voix, telles que celle-ci : « Le drapeau
anglais sera ici dans six mois ». Elle était simplement de
mauvais goût, et c'est ce qu’on fit comprendre, sans plus,
à Mouteïrou et aux autres organisateurs de la fête. En fin
de compte tout cela est fort anodin et nous n’avons même
pas besoin de savoir, en fiche de consolation, que les mé-
62
ÉTUDES SUR l ' is l a m
AU DAHOM EY
contents de Lagos crient à leur tour de temps en temps :
« Vive la France. »
En fait d’attaches proprement françaises, le parti Mouteïrou n ’a pour lui que d ’être affilié à des associations indigénophiles de Paris. C’était jadis la « Ligue des droits de
l’homme », qui, après des incidents fâcheux, dut dissoudre
sa section de Porto-Novo; c’est aujourd’hui le « comité
franco-musulman » dont la bonne foi est souvent surprise
par les lettres anonymes des petits fonctionnaires indi
gènes, tarés et révoqués, qui s’abritent derrière l’islam. On
peut lui reprocher enfin de tenter, suivant en cela la cou
tume des communautés musulmanes établies en pays féti
chistes ; de tenter, dis-je, d’échapper à l’autorité du chef
supérieur local. Ses adeptes en parlent avec une indiffé
rence et même avec un dédain non déguisés. Comme
on leur reprochait de l’ignorer, l’un d ’eux répondit : « La
question ne compte pas. Le roi sera avec nous, quand nous
le voudrons. » 11 est certain que la fortune du groupe et les
moeurs du pays le leur perm ettent facilement.
A toutes ces causes de dissensions, il faut en joindre une
autre, laprincipale peut-être : des rivalités familiales fort a n
ciennes. Lepèrede Paraïsoet lepèredeS aroukouontétédes
ennemis acharnés et cette haine a subsisté entre les enfants.
D’autre part, Mouteïrou, gendre de Paraïso, a lâché son
beau-père pour des causes diverses, et se trouve m aintenant
le principal champion de Saroukou. Ce n ’est donc pas une
simple animosité qui dresse l’un contre l’autre ces deux
groupes. C’est une irréductibilité parfaite et sans solution.
Or l’imam Qassoumou, malade depuis longtemps, était
devenu tout à fait impotent en fin mai 1920. L’explosion
se produisit, le vendredi 4 juin 1920, à la prière solen
nelle.
Ce jour-là, pour la première fois, l’imam n’avait pas pu
venir à la mosquée, et Mouteïrou désigna pour le rempla-
LE BAS DAHOMEY
63
cer son homme, Alfa Saroukou, à qui d’ailleurs l’imam
avait remis ses livres de prière. Le clan Paraïso n’accepta
pas la présidence de « l’illettré » Saroukou. On commença
par des insultes et des menaces ; on finit par des coups.
Paraïso en personne, en habit blanc et caoutchouc, mais la
tête enveloppée d’un turban, dirigeait l’opposition. 11 s’en
prit aux récadères du chef eux-mêmes, quand ceux-ci arri
vèrent pour rétablir l’ordre. Un de ses fils giflait un adver
saire, qui se défendit à coups de briques. S’il n’y eut pas
de coups de feu, comme on le prétendit par la suite, le
saint lieu n’en fut pas moins profané par une bagarre à coups
de bâton et de marteau ; et des revolvers furent brandis
dans le groupe Paraïso.
L’incident s'étant produit dans une propriété privée et
l’intervention des récadères du chef supérieur ayant suffi à
ramener le calme, la police n’eut pas à en connaître. Mais
ni l’arbitrage du roi Houdji, ni les palabres qui se succédè
rent, ce jour-là et les jours suivants, à la Résidence et au
Gouvernement ne purent ramener la concorde.
Pour éviter le retour des incidents du 4 juin, l’accès de
la mosquéefut interdit le vendredi suivant. Les rameauxde
palmes, croisés en travers de la porte par ordre du roi, in
diquèrent, suivant la tradition, que cet immeuble était mis
provisoirement sous séquestre. Vers midi, de petits groupes
de musulmans passèrent silencieusement devant l'édifice,
qui ressemble d’ailleurs beaucoup moins à un temple qu'à
un chantier de travaux publics. Ils en firent le tour et s'é
loignèrent, quand ils eurent constaté la présence des palmes
sur les portes.
Quelques jours plus tard (i5 juin), laissant en suspens
la nomination définitive de son successeur, l’imam Qassoumou désignait pour le remplacer provisoirement son frère
Bouraïsa Saïdou. Cette nomination, qui n ’engageait pas
l’avenir, fut acceptée par tout le monde, qui espérait tirer
parti de la situation.
64
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
Malheureusement, sur ces entrefaites, le 19 juin, « notre
éyèque », comme disent les gens de Mouteïrou, ou encore
« Limamou », c’est-à-dire l’imam Qassoumou, décédait. La
question de son remplacement se reposa aussitôt, et cette
fois inéluctable, et plus aiguë que jamais. La scission s'ac
centua immédiatement entre les deux partis.
Chacun des groupes rivaux fit surgir les candidatures
les plus inattendues. Pour mettre fin à cette incertitude et
indiquer à la population musulmane les seuls éléments qui
par leurs connaissances pouvaient prétendre à l'imamat, le
Gouverneur voulut profiter de la présence d’un fonction
naire arabisant, de passage à Porto-Novo, pour faire exa
miner devant un délégué du chef supérieur la valeur
intellectuelle et professionnelle de chaque candidat. Vingttrois marabouts se présentèrent et demandèrent à être sou
mis à cette sorte d’examen (4 juillet 1920). C’étaient les
nommés : Aboudou Bamanou ; Hosseni Djedje; AlaroGuisva;
Belo Guiwa ; Akadiri Guiwa; Lawani Guiwa; Amoussou
Hamzat; Hadji Mohammed Lawani ; Alfa Mohammed
Bello ; Ibrahima ; Soumanou ; Badarou ; Hadji Badamassi ; Hadji Mouteiro ; Badarou Soulé ; Amoussa; Sou
manou Seriki ; Bakari Ladjouan; Alfa Ali; Alfa Souroukou ; Ali ; Alao Fari ; Sanni Adechi. Une élimination
rapide ramena le nombre des candidats à cinq, que voici,
par ordre de valeur croissante .Amoussou Hamzat, né
vers t885, fils de l’ancien imam Moutarou, du quartier
Sokomé. 11 naquit au cours d ’un voyage de son père à la
Mecque.
ibrahima, fils d'un ancien imam de quartier. Déjà âgé et
presque impotent, il semble écarté de par ses infirmités.
11 remplaçait à cette date, et provisoirement, l’imam dé
cédé.
Soumanou Kafo, né vers i865, fils d'un ancien esclave.
11 est arrivé à Porto-Novo, vers 1880, et s’y est fixé. C’est
un cultivateur et un commerçant intelligent.
Pi. Il, <i. — Pomo -N ovo : Socle de prières (idi)
groupe Sfirnulcou (Palmeraie du quartier Gbè/ounpa)
1*l . Il, b. — Ab bas Ali Farsi, de Kotonou.
I
LE CAS DAHOMEY
65
A l Hadji Mohammed Lawani, né à Porto-Novo vers
1878, neveu de l’ancien imam du quartier Hassou. C’est
un propriétaire foncier.
A lfa Mohammed Bello, né vers 1882, fils de l’ancien
imam Qassoumou, défunt. C’est le plus éminent, il fait le
commerce de livres et d’amulettes.
Cette procédure ne donna pas de résultats pratiques. Le
clan Paraïso porta effectivement son choix sur deux ma
rabouts de la liste : Al Hadji Mohammed Lawani comme
imam, et Amoussou Hamzat comme adjoint. Mais le clan
Mouteïrou choisit son imam en dehors de la liste; ce fut,
bien entendu, Alfa Saroukou déjà nommé. L’adjoint (Naïbi)
fut Alfa Mamadou Bello, fils du défunt. Les difficultés ne
faisaient que commencer.
Le clan Mouteïrou écrivait à un ami le récit d’une de ces
entrevues de conciliation, à la Résidence, en un style savou
reux, dont il n’est pas inutile de donner un aperçu :
« Après ceci, monsieur le Résident nous demanda si nous
n’avions pas une fois établi son chef (pour notre cher)
l’onomastique de la partie Paraïso (le nom de la personne
présentée par le clan Paraïso). Et non fut notre réponse à
cette question, sauf la partie Paraïso elle-même, qui ré
pondit qu’elle l’avait établi chef une fois. Après tout ceci,
M. le Résident nous dit qu’il décide qu’on abandonne les
deux présents (candidats) choisis, et après, on choisira un
nouveau par l’attente des deux parties. Mais ne pouvant
contrefaire à l’ordre du chef de la religion, nous lui répon
dîmes que nous ne pouvons pas faire ainsi, car c’est le
Limamou (l’imam Qassoumou) qui commande la partie
religieuse, et c’est lui qui a choisi un homme qui lui plaît,
et que M. Paraïso n ’est chef que par l’affaire publique, et
non religieuse.
« Alors (le Résident) nous demanda de nommer les (no
tables) âgés, que nous irons voir et nous lui répondîmes :
« Limamou et ses subordonnés », et il nous répondit de ne
66
ÉTUDES SU R L'iSLAM AU DAHOMEY
plus parler de Limamou, car il est vieux, mais nous répon
dîmes à M. le Résident que c’est vrai qu’il est vieux, m ais
il parle et mange.
« A ces mots, le Résident nous dit pourquoi qu'il parle
et mange, la bête crie et mange, et c’est de même de Lim amou... »
Lawani est certainement très qualifié pour diriger la
prière des fidèles de Porto-Novo. Son titre de pèlerin, sa
science islamique incontestable, ses connaissances arabes
lui sont des titres que peu égalent dans la ville, mais il a
contre lui, aux yeux de ses adversaires, d'être l’hom m e du
clan Paraïso, c’est-à-dire celui qui ne craint pas de fré
quenter, en compagnie de son patron, les milieux euro
p é e n s, de participer à de petites fêtes intimes, où la vertu
et les prescriptions islamiques sont bien com prom ises, de
s’en aller jusqu'au porche de l’église ou dans la cour de la
mission, pour y accompagner des amis catholiques et y
discourir avec les Pères. De plus, il ne jouit pas d'une ré
putation morale parfaite. 11 aurait eu certaines aventures
féminines, où le respect dû aux liens du mariage aurait
été peu ménagé, et ce reproche est assezgrave ici, où l’im am ,
à défaut de cadi, est le conseiller technique de la justice
musulmane, le tuteur et le curateur des veuves et des
orphelins, le dépositaire de beaucoup de secrets fam iliaux.
Son concurrent Saroukou n ’a pour lui qu'une grande
honnêteté, mais il est parfaitem ent illettré et incapable de
faire le moindre prône ; son adm inistration serait certai
nement très effacée. Les lettrés du clan Paraïso étaient par
faitement résolus à empêcher la nomination d ’un im am ,
qu’ils considèrent, avec tous les égards dus à son âge et à sa
vertu, comme étant incapable de rem plir la place. Ils en
levèrent la chose par surprise. Un petit comité d’initiative
se constitua, recueillit quelques fonds, et chargea un de
ses membres. Ali, aide-médecin à l'hôpital de Porto-Novo.
de se rendre auprès du « roi » Houdji, pour lui expliquer
LE BAS DAHOMEY
67
la situation, et présenter à son agrément la nomination de
Lawani, choisi par les musulmans. C’est qu’en effet c’est
au roi du pays que, conformément à la tradition, il ap
partient dedonner l’investiture officielleà l’imam, qui joint
à ses fonctions religieuses une sorte de direction de la com
munauté islamique et, à ce titre, la représente auprès du
pouvoir public local.
Pressé par Ali et par son propre interprète, François
Houessou, Houdji qui n'était pas sans ignorer le conflit des
deux groupements musulmans, ne savait que décider. II
envoya François Houessou demander au Résident français
de Porto-Novo ce qu’il convenait de faire et si la candida
ture Lawani pouvait être retenue. Le Résident répondit
que le chef du pays devait connaître la situation et savoir
ce qu’il avait à faire. Rassuré par cette réponse, Houdji
reçut 750 francs des mains d’Ali, lui en laissa 100 pour sa
commission, convoqua les notables musulmans de la ville
et en assemblée plénière, nomma Lawani imam (10 juilet 1920); Houdji a établi pour le Résident de Porto-Novo
une sorte de procès-verbal de cette réunion. Ce document
est à citer en entier : il relate la coutume, très curieuse,
de la nomination des imams musulmans par les rois féti
chistes du Dahomey.
« J’ai convoqué, hier soir, les musulmans et les no
tables indigènes de Porto-Novo à l’effet de procéder à la
nomination d’un imam et d’un naïbi, dont leur religion
était privée depuis longtemps. La partie Al-Hadji Mouteïrou, la Paraïso et les notables de Porto-Novo étant assem
blés, je leur faisais connaître ma détermination de faire
dissoudre à jamais le divorce de sentiments et d’idées exis
tant entre eux depuis de longue date et de leur donner un
imam et un naïbi.
A ces mots, Alawo Guiwa prenait la parole en ces termes :
« Avant de nous désigner ces deux chefs, il est préfé
rable que vous raccommodiez d’abord toutes les parties.
6S
ÉTUDES SU R L ’ISLAM AU DAHOMEY
afin que le choix des nouveaux chefs puisse être approuvé
à l’unanimité des voix. »
Je répondis à ces considérations de la façon suivante :
« C’est sans doute aux fins de vous faire vivre en bonne
intelligence que je prends la résolution de vous donner
un imam et un naïbi, à qui vous devez obéissance et res
pect absolus. La partie Al Hadji Mouteïrou réplique qu’elle
me concède le droit de désigner les chefs. A ces mots,
j ’élevais la voix et appelais :
« Amoussa et Lawani; le premier élu naïbi et le second
«imam ». Alawo-Guiwa, nommé plus haut, éleva l’objection
suivante : « Nous ne voulons pas Lawani pour notre imam
«ou alorsily aura lieu d’élire deux imams, un pour chaque
« parti. » Je répondis que sous le règne de mon feu père, le
roi Toffa, il n’y a jamais eu deux imams et qu’il n’y en
aura jamais de mon temps ; et d’un ton décisif et solennel,
je déclarai Lawani l’imam, et Amoussa, naïbi, et com
mandais qu’ils lui doivent tous, tout le respect et la consi
dération dus à son rang et que les personnes faisant preuve
de rébellion contre cette nomination auront affaire avec
moi. Sur ce, la partie Al-Hadji Mouteïrou se leva et quitta
tout mon palais. En présence des parties restantes, c’està-dire de Ignacio Paraiso et des notables indigènes, je
nouais sur la tète de l'imam le turban et lui mettais des
sandales aux pieds, insigne dù à son rang, et répétais que
cette nomination est définitive et irrévocable.
« Les chefs indigènes et les notables consultés sur ma
décision font ratifiée sans aucune objection. »
Le 0 juillet, les notables du groupe Mouteïrou avaient
déjà adressé au Gouvernement la curieuse lettre suivante,
qui éclaire bien l’état d ’esprit de ces groupements musul
mans tout à fait spéciaux.
« Au nom de la majorité, formée d’élite des m usulmans
de la ville de Porto-Novo, nous soussignés : i® Aboudou
Ramanou Balogoun ; 2° Ali Saroumi ; 3® Hosseni Djedje ;
LE BAS DAHOMEY
69
4° A!ao Batcharoun ; 5» Sani Magadji; 6° Baba Guiwa ;
7° Bouraima Magadji ; 8’ Alawo Guiwa ; 9° Akadiri Guiwa;
io° Lawani Guiwa ; 11° Balo Guiwa ; 12“ Aminou Otoun ;
i30 Gbadamassi Sogbo, demeurant tous à Porto-Novo, dé
légués de la dite majorité, nous avons l’honneur de vous
exposer ce qui suit :
« Depuis plus de 14 ans, des discussions de religion exis
tent entre tous les musulmans de la ville de Porto-Novo.
Cette discussion actuellement pendante n ’a pu encore être
réglée et ne saurait être réglée tant que la majorité ne reçoit
pas entière satisfaction.
« Sans rentrer dans le détail de cette discussion, dont
vous n’ignorez pas les motifs, une question principale
vient encore dese soulever au sujet du remplacementde notre
imam, décédé récemment. Cette question purement reli
gieuse devrait être tranchée, Monsieur le Gouverneur, sui
vant nos rites que nous observons depuis un temps immé
morial. On exige aujourd’hui la capacité de la langue
arabe, pour être imam de la ville de Porto-Novo. L’his
toire ne nous a jamais appris et notre loi rituelle n’exige
pas de pareille capacité.
« La capacité, aujourd’hui réclamée par l’administration
locale, est une innovation que notre religion ne peut tolé
rer, car n’ayant jamaisété exigée depuis le commencement,
ce serait de nous contraindre, de nous tyranniser, à prendre
quelqu’un à la tète d’une association actuelle, alors que
la majorité de cette association éprouve un grand mécon
tentement, tant sur le mode de choix que sur la désigna
tion de la personne.
« Lorsque naguère nous avions créé des écoles arabes à
Porto-Novo, l’administration locale s’est empressée d’en
ordonner la fermeture immédiate, et nos enfants ont con
tinué, comme par le passé, à apprendre les prières tirées
du Coran.
« Ces prières, ou plutôt le Coran lui-même, traduit dans
"O
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
le sens de la langue Yorouba, forment la doctrine de la re
ligion musulmane de Porto-Novo ; elle est suivie par tous
nos coreligionnaires ; aucune capacité de la langue arabe
n ’est exigée de personne. Les prières que nous apprenons
et qui forment la base de notre religion, ainsi que nous
venons de dire, ne nous permettent pas de parler la langue
arabe.
« De tous les imams de Porto-Novo (il y en a 4 depuis la
prise de possession par les Français de Porto-Novo), nous
n’a vons jamais entendu parler q u ’aucun d ’eux parle l’arabe ;
il suffit, Monsieur le Gouverneur, suivant nos rites, que
celui choisi soit parfaitement au courant des prières tra
duites du Coran et avoir des antécédents irréprochables.
Quant à la langue arabe, c’est une question dégressive, de
pure convenance, son ignorance ne peut faire obstacle à la
nomination de notre chef de religion, n’étant pas prescrite
par nos lois rituelles, nous la rejetons totalement.
« Notre imam a tout fait, avant de m ourir ; il a abdiqué
en faveur d ’une personne, quia été agréée par la m ajorité;
les livres de prières d'usage ont été tenus en m ains pro
pres.
« Cette personne, le nommé Saroukou, devrait être
nommée ; la majorité élimine toute autre condition.
« Pourquoi réclamc-t on la capacité de la langue arabe,
alors que l'administration locale elle-même, interdisant
ce langage sur son territoire, avait ordonné la fermeture
des écoles arabes, que nous avons créées à Porto-Novo ?
« Notre courte explication, j’ose l’espérer, M onsieur le
Gouverneur, fera lumière sur notre genre de culte et su r nos
rites, ainsi qu’il a été défini par notre regretté Gouverneur
général, .M. Ponty, dans ses instructions en date du 22 sep
tembre 1913, sur la justice indigène. Représentation du
statut des justiciables, page 44.
«Nous sommes en présence d ’une question ou d ’une dis
cussion religieuse, dont l’intervention de l’adm inistration
LE BAS DAHOMEY
71
locale, vu l’importance, est absolument indispensable pour
y mettre le holà. Vous êtes dans notre pays, Monsieur le
Gouverneur, le représentant le plus autorisé d’un Gouver
nement de la conciliation, et qui entend respecter la
liberté de conscience; nous vous demandons donc, à l’ap
pui de votre opposition, de vouloir bien, afin de prévenir
tout conflit ultérieur, faire avérer nos dires dans un meeting
qui sera tenu au jour et à l’heure qu’il vous plaira d’indiquer.
« Nous avons à parler, nous vous supplions de nous en
tendre ! »
Quelques jours après, le 23 juillet, les mêmes treize pon
tifes se réunissaient, choisissaient leurs chefs spirituels et
informaient le Gouverneur qu’ils avaient élu : « 1° le sieur
Saroukou comme imam ; 2° le sieur Bello Qassoumou, fils
du défunt, comme sous-imam ; 3° le sieur Bello Guiwa
comme seriki.
« Ces désignations faites paisiblement ont été applaudies
par tous. »
Ces dissensions devinrent si scandaleuses que certains
fidèles finirent parse détacher des deux partis, et l’un d’eux
écrivait au Gouverneur la lettre suivante : « Mettez-vous en
garde d’une injustice qui ferait naître des scandales !
« Soyez très prudent afin de ne pas défigurer la question
politique.
« Deux parties opposées, qui veulent chacune gagner la
cause; d’un côté, l’intrigant Al Hadji Mouteïrou et ses
membres qui, pour parvenir à s’entretenir dernièrement
avec le chef de la colonie, se sont servis de l’intermédiation
de M. Viéra, le beau-cousin, gagné avec 1.100 francs.
« C’est de même que les instigateurs : Dossou prince
Toffa, Kporogan, ami de Bokassi ; Atindapa, Kpanou, qui
encouragent Al Hadji Mouteïrou ; Badarou Soulé, et con
sorts, dans l’obscurité, ont reçu 5oo francs de ces dernières
par l’intermédiaire de Kporogan, afin d’élire en liberté
Saroukou comme imam.
- 3
ÉTUDES SUR LÏSLAM AU DAHOMEY
« Qui oserait nier que le traître Houdji n’a reçu i.25ofr.
de ces dénigreurs pour maintenir le second imam et sup
primer le premier, élu par lui-même ?
« Et pourquoi donc toutes ces folles dépenses ? C’est pour
gagner la cause, pour triompher de leurs adversaires.
« De l’autre côté, c’est à l’instar d'Al Hadji Mouteïrou et
Badarou Soulé qu’Ali a payé le pourboire de 750 francs au
chef Houdji pour le choix qu’il avait fait en la personne de
Al-Hadji Lawani.
« Autant Ali et le sot Houdji seront condamnables, au
tant Al Hadji Mouteïrou, Badarou, Viéra et consorts seront
aussi condamnables et châtiés. Sinon ce ne serait plus la
justice française, mais la partie grise.
« Et soyons sûrs que la France ne tolérera jamais l’injus
tice.
«Vive la France protectrice de la religion musulmane.
« A dibi A dini
« Le neutre et juste fidèle . »
Ce fut donc un beau tapage dans le clan Mouteïrou quand
on apprit le succès du rival. On jura de ne jamais recon
naître Lawani comme imam, et on répandit le bruit que sa
nomination avait été obtenue à prix d’argent. C’est là une
affirmation excessive. Les légers dons, qui accompagnent
les actes administratifs des autorités indigènes, ne sauraient
passer pour des faits de concussion. Le parti Mouteïrou n’a
au surplus rien à reprocher à personne en cette matière ;
c’est ainsi d’ailleurs que l’autorité française le comprit, et
après quelques velléités de poursuites judiciaires, elle
renonça à soulever une nouvelle agitation et classa l’af
faire.
LE BAS DAHOMEY
73
Dès lors, les deux partis sont restés irréductiblement sur
leurs bases. Le groupe Mouteïrou a profité de ses loisirs
pour se donner une organisation intérieure fort curieuse. 11
s’est classé lui-même dans un « tchin » à la russe, ou, si
l’on veut, dans une sorte de protocole hiérarchisé, fort
curieuse, et qui est calqué manifestement sur les cours des
amirou de Kano, et de Sokoto, qui semblent avoir été pour
ces gens l’idéal des États musulmans.
Voici la liste de ces dignitaires civils dans l’ordre de
préséance. L’imam et ses naïbi restent naturellement en
dehors.
Le Seri/ii Moussoulimin, dans lequel il n’est pas difficile
de voir le « cheikh des musulmans » ; il a le titre et rem
plit les fonctions de chef civil de la communauté musul
mane ; il surveille et défend ses intérêts matériels, la repré
sente, la dirige, et préside le conseil des anciens.
Le Balogoun, que les intéressés traduisent eux-mêmes
assez plaisamment par « général ». Ce titre correspond à
peu près à « chef militaire des musulmans ». C’est une
simple réminiscence de l’âge d’or islamique. Balogoun est
un terme Yorouba, qui correspond à Haïdara en arabe sou
danais. Or, Haïdara c'est le nom classique d’Ali, le «lion
de Dieu », gendre du prophète et commandant ordinaire
des expéditions militaires du début de l’islam. Balogoun
rappelle donc le souvenir et le titre d’Ali. Il ne faut pas y
voir, comme on l’a cru un instant à Porto-Novo, le chef
militaire de la rébellion prochaine des musulmans.
Le Saroumi, C’est le premier dignitaire civil après le
seriki, en quelque sorte son adjoint, le vice-seriki.
Le Bachoroun. Il double le Saroumi. C’est le deuxième
vice-seriki.
Les A ré, ou présidents honoraires de sections.
74
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
Les Baba Egbé ou présidents effectifs de section ; les
« pères du peuple », comme on les appelle.
Le Otoun-Seriki ou assesseur de droite du chef de la
communauté.
Le Oni Seriki ou assesseur de gauche du dit seriki.
Les Guiwa, chef des dix, ou dizainiers. Il yen a plusieurs
par section ou quartier.
En réalité il ne semble pas que tous ces titres ronflants,
dont ces marabouts vaniteux s’honorent les uns les autres,
correspondent à des réalités bien définies, surtout quand
on voit que ce ne sont pas les plus influents qui occupent
les places les plus en vue et surtout quand on constate que
le personnage notoire et le vrai chef de cette communauté,
Al-Hadji Moutéirou, se tient discrètement dans l'ombre,
perdu dans la foule. 11 semble simplement que cette hiérar
chie protocolaire ait eu pour but, outre les souvenirs clas
siques d'islam ou d ’histoire qu’elle rappelle, de lier for
tement les uns aux autres tous ces marabouts et de ci
menter leur union de telle façon que, toutes les ambitions
étant satisfaites, toutes les couardises surveillées, il ne
puisse se produire aucune fissure ni scission dans le
bloc.
Il faut maintenant en revenir à la question de la grande
mosquée, deuxième occasion par où le schisme de la com
munauté musulmane s’est manifesté avec éclat.
Les origines historiques de cette mosquée ont été expo
sées plus haut. En 1906, la situation n ’avait pas changé,
sinon que les employés européens des maisons de com
merce anglaises, John Holt et John Walkden, se plaignaient
constamment des appels à la prière, lancés à la prime aube
par les muezzins, et des entraves que le voisinage de la
mosquée apportait à leur commerce. D’autre part, la mos
quée menaçait ruine.
75
LE BAS DAHOMEY
Le 2 mars 1900, une délégation des musulmans de
Porto-Novo, composée de Senhor G. AI. Lopez, de son
nom islamique Al Hadji Mohammed Mokhtar, et de
AI. Ignacio Paraïso, adressent une pétition au Gouverneur
du Dahomey en vue de l’érection d’une nouvelle grande
mosquée dans leur ville. Ils exposaient que leur mosquéediouma (quartier Akpassa), bâtie en terre de barre depuis
40 ans et couverte en tôles, menaçait ruine ; qu’en outre et
en raison du nombre de leurs coreligionnaires cette mosquée
était devenue trop petite. Ils demandaient à la colonie de
leur venir en aide.
Les musulmans de Porto-Novo étaient alors au nombre
de 3.ooo environ, et leurs écoles contenaient plusieurs cen
taines d’enfants qui, avec l’âge, venaient chaque jour gros
sir la communauté islamique.
Jugeant qu’il était politique « de montrer aux musul
mans du Dahomey que la France ne s’opposait nullement
au libre exercice de leurs politiques religieuses », le Gou
verneur proposa à Dakar de mettre une certaine somme à
leur disposition pour contribuer à l’édification de la mos
quée.
Dakar estima qu’on ne pouvait accorder cette subven
tion sans se départir de l’impartialité qu’il convient
d’observer à l’égard des différents cultes et il prescrivit de
témoigner simplement par des encouragements l’intérêt
que l’administration portait au futur temple.
La situation allait se modifier peu après du fait même
de l’autorité française.
En 1910, l'actif gouverneur intérimaire, AI. Antonetti,
traçait le plan de la ville européenne de Porto-Novo, et
était amené par les nécessités d’alignement à envisager la
suppression de la grande mosquée (quartier d’Akpassa). 11
convoqua les chefs Ignacio Paraïso et Gonzallo Lopez et
leur fit part des raisons d’utilité publique qui le contrai
gnaient à cette démolition. La communauté, chapitrée par
6
/6
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
ses chefs, finit par acquiescer à ces propositions, non toute
fois sans garder rancune à ceux que certains estim èrent
avoir été trop souples vis-à-vis du pouvoir. Et ce fut un
grief de plus à ajouter à ceux qui firent éclater la scission,
alors en germe.
11 n’y avait d'ailleurs pas grand mal à ce déplacement.
La mosquée tombait littéralement ruinée et il fallait absolu
ment la refaire de fond en comble. D’autre part, l’emplace
ment ne répondait plus aux besoins de la situation. La
ville européenne avait crû et encerclait la mosquée. Il était
sage d'abandonner cet immeuble désert et de construire
une belle et moderne mosquée dans la ville proprem ent
indigène. C’est ce qui fut fait.
La mosquée fut démolie, et le Gouvernement y fit pas
ser son avenue Doumergue. 11 donna en dédom m agement
aux musulmans dans le quartier Zinkomé, à proxim ité du
marché, un terrain d’une superficie égale à celle du terrain
exproprié (1.160 mq). Il faisait enlever à ses frais tous les
matériaux de l’ancienne bâtisse susceptibles d ’être utilisés,
et les transportait au nouvel emplacement. II y ajoutait
une subvention de 5.ooo francs, comme ouverture de la
liste de souscription.
Enfin une petite parcelle de terrain était laissée aux m u
sulmans sur l’ancien emplacement, en bordure de la
nouvelle avenue Doumergue, afin q u ’ils pussent y élever
un mausolée à la mémoire des personnes inhum ées à cet
endroit même, dans la première mosquée.
Dès mai 1911, avec les fonds de l’adm inistration, on en
tama la construction de la nouvelle mosquée au quartier
Zinkomé. Les travaux furent confiés à l’entrepreneur Pereira
et furent dirigés par Lopez et Paraïso et par l’im am .
Ceux-ci ayant fait appel à la générosité des fidèles, les
dons affluèrent de tous côtés : m usulm ans, chrétiens et
même fétichistes donnaient pour aider à la construc
tion de la mosquée.
LE BAS DAHOMEY
77
Nombreuses aussi furent les personnes charitables qui
fournirent des matériaux de construction.
D’autre part, les petites mosquées de quartier se coti
sèrent tous les vendredis.
Gonzallo Lopez était chargé de centraliser les fonds ;
il tenait le carnet où étaient inscrits les dons, et cotisations,
et notait au jour le jour les dépenses effectuées, tandis que
l’imam Bissiriou gardait la caisse.
Les travaux de construction étaient à peine commencés
que survenait un grave incident : Lopez était accusé d’avoir
prélevé sur les fonds recueillis une certaine somme, qu’il
aurait prêtée à son ami Sant’ Agata, qui se trouvait dans
quelque gêne.
Ces racontars, dont le premier auteur était Bouraima
Massé, trouvèrent quelque créance auprès des musulmans
illettrés qui étaient hostiles aux créoles.
Cette affaire fut portée devant le Résident, qui après
avoir vérifié le carnet tenu par le comptable ad hoc Lopez,
et procédé à une minutieuse enquête, reconnut l’inanité
des bruits mis en circulation sur le compte de ce der
nier.
L’incident eut tout de même pour conséquence l'aban
don total du travail par les musulmans illettrés.
Le parti Lopez-Paraïso avait continué avec persévérance
le travail, qui ne fut suspendu qu’en novembre 1912, après
20 mois d’un effort soutenu, et faute de fonds.
En février 1913, trois mois après cet arrêt du travail par
le premier groupe, leurs adversaires reprirent avec cinq
mille francs (5.000) le travail qu’ils avaient abandonné
depuis deux ans.
Ils dépensèrent en six semaines leur capital et durent à
leur tour abandonner la construction.
Au mois de septembre igi3, les partisans de LopezParaïso firent un nouvel appel à la générosité de donateurs
et reprirent le travail.
7S
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
Après plusieurs mois d’un labeur opiniâtre et de lourds
sacrifices, la construction de la mosquée arrivait presque
au terme, quand au mois de juillet 1914, le travail fut sus
pendu faute de fonds. Il restait les minarets à élever et les
murs à crépir.
C’est au cours de ces dissensions que moururent l’imam
Bissiriou et Lopez en 1914. Pendant la guerre, les choses
restèrent à l’état.
En septembre 1919, sur l’avis de quelques vieux m ara
bouts tels que : Aboudou Ramanou, Balogoun, Saroumi,
Alao Fari, etc., les musulmans du groupe Mouteïrou déci
dèrent d’achever complètement la construction de la
mosquée.
Leur décision prise ils vinrent consulter Paraïso sur le
point par lequel ils devaient commencer.
« Il reste les deux minarets à élever et les m urs à crépir,
leur répondit en substance Paraïso. Commençons d’abord par
letravail des tours et finissons par le crépissage des murs. »
La consultation dégénéra aussitôt en polémiques person
nelles.
Al Hadji Mouteïrou Soulé lui répliqua.
« Nos pères ont été commandés et dirigés par José Pa
raïso ; jusqu'à ce jour, c’est encore le fils qui nous dirige.
Nous ne voulons plus être sous sa direction. II nous a con
seillé d’élever d’abord les tours, mais nous crépirons,
qu’il veuille ou qu’il ne veuille pas. » Et ils se séparèrent
avec des injures.
Ce travail de crépissage ainsi commencé fut pour les uns
et les autres une occasion journalière d’insultes, de chants
offensants etmème de bagarres. C'était, en effet, Saroukou
qui le dirigeait, ou tout au moins qui prenait, chaque se
maine, les 1.5oo à 2.000 francs nécessaires à la paye des ou
vriers. Le groupe Paraïso supportait mal cet état de choses.
La situation demeura telle, plus ou moins fâcheuse,
jusqu'à la mort de Qassoumou et son remplacement ino
LE BAS DAHOMEY
79
piné par Al Hadji Lawani, candidat du groupe Paraïso.
Alfa Mamadou Bello, fils du défunt, s’était hâté, dès le
p rentier jour, d’apporter le fond de sa caisse, soit5.ooo francs
au Gouverneur, pour se mettre à l’abri de tout soupçon.
Et les travaux s’arrêtèrent encore un coup.
Battus en quelque sorte sur ce terrain, les tenants du clan
Mouteïrou cherchèrent à prendre leur revanche ailleurs.
Le i" août 1920, accompagnés d’un géomètre européen, ils
se rendaient à la mosquée en construction, en vue de pren
dre le plan de cet édifice et du grand champ de prière qui
l’avoisine.
A peine commençaient-ils leurs opérations qu’une délé
gation de cinq personnes arrivait sur les lieux, et au nom
de Paraïso et de son groupe faisait connaître au géomètre
que l’immeuble en question était la propriété, non de ceux
qui l'avaient commis pour en lever le plan, mais de la com
munauté musulmane tout entière. Paraïso démontrait ainsi
sa thèse: « L’emplacement dont le nommé Al-Hadji Mouteï
rou et ses amis prétendent être propriétaires, appartenait à
Al-Hadji Marcos qui l’avait disposé de la manière suivante :
« Le premier lot, le plus grand, et sur lequel est cons
truite la tour d’imam, avaitété donné par Al-Hadji .Marcos
au profil des musulmans créoles à titre de donation.
« Le second lot, le plus petit, avait été vendu par ce der
nier, pour agrandir davantage le premier lot, à tous les
musulmans de Porto-Novo, représentés en ce temps parle
seriki musulmi Bakari.
« Or, en ce temps là, l’union existait et tous les musulmans
de Porto-Novo (4.000), avaient la jouissance de ce terrain.
« Enfin le 2 août, vers midi, Al-Hadji Mouteïrou et ses
amis se sont encore rendus sur le même terrain pour le
débrousser, afin de permettre au géomètre de pouvoir faci
lement dresser le plan.
«C ’est alors que j’ai envoyé Al-Hadji Marcos, Daouda,
Salou, Cyrille et Louis Rodrigue, pour aller planter des
8o
ÉTUDES SU R LISL A M AU DAHOMEY
piquets et séparer le lot donné à titre de donation en fa
veur des créoles musulmans par Al Hadji Marcos, du lot
acheté ».
La conclusion fut que le géomètre, nesachant où entendre
raison se retira, sans rien faire
Et aujourd'hui, après les rixes à main arm ée, qui ont
été exposées plus haut, les autorités françaises et locales
ont été obligées d ’intervenir et, appliquant les règlements
sur les chantiers, d’interdire l’entrée de la bâtisse à tous
indistinctement, jusqu’à nouvel ordre.
Quant à la construction elle-même elle est suspendue.
Telle était la situation en fin janvier 1921, lors de mon
arrivée à Porto-Novo. 11 serait difficile de donner dans le
détail les diverses tentatives de conciliation qui furent
agitées et les innombrables palabres auxquelles elles donnè
rent lieu.
On en donnera le résumé, qui assurém ent est des plus
curieux et dénote que les musulmans de Porto-Novo sont
beaucoup plus soucieux de leurs rivalités que d ’orthodoxie.
Deux questions divisaient la com m unauté : l’im am , la
mosquée. On commença par l’imam.
On agita d ’abord le projet de reconnaissance par les
deux groupes réunis de l’un ou de l’autre candidat. Celui
qui serait écarté serait reconuu adjoint (naïbi) avec pro
messe de succession. Ce projet ne fut pas accepté.
On forma ensuite celui d'écarter les deux candidats
(Lawani et Saroukou) et d’élire un troisième personnage, en
l’occurrence Alfa Mamadou Bello, fils du dernier im am Qassoumou. Les deux premiers seraient reconnus commeviceimam (Naïbi) et placés sur le même pied avec tour de rôle.
Après quelques velléités d’accord, ceprojetfut encore écarté.
On projeta alors d ’alterner les services cultuels à la mos
quée, soit le même vendredi, chaque groupe présidé par
son imam opérant successivement ; soit par vendredis
alternés.
Pi. III. — Pobto-N ovo : Groupe d'Alfa Saroukou
(il tient des feuillets entre ses deux mains, au centre: Alfa Mamadou Bello est a sa droite).
LE BAS DAHOMEY
81
Ce dernier projet, accepté avec enthousiasme par les
deux groupes, fut sur le point de réussir, mais il échoua
sur la question de savoir qui commencerait le premier
vendredi. Tous deux en voulaient l’honneur, et aucun
d’eux nevouluts’en remettre au jugement d ’Allah, c’est-àdire au sort.
Bref, il fallut pour le moment renoncer à l’espoir de récon
cilier les musulmans de Porto-Novo sur la question de
l’imamat.
Celle de la mosquée fut facile à résoudre. Également mé
fiants l’un de l’autre, mais également confiants dans l ’au
torité française, les deux groupes acceptèrent de confier
fonds et matériaux au Commandant de cercle, pour qu’il
pût lui-même diriger seul et sans compromission la fin des
travaux. Cette solution a été toutefois écartée, car si l’admi
nistration, désireuse de mettre fin au conflit, pouvait à la
rigueur se départir de la neutralité confessionnelle, pour
rendre service à une catégorie d’individus, qui étaient d ’ac
cord pour lui demander cette faveur, elle estime, elle, très
opportun de ne pas rendre, en hâtant l’achèvement de la
mosquée, le conflit plus aigu que jamais.
Je me permettrai de donner ici, pour terminer, les con
clusions du rapport que j’adressais, en février 1921, au
Lieutenant-Gouverneur du Dahomey.
« La situation n ’est pas critique, surtout tant que la
grande mosquée ne sera pas achevée. A l’heure actuelle,
chaque groupe fait, sous la présidence de son imam, sa
prière solennelle du vendredi dans une mosquée de quar
tier. Il y a là une imitation de ce qui se passe à Lagos et,
en définitive, une imitation, sans doute inconsciente, delà
diversité des églises protestantes. Ce n’est pas orthodoxe du
point de vue islamique, mais la chose est sans importance
pour l’adm inistration française. Il n’y a pas de conflit, ni
de rixe possible, puisque chacun reste chez soi, et c’est le
principal.
82
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
« Il paraît donc que la situation peut rester en l’état
actuel, et qu’il va même des avantagcsà ce qu’elle s’y m ain
tienne, tant que l’accord des groupes ne sera pas possible.
En effet, le conflit ne deviendra aigu que le jour où la
grande mosquée sera achevée : chaque groupe en revendi
quera alors la possession, et peut-être» dans une heure
d ’excitation, les armes à la main. Il vaut donc mieux ne
passe prêter aux désirs des deux groupes, qui, pour une
fois d’accord, veulent confier l’achèvement de la mosquée
au commandant du cercle.
« C’est aux musulmans de la ville qu’apppartient cette
tâche ; et puisque chaque groupe a contribué, par parties
égales, à son édification, et qu’il est impossible, pour des
raisons d’équité d’abord, et ensuite pour les raisons de
police générale, ci-dessus exposées, de confier cet achève
ment à l’un ou à l’autre groupe, ce n’est qu’après leur par
fait accord qu’on pourra les autoriser à rouvrir le chantier
et à terminer l’édifice.
« Et c’est dans les mêmes conditions, c’est-à-dire après
leur accord, que, la mosquée achevée, l’imam commun
pourra en prendre possession. La première condition con
ditionne l’autre d’une façon absolue.
« Il y a là, avant tout, une question d'équité en faveur
de l’un comme de l’autre groupe. Il y a aussi une question
de police et de sécurité, à laquelle les musulmans n ’échap
pent pas, aussi bien en pays fétichiste, comme c'est le cas,
qu’en pays proprement musulman.
« En résumé, il apparaît que nous ne devons pas nous
départir de notre stricte neutralité, en cette matière pure
ment confessionnelle, c’est-à-dire que pratiquement les
choses doivent rester en l’état. .
« Je ne vois désormais qu’une solution, sinon ortho
doxe, du moins pratique. C’est que l’un ou l’autre des deux
groupes voulût, moyennant compensation, faire abandon
de ses droits sur la grande mosquée, actuellement en cons
LE BAS DAHOMEY
83
truction, et que dès lors il procédât de son côté à l’édifica
tion d’une autre grande mosquée. C’est ce qui existe à
Lagos et cette solution a mis fin aux conflits qui y divi
saient, comme à Porto-Novo, la communauté musulmane.
Une solution identique, toute réaliste, mettant chacun chez
soi, écarterait tout germe de conflit. C’est, à mon sens, le
seul terrain d’entente possible. »
c) Personnalités islamiques de Porto-Novo. — Les m u
sulmans ont été ouvertement acceptés à Porto-Novo vers
le milieu du xix° siècle (règne de Togon,vers 1840). Ils s’y
présentaient d’ailleurs, au début, en trafiquants, et voilaient
leur religion. En très peu de temps, ils conquirent leur
entière liberté : le fétichisme, en effet, s’alarme peu des divi
nités nouvelles, auxquelles son éclectisme est toujours prêt
à faire une place.
Sous le règne de Toffa, les musulmans étaient cantonnés
dans le même quartier; ils avaient, comme on l’a vu, un
imam qui fréquentait le palais royal (1), et était chargé de
dire des prières pour ce roi fétichiste. Ils avaient aussi un
chef ou président de la collectivité civile. Ils n’avaient
ni influence, ni autorité. Ils étaient des hôtes acceptés. Leur
chiffre atteignait à peine quelques centaines.
Il n’est pas possible d’indiquer avec précision la mesure
dans laquelle l’islam a progressé au cours de ce demisiècle. Le recensement du cercle de Porto-Novo de 1913,
accusait 3q86 musulmans imposables, soit 5.000 âmes en
viron. Ce nombre a dû légèrement croître depuis 1913. En
estimant à q.ôoo le nombre des musulmans de la ville et à
un millier au maximum ceux des subdivisions voisines,on
approche certainement de la vérité. La population totale du
(i) Il y a deux palais royaux à Porto-Novo : le Honmé, palais de ville
construit par Té Agbanli, et le Gbékon, palais suburbain, moderne, séjour
préféré du roi Toffa.
84
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
cercle est de 170.000 âmes, et celle de Porto-Novo de
3o.ooo habitants.
On compte 17 mosquées dans le cercle, dont 11 à PortoNovo même (quartier Lokossa, Fiékomé, Ataké, Sounfoun,
Zébou, Aguékomé, Togo, Kpota, Akpassa, Sokomé, et
Dota) et six dans le reste du cercle Dyégan-Kpévi, Adjarra, Sakété, Adjohon, et Azouissé. 11 faut y ajouter la
grande mosquée-Diouma, en construction à Porto-Novo.
Les écoles coraniques sont actuellement au nombre de
17, dont 11 en ville même (quartier Fiékomé, Ataké, Route
deGbokou, Dégué, Zébou, Hassou-Komé, Bagoro, Azonzakomé, et Ahouanti-Komé) et 4 dans le reste du cercle :
Adjarra, 2 ; Sokété, Adjohon. Leur nombre varie ; il atteint
parfoisle chiffre de 22. Le total des élèves, garçons et filles,
qui fréquentent ces écoles est de 4 à 5oo pour la ville, de
60 à 80 pour le reste du cercle ; en tout, de 5 à 600
élèves.
Quatorze hadji habitent Porto-Novo. Le chiffre est sur
prenant, eu égard à la faiblesse numérique de la commu
nauté locale et à l’indifférence des noirs pour le pèlerinage
à la Mecque. 11 est dû à une sorte d’emballement, qui se
produisit en 1909, et qui fit partir, dans une crise d ’exci
tation, neuf pèlerins locaux d'un seul coup.
11 est assez curieux de constater que les marabouts portonoviens sont affiliés à peu près exclusivement au tidianisme.
Ils dérivent, en effet, de Lagos et d’Ilorin, qui étaient bien
voués au Qaderisme autrefois, mais que le renouveau isla
mique, apporté dans la haute région par les suivants
d’Al-Hadj Omar entre 1880 et 1900, a amenés autidianism e,
réputé plus fervent. D’un autre côté, le passage de certains
marabouts toucouleurs, tidiania comme il convient, a
achevé de consacrer cet ouird dans la région.
On peut ranger les personnalités de Porto-Novo en trois
catégories d’importance fort inégale : les porto-noviens,
les Haoussa, les Dahoméens.
LE BAS DAHOMEY
85
i° Les porlo-noviens. Ce sont des indigènes pour la plu
part d’origine nago-Yorouba, venus à l’islam et établis
comme commerçants à Porto-Novo depuis plusieurs généra
tions. Aussi, tout en gardant le souvenir de leurs origines
Yorouba, se considèrent-ils simplement comme citadins
de Porto-Novo, et cette dernière qualité tend, chez les
jeunes gens, à effacer l’autre.
Nous envisageons, séparément et sans ordre de préséance,
les principales personnalités, relevant de cette catégorie.
A. — Dissiriou, ou plus exactement Qacimou Bissiriou,
était le fils de l’imam Mamadou Omoba, mort en 1899,
Né vers 1865, il avait fait ses études et reçu l’ourd tidiani
avec son père. Celui-ci se rattachait à la Zaouia de Fez
par un pèlerin Al-Hadji Mohammed qui passa par ici.
Bissiriou fut élu imam de la grande mosquée en 1909 et
exerça ces fonctions jusqu’en 1913, date de sa mort, lia
laissé plusieurs enfants, tous adonnés au commerce.
L’aîné Tajou, né vers i8g5, intelligent et sympathique, se
désintéresse de la question religieuse.
B. — Qassoumou, Alfa Qassouniou, né vers 1842, avait
fait de bonnes études, entrecoupées de promenades de
guerre au cours des luttes que Porto-Novo soutint tantôt
contre les gens de l’Ouémé, et tantôt contre Abéokouta. Un
marabout poullo du Fouta Diallon, revenant de la Mecque
pour la troisième fois, et qui séjourna plusieurs mois à
Porto-Novo comme professeur paracheva son éducation
vers i8G5, et lui conféra l’ouird tidiani. Qassoumou ensei
gnait sans gloire depuis 5o ans le Coran à une trentaine
d’enfants du quartier Zébou, et remplissait les fonctions
de vicaire (naïbi) depuis 1905, quand le choix de ses core
ligionnaires le porta à l’imamat en 1913, en remplacement
de Bissiriou. Ses derniers jours ont été empoisonnés par
le schisme local ; après avoir été l’homme de Paraïso, il
semble avoir évolué sur la fin, et donné sa bénédiction et
ses livres à Alfa Saroukou. 11 est mort en juin 1920.
\
S6
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
C. — A lfa Mamadou Bello, son fils, est né vers 1874.
C'est un élève des musulmans toucouleurs, venus ici lors
de la conquête du Dahomey comme dioulas, ouvriers et
soldats. Le principal et plus influent d’entre eux fut
Hanoun Diallo, lieutenant de tirailleurs, qui l’a vraim ent
formé. 11 a étudié aussi avec les maîtres Yorouba et Haoussa
locaux. Un cheikh de la Mecque, de passage ici vers 1900,
lui a conféré l’ouird tidiani et les pouvoirs de moqaddem.
Alfa Bello a été choisi comme « naïbi », à la m ort de son
père parlegroupc Mouteirou, qui venait d’élire alfa Saroukou comme imam. Il fait donc partie de ce groupe, mais
sans grande conviction, et voudrait surtout rester neutre.
C’est à ce titre que son nom fut agité lors des tentatives de
réconciliation de janvier 1921 et que l'union fut très près
de se faire sur sa personne. Alfa Bello est imam de la
mosquée du quartier de Zébou-Aga et en dirige l’école cora
nique, qui comprend régulièrement cinquante enfants,
dont 40 garçons et 10 filles. Une dizaine d ’enfants fréquen
tent l’école d’une manière moins assidue. Aux 5 ou 6 plus
grands, il apprend les rudiments de la Rissala, de Lakhdari
et d’Achmaoui.
Alfa Bello est extrêmement sympathique; c’est un homme
intelligent, doux, un peu trop timide peut-être. 11 m ’a paru
être le plus lettré des marabouts de Porto-Novo. Il peut
très facilement soutenir la conversation ordinaire en arabe
littéraire. Il est assesseur musulman au tribunal de cercle.
D. — A lfa Saroukou, filsd’Abdoul qadri BaAla, l’imam
du clan Mouteïrou. 11 est né vers 1870, et après de mé
diocres études, a ouvert à son tour une école dans le quar
tier Ghassou-Komé. Elle comprend 5o élèves réguliers,
dont 3o garçons et 20 filles : il leur apprend les rudim ents
du Coran. lia reçu l’ouird tidiani d’un m arabout Yorouba
Mamadou Laouani, mort à Porto-Novo en 1917.
11 se rattache par la chaîne suivante à la zaouia de la
Mecque ; Chitou Mamadou, Yorouba d’Ilorin qui fut
LE BAS DAHOMEY
87
affilié au tidiamsme, au cours d ’un pèlerinage, par Tahir
Abou Taieb, cheikh de la zaouia mecquoise.
Alfa Saroukou paraît un brave homme, cramponné à
son nouveau titre. Il est en outre imam non contesté de la
mosquée du quartier Togo (Zébou).
E. — Mamadou Bello Seriki, né vers 185o à Porto-Novo,
est un commerçant entreprenant et sur de lui. Ses core
ligionnaires en ont fait, depuis la mort d’Aïbouki Adéromou (1917) le seriki moussoulimin, c’est-à-dire le prési
dent du conseil des notables et le chef civil, au moins no
minal, de la collectivité. Il a reçu l’ouird tidiani d’AlHadji Mouteirou, ancien imam de la ville.
F. — Ali Boubakar Djouba, né vers 1860, commerçant,
est le « Saroumi » ou vice-président de la communauté
musulmane (clan Mouteirou). C’est un tidiani de l’obé
dience d’Alfa Bourahima.
G. — Alao Fari, de son vrai nom Mamadou Mostafa est
la forte tête dugroupeMouteirou. Raisonneur, discoureur,
jovial, il ne laisse pas d’être sympathique. On en a fait le
« bachoroun » ou deuxième vice-président, et le directeur
spirituel des convertis Nago. Né vers i85o, il est com
merçant depuis son jeune âge. Il a reçu l’ouird tidiani de
l’ancien imam, Al-Hadji Mouteirou.
H. — Mamadou Sani, né vers 1860, de même obédience
que le précédent. On l’a nommé directeur spirituel des
néo-convertis, d’origine djedje (dahoméens).
I. — Mamadou Bello, Aré, c’est-à-dire président hono
raire de section, né vers 1860, de la même obédience que
le précédent, commerçant en matériaux de construction.
J. — A minou Achafou, né vers i855, otoun seriki,
c’est-à-dire assesseur de droite du chef de la communauté.
Même obédience que les précédents cultivateurs.
K. — Gbadamassi Laouani, né vers 1870, ossi-seriki,
c’est-à-dire assesseur degauche du chef de la communauté.
Même obédience que les précédents, cultivateur.
SS
ÉTUDES SUR L'iSLA.W AU DAHOMEY
L. — Alao Abou Dakari, né vers 1860, guiwa, c’est-àdire dizainier. Tailleur, même obédience que les précé
dents.
M. — Chitou Aïbouki, né vers 1878, guiwa, disciple ti
diani d’Alfa Dourahima. Commerçant.
N. — Alfa Dourahima, vieux marabout, né vers 1840,
le directeur de l’école coranique la plus florissante de
Porto Novo (quartier Hassou-komê), 139 élèves, dont 84
garçons et 55 filles. Il laisse de plus en plus sa place à ses
fils Ali Adiloute, son bras droit, et Nacirou, surtout com
merçant. Alfa Bourahima est, avec Alfa Mamadou Bello,
moqaddem tidiani. Il n ’y en a pas d’autre.
O. — A li A hiko, balogoun, c’est-à-dire « chef militaire »
des musulmans de Porto Novo. Le général balogoun est un
brave homme qui fait l’école coranique à 100enfants (70 gar
çons, 3o filles), et entre temps vend des amulettes de pre
mier choix, Il est le disciple tidiani d’Alfa Bourahima précité.
P. — Al-hadji Mouteirou, né vers 1870, est le fils de
Soulé l’ex-Saroumi. Lui-même n’a aucun titre dans la hié
rarchie des musulmans de Porto-Novo, mais il'en est in
contestablement le véritable maître et directeur. Il a fait de
bonnes études coraniques avec Alfa ahmadou et a reçu
l’ouird tidiani de l’imam Qassoumou. En 1910, il a fait
le pèlerinage à la Mecque avec un groupe de camarades.
Il appartient à une famille de commerçants, de piroguiers
et de cultivateurs. Lui-même est un des grands négociants
de la place de Porto-Novo, enrichi dans le commerce des
palmistes, des huiles, des tissus, etc., brassant des affaires
sur toute la côte Dahoméenne et Nigérienne. C’est un
homme très intelligent, très fin, et qui serait sympathique
s’il n'était pas complètement buté dans son conflit avec
Paraïso, au point d ’en perdre la mesure.
Q. — Les Hadji. A la suite de Mouteirou, il convient de
donner les noms d’une dizaine de ses amis, qui ont fait
avec lui le pèlerinage de la Mecque, en 1010, en exécution
LE BAS DAHOMEY
8y
d’une décision plus ou moins réfléchie. Ils se sont embar
qués à Lagos, et ont changé de bateau à Las Palmas et à
Marseille. Us sont rentrés par Médine et le chemin de fer
de Syrie. Embarqués à Beyrouth, ils faisaient escale à
Tanger, Las Palmas et Lagos. C’est ainsi que, par le fait
en quelque sorte du hasard, Porto-Novo se trouve aujour
d’hui posséder le groupement de pèlerins le plus important
de la Côte d’Afrique. Les uns et les autres n’ont que peu
d’envergure. Voici les noms des principaux : Al-hadji
Moustafa, né vers i8C5 à Porto-Novo, au quartier Fila;
Al-hadji Boussari, né vers i885 ; Al-hadji Bourahima, né
vers 1882, tous trois disciples tidiania de l’ex-imam
Moutarou ; Al-hadji Hosseni Adjibadé, né 1857, du quar
tier Ouézoumé de Porto-Novo, jadis porteur pendant les
colonnes expéditionnaires, aujourd'hui commerçant aisé;
c’est un disciple tidiani d’alfa Saroukou.
R. — Ignacio Paraïso, de son nom islamique Soulé
(Souleiman), est né vers 1852; il est d’origine créole-por
tugaise, c’est-à-dire comme il a été expliqué plus haut, de
lointaine origine Yorouba et passé par le creuset brésilien.
Son père José Piquino Paraïso, appartenait, dit-on dans la
famille, à une branche delà famille royale Yorouba. Fait
prisonnier tout enfant au cours de guerres intestines, il fut
vendu aux européens de Ouidah, au début du xix* siècle
et emmené par les négriers au Brésil. C’est là qu’il reçut
de son maître ce nom lusitanien. Les autorités brésiliennes
Bahia lui délivraient, le 12 février i858, un certificat de
bons services, et le chef de la police de la même ville un
passeport, le 1" décembre 1849. 11 arrivait au Dahomey en
janvier i85o. Nous avons vu plus haut sa vie d’aventures.
L’aîné de ses fils, Ignacio, dont la mère est une Aissatou
fut baptisé à sa naissance, comme la plupart de ces créoles,
qui, quoique musulmans, avaient pris la coutume de se
faire administrer ce sacrement pour ne pas rompre avec
les Padres. On ne peut l’accuser d’ètre un renégat, car il
9°
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
a toujours vécu, malgré son baptême, dans la religion mu
sulmane. 11 a fait quelques études arabes auprès de l’an
cien imam Mamadou. 11 parle bien le français et le portu
gais, et un peu l’anglais. II a reçu l’ouird tidiani d’un ma
rabout toucouleur, de passage à Porto-Novo, Al-hadji Mohammadou Kane.
Telle est la version Paraïso.
Du côté de ses adversaires, on rencontre tout autre
chose. Le village d’iyé, en Nigeria, dépendant du roi
d’Ibadan, ennemi juré du roi d’Oyo. Un certain Elépo,
originaire d’iyé, conçut le projet de donner l’autonomie à
sa patrie, en la rattachant par un simple lien de vasselage au roi d’Oyo, qui l’aurait reconnucomme chefdeson
village. Mais les gens d’Ibadan prévinrent son dessein. Ils
marchèrent sur lyé, détruisirent la ville, et vendirent la
plupart de ses habitants aux négriers européens de la côte.
Elépo parait avoir été tué dans cette affaire. Son fils, Odio,
fut parmi les captifs embarqués pour le Brésil. Il entra au
service d’un commerçant de Bahia, du nom de Paraïso
qui lui fit apprendre le métier de coiffeur (barbiero). Or,
à la même époque, le grand commerçant et principal né
grier brésilien, Domingo Martin, qui séjournait habituelle
ment sur,la côte des Esclaves, souffrait « d ’être obligé de
se faire râcler la tête avec des rasoirs si mal effilés, par des
coiffeurs indigènes inexpérimentés». Sur l’indication d ’une
de ses esclaves, Oyagbami, revenue du Brésil, il acheta à
Bahia l’artiste capillaire Odio baptisé et devenu José Piquino Paraïso, et le fit venir sur la côte, où il l’affecta à ses
comptoirs de la Plage (Okoun-Sémé) comme gardien de nuit.
II l’avait ainsi sous la main pour utiliser, à l’occasion, ses
services de coiffeur. José Piquino se maria à cette date et
eut un fils qui fut baptisé et reçut le nom d ’ignacio.
A sa mort, suivant la coutume, Domingo Martin laissa
au roi de Porto-Novo une partie de sa succession, et notam
ment le père, qui était généralement connu sous le sobri
LE BAS DAHOMEY
9'
quet de Bambero, déformation de Barbiero, et le fils, qui
portait le surnom indigène de Nounassou. Nounassou si
gnifiait : « Les biens s’accroîtraient », car le roi l’aurait
tiré, débiteur insolvable, des mains d’un créancier im
placable qui allait le faire vendre.
Admis dès ce jour par le roi comme « lari » ou cabécère,
c’est-à-dire comme serviteur de confiance, Ignacio Nounas
sou n’aurait pas tardé à se faire anoblir (i) et peu après à
embrasser ouvertement l’islamisme pour jouir des faveurs
et des cadeaux des musulmans. C’est sa haute situation à
la cour de Porto-Novo qui, faisant de lui le protecteur attitré
des musulmans, amena peu à peu les fidèles à le considérer
comme chef.
Telles sont, au choix, les deux versions de l’origine de la
famille Paraïso.
Ignacio est aujourd’hui un gros commerçant et cultiva
teur. Il a plusieurs maisons et boutiques très achalandées.
Ses plantations de café et d’ananas sont florissantes. 11
possède des terrains urbains et suburbains de grande va
leur. Il roule automobile. C’est un homme intelligent et
adroit, qui a succédé à son père dans la direction de la
communauté musulmane de Porto-Novo, et qui s’en était
fort bien tiré. Le nouvel état d’esprit des Musulmans l’a sur
pris; il n’a pas su faire face aux nécessités nouvelles et il est
maintenant débordé. Son règne est manifestement fini, on a
pu voir plus haut pourquoi. Paraïso restera néanmoins dans
le nouvel état de choses, un notable fort influent, capable
à ses heures d’influencer très fortement ses coreligionnaires.
(i) Le noble se distinguait par trois tatouages parallèles, faits au bras
gauche et allant du coude au poignet. T rois autres tatouages partent de la
cheville du pied d ro it pour s’arrêter au genou. Sur chaque joue s’alignaient
l’un à la suite de l’autre, deux rangées, chacune de quatre tatouages hori
zontaux et parallèles. C'était l ’Abaja Mêjo.
Un roturier était tatoué sur chaque joue de h u it verticaux parallèles,
pariant presque en haut de la tête et aboutissant au menton. Quatre autres
tatouages, horizontaux et parallèles, partent de chaque œil, traversent les
huits traits verticaux et s’arrêtent à l’oreille. C’est le « KÔrê hounehé ».
92
ÉTUDES SU R L’ISLAM AU DAHOM EY
L’autorité française, à laquelle il s’est toujours m ontré
fort dévoué et à qui il a rendu des services nom breux, a
fait successivement de lui, un membre du Conseil d’Adm i
nistration du Dahomey, un assesseurau tribunal de cercle,
un membre du Comité consultatif des Affaires m usul
manes, un Chevalier de la Légion d ’Honneur.
Parmi ses nombreux enfants, plusieurs sont m usulm ans
comme lui, mais d’autres, entraînés par l’am biance semieuropéenne où ils vivent, sont catholiques, ou reviennent
avec l’âge au catholicisme. Et c’est là sans doute le grief le
plus profond des Musulmans nago de Porto-Novo. Ils sen
tent plus ou moins confusément combien cet islam des
créoles, dont les racines ne poussent pas en pleine terre
indigène, est susceptible d’évoluer et même de se perdre
sous l'action de causes étrangères et ennem ies, très fortes
et toujours présentes et actives.
S .— Al-hadji Laouani Danmala, né au quartier Hassou
Komé vers 1867. C’est l’imam du clan Paraïso et même à
la rigueur en l’état actuel des choses, l’imam officiel de la
ville, puisqu'il a reçu l’investiture du roi. Son père est un
Yorouba de pure origine, encore que son com m erce l’ait
amené à trafiquer avec le Brésil. Mais de ce côté, ses adver
saires ne reprochent rien à Laouani. Son grand-père Seidou
fut le premier, et son oncle Mamadou le troisièm e imam de
la ville. Il a fait d’excellentes études arabes avec son oncle Alfa
Bourahima, directeur d’école au quartier Hassou-Komé,
et avec Alfa Sanoussi à Lagos. Il a reçu l’ouird tidiani de
l’imam Mamadou, ci-dessus nommé, et effectué le pèleri
nage à la Mecque en 1909-1910.
C’est un homme intelligent et instruit, parlant assez cor
rectement l’arabe littéraire, en somme un des bons lettrés
de Porto-Novo. Il dirige une petite école supérieure d ’une
dizaine d’élèves Yorouba locaux, à qui il apprend un peu
de droit (Rissala) et de théologie (Soyouthi). Entre temps,
il tient boutique d ’amulettes. Il est, en outre, l’imam
LE BAS DAHOMEY
<j3
incontesté de la mosquée de quartier Hassou-Komé. Son
érudition théologique est incontestée ; il n’en serait pas de
même pour sa conduite.
T. — Amoussa Hanvçalou (ou Amoussou Ham^at), né
vers 1885, est dans le clan Paraïso, le « naïbi » ou vicaire
du précédent. 11 a succédé dans cette charge à son père. 11
est né vers i885. Complètement illettré, il fait tout de même
l’école à huit enfants, garçons et filles. Il a reçu l’ouird
tidiani de l’imam Hadji Aloutarou.
U. — Al-hadj Abdou Faradji, né vers 1872, d’origine
ouadaïenne, mais nationalisé nago porto-novien. Petit
captif de la région d’Abéché, il fut acheté par Al-hadji
Tahirou à son passage au Ouadaï, vers 1884, et amené à
Porto-Novo. Il fut domestique d’officier pendant les colonnesde 1893-1894. A la mort de son maître, qui luiavait
fait donner une bonne instruction, et lui avait conféré son
ouird tidiani, il a hérité de sa clientèle spirituelle. 11 fait
le commerce de gris gris et d’amulettes, reco’pie des livres
arabes, età l’occasion donne des leçons, quoiqu’il ne tienne
pas d’école officielle. Il a abandonné celle qu'il avait au
quartier Lokossa. Faradji appartient au groupe Paraïso,
mais s’efforce de garder la neutralité. Son commerce l’a
mène en tournées dans tout le bas Dahomey, à Lagos et
jusqu’à Sierra Leone.
V. — Al-hadji Tahirou, créole du nom de Pedro Marcos,
est né vers 1870. C’est un compagnon d'ignacio Paraïso.
11 n'a pour toute vertu islamique que d’avoir pèleriné aux
lieux saints. C’est d’ailleurs un homme intelligent et un
commerçant avisé. 11 est assesseur musulman au tribunal
de cercle.
X. — Al-hadji Hachimi, fils d’Abdouklaye,néversi865,
a fait le pèlerinage avec Laouani. C’est un de ses compa
gnons de combat.
Y. — Salou ou Salihou n’est autre que Gonzalo Lopez.
Né vers 1860, il marche dans le sillage de Paraïso.
94
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
2. — Les Haoussa et Ktapa de Nigeria sont à PortoNovo au nombre de 900 environ. Iis se livrent tous au com
merce et sont tous inféodés à l’islam. Ce sont les « Gambari »
classiques.
Le chef de la communauté haoussa, chef du caravan
sérail de l'administration, et délégué du Gouverneur et du
roi est Zakaria, dit Seriki Djifïa. Il est né à Kano, vers 1867,
d’une famille apparentée à la maison royale : les Dan. 11
s’est établi à Porto-Novo vers i8g5. Il dit avoir reçu l’ouird
qadri de Mala Aoudou, de Zaria (Kano), mais en réalité
ne pratique aucun rite et ne sait même pas de quoi il s’agit.
Mi-teinturier, mi-cultivateur, il remplit à la satisfaction
générale, ses fonctions de chef.
Les autres personnalités du groupe sont : A ) Marna
Djima, né à Ilorin (Nigéria) vers 1878, fils de Moussa,
établi à Popo depuis 1902, maître d’une école d’une dizaine
d’enfants haoussa (quartier Awanti-Komé). B) Alfa Yahia
Gambari, né vers 1875, maître de l’école du quartier Sadognon, que fréquentent 20 élèves dont les fils de Seriki
Djifia. C) Abou Bakar Kokobiri, né à Kano vers 1890, venu
ici vers 1913, commerçant am bulant. Il se rattache au
tidianisme de la zaouia de Sokoto par la chaîne suivante :
Mallam Zakaria de Kano ; Mallam Moussa de Kano. Cheikhou Mourou de Sokoto, frère d'Othm an dan Fodio.
D) Alfa Mamadou Meniyaoua, né à Kano vers 1860, venu
ici vers 1920. 11 se rattache au qaderisme de Kano par Mala
Ismaïla, de Zaria, AlfaSlimana et Mané lbrahim a. Il fait
du commerce et entre temps dirige une école coranique
de 7 élèves. F) Marna Mourou, Zaberma de Toudaoua, né
vers 1870, venu ici vers 1917, com m erçant et m aître
d'école. Il se rattache au tidianisme de Zaria (Kano) par
Mala Soufou. F) Al-hadji Fassassi, né àOyo (Nigéria) vers
1869, commerçant ambulant. G) Chado, à Ilorin (Nigéria)
vers i85o, d’origine Ktapa, disciple qadri de son frère
AlfaTchalissou. Tailleur de son métier, bavard et prédica-
LE BAS DAHOMEY
0
teur, il fait la navette entre Porto-Novo, Lagos et Uorin.
Les Haoussa de Porto-Novo, étrangers qui sentaient le
besoin d’être et de paraître disciplinés se sont laissés em
brigader par Paraïso dans son parti. Paraïso représentait
en effet à leurs yeux le chef, reconnu par nous, des Musul
mans de Porto-Novo. En réalité, la tendance de beaucoup
d’entre eux les rapprocherait de l’islam noir, tel que le
comprennent Mouteirouet les siens. Il n’est donc pas éton
nant que des défections se soient produites parmi eux et
que plusieurs passent discrètement de Paraïso à la maison
rivale.
3. Les Dahoméens, au sens propre du mot, sont à PortoNovo des « Fon » ; ils constituent le fonds delà population
delà ville et des environs. Les Nago, et nous-mêmes, quel
quefois à la suite, les appellent Djedje ou Djédjé. L’islam,
comme il a été dit plus haut, n’a pas encore pénétré dans ce
peuple fon,si intéressant,maisilsemblequ’ilnetarderaguère.
Je n’ai pu relever que deux musulmans d’origine fon.
Ils sont tous de Porto-Novo, et par un hasard curieux tous
deux hadji.
Al-hadji Nouhou est un Fon, du nos de Kossoko, né au
quartier de Sokomé vers 1880. Il est apparenté à la branche
Degbegnon de la famille royale de Porto-Novo. Jadis piro
guier, il se laissa embaucher dans la croisade d’Al-hadji
Aboudou d’Ilorin pour le pèlerinage, et partit vers 1907 à
la Mecque. Il n’a bien entendu aucune instruction, et ne
sait même pas la prière. Depuis son retour estimant, dit-il,
qu’étant hadji, il ne doit plus travailler, il a abandonné
son métier et fait le commerce des kolas entre Abomey-Calavi, Ouidah et Lagos. Il croit avoir reçu l’ouird tidiani
d’Al-Hadji Tahirou, mais ne s’en est plus préoccupé. Il
jouit d’une considération particulière, parce qu’il est le
seul des pèlerins qui soit revenu à pied de la iMecque.
Le second, Al-hadji Mostafa, anciennement Houkpatin,
95
ETUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
est du même âge et de la même origine que le premier. Il
l'a suivi dans ses évolutions. Lui aussi a abandonné son
métier depuis son retour, et commerce entre Sierra Leone
et Porto-Novo.
d) Les environs de Porto-Novo. — L’islam du royaume
de Porto-Novoest surtout concentré dans la ville. En dehors
de la capitale, on ne peut guère signaler de petits groupes
de musulmansqu’à DjeganKpévi,Adjarra,Adjehon, Azaourissé et Sakété.
Djègan — K p évis’orne d’une petite mosquée, où l’imam
Amoussa Houmpati préside la prière d’une douzaine de
fidèles.
A d ja racomprend une centaine de m usulm ansqui, bien
entendu, suivant les traditions de leurs voisins de PortoNovo, se sont partagés en deux camps. D’où deux petites
mosquées et deux écoles de 10 et 6 élèves avec Soulé Marna
et Marna Naïbi comme imans.
Adjolion comprend une centaine de m usulm ans, ce qui
est peu pour une subdivision de 70.000 âmes. On y trouve
une petite mosquée et une école coranique de i5 élèves.
On ne voit pas pourquoi on a donné à ce groupement in
signifiant deux assesseurs de leur statut au tribunal de sub
division : ce sont d’ailleurs les deux notables, Adamou et
Oderoumou, tous deux complètement illettrés.
A^aouïssé : trois familles musulmanes, une mosquée,
pas d’école.
Sakété est plus important. La colonie m usulmane com
prend 25o âmes environ et paraît en progression par suite
de conversions de Nago. En outre, les marabouts espèrent
avoir prochainement du succès chez les Fon dahoméens.
Il est évident que là plus qu’ailleurs, la crise psychologi
que et religieuse que traversent les indigènes est aiguë, et
qu’une circonstance nouvelle : installation d’une mission
chrétienne, ou prosélytisme d ’un m arabout de quelque en-
Pi.. IV. — Pohto-N ovo : Groupe de l’imam Laouani
qui se tient debout, une planchette dans la main gauche, un bâton dans la droite, avec Amoussou à sa droite).
LE BAS DAHOMEY
97
vergure, les amènera au .christianisme ou à l’islamisme.
La mosquée, petite case en terre de barre, va être aban
donnée au profit d ’un nouvel édifice en construction. Il
mesurera 12 mètres sur 12 mètres, et sera recouvert en tôles.
Il est construit par les soins de l’imam avec les quêtes re
cueillies, tant chez les musulmans que chez les fétichistes.
Les personnalités notoires de Sakété sont : Badamassi,
fils de Dissou, né vers i885, Nago d ’Ibadan, installé ici
depuis 1902, tailleur-passementier. 11 relève du tidianisme
du vieux marabout Alfa Bourahimade Porto-Novo. C’est
l’imam de la ville, ouvert et intelligent.
Abou Bakari Adébola, nago, de Nigeria, né vers 1870,8
Sakété depuis i885, retourne parfois dans son pays et y a
épousé une de ses compatriotes. Pas d’affiliation.
Mamadou Mostafa, ditEgoum Djobi, nago, né vers 1870,
venu très jeune à Popo, cultivateur. 11 cultive de jolies cacaoyères, dont il vend les produits aux maisons européen
nes. Nous en avons fait l’assesseur musulman au tribunal
de Sakété. Pas d’affiliation.
Bello, nago de Tchaki (Nigeria), où il est né vers 1870,
et y a reçu l’ouird qadri de son imam Ahmadou.
Garba, de son nom islamique Abdou Salami, fils d’Ismaïia, nago d’Ibomotcho (Nigeria), où il est né vers 1880, et
y a reçul’ouird tidiani de l’Alfa Tahirou, vicaire de l’imam
local. Il appartient à une famille religieuse de quelque
renom et ses quatre frères, restés au village natal, y sont
marabouts. 11 leur rend parfois visite. Il dirige l’école cora
nique locale de Sakété, qui compte une dizaine d’enfants.
Tous ces marabouts s’enturbannent, parce qu’ils sont
musulmans. Ils sont parfaitement illettrés.
Un arrêté du Gouverneur général, en date du 12 dé
cembre 1914 prononçait une peine de dixans d’internement
à subir à Port Étienne, contre cinq notables de Sakété :
Aniwa Odokounlé, chef supérieur de Sakété, AroroAllaho,
Akpo Akégou, Abogourin Aloukan,chef de quartier, Olou-
flS
ÉTUDES SUR l ’ is l a m AU DAHOMEY
kogi Chobagbad, et contre un 'marabout errant, installé
depuis peu à Sakété, Mamadou Foullani, convaincus les
uns et les autres de s’être livrés à une propagande antifran
çaise etd’avoir troublé par leurs agissements la tranquillité
publique. Les cinq premiers fétichistes, étaient de vieilles
connaissances. Ils avaient été les meneurs de la rébellion
de 1905, au cours de laquelle le poste de Sakété fut attaqué
et incendié, et l’administrateur Cait et le douanier Cadeau
assassinés. Leur opposition se manifesta en m aintes oc
casions dans lesannécs qui suivirent. En décembre 1913
enfin, ils déclaraient vouloir s’opposer par les armes à l’exé
cution d’un arrêté local sur le contrôle des fusils de traite.
Quant au marabout Mamadou Foullani, il venait d ’arri
ver dans le pays, s’était immédiatement rangé du côté des
fauteurs de désordre, et avait pris une part active aux me
nées séditieuses et aux manifestations auxquelles ils se li
vraient depuis plusieurs mois. C’était un Gam bari, ou
Haoussa, fils d ’Ali et de Hadissa, né vers 1884 a Ba Ndou ;
il venait en dernier lieu d ’Adjohon. Ce singulier m arabout
présidait les cérémonies fétichistes qui avaient pour but
d’interdire l’accès du village aux Blancs. Il procédait luimêmeà la plantation desfétiches surtoutes les voies d’accès.
Unis dans l’infortune comme dans la rébellion, les féti
chistes et le musulman sont restés à Port Etienne jusqu’en
1921. Cholagbadé y était mort le g janvier 1919. En 1921,
les intéressés ont été grâciés et, après un court séjour à
Dakar, où ils ont pu se convaincre de notre force et de la
puissance de nos moyens, ils sont rentrés chez eux à Sakété.
2. — Cercle de Cotonou.
Cotonou, ’port du Dahomey, comprend une population
de 8.5oo âmes environ, aux origines les plus diverses :
Dahoméens, Nago, Mina, Houéda, Kroumen, etc., féti
I E BAS DAHOMEY
9)
chistes ou chrétiens, et parmi laquelle il faut relever une
communauté musulmane de 3oo âmes environ.
Cette population musulmane est essentiellement flottante.
Elle se compose : r d’une centaine de Sénégalais, employés
pour la plupart au chemin de fer; 2° d’une centaine de Haoussa, de Northern Nigéria, établis comme bouchers en ville
même, ou faisant le commerce de tissus et des bestiaux avec
les colonies européennes voisines ; 3° d’une centaine de
Nago,originaires soit d’Agoué, soit surtout de Porto-Novo,
etqui travaillent dans les maisons de commerce.
La personnalité la plus en vedette de cette communauté
musulmane est son imam : Souaïbou (Choaïb) Mamadou.
C’est un Ktapa, né à Lagos vers 1870, et établi à Cotonou
depuis l’occupation française. Intelligent, sympathique, il
est aussi le plus lettré de ses coreligionnaires et dirige un
embryon d’école supérieure (5 à 6 élèves), à côté de son
école coranique de i5 élèves. Cet enseignement supérieur
porte d’ailleurs tout simplement sur quelques leçons de la
Rissala et d’Achmaoui. Il a reçu l’ouird qadri de Cheikh
Jsmaïla de Zaria (Mano) et par Cheikh Youssouf de Zaria,
Cheikh Ahmadou Roufaï haoussa, Mallam Bollo, haoussa,
paraît se rattacher à la grande voie, à la fois mystique et
nationale, des Poul de Sokoto. Souaïbou fait, comme il con
vient. son prône du vendredi en arabe littéraire, puis le tra
duit lui-même en haoussa aussitôt après. Survient alors
son « naïbi » ou vicaire, Ibrahima Abou Bakari, qui le tra
duit en Mago à l’usage des individus de cette race. Quant
aux Sénégalais, ils comprennent tous l’une ou l’autre de ces
deux langues.
On ne peut pas parler de l’imam de Cotonou, sans rendre
hommage à Moussé Col, imam de la ville depuis plus de
20 ans et qui vient de résilier ses fonctions pour cause de
maladie en octobre 1920. Moussé Col était un Popo d’Agoué,
né vers 1845, et qui fut initié au qaderisme par Seidou
Collou, de Oho (Nigéria). Petit commerçant établi à Coto
J
IOO
ÉTUD ES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
nou depuis fort longtemps, il végétait péniblement, fai
sant école à une dizaine d’enfants. On lui reprochait d’être
illettré, de ne pas savoir faire le prône eh arabe. Vieux,
usé, malade, il ne se défendait pas. Bref, on l’a contraint
de donner sa démission, et il s’est retiré, très humilié, chez
Ali Kama de Porto-Novo. Son départ a établi l’union
parmi les fidèles de Cotonou. Souaïbou l’a remplacé à la
fois comme imam et comme juge au tribunal de subdi
vision.
Les autres personnalités notables de Cotonou sont :
i° Alfa Mamadou Bollo, Nago, né à Porto-Novo vers
1873. Commerçant, il fait en outre l’école à une dizaine
d'élèves. 11 se rattache au tidianisme d’AIi Kama de PortoNovo ; 2° Madé Issa, Zaberma, né à Dosso vers i85o, venu
à Cotonou en 1899. C’est un commerçant notable et chef
de la petite colonie locale de Zaberma (Niamey). 11 n’a au
cune instruction et même pas d’affiliation, et l’assistance
éclate de rire, quand il se déclare qadri, pour faire comme
les autres; 3° Abdoullaye Abdou, fils de M ahamma,
haoussa, né à Kano vers 1868, commerçant notable. 11 re
lève par Abou Bakari de Kano, et Cherif iMohammadou,
du qaderisme du grand Kounti, Sidi-1-Mok.htar : 40 Mallarn
Ismaïla Bizo, commerçant haoussa, né à Sokoto vers 1870,
établi à Cotonou depuis 1897. 11 relève du qaderisme des
zaouia de Sokoto (Mallarn Aliou) ; 5“ Soubeïrou, fils d ’Abdoullayc Baga, nago de Kétou, où il est né vers 1875. Il
relève du tidianisme d’Alfa Ilassani de Porto-Novo ;
G’Habibou Alfa, haoussa de Gando (Nigéria), fils d ’Aboudan
Karimou, qui était l’imam même de Gando. Né vers i85o,
il est venu s'établir ici à l'occupation française. Il fait, avec
un peu de commerce, l'école coranique par interm ittence
à 4 ou 5 enfants; 7“ Ibrahima Abou Bakari, d ’origine
haoussa, né à Lagos vers 1878, et venu ici vers i885. 11 a
reçu instruction et ouird qadri de son père Abou Bakari,
disciple de l’imam Souaïbou. C’est Ibrahim a qui inter-
LE BAS DAHOMEY
IOI
prête en nago la prédication de Souaïbou ; 8° Daouda
Tanko, commerçant haoussa, né à Kano vers 1870, venu
ici vers i885, et disciple qadri de l’imam Souaïbou ; 9°Alfa
Abdou Salami, nago, né à Ilorin, vers 1872, où son père
Marna Mamadou, alfa renommé sous le nom d’Alfa Bollo,
lui donna les rudiments du catéchisme arabe et l’ouird tidiani. Abdou Salami réunit à son école, la plus fréquentée
de Cotonou, 25 enfants nago: 10° Alfa Mamadi, né vers
1875, nago, originaire aussi d’ilorin. 11 fait le commerçant
et à temps perdu, le maître d’école (5 élèves) ; 11° Alfa Tahirou, ouTérou, comme on dit ici, fils de Djibril, Ktapa
de Lagos, né vers 1870, venu ici en 1895. 11 a une école
florissante de i5 à 16 élèves. Il dit relever du tidianisme
des marabouts de Lagos ; c’est l’assesseur musulman du tri
bunal du cercle ; 12° Aoudou, boucher haoussa, grand
marchand de bestiaux, qu’on trouve sur toutes les routes
du haut Dahomey. C’est un homme intelligent et avisé ;
i3° Samba Laobé, poullo de Saint-Louis, où il est né vers
1870 et a été à l’école des Frères. Venu ici comme soldatouvrier à la colonne de 1892, il s’y est établi après sa déli
bération, et compte aujourd’hui comme un des meilleurs
maîtres-menuisiers de la Ville. 11 avait épousé une femme
sénégalaise qui est morte, et depuis, a épousé des femmes
nago et popo. Cinq de ses six enfants sont en pension chez
son frère Abdou Aw de Saint-Louis. Un autre de ses frères,
Oumar Aw, est instituteur à Ziguincher. 11 a reçu l’ouird
tidiani d’un marabout de passage (1902), Chérif Aliou, qui
venait de la Mecque, et qui a conféré dans le bas Dahomey
un certain nombre d’affiliations à cette voie; 14° Al-hadji
Fakaba, Sarakollé, originaire de Bakel, où il est né vers
1875 et a fait ses études. Venu jadis en dioula ici, il s’y est
fixé définitivement. C’est un commerçant lettré et sympa
thique. Il relève de l’unique toucouleur, affilié au qaderisme
Abou Bakar Kamara, de Matam, disciple de Cheikh Sidia.
Il a fait le pèlerinage de la Mecque en 1906 par Lagos, Las
102
ÉTUDES S I R L'iSLAM AU DAHOMEY
Palmas et Marseille. 11 est en correspondance suivie avec le
libraire arabe Kaddour Roudoci (Mourad Turqui) d ’Alger.
A côté de ces personnages, établis ici à demeure fixe, il
faut citer quelques noms notoires de marabouts de passage.
Cotonou est, en effet, un grand port maritime et lagunaireet
la tête de ligne de la voie ferrée. Il n’est pas étonnant qu’on
y voie parfois des hôtes tout à fait inattendus.
En 1913-1914, un marabout poullo-toucouleur de Bandiagara a séjourné plusieurs mois à Cotonou. Il se nommait
Boki Salah et était âgé de 45 ans environ. 11 déclarait avoir
servi de guide aux colonnes soudanaises du Comman
dant Destenave. Au cours d’un de ses voyages, il demanda
à un marabout vénéré de Dédougou, Dulma Ahmadou ce
qu’il fallait faire pour gagner le ciel. Celui-ci lui répondit :
« Aller faire une prière à la Mecque. » Boki Salah était parti
depuis dix ans et en revenait par le Ouadaï, le Baguirmi
etla Nigéria,quand il fut signalé à Cotonou. 11 vivait paisi
blement de la vente d’objets de piété, rapportés de la Mecque:
eau de zem zem, poils du Prophète, etc. Il disparut un
beau jour, en quête de nouvelles aventures sans doute, et
on ne l’a plus revu.
Deux personnages fort curieux, et d'ailleurs inoffensifs,
quelles que soient les inquiétudes qu’ils aient pu inspirer,
sont Abbas Ali Farsi et son fils Ali. Abbas est né à la Mec
que vers i865 ; son fils est né vers 1889. Ce sont de grands
voyageurs. Arabes d’origine, ils ont quitté la Mecque vers
1895 comme représentants, disent-ils d'un libraire-éditeur
de cette ville, et ont fait en commerçants, tels les héros de
Sindebad et des Mille et une nuits, tout le tour de l’Afrique.
Le 6 janvier 1912, ils devenaient par naturalisation sujets
anglais des États de l’Union du Sud africain (1911). Dans
le courant de l’année suivante, ils débarquaient au Daho
mey, à Cotonou, après avoir ainsi accompli le périple de
l’Afrique. Leurs nombreuses caisse?de livres et de bro
chures arabes furent, conformément aux règlements en
LE BAS DAHOMEY
io 3
vigueur, retenues pour examen parles services administra
tifs. On était sur le point de les leurs rendre, quand, im
patientés de ce retard, ils s’embarquèrent, le 20 juin, à bord
du vapeur « Orion » et s’en furent à Accrah, en Gold Coast,
où ils s’empressèrent de déposer une réclamation entre les
mains du Gouverneur anglais, sous le prétexte d’expulsion
et de saisie illégale de marchandises. Les choses remises
au point, Abbas et son fils continuaient leur route sur la
Côte d’ivoire, arrivaient à Bassam et s’installaient au vil
lage de France, chez Ma Samba Cuève. Prisau début pour
de grands marabouts, ils furent consultés avec déférence
par certains musulmans, mais refusèrent tout conseil et se
tinrent uniquement sur le terrain commercial. Abbas, qui
se dit très riche, prouva qu'il avait des dépôts d’argent en
banque à la Mecque, au Caire, à Constantinople et à Cap
Town. Ce sont des gens intelligents, parlant très bien
l’arabe, le turc, l’hindou et l’anglais. Ils paraissent s’être
fixés aujourd’hui dans les colonies européennes du golfe de
Guinée, et circulent sans cesse du Libéria à Lagos, où ils
auraient leur principal établissement.
Cotonou possède deux mosquées : l’une, la mosquée-ca
thédrale, dont Souaïbou est l’imam, est une grande case
de 12 x 12, aux murs fermés de longues nervures de palmieas et de cocotiers à la toiture de tôle ondulée, au sol
damé et tapissé de sable fin. Elle est située dans la conces
sion même de l’imam. Celui-ci projetterait de faire édifier
une mosquée de plus belle venue. L’autre mosquée est une
chapelle de quartier. Elle a pour imam Al-hadji Faltaba.
Les écoles coraniques sont au nombre de quatre,et com
prennent à peu près 60 élèves, dont 4 ou 5 sont censés sui
vre un cours supérieur.
Chose assez rare au Dahomey. les musulmans ont un
cimetière spécial, ou plutôt un quartier réservé dans le ci
metière de la ville.
En dehors de Cotonou, on ne trouve de musulmans dans
104
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
le cercle qu’à Godomey, halte au kilomètre 11 du chemin
de fer. Godomey est un des plus anciens villages de la côte.
11 était, avant la création de Cotonou, le grand port du Da
homey après Ouidah. C’est par Godomey que se faisaient
les importations et exportations de Porto-Novo et de l’in
térieur. Les souverains y avaient, avant la conquête, établi
un poste de douane ; on y comptait plusieurs maisons de
commerce européennes. Il est bien déchu, quoique comp
tant encore i.3oo âmes. On y trouve quelques commerçants
haoussa musulmans, les uns établis à poste fixe, les autres
de passage.
3. — Cercle de Ouidah.
L’histoire du royaume de Ouidah, ou plutôt de Sahé,
comme disent les indigènes, reste à faire. Les relations de
nos vieux auteurs, missionnaires ou navigateurs, sur le
royaume de « Juda » ne font pas défaut. Les traditions
orales non plus. On pourrait même trouver quelques docu
ments portugais. C’est là un heureux — et exceptionnel en
Afrique noire — concours de circonstances qui tentera un
jour un érudit colonial (i).
Retenons ici que les comptoirs européens n'étaient pas
sur la plage même, ni à Sahé, capitale du royaume. Ils
étaient sur l’emplacement même de la ville actuelle, de
Ouidah appelée « Gléhoué », c’est-à-dire « la maison des
champs, » à 5 kilomètres environ de la mer, et à 8 kilo
mètres au sud de Sahé. C’est là que les Portugais, qui ap
parurent les premiers, au moins dans les temps historiques
établirent leur comptoir ou fort (milieu du xvr siècle.) Les
Hollandais y furent au début du xvii‘ siècle; les Anglais
vers le milieu de siècle, à l’époque de Cromwell ; les Fran(i) Cf. B u lle tin n* 3. — Année 1921 — du Comité d'études historiques et
scientifiques de l’A. O. F.
LE BAS DAHOMEY
105
çais à peu près en même temps. C’est là que d’Elbée y
éleva le comptoir français par ordre de Colbert en 1670.
a) Eléments ethniques. Houéda. — On a vu plus haut
que les populations primitives du pays de Ouidah étaient
les Houéda ou Houédanou, peuple d’origine Ehoué, comme
leurs voisins les Fon, les Kpla, etc. Nous n’y reviendrons
pas ici.
Familles d'origine fon-dahomécnne. — Lors du déve
loppement du royaume d’Abomey et de la marche de ses
habitants vers la côte, les rois d’Abomey s’emparèrent des
territoires de Sahé et de Ouidah. Ils fondèrent près de Sahé
une nouvelle capitale, « Savi », la clef, sous-entendu du
royaume Houéda. C’est par la grande voie de Toffo, Allada.
Savi, que s’effectuaient les communications avec le Daho
mey. Cette voie était barrée par des douanes à mailles très
serrées, qui rendaient les communications Nord-Sud très
faciles, mais empêchaient presque complètement tout mou
vement commercial en sens inverse. De ce fait et par suite
de l'afflux grandissant des indigènes du Nord, la région de
Ouidah s’est trouvée bientôt presque tout entièrement sub
mergée par les éléments dahoméens, représentants de la
puissance royale.
Parmi ceux-ci, il convient de citer particulièrement les
Ahissinon et les Ganhonto.
C’est aux Ahissinon qu’était confiée la vente des escla
ves, remis par le roi, à qui ils en devaient compte en argent
et en marchandises. En récompense de leurs services, ces
commerçants royaux furent autorisés à se fixer provisoire
ment sur les terres et dans les palmeraies déjà existantes
de la région de Ouidah. Ils y continuèrent leur négoce,
mais achetèrent pour leur propre compte une partie des
esclaves qu’ils recevaient et les installèrent sur le sol dont
ils avaient la jouissance précaire. Ces esclaves y fondèrent
de nouvelles familles et restèrent fixés définitivement dans
I0 6
ÉT UD ES SU R L’iSLAM AU DAHOMEY
la région. Toutefois les maîtres, qui les avaient achetés,
prétendent avoir toujours main m isêsur leurs descendants
et sur les palmeraies qu’ils exploitent. C’est là un des pro
blèmes essentiels du régime politique et foncierde Ouidah.
Les Ganhonto, ou gardiens de portes des factoreries
avaient pour mission de prélever une sorte de dîm e royale
sur tous les arrivages de m archandises ou de produits. Ils
étaient sous la surveillance de certains chefs, tels que le
Yévogan.
En dehors des Ahissinon et des Ganhonto, la puissance
royale d’Abomeyétait représentée par d ’autres nom breux
indigènes dahoméens, disséminés sur le territoire de
Ouidah, soit dans les villages, soit dans les pêcheries, où
ils prélevaient également une prime sur tous les produits
du sol ou des eaux. Leur surveillance s’étendait jusqu’au
débouché de la rivière Aho, qui sort du lac Ahémé et où se
trouvait un poste douanier dénommé Ahodénou.
Cependant, il arrivait assez fréquem m ent que certains
de ces agents ne donnaient plus au roi toutes les satisfac
tions sur lesquelles il comptait. Ils étaient alors destitués,
et une nouvelle famille prenait leur place. Elle acquérait
ainsi, à son tour tous les avantages et jouissances que com
portait la situation. De là, un enchevêtrement de droits
usagers, qui, combinés avec ceux des autochtones, a créé
une situation tellement inextricable qu’il est douteux que
notre adm inistration elle-même en voie le term e par des
moyens ordinaires.
Parmi ces premiers représentants du ro i,d ’origines d ’ail
leurs très diverses, on citera notam m ent Adjovi (Houédanou) Quénum, Odonon (Dahoméens), Niahoui et, le
plus puissant de tous, da Souza (Portugais).
Populations étrangères. — Sur ces deux élém ents au
tochtones et dahoméens, sont venus se superposer des
familles étrangères parmi lesquelles il convient de citer
notammentles Portugaiset Brésiliens, généralem ent métis.
LE BAS DAHOMEY
IO7
Ce groupement est constitué par les descendants d’anciens
commerçants, qui, ayant touché la côte à l’époque des pre
mières installations de la compagnie des Indes à Ouidah
(1670) demeurèrent dans la région, où ils se marièrent avec
des femmes du pays, y achetèrent des esclaves, et y fon
dèrent ainsi des groupes importants. La plus notable de
ces familles est celle dite des « Chachas », dont l’ancêtre
Francisco Félix da Souza, installé tout d’abord à Anécho
(Petit Popo), est venu ensuite s’établir à Ouidah, après
avoir pris contact avec les rois d’Abomey, dont il devint le
principal commerçant. Pendant trois générations, le titre,
de « Chacha » s’est transmis uniquementà ses successeurs
directs. Il n’en fut pas de même du nom de Da Souza, qui
fut pris, ainsi qu’il arrive toujours dans les collectivités,
par une grande partie de leurs descendants indirects et leurs
esclaves. — Parmi ces autres familles portugaises de même
origine, il faut citer entre autres, les d’OIiveira, les Médeiros, les d’Almeida, etc. Ce sont ici des éléments d’ori
gine libre.
Un deuxième groupement peut être rattachéà celui-ci. —
11 est composé des esclaves, vendus jadis au Brésil, y ayant
séjourné de longues années et qui, retrouvant leur liberté
au moment de la suppression de l’esclavage, revinrent, eux
ou leurs descendants, se fixer au Dahomey. Ces indigènes
sont généralement noirs et ont conservé, pour la plupart,
les habitudes européennes, prises auprès de leurs anciens
maîtres brésiliens. Ils forment un milieu demi-civilisé,
échelonné sur toute la côte dahoméenne, et en particulier
à Ouidah. Dans cette catégorie doivent être classés : les
d’Amata, Angelo, Gonsalvcz, Viera, Nascimento, etc. Mais
c’est dans cette catégorie que nous voyons apparaître les
premiers musulmans, ancêtres de la colonie actuelle des
islamisés de Ouidah.
En dehors de ces principaux éléments étrangers, il con
vient de mentionner, les indigènes des colonies anglaises
s
108
ÉTUDES SUR L'lSl.AM AU DAHOMEY
ou allemandes voisines, venus en particulier des régions
de l’Accra et de Popo. C’est une population intelligente très
adonnée au commerce, mais essentiellement flottante.
Ajoutons que le métissage est général surtout dans les
villes.
b) Communautés musulmanes. — Vers 1818, un groupe
de Haoussa, originaire de Kaniki (Bornou) vint s’installer
à Ouidah, dans le lata Batédo (Zomaï).
A la suite, dit-on, d’un complot contre le roi dahoméen
Ghézo, ils furent vendus à des négriers avec 600 autres
captifs, ceux-là Nago, en grande partie musulmans de la
basse Nigéria.
Une trentaine d’années plus tard, libérés par les révolu
tions et traités de 1848 et suivants, ils revinrent à Ouidah
sur des bateaux américains. Isidore, fils de Francisco de
Souza, qui exerçait les fonctions de Chacha Adjinakon, au
nom des rois d’Abomey, les confia à l’un de ses compa
triotes, Gonzalvès, qui leur fit abattre les arbres et défricher
les terrains, sur lesquels se trouve aujourd’hui le quartier
Maro, village musulman de Ouidah, Maro d’ailleurs veut
dire « étrangers ». Il y a des quartiers maro à Djougou, à
Nikki, à Kandi, etc.
Ils avaient à leur tête, six chefs dont la descendance
forme l'aristocratie musulmane locale d’aujourd’hui.
Leur religion ne progressa guère pendant de longues
années : des captifs de guerre seulement venaient grossir
plus ou moins volontairement le nombre de leurs adeptes.
Les luttes des chefs musulmans dans le Nord au cours
du xixe siècle, d’une part, ('hostilité des rois dahoméens,
de l’autre entravèrent le mouvement d’immigration des
Musulmans de Nigéria vers la côte, et par conséquent y
nuisaient au développement de l’islam.
La liste des imams et chefs musulmans de Ouidah a été
bien conservée.
LE BAS DAHOMEY
109
Le premier fut Baba Onioubon, c’est-à-dire « le vieux
barbu ». Il était haoussa. Il choisit l’emplacement de la
prière, et c’est le lieu même où s’élève aujourd’hui la
mosquée (i85o environ).
Ses successeurs furent : AlfaSalou, haoussa, vers i865 ;
Abou Bakakari, Yorouba,-f-vers 1872 ; Aléchou, Bornouan,
f vers 1876 , Abdoullaye, fils d’AIéchou, vers 1883.
Ce fut cet Abdoullaye Aléchou qui construisit la mosquée
en son état actuel, vers 1880 : terre de barre et toit de
chaume. Le chaume a été toutefois remplacé par la tôle
ondulée, ces dernières années. Il est actuellement question
de construire une grande et belle mosquée : beaucoup de
fidèles versent des cotisations régulières.
Abdoullaye Aléchou fut remplacé, à sa mort, vers i883,
par Ahmidou Soumaïla, qui est le grand nom de la der
nière génération musulmane de Ouidah. Il en a été l’imam
pendant plus de 3o ans. Son père Soumaïla, commerçant
Nago à Ibadan, fut emmené en esclavage par des tribus
ennemies Yorouba, et vendu à des négriers du Brésil. Ayant
dans la suite, obtenu son rachat, il fit, à son retour sur la
côte, un séjour à Kaniki (Kouka), puis se rembarqua et
chercha à faire du commerce à Sierra-Léone, à Agoué, et
enfin à Ouidah où il se fixa.
Ahmidou, naquit à Sierra-Lcone ; il exerça la profession
de tonnelier à Ouidah ; sa réputation lui fit conférer les
fonctions religieuses d'imam par ses coreligionnaires.
Le général Dodds lui fit bon accueil au moment de la
conquête et lui donna cent francs pour faire des prières
pour le succès de ses armes. Il a été remplacé à sa mort,
en 1914, par son fils Liadi.
Liadi Ahmidou est né à Ouidah vers 1880, et y a fait ses
études coraniques et son apprentissage de bijoutier. Il a
passé plusieurs années à Lagos, gagnant sa vie comme bi
joutier, et suivant les cours d’une médersa, à la suite des
quels, dit-il, on le déclara apte à l’imamat.
I 10
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
Son instruction religieuse est tout à fait rudim entaire;
il écorche un peu d’arabe, comprend l’anglais, ignore com
plètement le français.
Il a été appelé, par élection de la communauté musul
mane de Ouidah, à succéder à son père en 1914.
Il vit péniblement du travail de ses « gléta » et de l’en
seignement coranique qu’il distribue à une quinzaine
d’enfants. Il a reçu l’ouird tidiani d’Abou Bakari, vieux
marabout toucouleur, moqaddem de la voie à Lagos, et y a
décédé vers 1915. Celui-ci tenait ses pouvoirs d’Ahmadou,
fils d’Al-hadj Omar, et paraît avoir été un des débris des
bandes Omariennnes, échouées en Nigéria entre 1893 et
1908.
La personnalité islamique la plus marquante de Ouidah
est, à l’heure actuelle, Hassani Ahmadou Oyo, qui rem
plit les fonctions de « Naïbi», c’est-à-dire de «suppléant de
l’imam ». C’est un Nago, né vers 18G0 ; il est ouvert, intel
ligent, sympathique, quelque peu lettré, manifestement la
plus forte tète du groupe. Il a reçu l’ouird qadri, en 1890,
d’un certain Abdoullaye, Ktapa de Lagos. Il allait jadis
faire des voyages de commerce à Lagos, et y a conservé
quelques relations. Aujourd’hui, il est sédentaire et en
seigne le Coran à sept ou huit élèves. Entre temps, il tient
boutique d’amulettes et de drogues ou, comme dit l’inter
prète, de « laxatifs». Il a une bibliothèque d’une douzaine de
volumes (Coran, Rissala, ouvrages de formules magiques).
Les autres notables musulmans de Ouidah ont moins
d’envergure. A citer ; t° Ahmadou Salou, Nago de PortoNovo, où il est né vers 1862. Avec ses 20 élèves, tous
mâles, il a l’école la plus florissante de Ouidah ; il n’est
d’ailleurs que très faiblement lettré. Il a reçu l’ouird qadri
de Djibrit, Ktapa de Lagos, venu ici pour son commerce
vers 1908 ; 2° Abdoul qadri Marna, d’origine servile chez
les Ktapa, né à Ouidah vers 1864 ; il a deux femmes, une
douzaine d’enfants, et n’a pas trop des ressources cornbi-
LE BAS DAHOMEY
111
nées de son métier de tisserand et de la culture de ses
champs, pour arriver à les entretenir. Il tenait jadis une
petite école coranique d’une dizaine d’enfants. Il a dû
la fermer faute de loisirs. II a reçu l’ouird tidiani de Hassani Salou (Salihou), Nago de Ouidah, installé depuis
quelques années à Sierra-Léone. Ce Hassani était un des
disciples qu’un marabout foutanké, de passage à Ouidah
vers 1900, a laissés dans la région, y créant ainsi une
sorte de filiale tidiania toucouleure. Par les Foutanké, Bourahima Ahmadou Sada et Alfa .Mahmadou, il se rattachait
à Al-hadj Omar. 3” Ouo-Ouo Mahama, commerçant
haoussa, originaire de Katséna, où il est né vers i858, et
où il a fait ses études. II est venu ici vers 1870 et s’y est
établi définitivement : il n’en sort que pour aller à PortoNovo et à Lagos se ravitailler en marchandises. Il tient
une école d’une douzaine d'élèves. Il relève de la voie
qadria de Soaïbou, imam de Cotonou, vu ailleurs.
4° Mala Aïssa. haoussa de Kano, commerçant et maître
d’une école de 4 élèves. Il n’a pas d’ouird. 5° Mamadou
• Lamin, né vers 1885, Nago d’Agoué, commerçant qui est
peut-être le plus lettre de la ville, ce qui ne veut pas dire
qu'il le soit beaucoup. 11 se rattache à la voie qadria
d’Alfa Kaba, de Cotonou, vu ailleurs. 6» Moussa Salou,
Nago de Ouidah, nè vers 1878, commerçant et notable. Il
a reçu l’ouird tidiani de Hassani Salou, nommé plus
haut. 7" Al-hadji Alostafa, fils d’Al-hadji Adama, qu’on
peut donner ici pour mémoire, bien qu’il ait disparu de
Ouidah depuis longtemps. C'est un arabe, né vers i885,
coureur d’aventures, dans le genre de Sind bad le marin.
Il était venu au Dahomey, de Konakry au début de 1913.
Après un séjour de trois mois à Zinvié (Allada), et un
/autre de deux mois à Abomey Calavi ; il arriva à Ouidah,
le 6 août, et y demeura jusqu’à la fin de l’année. 11 se fai
sait entretenir par la communauté musulmane, chez qui,
il descendait et distribuait un ouird tidiani, qu’il déclarait
12
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
tenir d’Ali Mitom de Médine. Il repartit un beau Jour par
la mer, déclarant qu’il retournait dans son pays.
En résumé, la communauté islamique de Ouidah ne dé
passe pas î5o âmes, dont les trois quarts sont des Nago,
fils des captifs libérés du Brésil, et les autres des Haoussa,
soit de la même origine, soit commerçants immigrés de
puis cette date. Ils sont tous domiciliés au quartier Maro
et au caravansérail.
Elle comprend cinq écoles coraniques et cinquante élèves
environ, ce qui est peu dans un milieu, où les écoles
laïques et confessionnelles regorgent d ’enfants.
On y trouve un cimetière musulman, ce qui est fort
rare au Dahomey, où les musulmans, comme leurs com
patriotes d’autres rites, enterrent les défunts dans leurs
cases.
Perdu dans un milieu fétichiste, qui évolue très rapide
ment vers les différentes confessions chrétiennes, la com
munauté musulmane de Ouidah ne s’augmente que faible
ment, soit par procréation, soit par l’afflux de quelques
commerçants de Nigéria.
En dehors de Ouidah même, on ne peut citer dans le
cercle que deux centres, où apparaissent des m usulmans :
Savi, et Segbohoué.
A Savi, une trentaine d’indigènes Nago, sans mosquée,
sans imam, et sans personnalité notable, tous com m er
çants, se disent fils du Prophète.
La communauté de Segbohoué est un peu plus im por
tante, et comprend, outre les Nago, quelques Haoussa.
Elle fait sa prière dans une petite mosquée en terre de
barre, à toit de chaume, sous la présidence de l’imam
Adama, commerçant originaire de Kaniki (Bornou).
1*1.. V,
< j.—
Chef dahoméen
I I . V, b.
Popio -N ovo : Scnlior Ignacio Paraïso
(Sou Ici).
LE BAS DAHOMEY
I l3
4. — Cercle de Grand-Popo (Mono).
Le cercle de Grand-Popo a subi des vicissitudes nom
breuses. T antôt sous ce nom, il est réduit à la seule subdi
vision côtière de Grand-Popo, tantôt sous celui de cercle
du Mono, il est agrandi des subdivisions d’Athiémé et de
Bopa, et même quelquefois de celle de Parahoué, aujour
d ’hui à Abomey.
Aujourd’hui (1921), il comprend trois subdvisions :
Grand-Popo, Athiémé, Bopa.
i" Subdivision de Grand-Popo. — La subdivision de
Grand-Popo, ancien cercle du même nom, comprend, au
recensement de 1920, une population totale de i7.5ooâmes,
dont 3oo musulmans environ, tous immigrés. Les autres
habitants, à part une centaine de pêcheurs de Gold Coast,
qui ne sont là qu’une partie de l’année, sont des auto
chtones fétichistes.
Elle comprend huit cantons, divisés au point de vue
des éléments ethniques. Le canton de Kpla comprend
3.410 âmes, dont 80 m usulm ans environ. Les Kpla, très
nombreux au Togo, s’apparentent aux Houéda et relèvent de
la race Ehoué. Les m usulm ans sont surtout des commer
çants Haoussa de la N orthern Nigéria, établis à GrandPopo, chef lieu du cercle, de la subdivision, et du canton,
depuis un quart de siècle au plus. On y compte aussi quel
ques Nag'o.
Les deux personnalités en vedette sont Mamadou
Laouani et Aliou M ahama, séparés par leur rivalité pour
le com m andem ent du quartier Haoussa et d elà com m u
nauté musulmane.
Mamadou Laouani, d’origine Ktapa (Nigéria), est né à
Bida vers 1860. 11 est venu à Grand-Popo en 1900, et y a
fixé ses affaires. C’est un commerçant qui, à temps perdu.
114
ÉTUD ES SUR L'ISLAM AU
DAHOMEY
fait le tailleur. 11 est le chef intérim aire du q u artie r
Haoussa, qui à Grand-Popo porte le nom de Salaga, en
souvenir des premiers commerçants m usulm ans, origi
naires de la Salaga de Gold Coast, qui y firent leur appa
rition peu après notre établissement, et qui, depuis cette
date, ont disparu. Mamadou Laouani fait aussi l’imam,
quand la place est vacante. 11 est qadri par Alfa Ahmadou
Safi de Bida et, par ce dernier, se rattache à Alfa Ibrahima de Kaniki (Kouka).
Aliou Mahama, son compétiteur, est un Haoussa, né
vers 1862 à Sokoto, et venu ici vers i8g5. C’est un com
merçant colporteur, « qui n’a eu le tem ps de recevoir
l’ouird ». C’est un homme intelligent et vif, qui parle un
peu le français.
La mosquée de Grand-Popo consiste en un emplacement
de 5 sur 8 mètres, bien damé, tapissé de sable fin, et en
touré d ’un clayonnage de bambous. Elle est l’œ uvre d ’un
saint homme, Ahmadou Mohamadou, né vers 1884 a Quit
tait (Gold Coast) et qui, de condition servile, fut acheté et
éduqué p a rl’imam de Quittah, un certain M ahmadou, d’ori
gine bornouane. Venu ici vers 1906, comme colporteur,
il devint aussitôt parson savoir et sa piété le chef et l’imant
des fidèles musulmans. 11 est mort de maladie en 1916 pour
le malheur de la communauté, qui s'est aussitôt divisée. 11
a laissé deux enfants qui font leurs études à T ori (Allada).
Un commerçant haoussa de Kaniki (Kouka), Marna Baba,
a recueilli, à sa mort, sa charge d’imam, mais il est parti
s’établir à Accrah (Gold Coast) en 1918.
Après un intérim de Mamadou Ladouani, la place est
occupée présentement et provisoirement par un jeune m ara
bout de passage, Abdoullaye Mahama, haoussa de Kano, né
vers 1890. Ilestà peu près illettré, mais en impose par son
onction et sa gravité. Il a fait ses études à Kano, auprès de
Malla Ahmadou, qui lui a donné l’ouirtidiani. Ce dernier
LE BAS DAHOMEY
115
se rattachait à la zaouia tidiania de la Mecque par un de
ses missionnaires, le commerçant Malla Abbassi, venu
d’Arabie en Nigéria vers 1890.
Les personnalités les plus importantes de cette colonie
muimane de Grand-Popo sont, en dehors de celles déjà
citées, a) Mamadou Léoura, haoussa, né vers 1880 à Daoura
(Sokoto) ; c’est un commerçant, disciple qadri d'Alfa Mama
dou Soho de Daoura ; i>) Ibrahima Oumarou, haoussa, né
vers 1885 à Kathena. Il est arrivé ici en commerçant vers
1915. C’est un qadri qui, par Mala Salihou et Mala Mahama
et Mala Bou Bakari se rattache à la grande filiale qadria
des Peul de Sokoto.
Il n’y a pas d’école coranique pour l’instant à GrandPopo. Jadis, l’imam Ahmadou en tenait une, qui comptait
5 à 8 enfants. Elle a été fermée à samort.Depuis cette date,
elle n’est ouverte que par intermittence, quand un mara
bout de passage fait bénévolement un cours.
11 n’y a pas de cimetière musulman spécial. Cependant
les musulmans n’enterrent pas, comme ailleurs, leurs
morts dans leurs cases. Ils les conduisent au cimetière
commun de la ville, mais tendent à se spécialiseï, en fai
sant toujours les inhumations dans le même quartier.
Le canton de Ouatchi, d’une population de 2.245 âmes,
possède dans son chef-lieu, Adjaha, une petite colonie
musulmane, de 5o âmes, d’origine haoussa, tous commer
çants. Les Ouatchi constituent une peuplade dont les ori
gines n’ont pas pu jusqu’à ce jour être déterminées.
L’imam d’Adjaha est Mamadou Ouangara, Mandé d’ori
gine soudanaise, né vers 1880, venu ici vers 1902, comme
colporteur et qui s’y est établi. C'est un qadri qui, par Alfa
Ahmadou deQuittah (Gold Coast), se rattacheà MalaMamadou Soufrou, Haoussa de la zaouia de Kano (Nigéria). Il
fait l’école par intermittence. Dans ces tournées commer
ciales, c’est son jeune fils, né vers 1909, qui assure la direc
tion de l’école, et qui, malgré son âge, s’en tire, paraît-il,
11Ô
ÉTUD ES SUR L’ iSLAM AU DAHOMEY
fort bien. Cette école ne comprend d’ailleurs q u ’une dou
zaine d’élèves.
Le chef de la communauté musulmane est Mamadou Gogobiri,'né vers 1864, venu ici en 1895. C’est un Haoussa,
né à Sokoto, où il a fait quelquesétudes etreçu l’affiliation
qadria d’un marabout connu, Mallam Garba.
La mosquée d’Adjaha est une grande case en lattes de
bambous, recouverte de chaume.
Dans ce bourg, sis à 6 kilomètres à peine au Nord du
Grand-Popo, la communauté m usulmane est en régression.
En effet, depuis que le chemin de fer a accaparé à DassasZoumé, à Paouignan et à Savê, le grand mouvement cara
vanier du Nord, les caravanes de Haoussa ne descendent
plus à Adjaha. La plupart de ceux qui ôtaient installésdans
le pays en sont partis, sans avoir eu le temps de faireécole.
D’autre part, la facilité de communications et d’accès à
la côte, si rapprochée, permet aux cultivateurs de l’intérieur
d’aller vendre directement leurs produitsà Grand-Popo, ou
aux factoreries voisines, et d’y choisir les objets qui leur
conviennent, à meilleur compte qu’auprès des interm é
diaires.
De plus, une grande partie de la population est en mou
vement pour aller chercher au loin la nourriture, qui
manque dans la région palmifère, ou pour transporter ses
produits : elle n ’a guère le temps d’écouter les offres allé
chantes des vendeurs de gris-gris : il faut d’abord manger.
Par suite, le colporteur nagoou haoussa dim inue en même
temps que le commerce européen monte plus nombreux
dans l’intérieur.
En résumé, si Grand-Popo a perdu la moitié de sa popu
lation musulmane, Adjaha en a perdu un bon tiers.
Les Houéda, de la même origine que leurs frères de
Ouidah, forment deux cantons : nord et sud, com prenant
au total 4.160 âmes. Houéyogbé, chef-lieu du canton nord,
bourg important sur la rive orientale du lac Ahémé et ter-
LE BAS DAHOMEY
'7
minus du chemin de fercôtier, possède une colonie musul
mane de 60 à 70 âmes, d’origine haoussa, et commer
çants.
Birahima Marna est le chef de la communauté musul
mane, quartier haoussa (Zingo) de Houéyegbé. Il est né
vers 1872 à Kano, où son père était cultivateur. II fut initié
au qaderisme par le marabout Mala Ahmadou de Kano. Il
est parfaitement illettré.
L’imam et maître d'école est Mala Amadou, Haoussa de
Kano, né vers 1880, commerçant. Son école coranique com
prend 10 élèves, dont la moitié des filles.
La mosquée de Houéyogbé était jadis une grande caseen
terre de barre, recouverte de chaume. Elle a été détruite,
lors du mouvement insurrectionnel des Houéda en 1918.
Elle n’a pas été encore restaurée.
Dans ce gros centre commercial où toutes les factoreries
européen nés sont représentées, les Haoussa, élément musul
man, diminuent aussi: le tiers de cette population a
émigré depuis cinq ans.
Ceux d’entre eux, qui ne sont pas retournés chezeuxou
ne se sont pas transplantés en des endroits plus propices,
se voient tout doucement refoulés dans l’intérieur. Leur
rayon d’action commercial diminue ; leurs centres d'opéra
tions se déplacent vers des villages plus éloignés. Bref, ils
périclitent, et avec les progrès du commerce européen, et
l’augmentation des facilités de communication, ils finiront
par disparaître, à moins qu’ils ne changent de profession
et délaissent le colportage. Ils abandonnent lentement la
partie, ou tentent de nouvelles opérations sur la frontière de
Togo, où ils font la contrebande de la poudre, du sel, des
écus de 5 francs (pièce à la triple effigie).
Les Kotafon, d’origine dahoméenne, forment deux can
tons de 4-o5o âmes, où on ne trouve aucun musulman
autochtone ou immigré.
Le canton des Adja ou Sahoué, également d'origine
\
I iS
ÉTUDES SUR l ’ is l a m AU DAHOMEY
dahoméenne, ne renferme aucun converti dans ses 2.35o
âmes. Sé, son chef-lieu, possède une petite colonie musul
mane d’une cinquantaine d’âmes. 11 était jadis le plus gros
débouché local, et cette faveur s’expliquait par l’impor
tance de ce groupement, peuplé de cultivateurs, qui y ap
portaient les produits du cru; il a souffert de la croissance
de Bopa et aussi de l’abandon des marchands musulmans.
L’un deux ayant été assassiné en plein marché, en igo3,
par un fétichiste de Sé, ils désertèrent l'endroit. Ce n’est
que depuis quelques années qu’ilsy reviennent. Les événe
ments de 1917-1918 ne sont pas pour leur donner con
fiance.
En revenant sur la côte, le canton des Agaïn, Mina ou
Popo, qui s'étend sur 20 kilomètres, enserré entre la mer
et la lagune, ne renferme que i.o65 âmes. Agoué, son cheflieu, possède la plus importante colonie musulmane du
cercle, i5o âmes, d’origines variées, tous commerçants,
comme il convient.
Agoué est une fondation indirecte du grand Francisco
Félix da Souza, le futur « chacha » de Ouidah. Elle date
du xix’ siècle. Francisco, alors à Anécho, avait épousé Jijibou, fille de Comalangan, chef du village voisin d’Adjigo.
II en eut un fils, Isidore, né le 2 février 1808, et qui fut
envoyé au Brésil pour y faire ses études.
Les serviteurs de Comalangan s’étant permis à plusieurs
reprises des propos indécents sur les autres femmes de
Francisco, celui-ci se plaignità leur maître, en lui envoyant,
suivant l’usage, son bâton ; mais Comalangan le brisa sur
le messager, en lui disant: «Jetrouve Francisco insuppor
table, comme tous les fils des blancs. » C’était la guerre.
Aidé par des chefs voisins, Francisco attaqua Comalangan
et le chassa de son village d ’Adjigo. Le chef dut prendre
la fuite et alla s’installer avec les siens en un endroit voi
sin, sis à une dizaine de kilomètres à l’est d ’Anecho. Il
nomma le nouveau village « ago-ago », c’est-à-dire « à re-
LE BAS DAHOMEY
‘•9
culons». C’est ce village d’Ago-ago qui est devenu l’Agoué
actuel (vers 1820).
11 n’y avait pas alors de musulmans, et il n’y en eut pas
jusqu’à 1848, année où les premiers esclaves musulmans,
libérés au Brésil, arrivèrent sur la côte d’Afrique, et s’éche
lonnèrent sur le rivage, de Lagos à Anecho. Agoué en eut sa
part, tous d’origine Nago. A ce groupement Yorouba sont
venus, avec le temps, se joindre des commerçants Haoussa.
C’est de ces deux éléments que se compose l’actuelle com
munauté d’Agoué, et, par exception à la règle générale au
Dahomey, ils vivent ici dans les meilleurs termes. C’est
l’accord parfait : la grande mosquée est la mosquée Nago,
mais l’imam des grands jours est Tahirou. imam de la
mosquée Haoussa. Mamadou Laouani, imam Nago, n’est
le vendredi, que le « Naïbi » du premier. La situation est
assez délicate, mais il suffit d’ôtre respectivement de bonne
foi et d’esprit conciliant.
La liste des imams d’Agoué s’est bien conservée. Le pre
mier fut Saidou un esclave libéré du Brésil. 11fit le premier la
prière sur l’emplacement de la grande mosquée actuelle (vers
i85o). Ses successeurs furent Bourahi ma vers 1855, Mamadou
Bello, arrière grand-père de Mamadou Laouani, vers 1862,
et Abou Bakari vers 1890. Jusque-là, les imams avaienttous
été Nago. Avec l’occupation européenne, les Haoussa,com
merçants avisés et instruits, leur ouvrirent les portes de la
communauté, si bien qu’en 1915, Tahirou, haoussa d’Agoué
imam de la mosquée Haoussa fut choisi comme imam com
mun du vendredi, la grande mosquée restaitcelle des Nago.
Cette mosquée est un bel édifice de 8 x 10 mètres, en terre
de barre, entourée d’une belle véranda couverte, et tout en
briques ; un toit de tôle ondulée recouvre l’ensemble, qui
a fort bon air. Elle a été construite vers 1905. Elle a pour
imam — l’imam des jours ordinaires — Mamadou
Laouani, fils de trois générations Nago d’Agoué.
11 est né vers i855 ; c’est un assez bon lettré. Il estqadri
120
ÉTUDES SUR L’ ISLAM AU DAHOMEY
de l’obédience de Bourahima Mamadou, de Kaniki (Bornou), venu ici en voyage de négoce vers 1890. Les autres
personnalités musulmanes Nago sont : a) Abou Bakari ibn
Bourahima, originaire d’ilorin, maître d’école de l’endroit: il
a une dizaine d’élèves, lise rattache à la voie qadriad’Ahmadou Roufaïde Nigéria. Z>) Mamadou Abou Bakar, Muezzin, né
vers 1860. Il se rattache au tidianisme d’un haoussa de
Kano, A!-hadji Mamadou, venu ici en tournée commerciale,
c) Abdou Rahimi, fils de Hassani, notable vu à Ouidah. Né
vers 1876 a Agoué, où son père résidait alors, il est revenu
se fixer depuis quelques années dans sa ville natale. Il fait
du commerce, et entre temps sert de secrétaire arabe aux
illettrés du village. Il se déplace souvent vers Ouidah. Co
tonou et Lagos, et connaît tous les notables m usulm ans de
ces villes. 11 a reçu l’ouird qadri de son père Hassani.
Du côte haoussa, on ne peut citer qu’une personnalité
intéressante : Tahirou, né et élevé à Agoué même, vers
1870. Il est d’une bonne famille, aisée, commerçante, pro
priétaire de terrains. Son père était déjà un marabout de
petit renom. Il a été initié au tidianisme par le vieil imam
Nago, Alfa Bello. Peu lettré, il apprend le Coran à une
demi-douzaine d’enfants haoussa, et dans un domaine plus
pratique, les apprend à écrire le haoussa en caractères ara
bes. Il a succédé comme assesseur musulman du tribunal
de cercle, à Mamadou Laouani, démissionnaire pour rai
son de santé.
Il n’y a pas de cimetière musulman : les morts sont in
humés dans les cases suivant la coutume locale.
La communauté musulmane d’Agoué n’est appelée à
aucun avenir. Les fétichistes de l’endroit, Mina surtout, et
quelques Kpla, sont attirés par l’influence, chaque jour
grandissante, des missions chrétiennes de la ville et des
environs. Ils ne se convertissent pas à l’islam. Bien mieux,
les enfants musulmans suivent les cours des écoles des
missions, en môme temps que leur catéchisme coranique.
LE BAS DAHOMEY
I 2I
Parvenus à l’âge d’homme les uns et les autres essaiment,
comme commerçants et petits fonctionnaires dans les gran
des villes de la côte et même de l’intérieur.
2° Subdivision d ’Alliiémé et de Bopa. — On ne fera
mention que pour être plus complet, des musulmans des
subdivisions d’Athiémé. On peut l’évaluer de 3oo environ
sur une population de 45.000 âmes.
Ces territoires sont peuplés par les Sahoué, fractions
d’origine Ehoué. Jadis guerriers etpillards, tenusen haleine
d’ailleurs par les invasions des gens du despote d’Abomey
dont ils avaient fui les persécutions et les exactions, ces
gens sont devenus sous la paix française, d’infatigables tra
fiquants, âpres au gain, et au courant des tractations com
merciales de la côte. Ils paraissent s’assimiler relativement
vite.
L’élément Sahoué domine dans les cantons de Sahoué,
et de Bopa ainsi que dans celui de Sé (Grand-Popo). L’élé
ment proprement Ehoué domine ailleurs. Des colonies de
Houédase rencontrent de ci de là, surtout le long des rives
du fleuve et du lac. Les uns et les autres sont fétichistes.
On compte dans la subdivision de Bopadeux grands mar
chés, fréquentés par les musulmans : Bopa, Séhomi.
Bopa est une création française. A la faveur de la sécu
rité, que nous avons fait régner dans le pays, les étrangers
ont envahi la région et y coudoient les marchands de Bopa
même de Ouidah, d’Allada, les Gambari, les Nago.
Les colporteurs musulmans, qui ne fréquentaient pas
jadis ce marché, mis en coupe réglée par les Sahoué féti
chistes sont arrivés d’abord timidement puis en grand nom
bre. Ils forment aujourd’hui un groupement important et
trois rues d’apartam sont occupées par ces indigènes, ori
ginaires de Lokossa, de Ouidah, de Kodcha ou de PortoNovo. Ils sont reconnaissables, au premier coup d’œil,
parmi les animistes ambiants par leur dialecte Haoussa ou
Nago, leurs exclamations à forme arabe, leur costumes
22
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
spécial et l’achalandage des apartam. Accroupis à la mode
islamique, ils harcèlent le chaland, et se répandent en
injures quand celui-ci s’en va sans rien conclure.
Séhomi, sur le même modèle, a moins d’importance.
Dans la subdivision d’Athiémé, le principal centre musul
man est Locossa-Gbedji, où l’on trouve à peu près 200
Haoussa. Leur chef, Labo Mamadou, parle et écrit l’arabe. 11
est membre du tribunal de subdivision d’Athiémé. C’est un
homme dévoué. A citer avec lui : Mala N'Garba, d’origine
soudanaise, et Mala Ouangara, marchand d ’amulettes.
Les autres musulmans sont répartis en petits groupes
dans les villages d’Athiémé, d’Ouédémé. d'Aguidahoué, de
Tinou-Alabonnedji, de Hintou, de Plagoduné, de Niavo,
de Dévé, de Adidero et de Kaïgon, où ils vivent très isolés
au milieu de la population fétichiste.
On n’y signale aucune école coranique.
Ces musulmans étrangers ont vécu jusqu’à nos jours
sous la terreur des persécutions fétichistes. En 1917-1918
encore, l'insurrection de ces régions frontières commença
par le massacre de tous les colporteurs musulmans.
Haoussa et Nago se réfugièrent alors auprès de nos postes
et de nos colonnes, et dans leur désir de représailles nous
rendirent comme guides et agents de renseignements d ’ex
cellents services.
5. — Le Togo maritime.
D’un rapide voyage sur la côte du Togo, il ne sera pas
inutile de donner les quelques notes suivantes sur les petites
communautés musulmanes locales. Elles font suite tout
naturellement à l’islam du bas Dahomey.
La création d’Anécho, ou Petit-Popo, est, dans sa forme
actuelle, l’œuvre de Francisco Félix da Souza, le grand
« chacha » de Ouidah. Né au Brésil, il était arrivé en 1788
123
LE BAS DAHOMEY
comme commandant du fort portugais de Ouidah. Il démis
sionna quelques années plus tard, et après quelques pérégri
nations sur la côte des Esclaves, et notamment après la fon
dation d’un comptoir à Badagry, près de Lagos, il repartit
pour le Brésil.
Il en revint en 1800, et débarqua sur la place d’Anécho.
Il y avait là à ce moment, un petit hameau d’Ané, c’est-àdire sans doute d’Agni, de la Côte d’ivoire.
La tradition veut qu’il ait été fondé vers 1700 par un petit
groupe d’Agaïn, qui habitait entre Accrah et Quittah. Ils
furent jetés par la tempête sur cette plage. Leurs pi
rogues ayant été brisées, ils ne purent se rembarquer et
s’établirent là avec l’assistance de leurs cousins Mina. Par
la suite, la population s’accrut de pagayeurs et de manœu
vres, amenés par les Européens qui trafiquaient dans la
région. Leur hameau s’appelait Ané To No-Hou, c’est-àdire « nous allons voir les cases Ané ». Le nom avait été
donné par le roi Gliji, maître de cette région maritime,
qui lorsqu’il descendait vers la plage, prononçait cette for
mule. Par abrévation on en a fait Anécho.
Francisco s’y fît céder par le roi Gliji un vaste terrain, le
débroussa et y fonda un comptoir, qu’il nomma en souvenir
de son établissement de Badagry, qui portait le même titre,
« Adjudo », c’est-à-dire « Dieu m’aide » (Deos me adjuda).
Ce comptoir est l’origine du village indigène de Adjido et
de toute la ville d’Anécho. Francisco y fit, en effet, une
traite florissante, et donna un essor considérable au com
merce de la région. Son départ postérieur pour Ouidah
n’entrava pas le développement de la ville.
Anécho vit apparaître les premiers musulmans vers 1848,
à l’époque de la libération des captifs, Haoussa et Nago,
que la génération précédente avait pu transporter au Brésil
par les négriers. Débarqués en vrac sur la côte des Esclaves,
ils s’établirent un peu partout dans les villages maritimes.
C’est ainsi que trois ou quatre familles Nago, de religion
9
124
É T U D E S SU R L'ISLAM AU DAHOMEY
m usulm ane, se fixèrent à Anécho. Ellesy sontrestées, sans
autre accroissement que celui dû à te procréation.
A ce chiffre sont venus se joindre, depuis l’occupation
européenne, quelques commerçants Haoussa de N orthern
Nigeria.
Au total, la population m usulm ane de la ville n ’atteint
certainement pas cent âmes. On n'y rem arque aucune per
sonnalité notoire. Ils n ’ont pas de mosquée bâtie et se con
tentent d’un simple emplacement damé et sablé, et entouré
d ’un clayonnage de nervures de bambous.
Porto Séguro, à i3 kilomètres à l’ouest d’Anécho, est
une filiale de cette ville. A la suite de dissensions intestines
un groupe d ’A n é,so usla conduite d ’un chef, nom m é Agbo,
alla fonder un village, dit Agbodioufo, à qui les Portugais
donnèrent, de 1a m er, le nom de Porto Séguro, car il était
le meilleur hâvre de l’em bouchure delà Volta jusqu’à Lagos.
On ne trouve dans ce ham eau q u ’une dizaine de com m erçants.Haoussa et Nago, sans lien entre eux et sans intérêt.
Lomé, capitale du Togo, renferm e une im portante co
lonie m usulmane de cinq cents âmes environ. En y ajou
tant les Cooadeptes, dispersés dans le cercle, ou Lom é-Land
(3oo environ dans le canton d ’Assahoun, et 3oo, dans les
cantons deG am é, Tséné en Agbatofé), on obtient plus d ’un
m illier de m usulm ans. Ce sont pour la plupart des Haoussa
de la N orthern Nigeria, venus ici depuis l’occupation alle
mande et qui s’y sont fixés pour les besoins de leur com
merce. La plupart paraissent définitivem ent établis.
Les principales personnalités so n t: Énoussa, G aladina
Ènoussa, Boukari, Malam, Issa.
Enoussa, chef de la collectivité m usulm ane de Lom é, et
qui vient d’y m ourir le 2 février 1921, était né àK an o , vers
1860. ü était fort respecté.
Galadina, fils de Moussa, fils de Bardoi, lui a succédé
dans ses fonctions de chef des m usulm ans de la ville. 11 est
né à Katsena, berceau de sa famille depuis plusieurs gêné-
LE BAS DAHOMEY
lî5
rations, vers 1861 et s’est établi à Lomé vers 1890. J1 y pa
raît fixé sans esprit de retour. Il n’a aucune instruction is
lamique et écrit seulement le haoussa en caractères arabes.
Il est commerçant beaucoup plus qu’homme d’église. 11 n ’a
même pas d’affiliation mystique, ce qui en pays noir est
presque obligatoire pour un musulman, mais il déclare
toutefois que l'ouird qadri aura ses préférences quand
l’heure aura sonné. Galadina est assesseur au tribunal de
cercle de Lomé.
Boukari, fils de Malam Mahama, fils d’Ahmadou, appar
tient aune famille Haoussa, originaire de Kouka (Bornou).
Il y est né vers 1855 et s’est établi à Lomé vers 1890. C’est
un vieillard impotent, paisible et respecté, dont ses compa
triotes ont fait l’irnan de la ville, et nous, le président du
tribunal de subdivision. Il est peu instruit.
Malam Issa est un Haoussa né à Yendi (Togo anglais).
Son père, Djibril, originaire de Sokoto, s’était fixé à Yendi
et y mourut. Son fils est venu s’établira Lomé vers 1898,
et y a ouvert la seule école coranique de la ville. Elle est
fréquentée assez irrégulièrement par une quarantaine de
jeunes Haoussa. Malam Issa n’a d’ailleurs qu’une instruc
tion médiocre. 11 est assesseur au tribunal de subdivision
de Lomé.
Les autres personnalités islamiques : Moudi né à Katsena
vers i865, Ibrahima, né à Kano vers 1870, tous deux as
sesseurs suppléants au tribunal de cercle ; Aoudou, né vers
1880, Malam Ibrahima, né vers t885, Alahandou, né vers
1883, tous trois assesseurs suppléants au tribunal de subdi
vision, sont tous des commerçants et notables delà commu
nauté haoussa locale, sans instruction ni prestige spécial.
La mosquée de Lomé a été construite par le défunt
Enoussa en 1918 avec les subsides des fidèles. C’est un pe
tit bâtiment en terre de barre, recouvert de paille.
Les inhumations des musulmans se font ici au cimetière
de la ville, où les fidèles ont un quartier spécial.
(
\
I2Ô
ÉTUDES SUR LISLAM AU DAHOMEY
On ne saisit aucune progression dans l’islam local. La
communauté haoussa reçoit de temps en temps quelques
congénères de passage, mais ne se livre à aucun prosély
tisme sur les autochtones.
6. — Cercle d'Allada.
Le cercle d’Allada, l’ancien « royaume d’Ardres » de
nos pères, est le berceau de la race et des dynasties daho
méennes. Il est riche de traditions historiques et de souve
nirs de gloire.
Le dernier roi dahoméen d'Allada, Gi-Gla, est mort le
I” juin 1909, emportant le regret sincère de son peuple et
de l’administration, pour qui il fut un auxiliaire de tout
premier ordre. A la fois héritier légitime des rois d’Ardres
et grand chef féticheur, Gi-Gla devait à cette double qualité
un prestige considérable. Il a été remplacé par Binazon.
Le cercle d’Allada est uniquement peuplé de Fon, peu
ple dahoméen. Travailleur, droit, discipliné, c’est vrai
ment un peuple intéressant. Individuellement ce sont des
belles âmes, pondérées, loyales, allant au bien naturelle
ment. Par sa grande natalité, il gagne sur les régions voi
sines. Très attaché à ses fétiches traditionnels, il commence
à peine à se laisser pénétrer par les missions chrétiennes.
Quant à l’islam, il n’a eu à ce jour aucune prise sur lui.
Le cercle d’Allada ne comprend pas plus de 5oo musul
mans. Ils n’y sont pas établis d’une façon définitive. Ce
sont des étrangers, surtout Haoussa et Nago, que leurs af
faires commerciales appellent àde fréquents déplacements.
C’est à Abomey-Calavi que se trouve le groupe le plus
important : une centaine environ. Leur chef Harouna, né
vers 1860, est là depuis la conquête; c’est le seul qui soit dans
ces conditions. C’est un vieux brave homme tout dévoué.
On en a fait un juge musulman au tribunal de subdivision.
LE BAS DAHOMEY
127
A Allada même, la communauté musulmane ne dépasse
pas 60 à 70 âmes. Les notables dignes de mention, sont :
Aliou Mahamma, né vers 1856, commerçant de Kano ; et
Abou Bakari Abdoullaye, haoussa de Sokoto, né vers 1885,
imam et maître d’école d’Allada. Son école a 5 ou 6 élèves.
Il dit avoir reçu l’ouird qadri d'un marabout de Kandi
(moyen Niger), Ahmadou le Bornouan, et n’en saitpas plus.
Tori enfin renferme quelques commerçants haoussa mu
sulmans et une petite école coranique.
Les musulmans ne font aucun prosélytisme. Ils vivent
partout en bonne intelligence avec les fétichistes.
Il n’y a pas en somme, sauf à Allada, d’école coranique
publique, mais dans beaucoup de familles, le père ensei
gne à ses enfants les bribes du saint livre qu’il connaît.
L’étude islamique du cercle d’Allada se limiterait à cette
simple note s’il n’y avait lieu de décrire un incident, qui
s’y est produit en 1915, et qui montre combien, sous cer
taines influences, un marabout peut tout à coup lier sa
cause à celle des fétichistes, réputés jusque-là ses plus irréductiblcsennemis.
La guerre européenne avait surpris et alarmé les indi
gènes dans la plupart des régions limitrophes du Togo
allemand. Dans le pays de Yévié (Allada), dont beaucoup
de familles ont des parents à Porto-Novo. les mauvaises
nouvelles de début parvinrent rapidement et y causèrent
de l’inquiétude. Une panique s’en était suivie et les indi
gènes de ce village s'étaient enfuis dans la brousse, empor
tant quelques effets et de la nourriture pour plusieurs jours.
Le « gon-gon » du chef supérieur d’Allada fut sonné dans
ce village pour tranquilliser les gens, et beaucoup de ceux
qui avaient fui réintégrèrent leurs cases. Cependant quel
ques commerçants, surtout musulmans, laissèrent entendre
à la population que beaucoup de Français se préparaient à
partir, que le personnel de la résidence avait été réduit ;
que les gardes-cercles avaient été envoyés sur la frontière
I î8
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
da Togo, qu’enân Le chef de poste de Zinvié était appelé
lui-même pour aller « faire la guerre », et que tous ces faits
groupés étaient la preuve certaine que les Allemands se
raient plus forts que les Français, jet viendraient occuper
Yévié. Ces bruits, répandus par les commerçantsTorofon,
Chadaré et Adjahi, étaient entretenus dans la population
indigène par les chefs féticheurs et par le « Serki » ou chef
des quelques musulmans delà région. Les trois commer
çants,citésplus haut, les féticheursetles marabouts formaient
donc un groupement, dont L’intérêt commun était qu’on
allait multiplier les fêtes et les cérémonies fétichistes ou
maraboutiques, et comme toute cérémonie comporte des
« tams tams », des cadeaux et une grande consommation
de bouteilles de gin, les affaires des uns et des autres de
vaient prospérer.
Cependant, les nouvelles devenaient meilleures pour nos
armes. Les trois commerçants ayant régulièrement deux
fois par semaine des nouvelles de leurs parents de PortoNovo par la « pirogue du marché », venant à Yévié par
laient beaucoup moins de l’arrivée prochaine des Alle
mands aux féticheurs et s’occupaient moins activement de
la confection des drapeaux ennemis. La reddition du Togo,
le passage à Allada des Allemands, prisonniers de guerre,
dirigés sur le haut Dahomey, nouvelles répandues et pu
bliées dans chaque village, venaient à l’encontre des prévi
sions des meneurs. Pour rester maîtres de l’opinion publi
que, ils pensèrent que le moment était propice pour faire
adopter par la population du villagela reconstruction d’un
petit marché qui avait été supprimé, en tgi3, par l’admi
nistration, lors de la création du grand marché de Zinvitè,
à peine distant de 2 kilomètres 5oo de l’agglomération de
Yévié.
Les « féticheurs » convoquèrent les jeunes gens en leur
imposant un délai de 5 jours pour la construction du
marché. Des quêtes, faites dans chaque famille, devaient
Pi.. V I, ,i
Mausolée dans le cimetière musulman
de PortoA’ovo.
P i. V I, b. — Main Maliainadou, dit Youssouf Boraïma
(Dahomey).
LE BAS DAHOMEY
129
permettre l’achat des bouteilles de gin pour entretenir le
zèle « guerrier » des jeunes gens, auxquels on avait recom
mandé de venir travailler avec leurs fusils chargés, leurs
sabres ou leurs « coupe-coupe ».
Le « Surlty » avait invité les quelques musulmans de la
région à vanter les avantages du nouveau marché de Yévié
et une grande cérémonie eut lieu dans laquelle le mara
bout, entouré de ses amis, enterra un « verset du Coran»
qui devait protéger le marché contre toute atteinte admi
nistrative ou autre. Naturellement les commerçants avaient
payé ces services ; les quêtes parmi la population augmen
taient légèrement les profits de la bande.
Chaque matin, les jeunes gens arrivaient au travail avec
leurs fusils chargés et leurs sabres ou «coupe-coupe »; et
les premières bouteilles de gin, distribuées à bon escient
par les meneurs, entretenaient rapidement le zèle de tous
les travailleurs qui répétaient: « S i quelqu’un vient nous
déranger, nous ferons la guerre. »
Ce mouvement de rébellion à main armée ne pouvaitpas
durer; le village de Yévié était interdit aux gardes, aux
émissaires de l’administrateur et du chef supérieur; les en
voyés étaient molestés, menacés de mort, et le mouvement al
lait s’étendre, car les féticheurs avaient réussi à convoquer
une centaine de jeunes gens des villages environnants,
pour leur faire « boire fétiche », afin de prêter main-forte
à leurs camarades de Yévié. L’administrateur réussit à
mettre la main sur les principaux coupables et envoya
trois gardes à Yévié avec le vieux chef Podo pour se ren
dre compte de la situation et détruire les travaux de défense
exécutés par les gens de Yévié. Ceux-ci avaient, en effet,
coupé toutes les routes avec des pieux et des palissades.
Ces trois gardes, menacés de mort, ne purent accomplir
leur mission; il fallut se résoudre à l’envoi d’un contingent
de tirailleurs.
Bien renseignés par leurs parents de Porto-Novo, la plu-
l3 o
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
part des indigènes compromis avaient déjà préparé dans la
brousse une installation sommaire pour leurs femmes et
leurs enfants, pensant que la présence des travailleurs serait
de courte durée. Le 22 octobre au matin, le gouverneur,
qui avait voulu se rendre compte de visu de la gravité des
événements, arrivait avec un peloton de tirailleurs pen
dant que l’administrateur d’Allada coupait la route du
côté opposé, avec un détachement des gardes de cercle.
Les « cent guerriers » de Yévié, surpris par l’arrivée directe
sur Yévié du détachement et du gouverneur, constatant au
dernier moment des défections nombreuses, décidèrent de
prendre la brousse et refusèrent le combat. Quelques jeunes
genj,audacieux, tournèrent bien autour du camp, prêts à
tirer sur les Européens, mais leurs projets furent déjoués
et ils furent arrêtés.
Le rôle néfaste du Surki Bakari était incontestable. Dès
la première heure, il avait fait entendre que le moment
était tout à fait propice pour battre en brèche l’autorité
française.
« Les Français, disait-il, en substance, sont occupés ac
tuellement à faire la guerre aux Allemands du Togo ; tous
les tirailleurs, dont ils pouvaient disposer ont été mobilisés
par cette opération de guerre. Nous pouvons donc agir en
maîtres à Yévié. D'ailleurs les Français ne sont pas aussi forts
que les Allemands. Ceux-ci viendront sûrement à Yévié 1 »
Pour vaincre les dernières hésitations des individus qui
étaient groupés autour de lui et les inciter à prendre les
armes, Bakary les assurait de la protection souveraine du
Prophète. 11leur persuadait que rien de fâcheux ne survien
drait à leur endroit et qu'ils pouvaient sans crainte tenir
tète à l’autorité française.
On a vu que dans le but de frapper davantage l’ima
gination des rebelles il enterrait un jour, devant eux, en
grande pompe, un verset du Coran, sur l’emplacement
même du marché.
LE BAS DAHOMEY
i3i
« Vous pouvez, leur disait-il, reconstruire votre marché.
Ces feuillets sacrés que je viens d’enterrer vous protégeront
contre toute intervention de l'administration. Ils vous don
neront la victoire. »
En même temps, Surki Bakari faisait arborer le drapeau
allemand sur une case du village et n’hésitait pasà placarder
dans la mosquée même un de ces chromos populaires, repré
sentant la famille impériale d’Allemagne.
Cependant les choses n ’allaient pas aussi bien que l’avait
cru le Surki. Dès l’arrivée du gouverneur, il crut bon de
prendre quelques précautions : il se hâta de fausser com
pagnie à ses compagnons fétichistes et vint faire visite au
gouverneur et lui apporter l’assurance de son dévoùment. 11
est vrai qu’il refusait systématiquement de répondre à toutes
les questions précises touchant le mouvement du Yévié.
L’heure des comptes était arrivée. Surki Bakari, de son
vrai nomSemamou, fils d’Abbassi et d’Hassanatou, de race
Yorouba, né vers 1870, à Porto-Novo, fut condamné aune
peine d’internement de 5 ans, qu’il a subi à Port-Etienne.
Libéré en 1919, il est rentré chez lui et s’y tient parfaite
ment tranquille.
7. — Cercle d'Abomey.
Les Dahoméens du royaume d’Abomey sont restés
extrêmement attachés à leur fétichisme traditionnel. Si le
nombre des musulmans a augmenté, ces dernières années,
c’est non.par des conversions, mais par l’afflux des colpor
teurs Haoussa et Nago, dont le nombre va croissant avec la
sécurité. On ne peut pas y prévoir pour l’instant une pro
gression de l’islam. En revanche, les missions chrétiennes
qui ont déjà fait des adeptes dans les Dahoméens du Sud,
semblent mieux placées pour s’implanter dans ce cœur du
vieux Dan-homé.
132
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
Les musulmans vivent à part dans les villages du cercle,
dans des quartiers distincts, soit en groupes, soit isolés.
Cette réclusion ne provient point d’eux-mêmes, mais du
mépris que professent les indigènes à leur égard. Les chefs
sont unanimes à déclarer que les musulmans doivent vivre
entre eux, qu’ils ne sont que tolérés et qu’ils nedoivent pas
se mêler à la vie des populations dahoméennes.
Il y a trop peu de temps que l’entrée des musulmans est
autorisée dans le vieux Dan-homé pour qu’ils aient pu y
acquérir la moindre influence. Aux premièresannées même
de notre occupation, ils n’osaient pas s’éloigner de nos
postes. Les rois du Dahomey en avaient jadis parqué une
trentaine à Cana et à Djeghé. C’étaient des descendants des
captifs, fait au cours d’une guerre entreprise parle roi Tegbesou contre Agouna-Ya-Sota. Dans sa naïveté, le chroni
queur dahoméen rapporte : « Les musulmans prédisaient
la pluie, la mort, ou la guérison des malades; ils avaient
des recettes pour conjurer tous les sorts.Tegbésou désiraen
avoir près de lui, à son service. Pour cette raison, il en
amena quelques-uns captifs à Abomcy, après une guerre
contre Agouna. Ce roi ne fut pas longtemps sans s’aperce
voir du caractère volontiers dominateur des musulmans.
Onze jours après leur arrivée à Abomey, ces captifs ayant
appris la mort du chef d’Agouna, voulurent persuader à
Tegbésou qu’en signe de deuil, aucun Dahoméen ne devait
laver ses pagnes. Tegbésou ne se rendit point à leur avis,
et par la suite, chaque roi du Dahomey, quand il avait des
musulmans, attachés spécialement à sa personne, se gar
dait bien de se laisser approcher d’eux. Le Nichou étaitson
intermédiaire pour les communications qu’il avait à leur
transmettre ou à en recevoir.
« Les rois dahoméens se défiaient tellement des musul
mans qu’ils leur avaient interdit l’accès du royaume même
pour commercer. Un marabout, ou même un simple musul
man, était-il signalé vers Djalloukou ouDjoumé, aussitôt le
LE BAS DAHOMEY
33
« Bokonon » (service) du palais, interrogeait le sort pour
savoir quelle influence pouvait avoir sur les affaires du
Dahomey l’arrivée de cet étranger ».
Ce mépris des chefs dahoméens pour l’islam ne s’est pas
estompé. En fin 1905, un marabout de passage se permit
de leur faire la leçon dans le bureau de l’administrateur.
Il leur dit que des enfants seuls pouvaient suivre ce culte
des fétiches, si ridicule.
Les chefs ne daignèrent pas lui répondre, mais après son
départ, ils manifestèrent leur surprise de tant d’insolence.
« Comment se fait-il, dirent-ils, qu’un musulman critique
notre religion. Les musulmans n’ont jamais été nos maîtres.
Les Français, eux, ont cassé notre pays et pourtant ils
ne nous ont jamais dit que notre religion fût mauvaise. »
Aujourd’hui la totalité des musulmans répandus dans le
cercle atteint à peine 5oo âmes. On en compte 200 environ
à Aborney, 200 aussi à Bohicon ; le reste est disséminé par
petits groupements, ou même par familles ou individus
dans les villages ou sur les grands chemins du cercle.
La communauté musulmane d’Abomey est, comme il
convient au Dahomey, partagé entre deux clans rivaux : les
llaoussa et les Nago, chacun ayant sa mosquée-cathédrale
et son imam.
Les Nago tendent aujourd’hui à se disperser dans la
ville : on les trouve surtout dans les quartiers Djegbé,
Dota, Aouaga, mais on en rencontre encore dans les autres
quartiers. Leur chef, imam et lettré est Mohammed
Laouani ibn Hassan, Nago, originaire de Kétou, mais né
vers i885 ici même, où sa famille était installée depuis
deux générations. Laouani, qui a fait ses premières études
coraniques à Ouidah, est un autodidacte remarquable. II a
réussi à apprendre tout seul l’arabe littéraire et le françaisC’est d’autre part un commerçant avisé et un personnage
tout à fait ouvert et sympathique. Ses coreligionnaires n’ont
pas été sans remarquer ses brillantes et solides qualités, et
134
ÉTUD ES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
il semble bien qu’il va réaliser, sous son nom, l’union des
musulmans d’Abomey.
En effet, cette petite communauté mi-Haoussa, mi-Nago,
avait été unie sous l’imamat de Mala Aliou fils d’Oumarou
jusqu’en 1917. Mala Aliou était un haoussa de Sokoto, qadri
de l’obédienne des zaouia béribéri du Bernou, saint
homme, admis par tous, et qui tint longtemps l’unique
école coranique de la ville. Il m ourut en 1917 et sa mort fut
le signal de la scission. Les Haoussa lui donnèrent comme
successeur un des leurs, Yahia ibn Mamadou, petit maître
d’école, né à Gando vers 1870, et installé àAbomey depuis
1911. Les Nago, qui venaient de se construire une belle
mosquée de quartier, et avaient pris ouani comme imam,
se déclarèrent autonomes et érigèrent leur mosquée privée
en mosquée-cathédrale.
La situation est restée telle qu’à nos jours avec cette
aggravation que la conduite d’Alfa Yahia a détaché de lui
nombre de ses compatriotes haoussa. On lui reprochait
son autoritarisme: c’est ainsi q u ’il commençait la prière, à
l’heure dite, sans attendre les fidèles. On l’accusait même
ce qui est plus grave — de s’entremettre dans les ménages
pour y provoquer des divorces et de nouvelles unions. Bref,
dans une réunion plénière des Haoussa en octobre 1920,
il fut inopinément sommé de démissionner, et sans atten
dre sa réponse, on élut à sa place Adantou. Yahia a du s’in
cliner, non sans protester, et il ne paraît pas avoir encore
accepté la situation. Comme il n ’est toutefois suivi par
personne, ses protestations restent vaines.
Ces conflits entre Haoussa, joints à l’habileté concilia
trice de Laouani, ont mis au point la réconciliation de tous
les musulmans d’Abomey : elle s’est opérée, lors de notre
passage au début de février 1921. Désormais la mosquée
des Nago sera officiellement la grande mosquée d'Abomey
avec Laouani comme imam. La mosquée Haoussa restera
mosquée de quartier avec Adamou comme imam.
LE BAS DAHOMEY
35
Les autres notables Nago d’Abomey sont : a) Issa Nadichaye, né vers i865, à Abomey môme, où son père était
venu installer son commerce au temps des dynastes lo
caux. C’est le personnage le plus en vue du groupe. Il fait
éventuellement l’école à 5 enfants. C’est un disciple qadri de Mala Aliou, l’imam décédé; b) Sani, né vers 1860,
et qui a fait ses études et pris l’ouird tidiani. dans les zaouia
de Lagos. II dirige une école d'une dizaine d’élèves, c) Ousman, fils d’Al-hadj Marna, nago d’Ibadan, où il est né vers
1858. II est venu ici comme commerçant vers 1895. C’est un
tidiani de l’obédience d’Al-hadji Bodamassi, de Porto-Novo.
Les Haoussa d’Abomey vivent, selon leur coutume, dans
un quartier spécial ou «zongo»avecunchefou«amirou».
Leurs notables sont, outre Yahia, déjà cité : a) l’imam Adamou, fils d’Abdoullaye, Béribéri du Bornou, né vers 1860,
à Abomey depuis 1898. 11 dirige une école de 17 élèves,
garçons et filles, haoussa et sénégalais. 11 relève par son
maître Mal lamAhmadou de Kano,deMallan Marna, Béribéri
du Damaghorim (Zinder) ; b) Isahaqou Mamadou né vers
1880, cultivateur et premier muezzin. Il est le disciple qadri
de l’imam décédé Aliou ; c) Aliou Mamadou, né vers 1875,
commerçant et cultivateur, venu s’installer à Abomey en
1918. C’est un qadri qui par Mallam Ahmadou de Katago
(Kano) et Mallam Aoudou d’Abidja (Kano) se rattache aux
zaouia de cette capitale religieuse de la Northern Nigeria.
A ces Haoussa et Nago, il faut joindre une personnalité
sénégalaise assez curieuse : Aliou Thiam, Toucouleur, né
à Matan vers 1870, venu ici comme employé à la voie fer
rée vers 1902. En 1904, il est à commercer à Conakry et
revient au Dahomey l’année suivante comme interprète
d’Alfa Yahia, le grand chef du Labé (Fouta Diallon), dont
on venait de prononcer l’internement à Abomey. Il resta au
tata d’Alfa Yahia pendant toute la durée de sa peine, de
1905 à 1910. Puis comme, dans l’intervalle, il avait épousé
une femme popo, il resta à Abomey, après le départ d’Alfa
i36
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
Yahia. lia ajouté à son ménage une femme haoussa, a de
nombreux enfants, et fait un commerce florissant. 11 est
bien entendu, tidiani de l’obédience omarienne par Alfa
Mamadou Thiam de Conakry et Tafsirou ALiou.
Abomey possède, comme on l ’a vu, deux mosquées; l’une
la cathédrale, celle des Nago, est une grande case en terre
de barre, recouverte de chaume ; l’autre, celle des Haoussa
est une simple paillotte indigène.
Les écoles coraniques, tant nago que haoussa, sont au
nombre de trois, et renferment une quarantaine d’enfants.
Quelques-uns vont aussi à l’école communale.
11 n’y a pas de cimetière musulman. On avait bien tenté
vers igi3 d’en faire un, mais les fétichistes dahoméens ve
naient la nuit, déterrer les cadavres et leur enlever la tête
pour faire des fétiches. A la suite de cette constatation, on a
dû renoncer au cimetière, et on a continué comme par le
passé, à enterrer les morts dans les cases.
On ne peut pas parler d’Abomey, au point de vue isla
mique, sans mentionner le séjour qu’y fit Alfa Yahia, le
chef du Labé guinéen en 1905-1910. Son tata était construit
en bordure du Zongo, au quartier haoussa. 11 y avait fait
construire pour lui et les siens une petite mosquée. 11 ne
faisait aucune propagande. Il était resté très attaché à son
pays, avec lequel il continuait à échanger des émissaires
secrets par Djougou et le .Mossi. Mais ce groupe d’une cin
quantaine de personnes avait fini par prendre dans la ville
une certaine influence. Riches, instruites, élégantes, elles
donnaient le bon exemple des vertus et de la civilisation
islamiques, et les fétichistes dahoméens les voyaient sous un
tout autre jour que les autres musulmans: Haoussa mépri
sés, ou Nagos assujettis. A la longue, cette influence
foula aurait pu porter des fruits au point de vue des con
versions. Elle a été trop fugitive pour les réaliser, et avec
la disparition de ce groupement, ces promesses du début se
sont évanouies.
LE BAS DAHOMEY
«37
En dehors d’Abomey, on ne peut citerhans le cercle qu’un
seul centre islamique : Bohicon, gare importante du che
min de fer, et qui devait attirer les commerçants musul
mans. Ils sont là 200 au maximum, soit nago dispersés en
ville, soit haoussa groupés, à leur coutume, dans un zongo
spécial et dont le nombre s’accroît insensiblement. Il n’y
a personne à relever chez les Nago. Le zongo des Haoussa
a pour imam et maître d’école Abdoullaye Souleïman, né à
Sokoto vers i885. C’est un qadri qui, par Moustafa ibn
Mohammed, et Mallam Soufi de Sokoto, se rattache au
grand amirou des Peul, Othman Dan Fodio. Son école ne
comprend que 6 élèves.
La mosquée de Bohicon est une case en terre de barre
de 6 x 6, recouverte de chaume. Elle n’a été bâtie qu’en
1920 par le chef du village haoussa, Marna Djibérô, né à
Katséna vers 1870, venu ici en 1908. Jusqu’à cette date, les
musulmans faisaient la prière dans une grande enceinte,
sous la présidence d’un vieux commerçant haoussa, Ab
doullaye Sérigari. A la mort de celui-ci en 1917, et avec son
successeur, Abdoullaye Souleïman, l'Islam a prisa Bohicon
au moins dans le Zongo, un nouvel essor.
8. — Cercle de Zagnanado.
Le cercle de Zagnanado, dans lequel nous comprenons
l’ancien cercle des Halli Kétou, peuplé en partie de Daho
méens et en partie de Nago, offre au moins chez ces der
niers, un certain champ d’action à l'islam.
En pays dahoméen, dans le canton d’Agony-Ouegbo et
de Cové, entre Zou et Ouémé, l’Islam ne fait guère de con
quêtes. Il s ’accroît d’année en année, — fort peu d’ailleurs
— mais c’est par l’afflux des colporteurs haoussa et nago.
Les populations fon qu’il rencontre sur place sont essen
tiellement fétichistes, foncièrement agricoles et ne se lais-
i38
ETUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
sent pas influencer. On ne cite que deux Fon qui se disent
musulmans.
Sur la rive gauche de l’Ouémé, en pays nago, contraire,
les habitudes commerciales, la communauté de langue et
de mœurs, une animosité non déguisée vis-à-vis des Euro
péens font de la région un excellent terrain pour la propa
gande islamique. Le prosélytisme y est très modéré vers
l’Ouémé, plus accentué vers la fontière britannique par
l’afflux des missionnaires d'Abéokouta.d'Ibadan ou d’ilorin.
En résumé, par la progression incontestable de l’islam
et par le succès des missions chrétiennes, fl est facile de
prévoir la disparition prochaine du fétichisme dans cette
région. Nous voyons sous nos yeux se reproduire le phéno
mène, maintes fois constaté en pays noir : au contact de
ces religions spirituelles que sont le christianisme et l’isla
misme, le fétichiste sent, au bout d’un certain temps, le
vide de ses croyances animistes, l’inanité de ses pratiques
magiques : c’est dès lors une recrue toute trouvée pour
l’une ou l’autre de ces religions.
Les conversions sont pour ainsi dire automatiques. Un
dioula est établi, depuis plusieurs années, dans un village.
Chaque jour, par exemple, et quelquefois par ses paroles,
il représente une conception de vie, des doctrines spiri
tuelles, une civilisation et un culte supérieur au fétichisme :
un beau jour, plusieurs habitants du village sont der
rière lui et imitent gauchement son salam. Ce sont des
adeptes pour l’islam. De même, à Pebé, à Zagnanado, à
Kétou.à Cové, les âmes élevées qui vivent dans le voisinage
des missions chrétiennes, se laissent peu à peu influencer,
et un jour, et sans autre appel que celui d’un idéal supé
rieur, viennent se mêlera leurs frères convertis, pour faire
la prière dans les églises catholiques ou protestantes.
La crainte du féticheur, plus encore que celle du fétiche,
arrête quelquefois ces conversions.
On peut distinguer actuellement dans le cercle de Za-
i3y
LE BAS DAHOMEY
gnanado cinq groupements, musulmans : l’un, celui de
Kétou est nago autochtone ; les autres, ceux deCové,AgonyOuegbo, Dosso, Adja-Ouéré sont nago ou haoussa d’impor
tation.
Kétou est, comme Oyo en Nigeria, une filiale nago de
Savé. Elle fut longtemps prospère, mais eut toujours à
souffrir du voisinage hostile des Dahoméens. La lutte fut
longue sur les rives de l'Ouémé. Kétou ne sucomba que
sous le règne du roi dahoméen Glé-Glé vers 1870, mais sa
chute fut radicale. La ville fut entièrement détruite, le
vainqueur ayant déclaré qu’il ne convenait pas de laisser
un semblable repaire d ’ennemis près deses États. Kétou ne
s’est relevée qu’aprôs l’occupation française. Elle compte
aujourd’hui 5oo musulmans environ, tous Nago du pays.
Comme leurs compatriotes fétichistes, les musulmans
ont eu à souffrir des incursions dahoméennes : aussi leur
nombre n’a-t-il pas crû sensiblement sous l'ancien régime,
et ne tend-il à s’augmenter que par l’ère de paix que nous
avons établie. Mais par suite des causes énoncées plus haut
et des unions des musulmans avec les femmes fétichistes,
il est probable que leur nombre s’accroîtra vite.
Le prosélytisme n’est pas bien ardent. D’une part, certains
notables affirment que la difficulté de leurs prières éloigne
les fétichistes, attirés davantage par le christianisme. D’autre
part, les musulmans ont pris soin d’orner eux-mêmes des
versets du Coran la demeure du roi fétichiste, et de garder
toujours un contact étroit avec les autorités du pays. A plu
sieurs reprises, ils ont montré qu’ils étaient capables de
procéder par intimidation, en massacrant plusieurs porcs
appartenant à des fétichistes ou à des catholiques.
Le groupe est dirigé par l’imam Magadji qui enseigne
quelques versets du Coran à une dizaine d’enfants. L’en
seignement est purement oral : les enfants répètent les sons
en contemplant les tablettes. A côté de Magadgi, d’autres
notables font répéter les prières à leurs enfants, sans qu’il
10
I40
ÉTUDES SUR L’ iSLAM AU DAHOMEY
existe d’écoles proprement dites. Au-dessous de Magadji,
Bagoi est le notable le plus versé dans la connaissance du
Coran et le plus influent du groupe, qui relève en majorité
du tidianisme des zaouia d’ilorin.
Le groupe de Cové est gambari. Il n ’y avait au début du
siècle, à Cové, que 3 ou 4 colporteurs haoussa. Aujour
d’hui leur nombre dépasse à peine la trentaine, dont peu
de femmes et d’enfants. Aucun n’a contracté d’union dans
le pays. Le commerce les absorbe tout entiers. Ils entretien
nent d’excellentes relations, tant avec les chefs fétichistes
qu’avec les indigènes christianisés, dont le nombre s’accroît
assez rapidement.
Deux personnalités y méritent une mention : à} SoumanouBatouri Hosseni, né vers 1880 haoussa de Kano, où il
a fait ses études et a été affilié au qaderisme par son père
Hosseni, disciple d’Aloufa Ali. Soumanou Batouri fait à
Cové, depuis 1905, le commerce des étoffes. Il est l'imam
et l’instituteur coranique du village. C’est un homme in
telligent et instruit qui a été désigné par acclamations pour
remplacer, à sa mort, le vieux Sadikou; b) Djibril, né vers
1876, Haoussa de Kano, fils et disciple tidiani d’Aoudou,
qui tenait son ouird d ’Ahmadou Chékou lui-même. Djibril
est le chef de la communauté civile des musulmans de
Cové.
La mosquée locale est une simple case, comprenant deux
pièces et deux vérandahs. Elle a été construite, en 1917,
au moyen de cotisations, fournies par les fidèles locaux.
L’école coranique de Batouri comprend quatre enfants
haoussa.
Le groupe d’Agony-Ouegbo se compose de Nago (Yorouba), originaires d’Abéokouta, d’Ilorin, d’Ibadan, de
Yébou, au nombre de 75 environ.
Les deux personnages notoires sont: a) Sanoussi Adeïnka,
Nago de Méko (Nigéria), né vers 1873. II a été affilié au
tidianisme par Chado, marabout célèbre d’ilorin. C’est un
I
LE BAS DAHOMEY
’4i
cultivateur paisible et ouvert, dont on a fait l'assesseur de
statut musulman du tribunal local. Il enseigne les rudi
ments du Coran à ses quatre enfants ; b) Ahmadou, frère
et disciple tidiani d’Abdoullaye, Nago de Kétou. Ils relèvent
tous deux de leur père Harouna Arepa. Il exerce la pro
fession de tailleur et est amené par son commerce à se
rendre quelquefois à Porto-Novo, où il prend à la fois le
ton de la dernière mode et celui de l’ambiance islamique.
11 est l’imam et l’instituteur du village, places où il a suc
cédé à son frère mort vers iqi5. La mosquée d’Agony est
une case carrée, flanquée de deux vérandahs. Elle n’est
guère fréquentée qu’aux grandes fêtes. Le groupe de Dasso
compte une centaine de Yorouba et Gambari. L’un d’eux,
Yaqoubou, remplit les fonctions d’imam. La majorité est
tidiani. Ce petit groupement a augmenté, depuis quelques
années, aux dépens de Tohoué-Hounoumé, village voisin,
surl’Ouémé, que les musulmans, installés en ce lieu, aban
donnèrent en raison des inondations et des difficultés des
communications.
Le groupe d'adja-Ouéré, mixte comme celui de Dasso,
comprend unecentaine de membres, adonnés au commerce
et sans penchant pour le prosélytisme. 11 est, en effet, ins
tallé en plein milieu fétichiste et dans une ambiance qui
pour une fois se défend. Lawani d’Ibadan réunit de 6 à 8 en
fants pour leur apprendre les prières habituelles.
Tous ces villages ne possèdent pas de cimetière musulman. ni d’autre d’ailleurs. On suit la coutume d’enterrer
les morts dans les cours des cases.
i
9. — Cercle de Savé.
/
4
Le cercle de Savé, aujourd’hui lié à celui de Savalou, ne
constitue plus qu’une subdivision de ce dernier cercle. La
fusion ou la disjonction de ces deux unités joue suivant les
142
ÉTUD ES SUR L ’ iSLAM AU DAHOMEY
circonstances. C’est pourquoi nous lui conservons ici son
autonomie.
Le cercle de Savé est constitué par une longue bande de
terrain, comprise entre le fleuve Ouémé et son affluent de
gauche, l’Okpa ou Okpara. Celui-ci form e la frontière avec
la Nigeria.
Les gens de Savé, et même leur roi, pourtant fort intel
ligent, connaissent peu leur histoire, surtout si on leur
demande de remonter au delà de cinq ou six générations.
Néanmoins, d’après leurs renseignements, on peut établir
d ’une façon certaine que leur royaume est un des plus an
ciens de la colonie et fut très florissant. Il était déjà fort
peuplé, lorsque le Dahomey fut fondé, c’est-à-dire au mi
lieu du xvii’ siècle ; il avait m èm edonné naissance à deux
autres royaumes : Kotou et Oyo.
Son nom, qui s’écrit en Nago Tcha-bé, ou plutôt Tchalo-bé dérive de l’armement dont se servaient ses fondateurs
alors qu’ils habitaient le village appelé actuellement Tchaourou. C’étaient des gens pacifiques ; ils ne portaient la
guerre nulle part et lorsqu’ils étaient attaqués, ils n’avaient
pas d’autres armes pour se défendre que le coupe-coupe
dont ils se servaient aux champs. Aussi les Bariba, leurs
belliqueux voisins, ne se gênaient pas pour faire chez eux
de nombreux captifs et disaient dédaigneusement : « Ces
gens-là ne sont bons qu’à frapper des coups de couteau»
(Tcha : frappe, lo : avec, bé : couteau coupe-coupe). De
même, Thaourou, ou Tcha-ouo-ilou signifie pays où les
chevaux sont caparaçonnés. — Tchou : caparaçon. — Savé
est une déformation de Tchabé.
Comme si ce n’était pas assez pour des gens tranquilles
d ’être exposés aux incursions de peuplades guerrières, une
scission se produisit entre eux. Un parti s’alliaaux Bariba;
l’autre lui céda le pas bénévolement et s’enfuit, non sans
avoir, au préalable, envoyé un émissaire chercher un lieu
favorable à la création d ’un village. Cet émissaire trouve
LE BAS DAHOMEY
<43
l’emplacement actuel de Savé au pied d’un dôme et en
arrière d’un col. 11 y conduisit ses amis en passant par
Kpapa, Kokoto, Okouta, Toui, Kilibo, Ouogui, Atin-ho.
La tradition a conservé le nom de celui qui présida à cette
migration et fut le premier roi de Savé : ce serait un cer
tain Djimi. Par contre, il est impossible d’établir à quelle
époque il vivait; mais vu l’extrême importance des pays,
nés de Savé, alors que le Dahomey était encore dans l’en
fance, on peut supposer que l'émigration des gens de Tchaourou se produisit vers le xni” ou lexiv' siècle.
Djimi, ou peut-être un de ses descendants, eut 3 fils:
ils ne purent s’entendre et se séparèrent. L’aîné resta à
Savé ; le cadet descendit vers le Sud et fonda Kétou ; le 3"
marcha vers l’Est et bâtit Oyo.
Oyo fut le centre d’un royaume, dont les habitants dé
rogèrent aux coutumes pacifiques de leurs ancêtres de
Tchaourou : il devint très puissant. Son nom était intime
ment lié à l’histoire d’Abomey, qui eut à souffrir d’incur
sions fréquentes de ses guerriers et dut lui payer tribut
pendant le règne de six rois, jusque vers 1700.
Kétou a été vu plus haut.
Quant à Savé, d’après les chroniqueurs dahoméens, elle
fut surtout un centre commercial. Située à un nœud de
route important, elleest comparée par eux au ficus «, dont
l’ombre se développe immense, et est favorable au repos
des caravaniers, mais aussi dont les branches sont très cas
santes et résistent mal aux tourmentes ». Et de fait, le
royaume de Savé grandit outre mesure. ,Son territoire
resserré entre l’Ocpara et L’Ouémé n’empiéta jamais sur
les pays bariba. 11 comprit pourtant des centres extraor
dinairement peuplés, tels que Savé avec 80.000 habitants ;
Kémé 40.000 habitants ; Kokoro, Touir Tchaourou et
Ouécé 20.000 chacun.
Personne n’a gardé le souvenir d’expéditions guerrières
entreprises par les gens de Savé. Ce royaume se développa
«44
Et u d e s sur l ' is la m a u Da h o m e y
dans la paix à une époque où les peuplades voisines étaient
sans puissance; mais quand celles-ci furent devenues assez
fortes, il eut à supporter leurs attaques. Alors le « ficus
immense se vit arracher les branches ».
Ce furent d’abord les Peul d’Ilorin qui le ravagèrent;
puis vinrent des guerriers des environs d'Ibadan, conduits
par un nommé Kounoumi ; en une seule fois, ils emmenè
rent en captivité 40.000 habitants de Savé môme ; dans
d’autres expéditions, ils détruisirent presque complètement
Kaboy, Kémo, Kokoro, Toui, et Tchaourou.
Désormais les rois de Savé furent sans forces. Aussi
n’essayèrent-ils plus de résister aux invasions. Quand les
Egba d’Abéokouta parurent à leur tour devant Savé, ils
trouvèrent la ville déserte ; ses habitants s’étaient réfugiés
sur le dôme de granit, proche d'Inatchabé; ils y restèrent
3 ans.
Malgré toutes ces guerres malheureuses, le royaume de
Savé avait pu conserver son indépendance: il la perdit en
une seule expédition, entreprise contre lui par Glô-Glé, roi
d’Abomey.
Au point de vue ethnique, Savé est tout à fait une zone
de transition entre le bas et le haut pays. Des quatre can
tons qu’il renferme, celui de Savé le plus méridional, est
peuplé de Yorouba-Nago, plus connus ici sous leur nom
de tribu : Tchabé. Il y a môme quelques Fon, c’est-à-dire
des Dahoméens purs, tout à fait au Sud du canton, sur la
bordure du cercle de Zagnanado.
Les deux cantons parallèles de Ouessé et de Kilibo sont
peuplés, le premier de Mahi, migration dahoméenne, le se
cond de Tchabé.
Au nord, dans le quatrième canton, celui de Tchaourou
apparaissent les Bariba. Ils y prédominent nettement, et
l’élément nago ne compte plus ici que des colonies. Ce sont
des familles, originaires du Kilibo et du Savé, qui s’enfui
rent devant les invasions dahoméennes. Plusieurs d ’entre
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P l. VII, a. — Ecole coranique du quartier Hassoukomé (Porto-Novo).
P l Vil, b. — Ecole coranique du faubourg d'Aja-eJegba (Porto-Novo).
LE BAS DAHOMEY
>45
elles étaient m usulmanes. Elles y ont apporté l’islam avec
elles, notam m ent à Tchaourou môme.
En résum é, l’islam est représenté dans le cercle par
3oo fidèles environ, répartis en deux groupements : Savé
(200 âmes), Tchaourou (fooâm es). Cette communauté est
surtout Nago-tchabé. Elle comprend néanmoins quelques
haoussa de la N orthern Nigeria, établis depuis une ou
plusieurs générations dans le pays. Le cas islamique de
Savé est fort curieux, au moins dans certaines répercus
sions lointaines et inattendues. Cette petite communauté
musulmane paraît avoir fourni, au début du xix* siècle,
un certain nombre de captifs aux razzias des rois d’Abomey. Ceux-ci les vendaient aux négriers de Ouidah. T ran s
portés au Brésil, plusieurs d ’entre eux furent ramenés à
la côte en 1848, ou se rachetèrent; ils s’établirent de Coto
nou à Agoué, de sorte qu’en dernière analyse les Tchabé
m usulmans de la région de Savé paraissent avoir contribué
à l’islamisation de la région côtière pour une proportion
plus considérable que ne le com porte leur importance, et
par des voies si détournées qu’on voit bien q u ’Allah luimême est intervenu en l’occurrence.
3oo m usulmans, c’est peu sur une population totale de
14.128 (recensement 1920), qui se répartissait ainsi : 1° au
point de vue adm inistratif : Savé, 2.910 ; Kilibo, 4.338 ;
Ouessé, 4.296 ; Tchaourou, 2.884 >2° au point de vue eth
nique ; Nago, 6.481 ; Mahi, 4.240 ; Bariba, 2.819 ; Achanti
voyageurs et Eon du Sud, de même origine, 528.
La qualité ne remplace pas la quantité. 11 n’y a pas un
seul lettré, même de troisièm e ordre, dans ces deux com
m unautés, et les prières à la mosquée ne sont suivies que
par un petit nom bre de fidèles, et fort irrégulièrement.
Les écoles coraniques sont à Savé au nombre de six
renferm ant la totalité des jeunes m usulmans de Savé, soit
une soixantaine environ; à Tchaourou, au nombre de
trois, renferm ant une trentaine d’enfants.
146
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
La mosquée de Savé est une grande case indigène,
carrée, de 8 mètres de côté, aux murs en terre de barre,
à la toiture en chaume. C’est le type des mosquées de la
région. Elle est entourée d ’un grand mur d’enceinte, sur
lequel s’accote à l’intérieur un petit appentis pour les lec
tures de Bokhari, et les pieux bavardages. Une grande
jarre, dans un coin de la cour, conserve l’eau pour les
ablutions. Elle a été bâtie, vers 1890, par l’imam Daouda
Soulefmana, assisté de Mamadou et d’Abdoullaye, fils.
d’Ibrahima, haoussa venu de Kano, et installé dans le pays
depuis 1840. Le terrain fut donné par le roi Mamadou ;
les fonds et la main-d’œuvre fournis par les musulmans.
La mosquée deThaourou est du même type que celle
de Savé, et a été bâtie dans les mêmes conditions.
11 n’y a pas de cimetière à l'usage des musulmans. Ceuxci ont conservé l’usage traditionnel d’enterrer les morts
dans leurs cases.
L’imam et chef de la communauté islamique de Savé
est Ibrahima Abdoullaye, né ici même vers 1860, d’ori
gine Tchabé. II a succédé dans ses fonctions à Daouda
Souleimana, mort vers iqo5. Il est aussi le maître d ’école
le plus renommé du pays et à ce titre enseigne la fatiha à
une trentaine d’enfants, mais il est parfaitement illettré,
et sa science ne va pas au delà de ce premier chapitre du
Coran. C’est au surplus un homme sympathique, pon
déré et dont nous avons fait un assesseur au tribunal de
cercle. Il est le disciple tidiani de l’ancien imam Daouda,
et par celui-ci se rattache à Aliou Abdou, Tchabé, mort
vers 1890 à Savé, puis à Mohammed Lahmirou de Djougou, et finalement à la zaouia tidiania d’Ilorin.
Les autres notables musulmans de Savé, sont : a) Badouki Yaqoubou Hassana, né vers 1860 à Savé, d’origine
Tchabé, assesseur au tribunal de cercle, et maître d’une
petite école d’une dizaine d’élèves. Il se rattache au tidianisme de l’imam Ibrahima. La conversion de la famille
LE BAS DAHOMEY
>47
ne remonte pas au delà du grand-père Hassana ; elle fut
toute superficielle. Avec son fils Yaqoubou, il y eut progrès.
« Mon père, dit Badouki, faisait le salam, mais ce n’était
pas un bon musulman. » A la troisième génération, avec
Badouki, nous avons un « Kehouni », c’est-à-dire un
« lettré»; b) Oumar Djibril, né vers 1890, Tchabé de
Savé, tidiani de l’école de son oncle Ibrahima, maître
d’une école de 6 élèves ;c) Adani Abdou, né vers i858,
Tchabé de Savé. C’est le « naïbi » ou vicaire de l’imam
local ; il dirige en même temps une petite école de 6 en
fants. Il a reçu l’ouird tidiani d’un marabout tchabé. qui
se réfugia à Parakou.il y a un demi-siècle, lors de la
grande terreur dahoméenne. Ce marabout Alfa Ousman y
est décédé en ig 15, suivant de près son père et maître spi
rituel Alfa Adamou 7 1905. Alfa Adamou se rattachait à la
zaouia tidiania d'ilorin ; ci) Ibrahima Mamadou, de loin
taine origine haoussa, établi depuis trois générations à
Savé, commerçant et maître d’une école de 8 enfants.
Il est tidiani de l’obédience précédente ; e, f ) Mahama
Aliou, né vers 1880, Tchabé de Savé, et Mahama Ousman,
né vers 1860, tous deux cultivateurs et tidiania de l’obé
dience d’Alfa Ouspian ;g) Abd er-Rahman Marna, Tchabé,
né vers 1860, cultivateur, assesseur au tribunal de subdi
vision, tidiani de l’obédience de l’imam local ; h) Abdou
Djibril Ibrahima, Tchabé de Savé, né vers 1890. Il a suc
cédé à son père Djibril qui tenait une petite école de
7 élèves, et qui est mort vers 1915, après avoir rendu des
services comme assesseur au tribunal de subdivision.
Abdou, interrogé sur le point de savoir si son père était
qadri ou tidiani, répond qu’il n’a jamais entendu ces mots.
11 est complètement illettré, et c’est en réalité son oncle
Abdoullaye, frère du défunt, qui tient l’école. Cet Abdoullaye, né vers 1862, relève du tidianisme d’Alfa Ousmam
de Parakou.
On ne peut en finir avec Savé sans dire un mot de son
14-8
ir r u o E s
sur
l ’ is l a m
au
Da h o m
ey
roi, Mamadou, fils de Taffa, figure curieuse qui malgré
son nom et ses vagues tendances islamiques, reste le grand
féticheur de son peuple Tchabé-nago.
Mamadou, roi de Savé, avait succédé vers 1900 à Achémou qui avait reçu les premières missions françaises.
S’écartant de Ja ligne politique de son prédécesseur, il ne
s’était pas au début complètement rallié. Il donnait des
preuves constantes de son hostilité, soit par la mauvaise
volonté qu’il mettait à fournir des porteurs ou des vivres,
soit même par des pratiques de contrebande. En fin 1902,
on surprit des conciliabules qu’il entretenait avec le chef
Yourouba d’Oyo, en vue de livrer son territoire aux mains
de nos voisins Anglais. Il fut traduit de ce fait devant le
tribunal indigène de Savalou, en môme temps que trois
indigènes, dont il s’était servi comme émissaires. Il fut
condamné à cinq ans d’emprisonnement et à six ans d’in
terdiction de séjour pour «attentat à la sûreté extérieure de
l’État par l’entretien d’intelligences avec un agent d’une
puissance étrangère ». Le tribunal spécial de Porto-Novo
devait homologuer cette condamnation ; mais il qualifia
le délit de complot et à ce titre prononça l’incompétence
du tribunal de Savalou et sa propre incompétence. Pour
couper court à ces fantaisies judiciaires, le Gouverneur fit
paraître deux arrêtés infligeant àMamadon : l’ un interne
ment d’une année à Porto-Novo et une interdiction de sé
jour dans le cercle; 2" un internement de 4 mois à ses
complices (juillet 1903).
Mamadou resta à Porto-Novo jusqu’en mai 1908,
époque à laquelle il fut autorisé à revenir à Savé, où sa
présence ne pouvait plus présenter d’inconvénient.
Rentré dans son pays, Mamadou supporta difficilement
d’être tenu absolument à l’écart des affaires de la région,
alors qu’aux yeux de la population, il était le véritable
chef ; il tenta bien de se livrera quelques petites intrigues,
mais il n’eut jamais à notre égard une attitude hostile.
LE BAS DAHOMEY
'49
Au moment où un nouvel effort était demandé pour la
défense nationale aux indigènes du cercle de Savé, dont la
majeure partie est de race nago, l'une des plus réfractaires
au service militaire, il y parut que l'influence de Marnadou pourrait être utilement employée. L’autorité de cet
homme était de nature également à nous éviter certaines
difficultés, au moment de la perception de l’impôt person
nel porté de i fr. 25 à 2 fr. 5o.
Il fut donc, par décision en date du 12 novembre 1910,
nommé chef de toute la région Savé-Kilibo sur laquelle
s’étendait naguère son autorité.
Cette réintégration était à peine connue que des déléga
tions des divers villages venaient présenter leurs remercie
ments aux autorités françaises, et saluer Mamadou qui,
de son côté, exprima toute sa gratitude.
Invité, quelques jours après sa prise de fonctions, à
seconder notre action en vue du recrutement, le nouveau
chef se mettait en route, accompagné des chefs des can
tons de Savé et de Kilibo, et en très peu de temps obtenait
un nombre d’unités, très supérieur à celui fixé primitive
ment.
Depuis cette époque, nous n’avons eu qu a nous louer
des bons offices de Mamadou. Grâce à lui, le grand fétiche
de la région, qui était passé jadis en territoire anglais, est
revenu dans son temple, ramenant avec lui un certain
nombre de gens qui l'avaient suivi.
Tehaourou, chef-lieu du canton du même nom, ren
ferme une petite collectivité musulmane d'une centaine
d’âmes au milieu d’une population bariba-fétichiste. Cet
élément musulman provient surtout des réfugiés nago,
qui s’échappèrent jadis de Savé, au temps des razzias
dahoméennes. Elle a pour imam Aïssa Salihou, de cette
origine. 11 a succédé à Ba Salifou, mort en 1907.
Jusqu’à ces derniers temps, cette population nago était
dirigée par une famille haoussa, fort considérée, et qui
i5o
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
vient de s’éteindre brusquement, ne laissant que des en
fants sans influence. Il s’agit des trois frères AI-Hadji,
Abdou Rahman, et Soulé, fils de Bourahima. Le grandpère, haoussade Kano, se convertit à l’islamisme dans son
pays, au début du xv° siècle. Son fils, Bourahima, fut un
bon lettré qui reçut l’affiliation tidiania dans une zaouia.
de Kano. Il vint ici vers 1840, et s’y installa. D’une femme
tchabé qu’il épousa, il eut de nombreux enfants, dont trois
ont laissé un nom.
Al-Hadji, l'aîné, lui avait succédé en i<)oo, à sa mort,
comme imam de Tehaourou, moqaddem tidiani et maître
d’école. Il était né vers 1852, et devait son nom de Hadji,
non pas parce qu’il avait fait le pèlerinage de la Mecque,
mais parce qu’il était né dans le mois de Dzou-l-Hijja.
Son école comprenait tous les enfants m usulmans de la
ville soit une trentaine environ. Il est mort en 1917, lais
sant un fils, Bassabi, né vers 1880, qui ne l’a pas rem
placé.
Abdou Rahman, frère d’Al-Hadji, et né vers 1862, le
suivit de près dans la tombe (1918), Soulé, (Souleïman), né
vers 1872, les y avait précédés(1913). Tous trois écrivaient
fort bien la langue haoussa en caractères arabes.
10. — Cercle de Savalou.
Le cercle de Savalou, pris ici dans le sens de subdivision
de Savalou, c'est-à-dire dégagé de Savé, comprend les
cantons de Savalou, peuplé de Fon Dahoméens ; de Paouignan, peuplé de Mahi ; de Dassa-Zoumé, Agouna, Banté,
Tchetti, Djaloukou et Bassila, peuplés de Nago-Tehabé.
Bassila-ville toutefois est surtout Cotocoli. La population
totale, à peu près uniquement animiste, atteint 40.000 âmes.
On n’y peut relever, au profit de l’islam, que quelques
colonies haoussa de Kano, Djernta du fleuve, Gourm ant-
LE BAS DAHOMEY
i 5i
ché du Fada N’ gourma, Yorouba d’Ibadan, et Nago du
Sud dahoméen, tous plus ou moins commerçants, et en
perpétuel déplacement. Ils sont installés dans un certain
nombre de villages, notamment sur la grande route de
l’Ouest, à Agoua, Banté, Bédou, Bassila, ainsi que sur la
voie ferrée Dassa, Doumi, et Paouignan.
Ces colonies ne comprennent qu’un nombre très res
treint d’individus, rarement plus de 5 à io par village, sauf
à Paouignan, où ils sontune cinquantaine en permanence,
par suite de l’afflux des caravaniers du Nord, qui viennent
y chercher du sel. Là aussi est la seule école du cercle
avec 5 à 6 enfants. Il ne faudrait pas considérer ces vil
lages comme leur domicile fixe, car ils varient leurs ins
tallations au gré des nécessités de leur trafic nomade.
Ils n’ont pas de mosquée et se contentent de faire leur
salam soit individuellement, soit dans un emplacement
déterminé et préalablement nettoyé.
Les autochtones fétichistes restent pour l’instant en de
hors de toute atteinte de l’islam.
Donnons, pour être complet, les noms des deux princi
pales personnalités musulmanes, encore que leur séjour
dans le cercle n’ait rien de définitif : Badamassi, fils de
Seidou, fils de Mamoudou, fils d’Adebité, né à Ayétoro (Nigéria) vers 1870, est un Yorouba qui a reçu
l’ouird qadri à Isseyin (Nigéria). 11 donne la chaîne sui
vante : z\hmadou, puis Salah, son père, dit Salao; puis
Laouani, puis Souleïman, tous de la zaouia qadria d’Isseyin. Il appartient à-la troisième génération musulmane.
Son bisaïeul et les gens de son temps, dit-il, étaient encore
fétichistes. Cultivateur et tisserand, Badamassi n’a que de
modestes ressources. 11 écrit un peu l’arabe. C’est l’imam
de Savalou titre un peu ronflant pour une quinzaine de
Musulmans. Nous en avons fait, on ne voit pas pourquoi
puisqu’il n’y a pas de justiciables musulmans, un asses
seur au tribunal de cercle. Ali, fils d’Ousman, fils de Mai-
52
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
nassara, est un Haoussa, né à Sokoto vers 1870. Il se dit
disciple de qadri d’un certain Mallam Mahamma de
Sokoto. Il n’en sait pas plus. C’est le « Serki n’zongo »,
c’est-à-dire le Cheikh des musulmans de Savalou. Peu de
fortune; peu d’instruction ; peu d’influence.
LIVRE II
LE HAUT DAHOMEY
CHAPITRE PREMIER
Le milieu.
Une chaîne de petites collines, de peu d’importance, se
détachant des monts de l’Atacora et atteignant la frontière
de la Nigeria, à Nikki, partage le haut Dahomey en
deux bassins: Atlantique et Nigérien.
Au sud de ces collines, prennent naissance tous les cours
d’eau qui vont constituer l’Ouémé et son affluent princi
pal l’Okpa. Ce grand plateau, qui descend en pente douce
vers la forêt, est actuellement divisé en trois cercles : l’Ata
cora (chef-lieu Natitengou), le Djougou (chef-lieu Djougou ; le Borgou (chef-lieu Parakou).
Au nord des collines qui constituent cette ligne de par
tage des eaux, toutes les rivières: Mêkrou, Alibory,Bouly,
vont d’un cours presque direct au moyen Niger. C’est un
plateau assez riche, s’abaissant aussi en pentes douces
vers le grand fléuve, mais marqué, en arrivant dans la
plaine du Niger, par un ressaut assez brusque, que fran
chissent péniblement les cours d’eau et qui coupe fâcheu
sement la navigation. Il constitue administrativement le
vaste cercle du Moyen Niger (chef-lieu Kandi).
■54
ÉTUDES SUR
l ' is l a m
AU DAHOMEY
Tout ce haut pays, ainsi partagé en dos d’âne, se rat
tache par la situation géographique, par son sol, son cli
mat, sa population, ses produits et jusque par son histoire
bien plutôt au Soudan qu’au Dahomey. 11 en est de même
d'ailleurs, pour toutes les colonies européennes du golfe
de Guinée.
Le Niger, sur un cours de cent kilomètres, coule du
Nord-Ouest au Sud-Est, et forme la frontière de la colonie
et du territoire voisin deZinder. 11 décrit d’abord, sorti de
la région de Say, une série de coudes, affectant la forme
d’un w. Là, son cours est étroit et les collines qui l’en
serrent font de cet endroit un des points les plus curieux,
entre Say et Gaya. Il s’élargit ensuite en formant de nom
breuses îles et il coule dans une large plaine, dont il
inonde les bords régulièrement, deux fois par an.
Partout, il est assez profond pour pouvoir être praticable
toute l’année à des bateaux à vapeur d’un certain tirant
d’eau. De Karimama à Caya, les rives sont plates, sauf en
un ou deux endroits, et recouvertes de cette herbe appelée
« borgou », dont la lige fournit un suc sucré assez agréable.
Le Niger subit deux crues chaque année, l’une causée
par les pluies de l’hivernage dans le pays même, elle com
mence en juin et atteint son maximum en septembre ; dans
les années ordinaires, cette crue est, à Gaya, de 4 à 5 mè
tres au-dessus de l’étiage. La deuxième crue, due à l’apport
des eaux provenant du cours supérieur du fleuve, se fait
sentir en fin novembre.
Les principaux affluents du Niger sont d’amont en aval :
Le Tapoye, formant la limite entre les cercles de Say et
celui du moyen Niger. Le Mékrou, dont les sources sont
situées dans la région de Djougou-Kouandé. D’après les
indigènes, la mouche tsé-tsé ou une mouche analogue vit
sur les bords du Mékrou. L’Alibory qui vient, elle aussi,
de la région Djougou-Kouandé. Entre le Mékrou et l’Alibory se trouve la région de Baniquara, riche et peuplée,
LE HAUT DAHOMEY
55
mais plus au Nord, tout le pays entre le Tapoye, le Mékrou
et l’Alibory constitue une région désertique où les fauves,
les éléphants, et le gros gibier sont encore nombreux. Les
villages occupent uniquement les bords du Niger; encore
sont-ils peu nombreux et misérables en amont de Karimama.
CHAPITRE II
Les groupem ents ethniques.
i • Bariba. — On s’accorde à considérer les Bariba comme
les autochtones, ou tout au moins comme les plus anciens
habitants connus du haut Dahomey nigérien ; leur centre
primitif était, semble-t-il, la région qui s’étend d ’Aadi dans
le pays de Kouranga-Bara, à Boussa, sur les rives du
Niger. Les Boussa ou Boko, étaient les maîtres du pays.
Des rivSIités de chefs, des événements historiques plus
ou moins connus, et môme une certaine progression de
l’islam dans les fractions riveraines du Niger, provoquè
rent des discussions intestines dans le peuple Bariba. Cer
taines fractions, notamment celles rebelles à l’islam, durent
s’exiler. Elles se réfugièrent vers l’ouest, et ne s’arrêtèrent
qu’aux collines des Pila-Pila et des Somba. T out le pays
occupé devint leur nouvelle patrie, organisée féodalement
sous l’autorité d’un de leurs chefs qui, couronné roi de
Nikki, fonda l’empire du Borgou. Dès lors, par des guerres
heureuses, les Bariba vont s’accroître et étendre leur
influence au delà de Zougou, de Bouay, de Sinendé, de
Segbana, de Parakou, et jusqu’à Birni, Banikouara,
Kouandé, ainsi que sur les provinces orientales du Djougou
et de l’Atakora.
En somme, les deux tiers du haut Dahomey étaient et
LE HAUT DAHOMEY
.5 ;
restaient couverts parles invasions bariba, mais leurs con
quêtes s’étendirent plus loin encore. Lecentre important de
Bareï leur doit sa fondation, mais les autochtones, qui
étaient soumis aux conquérants et leur payaient un tribut
finirent par les absorber en maints endroits. La légende
veut encore que les migrations bariba aient atteint Salaga,
en Gold Coast, et fondé le village de Séméré, chez le peuple
de ce nom.
Groupé et relativement unifié aux beaux jours de son
histoire, le Borgou Bariba se scinda avec le temps en plu
sieurs royaumes. Les deux principaux furent Kouandé, à
l’Ouest, dont relevaient les peuplades occidentales du haut
Dahomey : Pila-Pila, Dendi, etc; et Nikki à l’Est, maître de
la région qui allait de Nagoau Niger.
Les groupements pila-pila et peul, qui avaient été
refoulés, ne tardèrent pas, après les luttes du début, à reve
nir insensiblement dans leurs territoires de cultures ou de
pâturages : les Pila-Pila dans la région de Bori, K.ona,
Donga ; les-Peul un peu partout.
Et c’est pourquoi dans cette région orientale du Djougou
(bassins delà moyenne Donga, de la Térou et del’Ouémé),
chaque-village bariba comprend un quartier pila-pila, et
c’est pourquoi des n o m b reu x croisements qui s’opèrent
tous les jours, tend à naître un nouveau peuple.
C’est ce qui explique encore que dans tout le haut
Dahomey, il est peu de villages bariba, qui ne se complè
tent d’un village peul, et cette situation, à la longue, est
d’une importance extrême'pour la transformation reli
gieuse des Bariba fétichistes.
Bariba est un terme impropre, mais consacré par
l’usage. Il signifie « infidèle.» et c’est Borgou qu’il faudrait
dire.
La race Bariba est douée d’excellentes qualités souvent
gâtées par de grands défauts. Les Bariba sont très braves à
la guerre et ardents chasseurs ; ils excellent à tirer de l’arc
i58
ÉTUDES SUR L ’ ISLAM AU DAHOMEY
et à monter à cheval; ils sont en général grands, forts et
musclés. Leur visage, plutôt laid, est cependant éclairé la
plupart du temps par des yeux pétillants de malice. Ils
sont intelligents, tenaces dans leurs entreprises et assez
hospitaliers.
Par contre, ils s’enivrent, toutes les fois qu’ils en trou
vent l’occasion, surtout quand ils peuvent se procurer de
l'alcool; ils s’adonnent avec passion au jeu, au point de
jouer quelquefois la liberté de leurs parents.
Avant notre occupation, ils étaient souvent en lutte les
uns avec les autres et avec leurs voisins ; aussi, leurs
villages étaient-ils solidement défendus au moyen d’une
haie d’épines infranchissables, ou le plus souvent d ’un tata
en pisé, quelquefois avec les deux.
Ils ont un sens très net de leur valeur nationale et ne
veulent être gouvernés que par des chefs émanant de leur
sein. Les Anglais l’ont appris à leur dépens, en 1915. Ils
avaient placé la région de Boussa sous les ordres d’un de
leurs anciens miliciens, homme de beaucoup de valeur,
mais d’origine djerma. Les indigènes se révoltèrent, envahi
rent Boussa, où ils massacrèrent plusieurs fonctionnaires
locaux, et quelques jours plus tard brûlèrent leur propre
village de Kayoma.
Déjà, en 1894, et cette fois sur le territoire dahoméen,
les Anglais avaient commis une erreur psychologique, qui
leur coûta leur domination sur plusieurs provinces bariba;
c’était au moment de la ruée vers le Niger des missions
allemandes, anglaises ou françaises. Le commandant
Decœur atteignit Nikki, capitale des Bariba dahoméens, le
20 novembre, 5 jours après les Anglais. II pensait que la
cause française était perdue, quand il s’aperçut que le chef
de la mission anglaise, capitaine Lugard, n’ayant eu ni la
bonne fortune de rencontrer le roi bariba, ni la patience
de l’attendre, avait traité avec l’imam des musulmans, ce
qui était évidemment sans valeur. Decœur parvint à faire
LE HAUT DAHOMEY
l5 g
signer au roi, véritable chef du pays, un traité régulier qui
plaçait le Borgou sous le protectorat français.
Les principales ressources des Bariba étaient: le butin
provenant de leurs expéditions, les contributions excessives
qu’ils prélevaient sur les Gambari (caravaniers étrangers,
surtout haoussa) et enfin les tributs incessants qu’ils exi
geaient des Peul, pasteurs très nombreux dans tout le Bor
gou. Leurs captifs cultivaient la terre pour eux.
Depuis notre occupation, les Gambari peuvent circuler
librement sans crainte d’être pillés ; les Peul sont traités
sur le même pied que les Bariba, mais, pour arriver à ce
résultat, tout acte de brigandage, d’exaction ou de vol a
dû être réprimé très durement par nous, dès le début.
Privés par la suppression du pillage de leur principale
ressource, ils se sont mis à la culture ; ils ont beaucoup
augmenté leurs lougans qu’ils cultivent avec grand soin ;
aussi, ce pays semble-t-il devenir riche et prospère.
Leur langage est un idiome spécial, le bariba ; il y a lieu
de remarquer que les Bariba de l’Est (Segbana) parlent la
langue de Boussa(que ceux'de l’Ouest ne comprennent pas.
A Sakotindji, au sud-est de Zougou, commence la limite
des deux idiomes.
Les Bariba sont fétichistes dans l’ensemble. Mais depuis
longtemps leur première hostilité à l’islam, cause initiale
de leurs migrations des rives du Niger, s’est atténuée. Le
contact avec les groupements peul, tous islamisés, a forte
ment teinté d’islam certains villages bariba voisins. La
proportion des musulmans, 3 p. ioo, pour n’ètre pas encore
très forte, laisse prévoir, pour un avenir plus ou moins
lointain, par le fait de l’apostolat des marabouts etde notre
neutralité, favorable à l’islam, une progression certaine
de la religion du Prophète dans cette intéressante peu
plade.
Cette évolution est d’autant plus assurée que les Bariba
ne paraissent pas trouver dans leurs institutions coutu-
IÔO
ÉTUD ES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
mières un bastion de défense sérieuse ; ils s’adaptent très
facilement au milieu où ils vivent, perdant très vite dans
les villages pila-pila et dendi leur langue et leurs m œ urs,
pour emprunter celles de leurs hôtes ou voisins.
A la suite des Bariba, il faut citer im médiatem ent les
Gando.
Les Gando ne forment pas une race à part ; ce sont
généralement des Bariba, anciens captifs de Peul ou de
Bariba. Il est assez curieux que les Peul, opprim és p arles
Bariba, aient pu se procurer des captifs de la race de leurs
oppresseurs ; c’est que les Bariba, quand ils ne pouvaient
prendre de force des bœufs aux Peul, en obtenaient facile
ment en échangeant, sans aucun scrupule, des prisonniers
de guerre faits sur leurs voisins de même race.
Les Gnado sont réunis en villages, so u m isàl’autorité des
chefs bariba. Ces villages, souvent très importants, sont la
plupart du temps de simples hameaux de culture.
Ainsi un village bariba, commandé par un chef influent,
a souvent, à proximité, un village peul et un villagegando,
commandés par des chefs distincts, mais soumis à l'auto
rité du chef principal, qui est Bariba.
Notre occupation a entraîné la libération des Gando, et
de ce fait, ici, comme ailleurs, des bouleversements pro
fonds se sont fait sentir dans la société indigène. Les
Gando émancipés ne surent pas jouir de leur liberté et
comme les Koïraboro de Tombouctou, ou les Diallonké du
Fouta n’en usèrent que pour cesser tout travail, et se livrer
à la rapine et aux fantasias ridicules. Quant aux m aîtres
bariba et peul, ils sont obligés de se mettre eux-mêmes à
la culture, ce qui ne va pas sans peine, et sans anim osité
contre nous. Ils recourent le plus souvent qu’ils peuvent
aux offices de leurs anciens captifs, devenus leurs salariés
ou métayers.
Les Bariba sontdénombrés au Dahomey 125.000 environ,
dont 4.000 musulmans. Les statistiques particulières des
P l . VIII, a . — Ecole coranique du quartier Zébou-aga (Porto-Novo).
P l . VIII, ô. — École coranique du quartier Togo (Porto-Novo
I
LE H A U T DAHOMEY
16 1
cercles en donnent 3.5oopour leDjougou 54.000 dans l’Ata cora ; 80.000 dans le Borgou ; 32.000 dans le Moyen
Niger.
2° P ila -P ila . — Au nord-ouest du Dahomey, dans les
deux cercles de l’Atacora et surtout du Djougou, s ’étend le
peuple pila-pila. Sa zone d ’habitant fut jadis, semble-t-il,
plus considérable. Elle s’étendait jusqu’aux Dompago à
l’ouest, jusqu’à Bougauro et Baré, à l’est. Refoulés par les
invasions bariba, venues de l’est, et contenus à l’ouest par
les Lama et les Cabrais, solidement installés dans la
région escarpée, qui forme la frontière du Togo, ils se
répandirent sur les plateaux q u ’ils occupent actuellement,
et dans les monts abrupts des Tannéka. Cette distribution
géographique a donné naissance aux deux groupements
actuels pila-pila : les Pila-Pila proprement dits ou «gens
de la plaine», et les Tannéka ou « habitants du pays des
pierres». Ceux-ci se sont conservés beaucoup plus purs et
représentent, semble-t-il, le vrai type physique, moral et
languistique pila-pila. Les gens de la plaine ont subi, au
contraire, beaucoup d ’influences étrangères et c’est seule
m ent chez eux qu’on relève des traces d ’islam.
Les statistiques donnent pour le cercle de Djougou :
35.000 Pila-Pila, dont 25.000 Pila de la plaine et 10.000
Tanneka.
Les Pila-Pila se donnent souvent à eux-mêmes le nom de
Yoba. Leur nom provient de leur salutation : pila, pila,
pila, à n ’en plus finir. Leurs hôtes dendi, qui sont isla
misés, les appellent, comme il convient « Kafiri », c’est-àdire « infidèles», ou lato sensu «sauvages». Cependant,
comme on le rem arquera à Djougou, l’islam commence à
pénétrer dans la société pila-pila par le canal de l’instruc
tion coranique et des enfants.
On verra plus loin, sous le titre « Dendi» comme les
Pila-Pila sont arrivés insensiblement à être dominés par un
i6a
ÉTUDES SU R b'iSLAM AU DAHOMEY
élément dendi, minime par le nombre, et étranger par ses
origines, ses mœurs et ses croyances.
3° D endi. — Les Dendi sont épars dans tout le haut
Dahomey. Ils paraissent être arrivés dans le pays, par la
vallée du Niger, à la suite d’im migrations assez lointaines,
qui remonteraient, autant qu’on peut le com prendre dans
leurs traditions fort imprécises, aux beaux jours de l’empire
songaï ». C’est de là sans doute que date leur islamisme.
Nous voyons, en effet, parle Tarikh es Soudan que le grand
Askia, Hadj Mohamed I", fît, en 1499-1500, une grande
expédition dans le haut Dahomey et soum it à son autorité,
et sans doute à l’islam, le Djermaganda, le Zaberma et le
Dendi. Quelques années plus tard, il apparaissait à nou
veau au delà de Saye, et poussait ses armes jusque dans le
Borgou, où il fit beaucoup de captifs, mais où il subit de la
part des Bariba, qui ne se laissèrent pas entam er, des
pertes considérables. Par la suite, l’askia prétendit que ces
pertes étaient volontaires et qu’il avait voulu se débarras
ser, par ces expéditions meurtrières, de gens dont il n’était
pas sûr, et qui, attachés à leur ancienne dynastie, pouvaient
se retourner contre lui.
Aujourd’hui, les Dendi sont au total, dans le haut Da
homey, 16.000 âmes environ, dont 10.000 m usulm ans et
6.000 fétichistes.
Les statistiques donnent pour le cercle de Djougou
3.5oo Dendi. Us sont surtout groupés dans les deux villages
de Ouangara (4.000 âmes) et de Kilir (1.600 âmes) formant
ainsi un élément important du centre jumellé, que nous
appelons Djougou, et qui se trouve être la plus forte ag
glomération urbaine du haut Dahomey. C’est à eux que
Ouangara, jadis simple « village des étrangers, au cœur
de l’habitat des Pila-Pila », s’est transform é en un grand
centre commercial.
Kilir était jadis, en effet, le siège d ’une dynastie indigène,
J
LE HAUT DAHOMEY
11>3
les Sasserou ; celle-ci céda la place par le mariage d'une
princesse, dernière survivante de la famille, avec un étran
ger gourmantché, à une nouvelle dynastie, celle des Kouroungou, qui est actuellement sur le trône, où se succèdent
trois branches alternatives. Les princes de cette dynastie,
y compris celui qui règne actuellement, Atakora II, ont
marché à nos côtés, dès la première heure, et ont bénéfi
cié considérablement de cette attitude loyaliste. Le pou
voir d’Atakora dépasse l'élément traditionnel Pila-Dendiet
s’étend presque à tout le cercle du Djougou ; seule, la région
de Séniéré (cantons de Séméré, Aledjo et Pélélan) échappe
à son autorité et relève du roi Assouma.
On rencontre encore quelques groupements dendi, de
moindre importance, dans la région de Bellefongou et de
Tébou : ils émanent d’ailleursde Djougou.
Ces Dendi sont loin d’être purs ici. Ils sont métissés de
Bazantché, de Djerma des rives du Niger, de Pila-Pila, au
milieu desquels ils vivent, de Baribaqui sont leurs voisins,
mais par le fait de leur supériorité intellectuelle, ils domi
nent moralement les autres races, ont su imposer ou faire
adopter leur dialecte, qui est non seulement la langue cou
rante de Djougou, mais sert de dialecte passe-partout dans
la région, et enfin ont fortement contribué à la propaga
tion de l’islam dans le groupement Ouangara-Kilir. Intel
ligents, mais paresseux, ils se consacrent surtout au com
merce et font peu de cultures. Ils fournissent aussi quel
ques artisans; forgerons et tisserands. Ils sont ici à peu
près tous musulmans, llscontinuent malgré l’opposition de
l’islam aux mutilations extérieures, à se décorer le visage
de leurs tatouages traditionnels : trois griffes sur chaque
face, depuis le front jusqu’au menton. Ce tatouage est
même passé chez beaucoup de Pila-Pila, notamment ceux
de Djougou, qui y ajoutent toutefois un petit trait oblique
sous chaque œil- En revanche, les Dendi ne se plaquent
pas de scarifications ou de tatouages sur le ventre et letho-
164
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
rax, comme la plupart des peuples du haut Dahomey.
La plus grande partie des Dendi se trouve sur les rives
du moyen Niger, qui paraissent être depuis longtemps
leur habitat traditionnel. On les trouve d’Ilo (Nigéria) à
Koupa (Dahomey), et plus encore au nord de Koupajusq u a Saye. Ils ne sont pas plus travailleurs que leurs voi
sins du Djougou et de l’Atacora, mais s’occupent davantage
des cultures et un peu de pêche. Ils avaient depuis long
temps perdu leur indépendance et vivaient dans une demivassalité vis-à-vis de leurs voisins, notamment les Bariba,
vers le Sud. et le royaume de Saye vers le Nord. Ils eurent
beaucoup à souffrir des déprédations des bandes Peul,
toucouleur et ouolof d’Ali Bouri, et d’Ahmadou fils d’Al
Aadj Omar ; entre 1894 et 1898, leurs villages et notam
ment Bikini, leur cité capitale, furent entièrement détruits.
Ils se sont relevés à grande peine sous notre commande
ment.
Tous ces Dendi sont musulmans et assez fermement
attachés à leur foi. Les derniers fétichistes, ceux de la ré
gion de Tienka, ont fini par se ranger derrière la bannière
de l’islam, il a quelques années.
4" Cotocoli. — Les Cotocoli constituent une puissante
peuplade dont la plus grande partie est au Togo. Dans le
seul cercle deSokodé (Togo) on en compte près de 5o.ooo.
Dece côté-ci de la frontière, on n’en distinguequetroisgroupements, fort denses il est vrai, puisqu’ils comprennent
8.000 âmes. Ce sont Aledjo-Koura, l'aratao et Nioro Koutoundoni.
Ces Cotocoli français s’étaient détachés avec le temps,
et par fusionnement avec leurs voisins Ouingui, Bazantché
et Yorouba, du centre du commandement de la peuplade,
qui est resté au Togo. La frontière peut donc les séparer
sans trop de heurts.
Les Cotocoli, race de cultivateurs paisibles, sont indus
LE HAUT DAHOMEY
l65
trieux et facilement attirés par le négoce et les travaux de
l’artisan. Le marché d ’Aledjo est, avec celui de Djougou,le
plus important de la région. Les commerçants musulmans
étrangers sont arrivés vers le milieu du xixe siècle et ont
fait école. Les commerçants Cotocoli sont sortis et se sont
instruits des premiers rudiments de l’islam. Il n ’est donc
pas étonnant que par cette double voie, l'islam commence
à faire son apparition dans cette peuplade. On en compte
3.oooenviron chez lesCotocoli du Togo, et 5oo chez ceux
du haut Dahomey. Leur islamisme est d’ailleurs tout su
perficiel, comme chez les peuples du Bas-Soudan. 11 s’ac
compagne des pratiques et croyances du fétichisme, de la
polygamie sans limites, des beuveries d’alcool, etc. Ils font
« salam » et mal. C’est peu évidemment, mais c’est un dé
but. Avec le temps la religion du Prophète s’y répandra
en surface et s’y perfectionnera en qualité.
Des migrations fort anciennes, dues probablement aux
horreurs des razzias d’esclaves ont amené hors de leur pays,
de petits groupements Yorouba. On en trouve par exemple,
4.200 dans le cercle de Djougou, surtout concentrés dans
les deux centres d ’Aledjo, où ils se mêlent aux Cotocoli,
et à Kékélé, où ils se noient dans les Manigri, au sud de
Bassila.
Ils se sont maintenus, malgré tout, dans un état de pu
reté relative et leur langue, quoique évoluée, s’apparente
encore très visiblement au Yorouba classique.
Cet élément Yorouba-Nago porte, chez les Cotocoli et les
Pila-Pila, le nom de Okou-Okou ou de Niantroukou. L’is
lam compte chez eux quelques représentants.
5° S éméré. — Les Séméré ou Bazantché sont d’o-rigines
diverses : les uns se rattachent aux Cotocoli voisins, dont ils
ont pris en grand nombre la langue et les moeurs; les au
tres s’assimilent aux Gourmantché du Soudan et sont ve
nus de Salaga (Gold Coast), volontairement ou non, sui-
i66
ÉTUDES SDK L’ ISLAM AU DAHOMEY
vantles légendes ; d’autres enfin se déclarent simplement
de race Séméré ou Bazantché, de sorte qu’il est difficile de
discerner clairement leurs origines.
Ils constituent en tout cas, à l’heure actuelle, un peuple
de 8.000 âmes, très uni.
Riches, industrieux, cultivateurs, les Séméré ont gardé
de leur passé de pillards, une certaine fierté qui manque
parfois de souplesse vis-à-vis de l’Administration. Ils n’ont
pas été touchés par l’islam, mais Séméré, leur grande ville,
visitée et habitée par des dioulas de toute provenance, sur
tout Haoussa musulmans, fait quelque peu figure de centre
islamique.
6° Somba. — Les Somba peuplent, au nombre de 80.000
environ, l’extrême nord-ouest de’la colonie, c’est-à-dire le
cercle actuel de l’Atacora. Cette société Somba, plutôt con
fédération que tribu unifiée, comprend plusieurs groupe
ments ethniques, très différents les uns des autres, mais se
reconnaissant néanmoins une origine commune. Ils débor
dent sur le Togo et le Gourma voisins. Ils sont tous féti
chistes. L’islam ne les a en aucune façon atteints.
7oOuixgui-Ouingui. — Les Ouingui-Ouingui, ou Ouindji,
sont une peuplade fétichiste qui s’intercale, à l'ouest de la
colonie, dans le cercle de Djougou, entre les Pila-Pila au
nord, lesCotocolià l ’ouest, etlesBariba à l’est. Au nombre
de 4.000 environ, ils ont élevé leurs villages clairsemés
dans la haute vallée de laTérou.
Le noyau primitif est peu nombreux: un quart peutêtre de la population totale, on n’en connaît pas les ori
gines. La plus grande partie des Ouingui-Ouingui actuels,
et notamment ceux des villages de Bayakou, Deingou,
Balamanga, de Parakou (Kakrakou) sont venus s’établir
sur les rives de la Térou et de ses affluents supérieurs. Ils
se sont complètement assimilés à leurs hôtes.
LE HAUT DAHOMEY
167
A Pélélan, c’est l'élément achanti qui domine par le
sang, mais qui lui aussi s’est nationalisé ouingui-ouingui.
C’est dans les seuls villages de Godoari et de Penessoulou
qu’au dire des traditions,on trouve les Ouingui-Ouingui de
race pure.
Peuple paisible et uniquement agricole, assez isolé dans
une région peu habitée et mal desservie par d’insuffisantes
voies de communications, les Ouingui-Ouingui n’ont pas
encore reçu la visite des marabouts musulmans, et restent
fidèlement attachés à leurs coutumes traditionnelles.
8° Dompago. — A cheval sur la frontière du Togo, trois
peuplades, de très près apparentées, les Dompago, les Lama
et les Cabrais, représentent chez nous un groupement de
i3.ooo âmes, venu de l’ouest, et dont l’immigration a été
arrêtée par les Pila-Pila. Les Dompago sont de ce côté de
la frontière. Les Lamas et les Cabrais, surtout du côté du
Togo.
Ce sont des cultivateurs fort arriérés, mais qui néan
moins, par leur accumulation sur un espace restreint et
par leur affection pour les travaux agricoles, en sont arri
vés à une sorte de conception de la propriété personnelle
immobilière.
La langue dompago se rapproche du cotocoli, ce qui a
porté certaines personnes à rattacher les deux peuples à
une souche unique.
Ils échappent pour l’instant à l’emprise de l’islam. 11 y
a pourtant parmi eux quelques musulmans. En août 1914,
dans le village voisin de Sogodeï (Togo), que les gardes de
l’Atacora venaient d’occuper, la propagande malveillante
du marabout Idirissou dut être arrêtée par une exécution
rapide.
Les sauvages cabrais n’avaient d’ailleurs pas besoin d’ex
citations étrangères. Dans les quelques heures qui séparè
rent, à Bassila (Togo), le départ des fonctionnaires aile-
168
ÉTUDES SUR
l ' is l a m
AU DAHOMEY
mands et l’arrivée des gardes de Djougou et de l’Atacora,
ils pillèrent de fond en comble le poste et les habitations
privées.
'
9° Gourmantché.— Les Gourmantché sont les habitants
du Gourma, dont Fada N’ gourma est la capitale, et qui,
après avoir jadis relevé du Dahomey, ressortit aujourd’hui
à la Haute-Volta. Ils ne nous intéressent donc pas ici, en
tant que peuple, mais plusieurs de leurs fractions ou indi
vidus ayant émigré dans les régions voisines de l’Atacora
et de Djougou, on trouve aujourd’hui dans ces deux cercles
dahoméens de petits groupements gourmantché. Les Gour
mantché, comme les Djerma, comme les Dendi, paraissent
être des rameaux de la souche sonraï, ou tout au moins un
peuple fortement sonraïsé.
Aj Dans le cercle de Djougou, c’est au seul village de
Kilir (Djougou) que l’élément gourmantché est représenté.
Il est presque exclusivement constitué par les trois familles
royales de Kilir, issues comme on l’a vu, de Kouroungou
etqui règne sur les Pila-Pila. Il compte environ un mil
lier d’individus, qui sont fortement métissés, surtout de
sang pila-pila.
On saisit chez eux les premiers symptômes d ’islamisa
tion, dus au voisinage et à l’exemple des musulmans et
commerçants dendi.
N. B. L’Atacora, voisine du Gourma, renferme de nom
breuses colonies gourmantché. Elles sont si exclusivement
fétichistes que nous n’avons pas à nous en préoccuper ici.
io“ P eul . — Les Peul ont constitué, sur l’ensemble de
la superficie du haut Dahomey, des groupements d’impor
tance variable, vivant en marge des collectivités noires.
Leurs origines paraissent très diverses. Ceux de l’ouest
semblent se rattacher aux groupements peul des pays
Mandé et de la boucle du Niger ; ceux de l’est semblent au
LE HAUT DAHOMEY
169
contraire venir du nord-est. Les caractères anthropologi
ques, ies mœurs, le métissage, ici Pila-Pila ou Dendi, là
Bariba, ont accentué ces différences originelles. C’est tout
ce qu’il est possible d’en dire ici.
Ils vivent à l’écart, groupés en agglomérations semi-no
mades et paissant leurs nombreux troupeaux. Ils sont ri
ches, bien qu’ils aient été longtemps pressurés par les Ba
riba, qu’ils détestent et craignent. Aujourd’hui ils vivent
tranquillement et semblent sedéplacer moins fréquemment
qu’autrefois; ils ont, en effet, quelques villages formés de
cases en pisé, au lieu de simples huttes de nattes ou de
paille, à toit arrondi comme jadis. Beaucoup de villages
bariba sont doublés d’un village peul, situé à des distances
variables, parfois plusieurs kilomètres.
Beaucoup plus heureux depuis notre occupation, ilsont
vu, d’un très bon œil, notre occupation du pays : on peut
en croire sur ce point leurs protestations de dévouement.
Autant les Peul sont affables et polis, autant les Bariba
sont rudes, mais il ne faut pas se laisser influencer par ces
dehors. Les Peul, fourbes et cruels, cherchent à devenir
oppresseurs, dès qu’ils ne sont plus opprimés, et ils achè
tent encore des captifs, malgré la défense qu’ils connais
sent bien cependant, toutes les fois qu’ils croient pouvoir
le faire à notre insu.
La femme, comme dans toutes les sociétés peul, joue un
rôle social plus étendu qu’ailleurs et jouit d’une grande
influence.
Les Peul sont dénombrés dans le haut Dahomey, 38.000,
tous musulmans et fermement attachés à la loi du Pro
phète. Ils constituent donc le plus gros noyau de l’islam
dahoméen, puisqu’ils sont la moitié des islamisés dans la
colonie (49 p. 100).
Les statistiques particulières en donnent 4.500 dans le
cercle de Djougou. Ilsy sont répartis en cinq groupements :
1» Groupement des Tannéka, relativement peu impor
l"O
ÉTUDES SU R L'ISLAM AU DAHOMEY
tant, fortement apparenté aux groupements Peul du pays
Séroula.
2° Groupement de Dompago, s’étendant au nord jus
qu’à Karoum et à l’est jusqu’à Parampago.
3“ Groupement de Djougou et de Ouangara.
4» Groupement de Balléfangou, de Parsi, de Kona et de
Noméné.
5° Groupement de Palélina, englobant les gens de Soubroukou, de Cuassa, d’Eratiao. Il est possible d'y rattacher
les deux groupes de Mami et de Séméré, peut-être celui
d’Aledjo.
Les autres tribus peul sont dispersées dans l’Atakora
(6.000 environ), dans le Borgou (10.000 environ) et surtout
dans le moyen Niger ( 18.000 environ).
A ces groupements foulbé, habitants du haut Dahomey,
il faut ajouter leurs frères de race, originaires de la rive
gauche du fleuve (Territoire du Zinder, ou même Nigeria
anglaise), qui viennent chaque année, en saison sèche,
faire paître leurs troupeaux sur la rive Gourma. Le chef le
plus en vue de ces immigrés est Tchiama. Ces transhu
mances donnaient lieu à des conflits, auxquels on a dû
mettre un terme en réglementant le pacage. Des difficul
tés d’un autre ordre, politiques celles-ci et moins faciles à
résoudre, naissent par la présence périodique de ces étran
gers en territoire français. Ils se font les colporteurs des
rumeurs, bonnes ou mauvaises, qui fleurissent dans ce
vaste empire poullo et musulman de Sokoto, et c’est ainsi
que courent les légendes et' les bruits inconsistants, à la
suite des troupeaux foulbé. On se trouve souvent dans la
brousse en présence de situations quelque peu troublées,
peu claires, difficiles à remettre au point, et on le doit, en
dernière analyse, à ces esprits curieux, méfiants, bavards,
et potiniers que sont les Peul par tous pays.
Grands pasteurs comme partout, les Peul détiennent à
peu près tous les troupeaux de bovins du haut Dahomey,
I7 1
LE HAUT DAHOMEY
soit à titre personnel, soit en vertu de contrats de location
et de dépôt avec les propriétaires sédentaires voisins. Ils
les soignent avec cette affection vigilante, qui est peut-être
la caractéristique la plus accusée de leur race. Ils associent
leur islamisme réel, encore que peu éclairé et peu fervent,
à ce grand amour du bétail, et il en résulte une Joule de
petites pratiques rituelles fort curieuses. C’est ainsi, par
exemple, que lorsque le troupeau rentre le soir au parc,
ils marquent une sorte de déférence pour les femelles en
les attachant toujours du côté de l’est, à moins que ce ne
soit le contraire et qu'ils veuillent honorer les Lieux Saints
en plaçant de leur côté leurs biens les plus précieux.
11° Haoussa. — Cette esquisse des peuples du haut Da
homey doit se terminer par les Haoussa, qui ne sont à peu
près nulle part comme agglomération urbaine, ou comme
fraction de tribu, et qu’on retrouve partout comme indi
vidus.
Ces Haoussa, ou Gantbari, comme on dit ici, provien
nent du pays haoussa même, c’est-à-dire de cette vaste ré
gion qui s’étend du bas Niger (Niamey-Saye-llo) au Tchad.
Les uns Français, les autres Anglais, ils sont surtout ori
ginaires de Dosso, de Fogha, du Maouri, et des territoires
de Sokoto. Ils franchissent le Niger à Niamey, Say, Karimama, Gaya, Ilo, Gomba, et de là se répandent isolément
ou en petits groupes dans tout le haut Dahomey. Ce sont
les dioulas de ce pays. Leurs petites caravanes s’arrêtent à
Nikki, Zougou, Kandi, traversent l’Ouémé, l'Alibory ou
la Mékrou, séjournent à Djougou, où beaucoup s’arrêtent
pour faire demi-tour, les autres continuant sur Aledjo,
Kouandé, Natitengou, et de là franchissant la frontière,se
répandent dans le Haut-Togo et souvent même dans la
Haute-Gold Coast.
« A l’aller, elles transportent du sel de qualité inférieure,
de la potasse, des cuirs travaillés ou teints, des dépouilles
12
172
ÉTUDES SU R l ' is la m AU DAHOMEY
d'autruche, de l’antimoine, des étoffes indigènes, des bijoux
de cuivre, des nattes, des tabacs. Elles ont aussi quelque
fois des animaux qu’elles vendent: chevaux, ânes, mou
tons. Au retour, ces caravanes s’approvisionnent de sel, de
tissus, d’alcools, de kolas. »
A l’aller comme au retour, ces Gambari, pieux musul
mans et commerçants habiles, sont toujours pourvus de
Corans, de Dalaïl, de Rissalat de livres de prières ou de
formulaires de magie, quelquefois de chromos enluminés.
Par leurs exemples, par leurs propos, par leur commerce,
par le spectacle de leur prière quotidienne, par leur pra
tique ostensible des rites de l’islam, ils sont de véritables
missionnaires.
On verra plus loin que le groupement haoussa, relative
ment important, de Parakou, dans le Bas-Borgou, avait
fini par constituer, à la fin du siècle dernier, une sorte de
petit État, plus ou moins indépendant ; on l’appelait le
royaume des Gambari. C’était en réalité un simple village
à demi-autonome.
Les Haoussa ne colportaient pas que des denrées com
merciales ou même des manuscrits arabes inoffensifs pen
dant la guerre. On lira en annexe les documents arabes
qu’ils ont apportés de Nigéria et introduits dans les com
munautés musulmanes du haut Dahomey. 11 est vrai que
ces manifestations de la propagande allemande n’ont eu
aucune répercussion sur l’une comme sur l’autre rive du
Niger.
CHAPITRE III
Les collectivités et individualités islamiques.
1. Note préliminaire. — Si, dans le bas Dahomey, les
communautés musulmanes apparaissent comme noyées au
milieu des peuples fétichistes ou chrétiens, et si même,
sauf pour celle de Porto-Novo, elles ont de la peine à assu
rer leur vie religieuse et la conservation de leur idéal, il
n'en est pas de même dans le haut Dahomey. Ici, ,en bor
dure du Soudan, l'islam reprend ses droits. Son influence
s’est fait sentir, au cours des âges, de divers côtés et sous
diverses formes, et il est certain que s’il ne s’est imposé ni
par la prépondérance politique, ni par la supériorité numé
rique, il a tout de même acquis droit de cité dans le haut
Dahomey.
C’est par la vallée du Niger sans doute, que l’islam y a
fait son apparition lorsque l’empire songaï de Gao et de
Tombouctou s’étendit jusqu’aux rapides de Boussa. Les
Songaï étaient partiellement islamisés ; leurs askia faisaient
profession d’orthodoxie ; ce mouvement religieux descen
dit le Niger avec les pirogues songaï et se répandit chez les
Dendi, peuplade riveraine du Niger entre Say et Boussa et
filiale métissée des Songaï. Par la suite, les Dendi se sont
répandus dans le haut pays et malgré leur petit nombre, en
étaient arrivés à s’imposer, comme dynastie, aux peuples
'74
É T U D E S SU R L’ iSLAM AU
DAHOM EY
fétichistes du Djougou et de certaines régions de l’Atacora.
Mais le plus grand nom bre d’entre eux est resté s u r les rives
du Niger, où on les retrouve aujourd'hui. Les uns et les
autres sont partiellem ent islamisés (9.000 m usulm ans envi
ron su r i5.ooo âmes).
Avec les Dendi, les Peul représentent ici l’islam . P ar où
et quand ces éternels nom ades sont-ils arrivés ic i? Une
recension détaillée de leurs traditions l'établira. 11 faudra
bien d ’ailleurs, un jo u r ou l’autre, qu'on entreprenne l’étude
générale des origines, de l’histoire, et de l’assiette de la
diaspora peul. Il semble en tout cas que l’arrivée, dans le
pays, du plus grand nom bre d ’entre eux rem onte au début
du xix" siècle et fut consécutive aux rem ous qui agitèrent la
fondation des empires peul du M acina, du centre de la
boucle, et de Sokoto. T ous ces Peuls du h au t D ahom ey
sont islamisés (41.000 environ).
Aux Dendi et aux Peul, il faut ajouter les com m erçants
am bulants, ceux q u ’on appelle ailleurs les « dioulas », et
ici les « Gambari ». Ils sont pour la plupart d’origine haoussa
et à peu près tous m usulm ans (3.5oo environ).
Il faut compléter ce fonds de m usulm ans originels, dont
l’islamisation rem onte à plusieurs générations, par l’é n u
mération des îlots de peuplades fétichistes, qui sont passées
à l ’islam, par l’exemple ou le prosélytism e des prem iers :
par exemple chez les Bariba (3.5oo environ) chez les Cotocoli (quelques familles) ; chez les G ourm antché (quelques
familles) ; chez les Pila-Pila (quelques familles).
En résum é, les m usulm ans du haut Dahomey peuvent
être dénombrés 60.000 environ, sur un total de 3oo.ooo
habitants, soit le cinquièm e environ de la population.
Le qaderisme a été, dès les débuts, le véhicule de l’islam
en Afrique Occidentale : le haut Dahomey n ’échappe pas
LE HAUT DAHOMEY
>75
à la règle. C’est cette voie que les Songaï, disciples spiri
tuels des Kounta au xvi* siècle, répandirent dans tous les
hameaux riverains du Niger ; c'est elle que les Peul, ardents
propagateurs de l’ouird de Sid Abd El Qader Al-Djilami,
imposèrent par la force, du Macina à Sokoto, en faisant
presque une religion d’État jusqu'à la fin du xtx* siècle, tout
le haut Dahomey musulman est qadri.
A cette date, le flot du tidianisme omarien, qui jusque-là
ne s’était pas fait sentir aussi loin, déferle sur les rives du
bas Niger par la poussée de la conquête française. Chassés
de Ségou, de Nioro, de Bandiagara, les derniers fils, ne
veux et fidèles du grand conquérant toucouleur, échouent,
entre 1894 et 1900, dans le Soudan oriental, se dispersent
sur les rives du Niger, s’égaillent entre Niger et Tchad, se
heurtent de ci de là aux Français, aux Anglais; et finale
ment, les uns se soumettent aux maîtres de l’heure, les
autres, plus irréductibles, prennent le chemin de l’est pour
aller enfin prendre pied, après de nombreuses aventures,
aux villes saintes d’Arabie.
L’héroïsme de ces grands défenseurs de la foi, très ardem
ment tidiania, leur prosélytisme intense, leur exemple con
tagieux, le renom du tidianisme, qui passe pour plus fer
vent que les autres ouird, que sais-je encore, peut-être sim
plement la mode, toutes ces causes réunies firent qu’en
moins d’une génération, les trois quarts des musulmans
sont passés au tidianisme. Beaucoup de gens ont lâché sans
ambages l’ouird qadri pour se faire affilier à l’ouird en vo
gue. Le plus grand nombre est resté fidèle, malgré tout, à
la « voie » de ses jeunes ans, mais les enfants ne les y sui
vent pas, et comme les vieux disparaissent tous les jours,
on peut prévoir que, sauf chez les Peul où il se maintient
encore quelque peu par l’influence de la dynastie politique et
pontificale de Sav, leqaderisme aura disparu dans quelques
années. II est vrai que, pour des causes inattendues, un
revirement peut s’opérer soudain. Au surplus, qaderisme.
,76
ÉTUDES SUR L*ISLAM AU DAHOMEY
et tidianisme ne sont pour ces musulmans à l’eau de rose
que des étiquettes.
L’enseignement, qui se présente ici sous la seule forme
coranique, est pour ainsi dire inexistant. Ce n’est pas la
centaine de maraboutsinstituteurs,même doublée d’unecentaine d'écoles familiales, qui pourra éduquer intellectuelle
ment cette nombreuse population d’âge scolaire, dont la
majeure partie lui échappe d’ailleurs. Ces maîtres sont, au
surplus, complètement ignorants et ne donnent la plupart
du temps qu’un enseignement traditionnel, qui passant
oralement de génération en génération, sans se raffermir
et se purifier aux textes mêmes, finit par se déformer con
sidérablement. Il est facile de constater qu’ils ne compren
nent pas le texte du Coran qu'ils enseignent. Ils n’ont
d’ailleurs pas cette prétention. Leur tâche consiste à faire
apprendre les premières sourates du Livre à leurs élèves et
à les initier au mécanisme rituel de la prière.
Les statistiques des écoles coraniques pour le haut
Dahomey donnent les chiffres suivants :
Cercle du Borgou. .
34 écoles
Cercle de Djougou .
20 —
Cercle de l’Atacora . . 6 —
Cercle du moyen Niger. 35 —
Total . . 95 écoles
37o élèves
250 —
55 —
3oo —
975 élèves
Si à ces chiffres, on ajoute ceux du bas Dahomey, on ob
tient pour l’ensemble de la colonie, un total de 154 écoles
et de 1.900 élèves.
Les mosquée n’ont aucun cachet spécial : c’est la case
ordinaire en paille, généralement plus spacieuse, et quel
quefois entourée d’une sorte de vérandah.
LE HAUT DAHOMEY
'77
Très souvent d’ailleurs elle fait défaut et est remplacée
par un petit emplacement sablé et très propre, qu’une en
ceinte de pierres de latérite, de petits pieux, ou de grosses
bûches signalent à l’attention.
Les temples, relativement fréquentés le vendredi, sont
abandonnés les autres jours de la semaine.
Lescimetières spéciaux, à l’usage des musulmans, n’exis
tent pas. Les musulmans suivent la coutume du pays qui
est d’enterrer les morts à l’intérieur du tata familial.
On ne saurait mettre en doute le caractère pacifique et
loyaliste des populations musulmanes du haut Dahomey.
Cependant il faut reconnaître que crédules, ignorantes,
molles et sans énergie, elles peuventétre facilement la proie
des marabouts agitateurs. Nous en avons eu la preuve dans
les premières années du siècle, et on citera les principaux
cas dans le chapitre suivant.
En 1916 et 1917 encore, des troubles politiques assez
graves se produisirent dans la société bariba : les cercles du
Borgou et du moyen Niger. Les communautés musulmanes,
dispersées au milieu ou en bordure de ces peuples féti
chistes, et souvent leurs victimes n’avaient aucun intérêt
à épouser leurs revendications et à s’allier à eux. Plusieurs
se laissèrent pourtant entraîner à la voix de prédicateurs
turbulents et intrigants. Ces troubles avaient nécessité l’en
voi d’une colonne de police qui entraîna quelques dé
penses. Il n'était que juste d’infliger des contributions
collectives aux villages rebelles, et c’est ainsi que le mon
tant de ces amendes fut réparti en 11.385 francs pour
le cercle du moyen Niger et 43.877 francs pour le Bor
gou. La fixation de la somme à exiger de chaque vil
lage rebelle fut basée sur la part prise à la révolte par la
collectivité de ce village, sur ses possibilités contributives,
i?8
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
et sur le degré de bonne volonté manifestée pour la répa
ration des dommages causés.
Nous pouvons faire la contre-preuve de cette malléa
bilité des musulmans locaux par les succès de notre propa
gande d’avant-guerre et de guerre. Toutes les brochures
de Saad Bouh, ou de Cheikk Sidïa, tous les tracts de pro
pagande, édités par la Revue (lu Monde Musulman, sur
les manifestations loyalistes des grands chefs et marabouts
musulmans, tous les journaux et illustrés, nés de la Maison
de la presse ou de l’initiative des gouvernements coloniaux,
répandus ici à profusion, et commentés favorablement,
ont maintenu, aux heures les plus critiques, l’esprit gé
néral des musulmans à un étiagc excellent.
2“ Cercle du Borgou. — Le Borgou, ce cœur de l’an
cien empire bariba, a été divisé, par notre administration,
en trois subdivisions : Parakou, Nikki et Bembéréké, et
en 33 cantons. Il renferme plusieurs foyers islamiques
d’inégale importance, et qu’on va voir successivement.
L'islam est pratiqué ici par les peuples peul, dendi,
yorouba. Les Djerma musulmans aussi, commencent à y
faire leur apparition. On signale, çà et là, quelques
familles bariba, en coquetterie avec l’islam.
Parakou, chef-lieu de cercle, est un gros bourg sur la
grand’route carrossable, la route de l’Est, qui conduit du
terminus du chemin de fer, au Niger. C’était originellement
une ville bariba, partant fétichiste. Par l’afflux des étran
gers, surtout musulmans, d’origine dendi et haoussa, et
même peul et gourmantché, il s’est constitué, à côté de
Parakou-Bariba, un Parakou-Maro qui a fini par sub
merger l’autre. Plusieurs familles bariba, attirées par
l’exemple, sont ainsi passées à l’islam. D’autres, d’origine
Nago-tchabé, sont venues de Savé.au moment des courses
et pillages des Dahoméens du Sud.
Ce groupement musulman avait fini, dans le dernier état
LE HAUT DAHOMEY
179
de choses, par constituer une sorte de petit État, quasiautonome, qu’on appelait le royaume des Gambari. Il ne
comprenait guère que Parakou, qui était sa capitale : celte
ville était divisée en deux parties : la ville du roi, petite,
(crmée, calme, bien entretenue ; la ville du commerce,
bruyante et animée.
On ne retrouve point ici cette investiture, donnée par
le roi fétichiste aux imams musulmans, comme la chose
se passait par exemple dans l’État voisin de Nikki. C’est
qu’ici, le roi bariba très affaibli se sentait impuissant à
faire prédominer sa volonté sur ses sujets musulmans et
étrangers, riches et indépendants.
Parakou comprend 13 écoles coraniques, dont les maîtres
et les élèves — ceux-ci au nombre de 140 environ — appar
tiennent presque tous à la communauté dendi. Les plus
notoires sont : zkboudou Touré, né vers 1867, Drankama,
né vers 1880 ; Dzibéli et Marna, nés vers 1870. Le chef de
la communauté fut, jusqu’en 1908, année de sa mort,
l’imam Halidou. Il a été remplacé; à cette date, à son
école par son fils Zakaria, relativement instruit, et, à la
présidence de la prière, par Alniamy Moussa, de racegourma
de Fada, né vers 1870, à Parakou même, où son père était
venu s’installer quelque temps auparavant. Sa mère est
originaire de Kénou, en Nigéria. Il a été affilié au tidianisme par son oncle Ibrahima, longtemps imam de la
mosquée de Parakou, à la fin du siècle dernier, et y décédé
vers 1900. Moussa ne jouit que d’une influence restreinte :
ce sont surtout ses fonctions qui le mettent en évidence ;
il fait en outre, l’école à une vingtaine d’enfants, qu’il
emploie à travaillera ses champs ou à copier des versets du
Coran, dont il fera un petit commerce d'amulettes. Il vit
tranquille, dans l’estime publique et la confiance de l’ad
ministration.
Il ne reste plus à signaler que deux personnages : Al
Hadji Ousrnan, né à Djougou vers 1870, filsde Mahama,etAl
iS o
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
Hadji Djibil, né à Parakou vers 1870, fils de Hadji Mahama.
Ces deux indigènes avaient quitté le Borgou, vers 1900, pour
se rendre à La Mecque. Ils sont revenus, après une absence
de dix ans, par la voie de terre (Agadès). Leurs voyages
et aventures les ont formés. Ils sont intéressants et nulle
ment dangereux.
Tourou est une petite colonie musulmane, d’origine dendi.
On n’y peut signaler que deux personnalités de quelque
importance: Adama, né vers 18G8, et Issa, né vers i865,
tous deux peu lettrés et petits maîtres d’écoles de 4 à
5 élèves.
Ouari-Maro est le quartier dendi de Ouari-bariba. Un
marabout, Seni, né vers 1875, y fait à la fois, l’imam et
le maître d’école (8 élèves).
Guinagourou est le dernier hameau musulman qui mé
rite une mention, dans la subdivision de Parakou. Un seul
maraboutaillon : Yahia, avec 7 élèves.
Dans la subdivision de Iiembéréké, il n’y a qu’un foyer
islamique : Sinendé : ’
Sinendé est une bourgade mixte de Dendi et de Bariba.
On trouve des musulmans dans les deux collectivités. Le
notable musulman et imam des Dendi est Baboni, né vers
1871 à Kandi, et établi depuis longtemps comme maître
d’école à Sinendé. Il n‘a que des brides d’instruction
arabe et les apprend péniblement à une dizaine d’enfants,
fils des cultivateurs du village. Il fait aussi le commerce
des versets du Coran, il se dit tidiani, disciple d’Al-Hadji
Idrissou, de Salaga (Gold Coast), qui, à son tour, relève de
la zaouia de cette ville. Alfa Baourou, autre notable, appar
tient à une très vieille famille bariba de Sinendé. Il
est né lui-même vers 1868. Son père Babio Kani était déjà
musulman et l’a initié au tidianisme, le rattachant ainsi à
la zaouia de Kandi. Baourou n’a qu’une aisance modeste :
il gagne sa vie aux travaux de ses champs et dans l’ensei
gnement du Coran à une dizaine d’enfants, fils de cultiva
LE HAUT DAHOMEY
181
teurs et de teinturiers du village. C’esl un brave homme.
L’imam général de la ville est Naïmi, haoussa, né vers
1868, disciple tjdiani d’Abdoul Baraki de Kandi. Il a tou
jours eu une attitude loyaliste. On prétend même que,
lors de la révolte des Bariba de 1916, il donna des conseils
d’apaisement, au risque de se faire piller. Il entretenait les
meilleures relations avec son voisin l’Alfa Sani de Kandi,
qui vient de mourir le 17 février 1921. 11 dirige une petite
école de 4 élèves, fils de Gambari locaux. A citer enfin à
Sinendé, Magadji Ali, d'origine haoussa, imam occasion
nel, né vers 1870, disciple spirituel du tidiani Abdoui Hadi,
frère de Sani, l’imam, récemment décédé, de Kandi. C’est
un homme paisible, qui fait l’école à une demi-douzaine
d’enfants de sa famille.
Nikki, dans la subdivision de même nom, siège de l’au
torité et capitale de l’empire bariba, devait attirer beau
coup de musulmans : petits artisans, pasteurs et surtout
commerçants. Aussi, y rencontre-t-on, soit à Nikki même,
soit dans les villages environnants, des représentants de
toutes les races islamisées du haut Dahomey : Dendi,
Peul, Haoussa, et bien entendu plusieurs Bariba, de con
version récente.
Aux beaux temps de la suprématie bariba, les popula
tions du haut Dahomey vivaient dans un état d’hostilité,
ou tout au moins de xénophobie permanente, absolument
fermées l'une à l’autre ; aussi, les doctrines religieuses des
peuples n’eurent-ellcs aucune influence sur les croyances
de leurs voisins fétichistes.
Cependant le roi de Nikki, qui commandait aux guerriers
et cavaliers bariba, consentit à recevoir quelques mara
bouts haoussa de Sokoto, qui le fournissaient de capara
çons et de brides pour sa cavalerie, et réparaient ses armes
et équipements ; quelques-uns de ses sujets, en très petit
nombre d’ailleurs, que séduisait le caractère belliqueux de
la religion musulmane, embrassèrent la foi nouvelle.
182
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
Encore faut-il ajouter que l'islamisme s’est toujours mani
festé chez les populations plus par des manifestations
extérieures du culte (salant, prière en commun) que par
une foi profonde et que surtout par une connaissance
approfondie de leur religion.
Au roi Passo, qui fut un de nos bons collaborateurs du
début et dont l’influence était grande, succéda à sa mort,
en décembre 1914, Chabi-Prouka, notable de Nionkalakélé
(Bimbéréké), fils et petit-fils des rois de Nikki, désigné
par Passo et choisi parla population.
Le nommé Orou-Yorou, chef de Dauri, qui, déjà à
l’époque où l’asso avait été élu roi, s'était prétendu lésé
dans ses droits au pouvoir et s’était, durant tout le règne
de Passo, tenu à l’écart, émit la prétention de lui succéder.
11 était soutenu par un groupe de partisans. Invité par
l'autorité locale à se tenir tranquille, sous peine d’une sanc
tion sévère, Orou-Yorou n’insista pas.
Les vieilles coutumes bariba s’en vont. En i9i5vl’administralion estimant que la tradition d’après laquelle les
rois de Parakou et de Nikki ne devaient jamais se visiter,
se voir, ni même avoir entre eux aucune communication,
n’avait plus sa raison d’être et qu’elle était, au surplus,
nuisible aux intérêts respectifs des deux régions, réunit le
premier de ses chefs et tous ses notables, à la fin de mai,
et leur exposa ses suggestions à cet égard.
Tous furent unanimes à reconnaître que cette coutume
n’avait aucun motif de subsister.
A Nikki, une consultation de Chabi-Prouka et de son
conseil de notables donna le même résultat.
Ce rapprochement entre les deux chefs a produit d’heu
reuses conséquences.
Le personnage le plus en vue de Nikki était, depuis une
génération, Salifou ou Saloufou, almamy de Maro. Né vers
1840, haoussa, initié au qaderisme par son père Mahama,
depuis longtemps établi à Nikki, c’était déjà un vieillard
LE HAUT DAHOMEY
i8 3
respecté quand nous occupâmes le pays. C’est avec lui,
semble-t-il, que les Anglais signèrent, en 1894, le pseudotraité qui devait consacrer leur main mise sur la Borgou,
et que le roi bariba de Nikki déchira cinq jours plus tard,
en mettant officiellement et effectivement son royaume sous
le protectorat de la France. Salifou vécut plusieurs années
encore, faisant l’école à une dizaine d’enfants du quartier
et vivant surtout de la charité publique. Il fut remplacé, â
sa mort, par Oroudougou, Dendi, né à Nikki vers 1860 et
disciple tidiani d’un grand marabouttidiani de la Nigéria :
Marna Guéné qui, après un court séjour à Nikki, est re
tourné chez lui à Maka. Il faisait un peu de commerce avec
son père Marna et distribuait les éléments du catéchisme
islamique à une dizaine d’enfants, fils des cultivateurs de
Maro. Il était l’objet d’une grande vénération dans le pays.
C’était un homme pondéré et sympathique. 11 a été rem
placé à son tour, à sa mort, en 1920, par Aloufa Moussa,
né à Nikki-Maro vers i865, maître d’une école d’une dou
zaine d’enfants. Il a pour coadjuteurs, dans ce même vil
lage d’étrangers, dendi et haoussa (Maro), Abou Aloufa
Chabi, Bio Sidihou et Iddi, tous trois nés entre i865 et
1870, et maîtres d’école. Le plus renommé est Chabi, qui
a 25 à 3o élèves.
Dauri ou Dauri-Nikki est un foyer d’islam très intéres
sant, d’abord parce qu’il est ethniquement bariba, ce qui
est l’exception, ensuite par le nombre de ses « Hadj ». En
effet, on n ’en compte pas moins de quatre. Il esterai qu’ils
dérivent tous de la même cause : un voyage à la Mecque
que fit le Chef de famille : Al-Hadj Ali Mohammed, vers
1890. Al I-Iadj Ali, bariba de Dauri, est né à Nikki, vers
1842: son père Oumarou et sa mère Zeïnabo étaient déjà
musulmans. En 1888, pris d’un beau zèle, il partit pour
l’Orient, emmenant toute sa famille : femmes, enfants ne
veux. Le voyage dura longtemps ; plusieurs personnes mou
rurent en chemin. On revint par Tripoli, où un certain
■84
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
Chérif Ali initia Hadj Ali aux beautés mystiques du qaderisme. Bref, les pèlerins rentrèrent à Dauri, vers 1910. fort
instruits en arabe et au nombre de quatre : le père, ses fils,
Al-Hadj Adama et Al-Hadj Ibrahima, son neveu Al-Hadj
Abdoullave. C’est une famille très correcte, qui entretient
de bonnes relations, tant avec le chef passo, qu’elle va sa
luer une fois par semaine, suivant l’usage du pays, qu’avec
Orou Yourou, son compétiteur et successeur possible. Le
chef de famille jouit d’une grande popularité dans le pays:
il fait l’école à deux enfants : l’un de Maro, l’autre de Bassaro. Adama, l’aîné des fils d'Ali, est né vers 1875, sa mère
est une Bariba de Nikki : Assoua ; il a épousé lui-même
une Bariba de Daurij: Aïssatou. Intelligent, instruit, il vit
dans le sillage de son père. Son frère cadet, Al-Hadj Ibra
hima, né vers 1880, paraît moins effacé : sa mère, Fatouma,
est aussi une Bariba de Nikki. Il a reçu l’ouird qadri, non
de son père, mais d’un marabout assez connu, de Kagoro
en Nigéria: Marna Dihabo. Il avait d’ailleurs fait ses études
dans ce village et y a conservé des relations, notamment
avec le commerçant Abd el-Mejid Fakhari. Il y a même
fait quelques disciples au cours de ses voyages, et ceux-ci
lui envoient périodiquement des cadeaux. Le neveu d’AlHadj Ali, Abdoullave, n’a pas plus de personnalité que ses
deux cousins : il est né vers 1873, son père Séikoro était
un Bariba de Dauri, et sa mère une Bariba de Tchaourou :
ni les uns, ni les autres n ’enseignent ; ils se consacrent à
peu près uniquement aux travaux agricoles.
Péréré, sur la route de Parakou à Nikki, est un centre
islamique de petite importance, la personnalité intéressante
est: Almamy Marna Sassi, fils de Ibrahima, Bariba, né à
Péréré, vers 1860. C’est un commerçant intelligent et ou
vert, que ses fréquents voyages dans le Togo et la Nigéria,
ont dégrossi. Entre temps, il fait l’école à une quinzaine
d’enfants, fils de cultivateurs du village, et préside à la
prière du vendredi. Il a reçu l’ouird qadri d’un marabout,
LE HAITI DAHOMEY
|8 5
Marna, de Nigeria et la distribue à son tour à quelques
talibés de Péréré. Les autres notables musulmans n’ont
que peu d’envergure: Aloufa Bari, né vers 1870, maître
d’une école de 35 élèves; Anaguimi, né vers 1864, Orou
Chika, né vers 1872; Bani, né vers i865, tous maîtres
d’école (5 à 20 élèves).
Dunkassa et Douka renferment chacun un petit groupe
de fidèles et une école coranique de 5 à 10 élèves. Les
chefs et Imams sont respectivement Ourou Sira et Marna,
nés vers 1870, et élèves tous deux des marabouts de Pé
réré.
Et enfin, citons pour être complet, le petit centre de
Tèbo.
3° Cercle de Djougou. — Le cercle de Djougou présente
trois groupements musulmans de quelque importance:
Djougou proprement dit, constitué par les deux agglomé
rations de Ouangara et de Kilir ; Aledjo ; et Séméré. Ce
sont aussi les trois principaux centres commerciaux du
cercle, sis tous trois sur les grandes routes caravanières de
Sokoto à Salaga. Cet état de choses s’explique facilement,
islam et commerce étant fonctions l’un de l’autre.
Le groupement musulman de Djougou parait être le
premier en date de la région : c’est de là que la religion du
Prophète rayonna aux alentours. Cette population dendi,
d’origine étrangère, ainsi que l’indique le nom du village
(Ouangara), est à peu près entièrement musulmane, bien
que beaucoup de gens ne se plient aux pratiques et rites
que très superficiellement. On peut compter à Ouangara
environ 4.000 musulmans et vingt-quatre mosquées. Ce
sont de simples cases en pisé, n’ofïrant aucun intérêt archi
tectural. Sur ces 24 mosquées, 12 existaient avant notre
arrivée dans le pays; les autres ont été bâties postérieure
ment. Deux seules méritent une mention spéciale : a) celle
de Toukrou Dyingué (quartier Baparafeï), qui est la plus
i86
ÉTUDES SUR L’ iSLAM AU DAHOMEY
ancienne et aurait été bâtie par Pétoni, fils du premier roi
Gourmantché, fondateur de la dynastie actuelle de Djou
gou. Elle aurait donc environ un siècle. Elle mesure envi
ron 36 mètres carrés ; b) la grande mosquée, la deuxième
en date, de dimensions doubles de la précédente. Elle fut
édifiée par un certain Al-Hadji, prononcé ici Alaazi, qui
est mort vers 1900, laissant un fils Mamma qui compte
aujourd'hui parmi les notables musulmans de Djougou.
Les écoles coraniques sont au nombre d’une quinzaine,
fréquentées par 200 enfants environ, en grande majorité
de race dendi, auxquels s’entremêlent déjà quelques en
fants pila-pila. Les maîtres, qu’il n’y a vraiment qu’à
citer, représentent les notables musulmans les plus dis
tingués du groupement. Ce sont:
B a ssa la
M aghazi .
S a li fo u . .
Ibira . .
S ésé
. .
Sén i
. .
A bdou. .
S a lo u f o u .
M a k a sso u .
B a l'Im a m .
is s a . . .
Ib ra h im a .
S a n i. . .
A dam on .
A m adou .
............................................. 20 é lè v e s
............................................. 18 —
..............................................i5 —
............................................. 10 —
.
................................
5 —
.............................................
10 —
............................................. 2 0 —
.............................................
6 —
..............................................
6 —
............................................. 20 —
............................................. 12
.............................................
.............................................
.............................................
—
5 —
5 —
5 —
............................................. 10
—
A ajouter à ces noms celui de l’imam de la grande mos
quée, Mahamma, un peu terne, mais ouvert et sympa
thique, et qui a voulu montrer sa confiance, en envoyant
successivement tous ses jeunes garçons à l’école française.
Jlahamma est le fils d’un marabout dendi qui a laissé
dans le pays une réputation extraordinaire de longévité.
Son fils déclare froidement qu’il mourut à t5o ans. 11 n ’y
LE HAUT DAHOMEY
<87
a plus à Djougou qu’un seul vieillard, presque centenaire,
qui ait connu ce Mahamma père. L’imam actuel est né
vers i85o. Il a été initié au tidianisme par un certain Hadj
Idrissou de Salaga, à son retour de la Mecque. Cet Idrissou se rattachait lui-même à Boukari, et aux Zaouia de
Salaga (Gold Coast). iMahamma a été élu imam en igo5.
C’est le roi de Djougou qui nomme ici l’imam, sur présen
tation de noms par la communauté musulmane, et c’est le
Chef du village Ouangara (Baparefeij qui lui donne l’in
vestiture officielle, en lui remettant, à la mosquée, le
burnous vert, insigne de sa dignité.
Sémèrè compte 600 musulmans environ, en majorité
de race séméré, et convertis par les marabouts haoussa de
passage. On y voit quatre petites mosquées sans intérêt,
dont la plus ancienne a été construite par Moussa, grandpère du chef de canton actuel, Assouma.
Le maître d’école et imam du village est Djibrim, fils et
disciple tidiani de l’imam Mahamma, décédé vers 1916.
Celui-ci, fils de Magadgi, était aussi un disciple du Hadji
Idrisson, vu plus haut. Djibrim, né à Séméré vers i865,
est un tailleur, qui apprend le Coran à une vingtaine
d’enfants, et les fait plus souvent travailler à ses cultures.
C’est un personnage de peu d'envergure qui lit l’arabe
sans le comprendre. Ses élèves sont tous de race séméré.
L’imam de Séméré est nommé par le chef du village,
qui le présente ensuite à l’agrément du chef du pays, à
Djougou.
Aledjo compte 400 musulmans environ et trois petites
mosquées récentes. La première en date fut construite par
un certain Oumorou, résidant actuellement à Ouassa-Tobré et qui était, à l’époque, imam d’Aledjo.
La personnalité notoire de ce groupement est Issiaka,
imam du village depuis 190g, et qui a été initié au tidia
nisme par un marabout toucouleur, de passage au Daho
mey, à son retour de la Mecque ; Al-Hadji Mahamman.
>3
i88
ÉTUDES SU U LISL A M AU DAHOMEY
Issiaka, installé à Aledjo depuis 1900, y enseigne les
rudiments du Coran à une douzaine d’enfants, de race
bassila, filsde cultivateurs et de tisserands. C’estun homme
terne, sans grande influence, ai instruction.
L’imam d’Aledjo est nommé par le chef du village qui
fait ensuite agréer cette nomination au roi du pays à
D/ougou.
A ces groupements dendi islamisés de Djougou, Séméré
et Aledjo, il faut ajouter un m illier environ de Bariba, qui
professent la même doctrine, soit un total pour tout le
cercle de 6.000 musulmans, sur 5o.ooo habitants. Les
écoles atteignent le chiffre m axim um de 20, et la clientèle
scolaire ne dépasse pas 25o enfants.
La plus grande partie de ces marabouts était d’origine
haoussa, venus de Sokoto, de Kano et du Bornou. Leurs
familles sont souvent installées dans le pays depuis plu
sieurs générations. Ils perdent peu à peu leur nationalité
pour se fondre parmi les Dendi musulmans. D’autre part,
jadis qadria, ils tendent de plus en plus à s’affilier au tidianisme.
Lee populations fétichistes locales, et notam m ent les
Pila-Pila, paraissent réfracta ires à la propagande islamique,
d ’ailleurs faible. Il est indéniable cependant que l’islam
s’ouvre, de-ci de-là, des fissures dans la société pila-pila. Si
les vieux tiennent pour eux-mèmes à leur fétichiste tradi
tionnel, ils ne voient pas d ’inconvénient — certains au
moins — à envoyer leurs enfants, dans un but d’instruc
tion, à l’école coranique. Or, de cette école, l’enfant sort
musulman, très superficiellement sans doute, mais c’est
tout de même le début d'une famille pila-pila musulmane.
On remarquera encore que le passage incessant des cara
vaniers musulmans, qui se rendent de Sokoto à Solaga, et
en reviennent, met sous les yeux des fétichistes l’exemple
tentant d’une prière continuelle.
Dans la région de Djougou, comme d ’ailleurs presque
LE HAUT DAHOMEY
l8ÿ
partout dans le Haut-Dahomey, on voit réapparaître les
cimetières. On n’enterre plus ici dans lescases. Les musul
mans ont naturellement leur cimetière distinct, ou tout au
moins un quartier spécial dans le cimetière collectif.
Généralement les fétichistes, Pila-Pila, Bariba, Gour
mantché, etc., vivent en bons termes avec les musulmans,
mais il arrive parfois qu’un incident fâcheux fasse brus
quement éclater une certaine animosité latente.
Au début de novembre 1908, les récadères du chef Atacora et environ i5o cultivateurs de Kilir se prirent de que
relle, à la suite des agissements de ces récadères, qui
s’étaient permis de toucher aux femmes des infidèles de
Kilir. Atacora fut impuissant à mettre ses gens d’accord et
sous l’influence de la boisson, les cultivateurs allèrent jus
qu’à menacer le chef de leurs flèches, s’il ne leur donnait
pas gain de cause. L’interprète du poste et un garde, en
voyés par le commandant du cercle pour les convoquer à
la Résidence, en vue du règlement du différend, furent
mal reçus. Cependant, quelques instants après, conscients
de la gravité de leur faute, ils s’enfuyaient précipitamment
dans la brousse, pour revenir le surlendemain dans leur
village. 11 fut alors procédé sans incident à leur arrestation.
Dix-huit seulement furent rctenuset déférés au tribunal du
cercle. Les autres, après avoir fait amende honorable,
donnèrent à l’Administrateur l'assurance de leur dévoue
ment.
Donnons, pour terminer, l’odyssée de deux marabouts
aventuriers, dont la carrière se termine brusquement à
Djougou, et qui représente bien le type de ces pèlerins
inconnus, plus pillards que dangereux, qui s’abattent de
temps à autre sur le Dahomey.
Le 7 juillet 1905, un Maure, Mohammed Deindé, origi
naire, dit-il, du Tagant, où il était né vers 1876, se pré
sentait au poste de Djougou, muni d’un laissez-passer,
délivré à Kouandé, et venant de Niamey avec un cheval et
ig o
ÉTUDES SUR l ’ is l a m AU DAHOMEY
4 bœufs. S on séjour se prolongea, et l’on apprit bientôt
qu’il rendait visite aux Peul de la région, q u ’il leur
présentait un papier du commandant, qui n’était autre
que son laissez-passer, et q u ’au vu de cette prétendue
autorisation, il exigeait qu’on lui remit du bétail. Beau
coup cédaient: il perçut ainsi plusieurs bœufs et plus
encore de moutons. Quand ces cadeaux lui étaient refusés,
il proférait des menaces terribles, jetait la malédiction de
Dieu sur les villages et annonçait la mortalité de tout le
bétail. Devant des agissements, et sur la demande de
l'imam de Djougou, qui trouvait cette façon de faire
indigne d’un vrai musulman, Mohammed Deindé fut tra
duit devant le tribunal de province qui le condamna à la
restitution du bétail extorqué et à l’expulsion. Ce mara
bout fut, en conséquence, conduit hors du cercle, le 25 oc
tobre 1905.
Le 6 septembre de la même année, arrivait au quartier
Maro, ou musulman, de Grand Popo, un individu qui
paraissait être attendu par ses coreligionnaires; le jour
même, il se présenta avec une suite nombreuse à l’Admi
nistrateur du cercle et déclara s’appeler Mala Mohammadou. Parti de Stamboul depuis plusieurs mois, il avait
passé par Fada N’Gourma au commencement d’août,
pénétré ensuite sur le territoire allemand à hauteur de
Sansanné-Mango, et descendu à la côte par le Togo, il
arrivait à Grand Popo par Agoué.
Ce marabout resta 3 ou 4 jours à Grand Popo, arriva le
i5 au soir à Ouidah, en repartit le 21 par le train, à desti
nation de Cotonou. Le 26, il quittait cette ville par pirogue
pour Allada. Son passage eut lieu dans les premiers jours
d’octobre, à Abomey-Calavi et Allada, le i5 à Abomcy, le
4 décembre à Parakou. Le 18 décembre, il arrivait à
Djougou, pour y rester jusqu’au 27. Sa course à travers
le Dahomey s’arrête ici, car, pour des motifs qui seront
exposés ultérieurement, il fut expulsé et conduit à la
LE HAUT DAHOMEY
'9 1
frontière allemande par les soins de l’Administrateur du
Djougou, le 4 janvier 1906.
Ce marabout, qui avait déclaré se nommer Mala Mohammadou à Grand Popo, Youssouf à Ouidah, et Bouraïma à
Cotonou, envoyait au médecin-chef de l’ambulance de
Cotonou, deux télégrammes identiques, signés du nom
de Mohammadou. « Sa mission, disait-il, était purement
de prosélytisme; les fidèles des pays éloignés oubliant
leurs devoirs religieux, il avait été désigné par les très
grands chefs musulmans pour aller en mission et faire
des prédications. Il refusait les offrandes que les fidèles
lui offraient, disant qu’il ne venait pas mendier. » Pour
tant, d’après le rapport de l'Administrateur d’Abomey, il
aurait préché la guerre sainte à Ouidah, et prédit la con
version forcée de tout le pays dans un délai de trois ans.
Mahammadou se voilait le visage et ce n’est qu’à grand
prix qu’il avait consenti à se laisser photographier.
11 avait aussi une de ses femmes, qu’il cachait soigneu
sement ; elle semblait appartenir à la race berbère, avait la
peau cuivrée et portait au menton des tatouages verticaux;
l'imam de Cotonou prétendit qu’elle n’appartenait pas à
Mohammadou, mais à un de ses frères.
Il faut en arriver maintenant aux faits qui provoquèrent
l’expulsion de Mahammadou. Un Haoussa, du nom de
Moussa, serviteur du marabout, l’avait quitté après Coto
nou. Moussa était chargé de se donner comme un grand
cheikh et de prélever des contributions sur des villages où
Mahammadou ayant déjà eu des ennuis, n’osait plus opé
rer lui-mème. Moussa, après s’être fait délivrer un laissezpasser à Savalou, parcourut tous les villages jusqu’à la
frontière ; il exigeait au moins 200 cauris par tête et brûlait
en outre les fétiches sur son passage. Entre temps, il omet
tait de payer ses dettes, notamment un cheval qu’il acheta
sur sa route, et sur lequel il partit au galop. Il ne payait pas
plus le salaire des individus engages par lui. Il passa pen-
192
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
dant la nuit devant Djougou, l’évitant ainsi, malgré la des
tination indiquée sur son laissez-passer, et remit l’argent
recueilli à Mahammadou, qui l’attendait à 20 kilomètres
de Djougou. L’Administrateur envoya chercher Moussa et
devant les plaintes qui furent reconnues fondées, le mit en
état d’arrestation, au grand contentement de tous les habi
tants, qui ne se laissaient faire que parce qu’ils croyaient
qu’il était envoyé par nous. Moussa, déféré au tribunal de
province de Djougou, fut condamné à huit mois de prison
pour usurpation d'autorité et escroquerie. Quant à Ma
hammadou, il fut expulsé et conduit, sous escorte, à la
frontière du Togo. L’agent chargé de le suivre jusqu’à la
sortie du cercle, certifia que dans tous les villages où il
passait ce marabout disaitqu’il reviendrait, que, grâceà la
force qu’il tenait de Dieu, il chasserait tous les Européens,
et qu’en attendant, il fallait préparer les sabres et les
lances.
Mahammadou fut signalé peu après comme revenu dans
le Borgou. Des ordres furent immédiatement donnés pour
qu’il fût immédiatement recherché et traduit devant le
tribunal de province, pour provocation directe à la déso
béissance aux lois du pays. 11 eut vent des recherches et
disparut.
4” C ercle de l ’Atacora. — Le cercle de l’Atacora
compte quatre subdivisions, se fractionnant chacune en
un grand nombre de cantons. Ces cantons ne correspon
dent pas à des groupements ethniques. Seules, les limites
de subdivisions ont été déterminées par ces groupements.
Ces subdivisions sont : Kouandé, peuplée de Bariba, de
Peul, de Dendi et de quelques Somba. Toutes ces races,
sauf les Somba, pratiquent l’islam.
Naiitengou, peuplée de Somba, de quelques Bariba et
de fractions Natimba et Yoabou, appartenant à des races
du haut Togo. A Natitengou même, on trouve un village
LE HAVT DAHOMEY
I93
d’étrangers (Djerma, Haoussa-Gambari, Gourmantché).
C’est le seul groupement musulman de la subdivision :
tout le reste est fétichiste.
Tanguiéla, peuplée de Semba et de Bariba fétichistes.
Un seul groupement musulman, très peu important, est
constitué par le village des commerçants étrangers
(Djerma, Haoussa), situé près du poste.
Boukombe est peupléede Somba fétichistes. Un seul grou
pement musulman peu important : le village des étran
gers, situé près du poste.
En résumé, parmi ceux qu’on peut appeler les autoch
tones, ou tout au moins, les premiers occupants du pays,
seuls les Bariba qui constituent la très grande majorité de
la subdivision de Kouandé, et qui ne sont que là, sont mu
sulmans. Ils sont d’ailleurs inféodés à leurs coutumes et
mœurs traditionnelles.
A ces Bariba, masse musulmane, il convient d’ajouter
quelques petits groupements Dendi, de très minime im
portance, mais où on trouve les personnages notoires is
lamiques.
Les seuls centres qui méritent une mention sont :
Kouandé, Tobré, et Ouassa-Ouangara.
Kouandé, chef-lieu de subdivision,estuneville ancienne
et commerçante, la communauté musulmane y comprend
quelques dioulas haoussa et un certain nombre de familles
dendi. Le personnage le plus éminent est le vieux Mahamma, fils d ’Alfa Boukari, et petit fils de Moussa Alfa
Naré de Djougon. Lui-même est né à Djougou, vers 1842 ;
il y a fait ses études, y a été affilié au tidianisme par Alfa
Cissé, puis s’est expatrié dans l’Atacora. 11 n’y a d’ailleurs
pas fait fortune et vit péniblement du produit des travaux
agricoles de sa famille. Il est en revanche très respecté, et
entretien de bonnes relations avec le roi de Kouandé. C’est
un homme assez intelligent, quelque peu versé dans les
sciences islamiques, et qui fait l’écolcàune quinzaine d'en
•94
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
fants dendi, tous plus ou moins rattachés à sa famille. Il
envoie même un de ses enfants à l’école française. 11 est,
de plus, imam de la ville depuis 1906, date où il a succédé
dans cette place à son oncle Alidou. Il a quelques disciples
qui sont les notables de cette petite communauté : Madougou et Aloufa, et les maraboutaillons des villages voisins.
Madougou Ouadou, né à Kouandé, vers t85o, fils à Assouma et petit-fils de Bassirou de Parakou, appartient à
une famille dendi, islamisée depuis plusieurs générations.
Il a été initié jadis au tidianisme, par Bédou, alors almamy de la ville. Il n’a aucune instruction, vit du travail
de ses lougans et apprend les rudiments du Coran à une
dizaine de ses fils et petits-enfants.
Alfa Sabi, dit Aloufa, est aussi un dendi, mais originaire
de Djougou, par son père Abou Bakar, qui lui a conféré
l’outd tidiani. Lui-même est né à Kouandé vers t863. Il
fait l’école à quelques enfants de son quartier; il n’a d’ail
leurs aucune valeur intellectuelle. Son fils, Alfa Sabi, né
vers 1888, est appelé à le remplacer. Son principal disciple
est Mahamma, d’une famille originaire de Kouka (Bornou),
mais qui est né, lui, à Kouandé et s’y est naturalisé.
A citer encore à Kouandé, Mahamma, dit Limam Magagi, Dendi, né vers 1867, fils de Baba Abdoullayeet petitfils de Soulimana, originaire du haut Togo. C’est un dis
ciple tidiani d’Abou Bakar de Djougou. Il n’a ni influence,
ni renommée, et a fini par fermer une école que personne
ne fréquentait.
Bengana, roi de Kouandé, se dit quelquefois musulman,
mais ne le montre pas dans la pratique. La chose était tout
de même à noter.
Citons, pour être complet, les petites collectivités musul
manes de Cohé (imam Baba); de Buni (imam Mahamma)
etdeGuérou (imam Bouni). Ces marabouts sont tous illet
trés. Ils déclarent relever du tidianisme sans en savoir ni
en réciter plus long.
LE HAUT DAHOMEY
“P
Le petit groupement islamique de Ouassa Ouangara,
centre assez important de la grande route commerciale de
KouandéàBouay, mériterait à peine une mention, n ’était
la personnalité de son chef, Idri-Itchiré, fils d’un ancien
imam de Kandi, et imam lui-même de Ouassa. Né vers
i835, c'était à la fin de ses jours un vieillard décrépit, qui
restait toujours dans sa case, où venaient le retrouver une
dizaine d’enfants du village pour apprendre un peu de Co
ran. C’était d ’ailleurs son fils Idrîssou, né vers 1890, qui
était en fait le véritable maître. Idri est mort en 1920. Sa
famille paraît devoir quitter la région.
A Tobré, la communauté islamique comprend desDendi
et des Cotocoli. Son chef et imam est Baba Cotocoli, né
vers 1875, à Sogodé, dans le pays cotocoli du Togo. Son
père Assouma, n’était pas musulman. C’est Baba qui a été
converti à l’islam par Aloufa Kanou, marabout gambari,
mort vers 1908 à Sinendé, où il habitait. Baba est un
homme tranquille et sympathique, qui apprend à une
dizaine d’enfants les quelques bribes de Coran qu’il a
retenues lui-mèmc.
A la suite de ces diverses personnalités qui sont du pays,
un marabout étranger mérite une mention : Alfa Ahmadou, (ils de Saïdou, poullo du Labé (Fouta Diallon). Il est
né vers 1860 au village de Déna et y a reçu l’ouird qadri
d’un missionnaire du cheikh Saïd Bouh, le Sid Alahassan
Sahal, c’est-à-dire Al-Hassan du Sahel maritime. Alfa Ahmadou prétend être venu au Dahomey, au moment de l’oc
cupation, et avoir servi comme volontaire dans nos rangs
en qualité de tirailleur. 11 avait alors quelque argent et
s’installa comme commerçant à Djougou. Par la suite, il
fit partiedes missions Poulie et Fourn. Il est venu s’instal
ler à Natitingou depuis quelques années, ety fait un com
merce mêlé d ’amulettes, de talismans et de drogues.
Les écoles coraniques sont au nombre de six : deux à
Kouandé, l’une dirigée par l'imam, assisté de deux moni-
196
ÉTUDES SUR
l ’ is l a m
AU DAHOMEY
teurs Baoua et Labram, et qui comprend 14 élèves ; l’autre,
dirigée alternativement par Madougou, Alfa Chabi ou Baboué, elle comprend decinq à huit élèves. L’école de Cohé
dirigée par Baba, comprend une douzaine d'enfants, celle
de Kérou, dirigée par Alfa Boni, a sept ou huit élèves.
Celles de Tobré et de Ouassa-Aloro sont un peu plus flo
rissantes. On n’v enseigne guère que la première et les der
nières sourates du Coran. Les enfants sont dendi, bariba
ou peul.
Il existe deux mosquées à Kouandé, dont une « diouma », une à Ouassa-Maro, une à Ouassa-Tobré, une à Natitingou. Ce sont de simples cases en torchis, rectangu
laires, couvertes en paille et généralement entourées d’une
enceinte de terre. Elles ont été édifiées par les fidèles euxmêmes et sont assez fréquentées. L’imam est choisi parla
communauté islamique.
En résumé, l’islam est stationnaire en Atacora. Le
nombre d’étrangers musulmans qui s’y installent ne varie
guère. Ceux qui arrivent ne font guère que remplacer ceux
qui s’en vont. Quant aux autochtones, ils appartiennent à
des races, si différentes à tous les points de vue, et si particularistes vis-à-vis des Bariba ou Dendi islamisés, qu’il
n’y a guère à craindre qu’ils subissent l’ambiance des sec
tateurs du Prophète.
Pour ceux-ci, être musulman est surtout un titre, et ce
titre ne les empêche pas, surtout les Bariba, de boire de
l’alcool et de garder à peu près toutes leurs coutumes fé
tichistes. Moyennant un rare salem, ils ont les honneurs
de l’islam, s’extériorisent de leur condition servile, se réu
nissent ; palabrent comme des nobles, montent à cheval et
s’enivrent aux fêtes, fétichistes d’ailleurs comme musul
manes.
5° C ercle du moyen N iger. — On distingue dans le
cercle du moyen Niger, c’est-à-dire dans tout le haut
LE HAUT DAHOMEY
'97
Dahomey qui s'accote, sur le fleuve, au territoire militaire
du Zinder, entre le Soudan et la Nigeria, deux sortes de
groupements musulmans : les Peul, les Dendi. Pour être
complet, il faut ajouter les Bariba, chez qui l’islam com
mence à pénétrer.
Les Bariba, originaires du Sud, furent les premiers oc
cupants de toute la contrée, à l’exception toutefois de la
vallée du Niger. L’implantation, dans la contrée, de cette
race fétichiste est de date assez récente, pour que la tradi
tion en ait conservé le souvenir avec des détails précis.
Les Peul, qui ne se créèrent droit d’occupation que par
la force des armes, trouvèrent le pays occupé par les Ba
riba. Les deux races ne se mélangèrent pas, chacune
d’elles vivant de sa vie propre, en groupements distincts,
comme partout ailleurs dans le haut Dahomey.
Les Dendi enfin, race autochtone, sont confinés dans la
vallée du Niger, dont ils occupent les deux rives.
Ces trois races, vivant volontairement isolées les unes
des autres ou n’entrant en contact que pour la lutte sans
merci, devaient donc.au cours de l’histoire, recevoir dif
féremment, suivant leurs aptitudes particulières et les affi
nités du culte déjà existant, l'empreinte de l’islamisme.
En fait, les Bariba, d’origine fétichiste, ne commencèrent
que tardivement à subir le siège des missionnaires islami
ques. Ce fait s’explique aisément, si l’on considère que la
race bariba. primitivement confinée dans le Sud du pays
Borgou, et par conséquent éloignée des grands centres mu
sulmans, se trouva, de par le fait même de son éloigne
ment, à l’abri de tout prosélytisme. En outre, leur féti
chisme, essentiellement polythéiste, semblait devoir se
concilier fort mal avec la doctrine musulmane. Quoi qu’il
en soit, il résulte des renseignements, donnés par un ma
rabout érudit et vénéré, Alazi, Poullo originaire du Macina,
qu’en 1868, date de son arrivée au pays bariba, ce peuple
comptait déjà de nombreux marabouts et imams. L’im•
198
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
mense majorité de cette population, toutefois, était et est
restée fétichiste.
Les Peul sont dispersés dans tout le cercle, par petits
groupes et souvent même par familles. Iis subissent l’in
fluence de leurs frères de Gourma (Fada et Dori), et sur
tout de la rive gauche du Niger. Ils ont particulièrement
été entraînés dans l’agitation de 1906, que les groupements
foulbé de Sokotoet de Dori avaient suscitée. Cettesituation
ne les empêche pas d'ailleurs d’être parfois en conflit avec
ces voisins, notamment avec les Peul de la Nigeria, qui,
sous la conduite du chef Tchiama, viennent nomadiser
chez eux en saison sèche. Dans leur propre sein, on si
gnale parfois des conflits entre Ouenkourou, le personnage
poullo le plus important, et son rival Bouja. Celui-ci a
même fini par se réfugier en territoire anglais.
Ces Peul sont, comme partout, extrêmement orgueilleux.
Un fidèle poullo ne consentirait jamais, par exemple,àavoir
recours aux bons offices d’un marabout bariba. Et pour
tant, il est facile de voir que l’islamisation des Peul,
quoique sur un autre plan, n’est guère plus avancée que
celle de leurs méprisés coreligionnaires bariba.
Aucune personnalité vraiment remarquable n’émerge de
ces multiples campements peul, répartissur une superficie
de plus de 3o.ooo kilomètres carrés. Il suffira de donner
quelques noms plus notoires que les autres : r> Alazi, cor
ruption de Al-Hadji, vieux marabout originaire de Macina,
venu ici en 1868, et qui est établi depuis de longues an
nées à Bagou. 11 est resté fidèle au qaderisme, voie natio
nale des Peul, et l'a maintenue sur ses positions, devant
l’afflux et la vogue croissante du tidianisme; 2° Moussa,
fils de Bou Bakar, poullo de Dori, né vers 1865 environ,
affilié au qaderisme par Mamadou Blokoré,et qu’on trouve
à Kandi, où il s'est arrêté au cours d’un prétendu voyage
à la Mecque; 3“ Assouma, Poullo, né vers 1890 à Say (Kirafonou), où il a été affilié au tidianisme par un marabout
LE HAUT DAHOMEY
>99
assez connu : Bou Bakar. Assouma lient par intermittence
une petite école à Kandi; 40 Ibrahima, né à Koura, près
de Kano dans la Nigéria, vers 1880 ; il y a fait scs études et
a été affilié au senoussisme par Mallam Youssoufou. Culti
vateur et voyageur, il se promène dans le haut Dahomey
(Kandi) et la haute Nigéria (Ilorin), où il a de la famille
et où il ramasse des aumônes. Sa valeur intellectuelle est
médiocre, mais il sait écrire le haoussa avec des caractères
arabes.
Les Dendi, descendants métissés de Songaï, s’échelon
nent le long du Niger, principalement sur la rive droite,
de Say à la Nigéria. Ce sont des sédentaires, petits cultiva
teurs et pêcheurs à l’occasion. Leurs principaux villages
sont, en descendant le fleuve : Bembodji, Bikini, Kompa,
Karimama, Kangui, Molla, Moukassa, Garou, Madécali.
Toute la région dendi, surtout dans la partie qui avoi
sine la Nigéria, s’est laissée entraîner en 1906, dans le
mouvement islamique qui agitait cette colonie anglaise.
Elle préparait, poussée par des influences extérieures, une
révolte ouverte contre l’autorité française. Cette révolte
commençait déjà à se manifester par le refus de verser le
complément d’impôt, dû pour 1905, par des propos mal
veillants et des menaces de mort contre les représentants
de cette autorité. Il ne s’en fallait plus que de très peu,
pour que des paroles on ne passât aux actes ; partout les
habitants préparaient activement des arcs, des flèches et
des lances.
La véritable cause de ce changement d’attitude était la
prédication des missionnaires musulmans, envoyés par les
cheikhs révoltés de Sokoto. Ils parurent dans la région
dendi au printemps de 1906, dénaturèrent à leur avantage
les quelques avantages qu’ils avaient obtenus sur les An
glais et prêchèrent ouvertement la révolte. Ils s’avancèrent
jusqu’à Guéné, m aisn’osèrent aller plus loin, en apprenant
la présence de tirailleurs à Kandi. L’hostilité sournoise des
200
ÉTUDES SU » L'iSLAM AU DAHOMEY
marabouts locaux acheva de gâter la situation, après la
disparition des émissaires de Sokoto.
Une prompte tournée de police du capitaine Bertrand,
commandant le cercle, ramena, en quelques jours et sans
effusion de sang, le calme dans la région. Les villages dé
peuplés se repeuplèrent, l’impôt fut payé sans retard et les
esprits calmés. Le détachement compléta son œuvre d’apai
sement en passant le fleuve pour porter la bonne parole
chez les Djerma de Gaya.
Peu de personnalités notoires : Alou Faram, ancien
« roi » de Karimama et ses deux fils, qui ont essayé de
jouer le rôle de conciliation dans le mouvement de 1906.
Dans les villages, des marabouts-imams et des maîtres
d’école sans aucune envergure, et ne méritant aucune
mention.
Les Dendi du Niger sont aujourd’hui tous musulmans.
Un petit rameau, les Tianga, étaient restés jusqu’au début
du siècle fidèles au fétichisme. Ils ont fini par faire profes
sion ouverte d’islam. Bien entendu, ils continuent à gar
der leurs pratiques traditionnelles.
La voie qadriaa été dominante dans le cercle du moyen
Niger jusqu’à la fin du xix* siècle. On en a la confirmation
par le témoignage du vieux marabout poulloAlazi précité,
venu ici à la date de 1868. Ce fait s’explique par le voisi
nage des deux grands centres qadria voisins Say et Sokoto
et par l’origine des Peul de la contrée qui subirent, avant
leur venue, l'influence des grands arairou et imams du
Alacina.
Une transformation rapide s’est opérée depuis cette
époque. Si l’islam n ’a pus très sensiblement vu s’accroître
le nombre de ses adeptes, du moins la voie tidiania, ici vio-
LE HAUT DAHOMEY
201
lente et aux théories séditieuses, a-t-elle gagné un terrain
considérable au détriment des qadria.
La race bariba notamment, rude et guerrière, ne chercha
guère à s’accommoder des doctrines douces et mystiques
de la voie qadria et trouva dans le tidianisme des éléments
plus conformes à scs aspirations naturelles. Ainsi semble
s’expliquer le triomphe rapide, en cette contrée, de cette
voie, la plus dangereuse pour les Européens. Elle en
traîna derrière ses chefs, les descendants d’Al-Hadj
Omar, tous les éléments de désordre du pays. Et ce
n’est que lorsque les Français et surtout les Anglais eu
rent réussi à chasser ou à capturer ces chefs religieux
et guerriers, que la paix se trouva ramenée et le tidianisme
arrêté. La capture de Bassirou et son internement à Lokodja marque la dernière étape de ces convulsions.
Aujourd’hui, dans ces régions, on peut dire qu’en bloc,
les Peul et les Dendi, qui ont eu à souffrir des exactions
des bandes toucouleurs tidiania, sont restés ffdèles au qaderisme, tandis qu’au contraire les Bariba sont tous pas
sés au tidianisme. On constate pourtant des défections, si
non chez les Peul, du moins chez les Dendi.
Voici maintenant quelques épisodes, se rattachant sur
tout au passage de marabouts pèlerins, et qui établiront la
véritable psychologie de ces peuples, sujets à tous les en
traînements des fauteurs d’islam, mais rebelles, dans leur
orgueil religieux, aux compromissions avec les animistes.
Le premier épisode est en faveur des marabouts. 11 re
monte à 1903. Une sorte d’association secrète fétichiste,
dite « confrérie des Igbéri » s’était créée dans beaucoup de
villages de la région du Borgou. Sous la conduite de chefs,
désignés sous le nom d’igbérissouni, ils devàient massacrer
les tirailleurs et chasser les blancs du pays. 11 y a eu un
202
ÉTLDES SLR L'iSLAM AU DAHOMEY
commencement d’exécution. Au mois d’avril igo3, plus de
388 igbéri venus d’un village voisin, tentèrent de s’emparer
du poste de Kandi. Grâce à l’anarchie qui régnait parmi
eux, et surtout grâce au sang-froid du capitaine Chevalier,
commandant de poste, cette tentative échoua piteusement.
Or, les marabouts qui étaient au courant de ces faits, s’op
posèrent de toutes leurs forces au recrutement des Igbéri.
S’ils eussent cherché à nous chasser du pays, ils eussent
certainement profité de ce vent de révolte et fait cause com
mune avec les Igbéri, ce fut tout le contraire qui se pro
duisit : ils n’allèrent pas jusqu’à nous avertir du danger,
mais du moins ils restèrent neutres.
Dans le courant de 1904-1905, un marabout, originaire
de Kouka (Northerm Nigeria), du nom de .Mohammed
Othman est signalé par ses prédications et perturbations
sociales dans toute la forêt, du golfe de Guinée du Da
homey à la Côte d’ivoire. 11 trouble le haut Dahomey, dis
paraît subitement quand on le recherche, continue ses
exploits au Togo et en Gold Coast, et reparaît enfin, vers
mai 1905, àBondoukou, où il est possible de le surveiller
de près. Là, on apprend qu’il a quitté Diafokou dans le
Baghirmi, vers 1903, et qu’il s’est rendu par ordre du
Madhi chez les populations du golfe de Guinée, pour ré
former les musulmans et amener les païens à la voie droite.
A Bondoukou, la parole de cet envoyé du Mahdi est puis
sante sur l’esprit des indigènes. Il fait des quêtes, ordonne
la destruction des tam-tams, s’absorbe en de longues
prières extatiques dans les mosquées, conseille la mort de
tous les animaux de couleur noire, prescrit de ne se vêtir
que d’étoffes blanches, et un jour, dépassant la mesure,
invite tous les musulmans à faire aiguiser leurs sabres,
car l’heure du madhi est proche et les blancs vont être
chassés. Il fut arrêté avec ses serviteurs et envoyé à Dakar.
Ses serviteurs, qui étaient d’origine dahoméenne, furent
ramenés chez eux ; quant à lui et à sa femme, ils furent
LE HAUT DAHOMEY
203
l’objet d’un arrêté d’expulsion, expédiés sur Lagos et si
gnalés à l’attention des autorités anglaises (décembre 1905).
On ne les a plus revus en Côte d’ivoire, mais on a pu y
constater que certaines de ses prédications, et notamment
la destruction des animaux noirs, avaient été reprises à
leur compte par des sorciers fétichistes de la forêt.
Le passage de Mohammed Othman eut quelques consé
quences dans le haut Dahomey. Ce marabout avait trouvé
aide et assistance dans la région du moyen Niger, notam
ment auprès de Baléman ou Ba l’imam, le principal mara
bout de Sinendé et auprès de ses deux fils, Alimami et
Alidou. Ilsavaientfacilitésesprêcheset palabres, ets’étaient
entremis pour l'écoulement de ses marchandises religieuses.
On songea à leur imposer une résidenee obligatoire, hors
d’une région où leurs agissements pouvaient constituer un
danger. La question fut résolue d’elle-mème par l’offre que
fit Balémam de venir s’installer avec sa famille à Kandi,
sous la surveillance directe de l’administrateur (mars-avril
1906). Par la suite, l’apaisement étant revenu et le Balémen
étant décédé, ses deux fils furent aurorisés à rentrer à Si
nendé. L’un d ’eux a pris la succession de son père et le
titre de Baléman.
A la même époque, un marabout d’origine saharienne,
Mahalla Moussa, né aux confins (du Tibesti et du Ouadaï,
et âgé d’environ 3o ans (1905), était signalé parcourant le
pays et incitant les indigènesà refuser l’obéissance à l’auto
rité française et à ne pas payer l’impôt.
Mahallah Moussa avait quitté le Tibesti par le Kanem,
s’était d’abord rendu dans la région de Zinder. Après avoir
franchi le Niger du côté d’Uo (Nigeria anglaise), il était
entré dans lecercle du Borgouaux environs de Niklci. Puis,
par Kouandé et Glassa, évitant avec soin les localités où se
trouvent des Européens, il était venu s’installer dans la ré
gion de Banikoara (moyen Niger).
Au village de Ouéné, il engageait les habitants à consM
204
ÉTUDES SUR L’ iSLAM AU DAHOMEY
truire une mosquée tidiana, afin de se livrer à la célébra
tion des rites de sa voie spéciale, pour laquelle il faisait
une vive propagande. Se prétendant pauvre, il exigeait des
habitants apeurés divers cadeaux, leur disant que tous les
gens de même couleur et de même religion, étaient frères
et se devaient, par conséquent, aide et assistance. Il cher
chait aussi, par ses discours, à affaiblir l’autorité française,
et engageait les noirs à ne pas payer l’impôt aux blancs. A
l’appui de ses dires, il ajoutait la prédiction qu’un grand
mouvement se préparait, à la suite duquel les Français se
raient chassés du pays, et par conséquent, dès maintenant,
il fallait leur refuser obéissance. Le chef du village de Ouéné.
Sina Ouanagui, étant venu à Kandi signalerles agissements
de ce marabout, le commandant du cercle le fit arrêter,au
moment où il prenait la fuite à Bani-Kouara, et saisit de
l’affaire le Tribunal de province. Mahallah Moussa futcondamné à un an de prison et à ioo francs d ’amende. De
plus, un arrêté du Gouverneur lui interdit le territoire de
la colonie, à l’expiration de sa peine. Il est actuellement
dans les environs de Sokoto.
’
Au début de juin 190C, le résident de Kandi signale le
passage dans son cercle, d ’un marabout se disant Abba de
Bakel, ayant suivi l’école des marabouts du Sahel, venant
de Kayes, Nioro, Ségou, Sikasso, Kong, Djougou, et se
rendant en Orient. Les recherches effectuées à Bakel, prou
vèrent la fausseté de cette origine. Abba semble bien par
son nom, son voyage, et sa façon d ’opérer, appartenir à
cette intrigante et aventurière tribu des Ahel Taleb Mokhtar du Hodh, qui, comme on le sait, a essaimé dans toute
l’Afrique Occidentale depuis le Maroc (Ma-l-Aïnin) jusqu’à
l’Ouest mauritanien (Saad Bouh), jusqu’à la Casamance
(Mahfoudh), et qui envoie des missionnaires dans toutes
les colonies du golfe de Guinée. Quoi qu’il en soit, Abba,
gardé à vue quelques jours, fut invité à évacuer les lieux ;
il disparut. On a pu retrouver, les années suivantes, des in-
LE IIAL'T DAHOMEY
205
dices de son passage en Gold Coast, en Côte d’ivoire, en
haute Guinée, on le retrouvera tôt ou tard, si le climat, dur
pour les marabouts sahariens, ne lui a pas été fatal.
En résumé, Kandi et Sinendé sont les deux principaux
foyers islamiques du cercle.
Kandi a deux mosquées et une douzaine d’écoles cora
niques dont la clientèle atteint, au plus, une centaine
d’élèves. C’est surtout un centre qadri. 11 est partagé en
deux groupes rivaux, dont chacun se prétend le Baléman,
ou Ba l’imam en titre, et excommunie l’autre. Leurs com
pétitions s'étendent même sur un terrain qui n’a rien de
commun avec l'islam. Il y a quelques années, les Bariba
eurent à élire « le chef des femmes » de Kandi, dont la
fonction principale est de présider aux mariages, ainsi
qu’aux tamtams de femmes. Cette personne joue également
un rôle dans la nomination du Chef de région. Or, chacun
des deux rivaux avait sa candidate et prétendait la faire
élire par tous les moyens. Il fallut l’intervention de l’auto
rité française pour que le vote pût se passer dans le calme
et que l’élue du suffrage populaire entrât sans conflit dans
ses fonctions.
Sinendé est le foyer par excellence du tidianisme. Ses
sept écoles y groupent aussi une centaine d’élèves. La com
munauté musulmaney est d’ailleurs perdue au milieu d’élé
ments barida et pila-pila fétichistes. Elle est de plus dé
chirée par des rivalités entre le parti maraboutique, désireux
de s’emparer du pouvoir, et le parti des notables, qui se
refuse à toute ingérence de cléricalisme. C’est un cas qui
se reproduit souvent dans ces villages du moyen Niger, où
une minorité islamisée, souvent infime, prétend imposer
son commandement et ses lois à la majorité, restée tradi-
2û 6
É T U D E S S U R 1,’lSLA M
AU DAHOMEY
tionaliste. L’autorité française doit surveiller de près cette
situation.
A part Guéné qui compte trois écoles et une vingtaine
d’élèves, les autres villages m usulm ans ne m éritent avec
leur seul m araboutaillon, im am , et maître d ’école, q u ’une
mention rapide : Sao, Bagou, Zougou, Bouay, Béroubouay,
Sékéré, Yarra, Segbana, Karim am a. Sauf Alazi de Bagou,
déjà cité, et dont les connaissances arabes et islamiques
sont réelles, ces m arabouts sont parfaitem ent ignorants.
Les plus lettrés d ’entre eux s ’essaient à écrire la langue
haoussa en caractères arabes. On com pte au total, dans
le cercle, 35 écoles et 3oo élèves coraniques.
CHAPITRE IV
Le droit coutumier.
Les Sociétés noires du haut Dahomey sont toutes à
forme patriarcale. C’est un excellent facteur de succès
pour l’islam : aussi voyons nous chez ceux de ces peuples,
qui sont islamisés, ou tendent vers l’islamisation, une
substitution, ou tout au moins une adaptation assez ra
pide, des règles du droit musulman aux institutions juridi
ques de la coutume. 11 n’est évidemment pas possible de
faire ici un « coutumier » des cinq ou six sociétés noires
qui nous occupent. Il y faudrait un volume pour chacune
d’elles, car ces droits traditionnels sont abondants. En
outre, chaque village a souvent des « usages et styles » qui
viennent se greffer sur la coutume générale. Il suffira de
noter dans une succession de rapides monographies et en
écartant par principe, toute terminologie technique, qui,
par sa précision, pourrait induire en erreur, il suffira, disje, de noter les institutions fondamentales du droit coutu
mier, les côtés par où l’empreinte islamique s’est peu ou
prou fait sentir, et les déformations que l’attachement de
ces peuples à leurs coutumes ancestrales À/os majorum,
a fait subir à ce droit d’importation.
i “L a
F amille. — La famille fétichiste ou musulmane
208
ÉTUDES SUR
l
’ is l a m
AU DAHOMEY
du haut Dahomey repose sur le patriarchat. C’est par les
mâles que s’établit le lien de parenté, vinculum juris.
Le père est le maître absolu : tous, hommes et femmes,
lui doivent une obéissance complète. Son pouvoir va jus
qu’à engager ses enfants comme captifs ou à les donner en
gage, ou comme caution; et dans les familles royales.il
allait même jusqu’au droit de vie et de m ort sur ses fils et
serviteurs.
La femme jouit ici de l'indépendance générale de ses
congénères dans les pays noirs. Elle vit libre, non voilée,
non claustrée, et ne prend part aux travaux des champs
qu’au moment de grande presse. Elle occupe néanmoins
une situation inférieure à celle de l'homme, et doit obéis
sance et fidélité à son mari. Chez les Peul, comme dans
tous les groupements de cette race, la femme joue, discrè
tement, il est vrai, un rôle social et familial considérable.
Les enfants appartiennent à la mère, quand ils sont en
bas âge, et plus tard, sans contestation possible, au père.
Rien ne démontre mieux le principe patriarcal de ces so
ciétés. Les enfants sont môme enlevés à la mère, dès le
sevrage, si elle abandonne le tata familial, à la m ort de son
mari. Le seul cas où l'enfant revienne à la mère et à sa
famille, est celui où la femme, vivant en état de prostitu
tion, ne peut rattacher la naissance de son enfant aux
œuvres d’aucun de ses amants de passage. Le lévirat est en
usage chez les Peul : les enfants passent donc avec la mère
sous la garde du frère du défunt.
Sa tâche de ménagère achevée, dit Feuille, la femme peut
consacrer son activité à son profit exclusif, soit en faisant
le métier de revendeuse sur le marché, soit en pratiquant
le tissage ou la fabrication des poteries, ou encore en cuisi
nant au coin des carrefours. Les bénéfices qu’elle réalise
ainsi, lui appartiennent en propre et elle en a la libre dis
position. Dans lecas de dissolution du mariage, Iesacquéts
qu’elle a ainsi réalisés lui font intégralement retour.
P l . IX, a. — École coranique de Outdah.
P l . IX , b. — École coranique «à Cotonou.
LE HAUT DAHOMEY
209
Le mari et la famille de la femme n'en sont pas moins
responsables des dettes que celle-ci peut contracter. En re
vanche, la femme, en aucun cas, ne peut être rendue res
ponsable des dettes de son mari.
Le délai de viduité est de trois lunes, même chez les mu
sulmans du peuple. Pratiquement, une femme se remarie
dès l’expiration des funérailles de son époux, c’est-à-dire
avant comme après le délai. La veuve âgée reste avec ses
enfants dans la collectivité de son mari défunt. Toutefois,
chez les Bariba, il est admis que la femme mariée, arrivée
à un âge avancé, a le droit de quitter la case de son mari
défunt pour aller mourir dans son tata d’origine. Ce cas
est surtout fréquent, quand il n’y a pas d’enfants ou que
ceux-ci sont morts.
2» L a c o l l e c t i v i t é ( i ) . — Le trait capital de la vie in
time de l’indigène est l’esprit de solidarité étroite et d’entr’aide mutuelle, qui unit entre eux les différents membres
d’une même tribu.
La famille vivant hors de la collectivité, formée par des
branches collatérales issues d’une même souche, n ’existait
pour ainsi dire pas autrefois. Actuellement les isolés sont
rares. D’ailleurs la famille, même détachée du noyau ini
tial, ne s’en séparera jamais totalement et les fêtes fami
liales périodiques sont l’occasion de la réunion de tous les
membres d’un tata en voie de désagrégation.
On peut définir la collectivité, la réunion d’un groupe de
familles et d’individus, issus d’un ancêtre commun, et au
quel s’agglomèrent les familles des anciens esclaves et
leurs descendants.
Le chef de la collectivité est toujours un homme. La
succession s’établit par branches collatérales et le premier
frère puîné du défunt recueille son titre et ses fonctions à
(1) D’ap rès M arcel F eu ille.
210
ÉTUDES SUR L’iiLU M AU DAHOMEY
la tête de la collectivité. Si le chef défunt de la collectivité
n’a pas de frère, son fils aîné hérite et prend la direction
du groupement.
Chez les Bariba, il convient de signaler une légère va
riante, le titre passe de frère en frère, en respectant l'ordre
de naissance d’une manière stricte, et ce, môme dans le cas
où les enfants étaient de mères différentes. A défaut de
frères, la fonction fait retourau fils aîné d e l’aînédes frères
décédés. Si celui-ci n’a pas de descendance mâle, le titre
passe aux fils du frère cadet, et ainsi de suite. Si aucun
des frères n'a laissé de descendance mâle, il appartient au
Roi de rechercher dans la famille paternelle celui à qui
doit être dévolue la direction de la collectivité.
11 arrive parfois qu’avant de mourir, le chef en fonction
désigne lui-même son successeur. Ses vœux sont toujours
fidèlement observés : on doit toutefois mentionner que ja
mais cette désignation ne se fait directement. Le moribond
indique « celui qui devra l’enterrer », « celui qui sera
chargé de veiller à la célébration des funérailles ». Ces
formules sont plus particulièrement employées, quand il
s’agitdechefs de groupements dépassant en importance la
collectivité : villages, canton, région.
Quand par suite du décès des père et mère, une famille
ne se trouve plus constituée que par des enfants en bas âge,
il appartient à l’aîné de ceux-ci de reconstituer le tata. A
vingt ans, il doit se marier, c’est au tuteur, ou à ses tantes,
ou à ses parents, qu’il échoit de lui trouver une femme.
Après son mapiage, le jeune homme vient habiter le tata de
son père, et ses frères et sœurs doivent venir habiter avec lui.
Le chef de la collectivité a la direction de l’ensemble du
patrimoine de la famille. S’il utilise parfois celui-ci dans
un but d'intérêt personnel, il n'en demeure pas moins tenu
d’assurer, quelles que soient les circonstances, l’existence
des membres du tata, qui ne sont pas en état de subvenir
à leurs besoins.
LE « A L T DAHOMEY
211
Le chef de la collectivité est qualifié pour exiger l’effort
de tous, surtout lors de l’exécution de travaux de culture.
Une de ses principales prérogatives est de présider au
mariage des enfants appartenant au tata.
Il doit s’inquiéter de trouver une fiancée aux garçons
quand ceux-ci ont environ quinze ans. Il reçoit les de
mandes en mariage qui sont faites à l’endroit des jeunes
filles, placées sous sa dépendance. Ses droits en la matière
sont très étendus et c’est à lui que la dote se trouve en fait
payée.
Les deux principaux abus auxquels donnent lieu les
prérogatives du chef de la collectivité sont : l’aliénation du
bien commun sans autorisation, et l’obligation qu’il peut
imposer à une jeune fille de se marier, contre son gré, à
un individu de son choix.
Le premier cas est rare dans ces régions, où la propriété
ne revêt encore qu’une forme embryonnaire, et où les né
cessités de l'existence quotidienne constituent la meilleure
sauvegarde des approvisionnements conservés dans les
greniers.
Par contre, il arrive fréquemment que, par suite de l’âge
auquel la jeune fille est fiancée, le chef de la collectivité
se heurte, au moment de la célébration du mariage, à une
opposition formelle.
Malgré tous les inconvénients que ce droit du chef de la
collectivité comporte, il est évident que sa disparition, en
enlevant à la promesse du mariage, la valeur qui lui reste,
porterait une grave atteinte à la constitution de la famille
indigène.
L’ensemble des chefs de collectivité forme le collège des
notables du village. Les rapports étroits, qu’ils entretien
nent entre eux et avec le chef administratif du groupement,
n’intéressent l’organisation de la famille que par la ten
dance, qui se constitue, de transformer la réunion de tous
en une sorte de tribunal naturel de conciliation. Le chef
212
ÉTUDES SUR L'iSUAM AU DAHOMEY
de village préside cette réunion, qui est appelée à connaître
des litiges de faible intérêt, séparant les familles, ou les
membres d’une même famille. De nombreuses questions
de mariage et de fiançailles sont ainsi réglées. Les palabres
sont publiés et si quelquefois ils se term inent par des rixes,
ils amènent le plus souvent une solution amiable des con
flits.
Seuls, les litiges importants ou de solution malaisée,
sont soumis à l’appréciation des grands chefs ou à la déci
sion des tribunaux indigènes.
3° L’enfant . — L’accouchement, phénomène tout à fait
insignifiant ici, n’entraîne pour la femme qu’un court ar
rêt dans son travail ordinaire. Chez les Dendi, souvent
musulmans, un délai de huit jours est imposé à la mère
avant la reprise de sa vie ordinaire. A l'expiration de ce
délai, des fêtes ont lieu. Celte coutume tend à se générali
ser et cela, d’autant mieux qu’une naissance est toujours
et par tous bien accueillie. Les naissances gémellaires sont
relativement fréquentes, particulièrement dans les pays
Dompago et Tannéka. Elles ne sont entourées d’aucun rite
spécial. Les femmes ayant mis au monde 5 ou 6 enfants
ne sont pas rares. Malheureusement une grande mortalité
atteint les nouveau nés.
D’autre part, il semble que la pratique de l’avortement
dans certains centres tende à réduire les naissances et ce,
plus dufait de lafemme, que sur intervention de l’homme.
Chez les Bariba, le père est tenu de tuer un animal de
même espèce que celui qui a été tué, le jour où il est né
lui-même. Il invite ses parents, ses am is; ceux-ci sont
tenus de lui faire de petits cadeaux consistant la plupart
du temps en cauris et en mets tout préparés.
La mère a été accouchée par les vieilles femmes du vil
lage. Personne, en dehors d'elles, ne peut être présent,
même le mari.
LE HAUT DAHOMEY
2 l3
La durée de l’allaitement est de deux ans environ ; elle
va quelquefois jusqu’à trois ans. Pendant cette période,
conformément à une coutume universelle en pays noir, et
qui est spécifiquement noire, puisqu’elle ne dérive pas des
Maures musulmans, les relations conjugales sont inter
dites entre mari et femme, comme elles l’étaient d’ailleurs
pendant la grossesse. Cette coutume, qui ne'gêne pas à la
rigueur les maris polygames, est extrêmement fâcheuse
dans la plupart des ménages. Elle raréfie la natalité et
pousse à des fuges extra-conjugales à peu près tous les
maris. Les missionnnaires chrétiens eux-mêmes ne sont
pas arrivés à la faire disparaître chez nombre de leurs fi
dèles, et reconnaissent qu’elle est un des plus puissants
dissolvants du lien familial : l’homme ne s’attache pas à
son foyer. 11 est vrai que, le besoin aidant, beaucoup
transgressent la règle. Contre ces transgressions, la cou
tume de certains peuples, tels les Tannéka et les Pila-Pila,
prend ses précautions. Elle exige que la jeune femme, à
la veille de ses couches, des premières tout au moins, dé
serte le toit conjugal pour se retirer chez ses parents. Elle
est censée apprendre les soins de puériculture, nécessaires
à son nouvel état. C’est le sevrage de l’enfant qui marque
le retour au foyer. Il semble que dans les villages musul
mans, il y a une tendance à réagir contre ces traditions
que l’islam n’impose pas.
La circoncision et l’excision sont de pratique courante,
mais non dans toutes les races. Elles sont l’œuvre des
maîtres-mires du groupement, et se pratiquent à l’Ouest
entre six mois et un an, et chez les Bariba entre cinq et
dix ans. Cette opération se fait au mois de janvier, mais
dans chaque famille, et non pas le même jour pour tous
les enfants du même village comme en pays Mandé ; elle
ne donne lieu à aucune fête, les enfants nouvellement cir
concis restent tout le jour en dehors du village et ne ren
trent chez leurs parents qu’à la nuit pour dormir. Ils ne
214
ÉTUDES SUR u ’iSLAM AU DAHOMEY
reviennent définitivement au village que lorsque la bles
sure est complètement cicatrisée.
La mime opération est faite pour les petites filles, au
même âge et à la môme époque ; la seule différence con
siste en ce quelles ne vont pas passer la journée au dehors;
elles restent dans la case de leurs parents jusqu'à ce
qu’elles soient guéries.
C’est à cet âge-lâ aussi qu’on applique à l’enfant les ta
touages de race. Une croyance assez curieuse veut que
l’enfant, fils adultérin d’étranger, et qu’on ne sait pas tel,
meure, si on lui applique les tatouages paternels, qui évi
demment ne lui appartiennent pas.
4° T utelle . — L’enfant mineur est sous la tutelle de son
père, puis de son grand-père paternel, puis successive
ment de ses oncles paternels dans l’ordre d ’aînesse, puis du
chef du groupement. Il ne peut pas être sans tuteur.
Mais ce n'est jamais la mère qui remplira cet office : le
rôle de nourrice et l’éducation de l’enfant en bas âge, qui
lui est dévolu, n’est pas la tutelle. Le « tuteur » doit être
un véritable père de l'enfant, et la coutume lui en donne
d’ailleurs le nom. C’est ainsi que l’enfant l’appelle quoti
diennement.
Le tuteur doit faire donner à l’enfant une éducation con
venable : participation aux rites traditionnels de la jeu
nesse et de l’adolescence chez les fétichistes ; assistance à
l’école coranique chez les musulmans. A la puberté, il doit
chercher au garçon, une jeune épousée et lui faciliter par
des dons et des avances son futur mariage. Si c’est une
jeune fille il doit la marier dans les meilleures conditions,
après entente avec la mère.
Le tuteur doit gérer les biens de son pupille « en bon
père de famille », suivant la formule consacrée. .Mais l’ap
plication de ce devoir est bien défectueuse et les règle
ments de compte donnent toujours lieu à des conflits.
LE HAUT DAHOMEY
2 J5
Chez les Peul notamment, où de part et d'autre on est très
intéressé, et où, par ailleurs, les règlements de comptes,
portant sur des troupeaux, qui se modifient au jour le
jour, sont particulièrement difficiles, chaque cas d’espèce
entraîne des discussions interminables et des procès ardus.
La tutelle prend fin par le mariage du pupille et, en
outre, pour les garçons, par l’apparition de la puberté.
Le contrôle de la tutelle ne paraît pas sérieusement or
ganisé. Ce rôle, joué par le cadi du droit musulman, est
tenu ici, tant chez les musulmans que chez les fétichistes,
par le chef de village, auquel s’adjoint parfois, depuis
notre occupation, le président du tribunal indigène.
5° L e mariage. — La coutume matrimoniale tradition
nelle n ’a guère subi d’altération dans le haut Dahomey,
même chez les peuples qui tendent à l’islamisation, comme
les Peul, déjà fort islamisés, ou certaines fractions Dendi,
Cotocoii et Bariba qui sont «surle chemin de la croyance».
Si le mariage, contrairement à la plupart des coutumes
noires, est célébré relativement tard, la demande en ma
riage, les fiançailles, si l’on veut, sont fort précoces. A
cinq ans, la fillette est déjà fiancée. Il n’y a pas d’exemple
de fillette de dix ans qui ne le soit. Cette période de fian
çailles durera io à i5 ans, au cours desquelles le jeune
homme doit subvenir, au moins partiellement, à l’entre
tien de sa future femme. Il lui fait des cadeaux périodi
ques : cauris, ignames, fruits, pagnes, mouchoirs, ainsi
qu’à ses parents. 11 vient, tels les patriarches bibliques, se
mettre à leur disposition, répare leurs cases, travaille
leurs champs, etc...
Chez les Peul et les Dendi islamisés, cette coutume tend
à s’atténuer. L’époque des fiançailles est reculée jusqu’à
un âge plus convenable : le délai est donc plus court.
Les conditions de la demande varient suivant les races.
Chez les fétichistes, la fillette est demandée par le chef de
2IÔ
ÉTUDES SUR
l
' is l a m
AU DAHOMEY
la collectivité du prétendant, assisté du père de celui-ci. Le
père de la fillette, qui appartient généralement à la môme col
lectivité, a difficilement le droit d’opposer un refus à son
chef de groupe. Sa liberté est donc restreinte, au moins
théoriquement ; il est donc arrivé que certains pères de fa
mille, ne voulant pas céder, ont pris leurs gens et leurs
hardes, et ont changé de village. Mais c ’est l’exception. Le
prétendant ne fait sa demande qu’après avoir tâté le ter
rain par de petits cadeaux désintéressés, en apparence,
mais dont le sens ne trompe personne, et qui, s’ils sont
acceptés, signifient que sa candidature sera agréée. Au sur
plus, le chef de la collectivité ne consent à prêter ses bons
offices au père du prétendant, qu’après s’ôtre assuré que
les choses sont au point.
La liberté de la jeune fille n’apparaît pas ouvertement
dans toutes ces tractations. Elle est en réalité plus grande
qu’on ne croit. Appuyée par sa mère, elle fait l’opinion de
son père, et au surplus, a toujours la ressource, dont elle
ne se prive pas, de pousser les relations intimes avec
l'amoureux de son choix à un point tel que le prétendant
officiel, ne voulant pas endosser une paternité ridicule, n’a
plus qu’à se retirer.
Dans la toutunte Dendi, déjà touchée par l'islam, la
jeune fillen’estguère fiancée avant 10 à 12 ans, et même 15,
et il semble bien qu’on la consulte jusqu’à un certain
point. Ce retard dans les fiançailles a le résultat fâcheux
que beaucoup d’entre elles s’oublient dans les tam-tams
de nuit, et ne se marient — avec leurs amoureux, il est
vrai — qu’alors qu’Allah a bien fait voir qu’il bénissait
avant l’heure l'union projetée. Chez les Dendi, les fêtes de
l’Aïd al-Kébir s’accompagnent de nombreux mariages,
souvent hâtivement célébrés.
Dans la coutume peul, l’islam se fait plus nettementsentir, mais d’autre part, en face de lui, bien des conceptions
de la race se sont maintenues. C’est ainsi que la demande
LE HAUT DAHOMEY
217
en mariage n’est faite que lorsque la jeune fille est déjà en
âge de se marier et elle est admise à donner son consente
ment. Elle peut même refuser le fiancé qu’on lui offre,
mais elle doit, dans ce cas, en présenter un elle-même.
La première demande, dit Marcel Feuille, doit être ac
compagnée du don d’un bœuf, qui est généralement im
molé et partagé entre les membres présents des deux fa
milles. La réponse n’est donnée que 2 ou 3 jours plus tard.
A ce moment, un nouveau cadeau de 2 à 5 bœufs est fait,
selon la fortune du fiancé. Le mariage est célébré i5 jours
à un mois plus tard. Quand il s’agit d’un mariage d’une
veuve, seul le premier bœuf est immolé et le mariage suit
immédiatement.
Des fêtes périodiques, appelées « Kogali », réunissaient
autrefois jeunes gens et jeunes filles. Ces fêtes, accompa
gnées de tam-tams, étaient l’occasion de terribles baston
nades volontaires, destinées à montrer aux femmes la vi
gueur et la résistance à la douleur des différents candidats.
Ceux qui avaient supporté avec le plus de courage les épreu
ves, auxquelles ils s’étaient soumis, avaient une liberté de
choix absolue parmi les jeunes filles.
Ce genre de réjouissance, qui parfois était accompagné
de décès ou d’accidents graves, est actuellement sévèrement
interdit. On ne saurait toutefois affirmer qu’il ait complè
tement cessé d’être pratiqué d’une manière clandestine dans
des coins de la brousse.
Chez les indigènes teintés d’islani, la jeune fille ne doit
sortir du tata paternel que le moins possible. La demande
en mariage est faite par l’intermédiaire d’une femme,
autant que possible la tante du jeune homme, et à l’exclu
sion de sa mère, alors que la jeune fille est déjà nubile.
Cette demande n’est pas, en règle générale, accompagnée
de cadeaux et la réponse n ’est pas immédiatement donnée.
11 arrive parfois que la jeune fille n’ait pas ou n’ait que
pe jconnu son fiancé. Dans cecas, il est admis que lajeune
2I8
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU
DAHOMEY
fille, entrée dans la case de son mari, peut être refusée par
celui-ci. Elle s’enfuit alors de nuit de chez son mari pour
échapperàla honte de son renvoi. Cette dernière situation
est toutefois exceptionnelle.
Du principe de la durée des fiançailles découle toute une
conception de la formation du contrat m atrim onial, qui
diffère sensiblement du droit m usulm an. C’est ainsi par
exemple que la dot, ici comme là, élément essentiel du
mariage, se présente ici sous la forme d’une indemnité ver
sée par le fiancé et sa famille à la famille de la fiancée pour
l’aider à parfaire l’éducation de la future femme. Elle n’a
rien du prix de vente et les comparaisons que développent
abondamment les auteurs musulmans n ’ont aucun sens ici.
Elle s’échelonne donc la plupart du temps sur plusieurs
années. Chez les Peul toutefois, où l’islam prédomine,
celte période est, on l’a vu, très écourtée généralement.
11 faut distinguer soigneusement la dot des cadeaux.
L’une et les autres sont obligatoires, mais le versement de
la dot seule entraîne la naissance de l’obligation, et par
suite, en cas de rupture du mariage, c ’est elle seule qui sera
remboursée. Les cadeaux n ’ont pas de caractère juridique ;
c’est ainsi qu’ils accompagnent le concubinage, qui peut
être une institution sociale, mais n ’est pasun contrat légal.
Cependant, la plupart des cadeaux devront être rembour
sés, si les fiançailles ont été rompues du fait de la jeune
fille: le cas le plus fréquent est une grossesse inattendue,
provenant d’un fiancé de son choix. Dans ce cas, le pré
tendant évincé envoie un collier de cauris à son pseudobeau-père; c’est la note à payer. Chaque cauri représente
cinq francs.
Les cadeaux appartiennent à ceux à qui ils sont faits : à
la jeune fille principalement, à sa mère, à ses sœ urs, etc.
La dot appartient aux parents de la jeune fille, mais ceuxci doivent lui constituer un apport dotal, qui sera son bien
propre-dans le ménage. Chez les Peul islamisés, cette cou-
LE HAUT DAHOMEY
219
tume est très régulièrement suivie, et consiste en boeufs;
la livraison n’en est effectuée toutefois qu’après la naissance
du premier enfant. Ce douaire passe, à sa mort, à ses en
fants, et, à défaut de progéniture, revient à sa famille.
Les formalités du mariage varient de peuple à peuple. La
jeune fille attend généralement dans la case paternelle la
venue du fiancé, qui, accompagné de ses amis, arrive me
nant grand bruit. Elle est escortée à la case de son mari
par ses propres amies, et le double cortège fait un vacarme
assourdissant décris, de tam-tam, de coups de fusil. On
procède à des sacrifices rituels où le fétichisme se mêle à
l’islam: ripailles, danses, fêtes.
Chez les Dendi, la jeune fille doit s’enfuir de la case de
son mari. Les parents du jeune homme la recherchent et
la ramènent au foyer conjugal qu’elle ne doit plus quitter.
Chez lesBariba, dit Feuille, quand la jeune fille est esti
mée assez âgée, la famille du fiancé rassemble 4.000 cauris
(20 francs) et des provisions variées : ignames, mil, venai
sons desséchées, et les parents du fiancé les portent chez
la jeune fille. Si les parents de celle-ci acceptent, l’inter
médiaire fixe le mariage à 7 jours, La tante du fiancé vient
chercher la jeune fille, après la préparation d’abondantes
provisions, et l’amène, accompagnée de ses parents et
amies, chez son mari. Là, et hors la présence de son fiancé,
elle est déshabillée et lavée. La plus vieille des femmes
présentes verse alors sur la tète de la fiancée une décoction
de feuilles, en prononçant ces paroles : « Ceci vient de mes
aïeux. Si vous êtes vierge, le liquide coulera devant et
derrière; si vous avez connu l’homme, le liquide coulera
des quatre côtés à la fois. » Si la virginitéest confirmée, on
pousse des cris de joie. Dans le cas contraire, on ne s'y
arrête pas. Le mari n ’a pas le droit de pénétrer dans la case
de sa femme le premier soir. Celle-ci passe la nuit avec
plusieurs de ses amies. Au jour elle s’enfuit. Le soir, les
parents du fiancé vont la chercher et la ramènent au do
is
a ïo
ÉTUDES SUR l ’ is l a m A U
DAHOM EY
micile conjugal. Parfois ce fait se renouvelle jusqu'à quatre
fois de suite, avant que le mariage soit consom m é. Si le
mari a reconnu la virginité de sa femme, il envoie à ses
beaux-parents un poulet, cuit à peine, dont on fait sortir
les entrailles par une très petite section. Dans le cas con
traire, le poulet est éventré de bout en bout.
Le mari, après avoir fait cet envoi au père de sa femme,
a le droit d’attacher et même de frapper celle-ci jusqu’à ce
qu’elle lui avoue le nom de son séducteur. Alors le mari,
sans rien dire à ses beaux-parents, va trouver la famille
du séducteur, dont la conduite est dénoncée. Il formule
l’accusation et demande de quelle peine le coupable mérite
d’être frappé. On doit lui répondre : « Être vendu comme
esclave avec toute sa famille. » S ur ce, le m ari «pardonne»,
mais le séducteur ne doit plus reparaître dans le tata des
nouveaux époux.
Les deux conjoints ne prennent jamais leurs repas en
commun ; l’homme est toujours servi le prem ier.
Les interdictions à mariage proviennent soit de la parenté,
soit de la situation de classe ou de caste des conjoints. Cette
dernière cause sera étudiée au chapitre suivant. Les inter
dictions provenant de la parenté sont les mêmes que celles
des droits français ou m usulm an, et s’aggravent même de
prohibition de mariage entre cousins.
La femme divorcée ne peut se rem arier, ni même vivre
en concubinage avec un membre de la famille de son pre
mier mari.
Les droits et obligations, nés du m ariage, sont peu com
pliqués. De la part de l’homme, devoir d ’assistance maté
rielle ou plus exactement alimentaire. L’époux fournit à la
femme tout ce q u ’il lui faut pour préparer les repas. On ne
voit pas que, la plupart du temps, il lui achète des pagnes,
La femme a la charge de l’entretien de la case, de la prépa
ration des repas, de l’éducation des enfants. Elle doit, sans
réciprocité, fidélité à son mari.
LE HAUT DAHOMEY
221
Chaque époux reste maître absolu de ses apports dotaux.
Cependantdans beaucoup de tribus, tant fétichistes que mu
sulmanes, avec la sécurité publique qui engendre un essor
économique sensible, on saisit dans certains ménages ur
bains ou ruraux une tendance très nette vers la formation
de communautés relatives d’intérêts, par suite d ’affaires
commerciales ou de cultures industrialisées (coton, indigo,
riz) qui exigent la collaboration des deux époux.
6“ Dissolution du mariage. — On donnera simplement
ici les grandes lignes de l’institution. Ceux qui ont des no
tions de droit musulman apprécieront combien les causeset
les conséquences diffèrent de ce droit au droit coutumier.
Causes. — La dissolution du mariage se produit ici :
a) par le décès d’un conjoint; b) par le divorce;c) par la ré
pudiation.
a) Décès. — Par le décès de sa femme, le mari recouvre
mmédiatem ent sa liberté. 11 ne paraît pas d ’ailleurs qut
la mort d’une femme ail ici une grande importance. Au
contraire, la mort du mari ne libère pas immédiatement la
femme qui est astreinte à un délai de viduité, analogue à
la « retraite légale» de l’islam, mais qui n’en dérive nulle
ment. Ce délai est de trois mois environ — temps légal et
rituel des funérailles — pendant lequel la femme reste
enfermée dans le tata du défunt, toute la journée, et ne
sort qu’à l’aube et au crépuscule.
Quoique libre après trois mois, la femme enceinte ne
se remarie généralement pas tout de suite, non pas pour
éviter « la confusion des sangs » mais parce que la coutume
indigène interdit toute relation sexuelle, pendant la gros
sesse et l’allaitement. Certaines femmes passent outre à la
tradition ; c’est alors aux parents du défunt à veiller à la
règle, autant que la chose est possible, afin de sauvegarder
l’intérêt de l’enfant.
222
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
La veuve âgée, qui n'a aucune chance de se remarier,
reste au taia familial, où elle est entretenue jusqu’à la fin
de ses jours par ses enfants, ou môme, à défaut d’enfants,
et sans trop de difficultés, par les parents de son mari.
La veuve qui se remarie perd tous ses droits à l’entretien
que lui doivent la succession et la famille du défunt, tant
qu’elle reste dans son tata.
La coutume du lévirat, classique dans toutes les tribus
Foulbé de l’A. O. F., existe aussi chez les Peul du haut
Dahomey. Elle n’a rien d'absolu de part et d ’autre.
De môme, dans le cas des simples fiançailles, surtout
s’il s’agit d’une jeune fille vierge, l’héritier du défunt,
frère ou fils aine, se substitue souvent au défunt.
b) Divorce. — Le divorce est la dissolution du mariage
provoquée par l’un des conjoints, et prononcée par la voie
judicaire. Elle a pour effet — et c’est là tout son intérêt —
de faire obtenir à la partie gagnante le bénéfice de la dot.
Si c’est le mari qui l’emporte, il se fera rembourser la dot,
avantage qu’il n’aurait pas eu, en répudiant simplement
sa femme. Si c’est la femme qui gagne le procès, elle garde
dot et cadeaux.
Et c’est pourquoi, beaucoup plus que les hommes inté
ressés à garder leurs femmes à cause du capital qu’elles
représentent : sommes versées, services domestiques, en
fants, frais d’un nouveau mariage, etc., etc., ce sont les
femmes qui demandent le divorce. Dans les villes surtout :
Kouandé, Djougou, Aledjo, Parakou, Nikki, Kandi, la
proportion des demandes féminines en divorce est consi
dérable et augmente journellement. La prostitution ygagne
d’autant.
Les causes de divorce sont : l’impuissance, la stérilité,
le refus du devoir conjugal, tous cas d ’espèce; les sévices
graves, injures, etc., invoqués généralement par la femme;
le consentement mutuel ; la condamnation à une peine de
longue durée; l’inconduite et l’adultère de la femme, invo-
LE HAUT DAHOMEY
223
qués, rarement d’ailleurs, par le mari, et sans réciprocité.
Les sévères sanctions, qui frappaient jadis le complice
delà femme adultère, ont disparu avec le temps. Il n'est
plus vendu comme esclave, et encore moins mis à mort,
même si la femme coupable appartenait à un grand chef.
Il se rachète par le versement d’une indemnité.
La femme était même autrefois et est encore beaucoup
moins sévèrement châtiée. Elle recevait une correction de
coup de fouet ou de bâton, et était condamnée à une petite
réclusion à l’intérieur du tata. On cite pourtant des cas où
des femmes de chefs se virent enlever une ou même deux
oreilles pour cet outrage fait à l’honneur de leur mari.
c) Répudiation. — La répudiation est rare des deux cô
tés, même dans les sociétés musulmanes. On a générale
ment recours au divorce et la procédure de répudiation
n’est utilisée que lorsqu'on veut cacher quelque chose au
public.
Effets . — a) Enfants. — Les enfants appartiennent au
ntari et à sa famille. La règle ne souffre d’exception que
dans le cas où une femme de mœurs relâchées, a une
délivrance pénible. On est convaincu alors que l’enfant
n’est pas du mari, et on oblige la femme à répéter sans
arrêt les noms de tous ceux à qui la paternité peut être
attribuée. L’homme dont le nom est prononcé, au moment
précis de la délivrance, est le père de l’enfant. Il aura
désormais les droits et les devoirs de cette paternité.
Chez les fétichistes Bariba, on applique rigoureusement
la règle: Is pater esliquein justae nuptiae demonstranl.
L’enfant est élevé par la mère jusqu’à l'âge de 4 ou 5 ans,
et doit ensuite être rendu au père ou à sa famille.
b) Biens. — Chacun reprend ses apports. La dot est
acquise à la femme, en cas de décès du mari, de divorce
prononcé contre lui, de répudiation prononcée par lui.
Elle doit la restituer, si le divorce est prononcé à son
224
ÉTUDES SUR L1SLAM AU DAHOMEY
encontre ou si la répudiation est son fait. Les acquêts
communs sont partagés à l'amiable, ou répartis entre les
deux conjoints par décision de justice.
7“ S uccessions. — La science successorale musulmane
— la moitié du droit, suivant une tradition — est bien
trop compliquée pour que les sociétés islamiques du haut
Dahomey aient pu se l’approprier et la faire pénétrer dans
leurs mœurs. Elles ont sur ce point gardé leurs institutions
coutumières, se pénétrant, de-ci de-Ià, de quelques infil
trations du droit révélé.
La succession s’ouvrait jadis par le décès, l’absence, la
captivité, et la mise judiciaire en esclavage. Les deux der
nières causes ont disparu. L’absence a mieux subsisté et
s’est même développée par suite de la disparition de tirail
leurs aux armées. Mais la cause courante est le décès.
Les successions ordinaires s’opèrent sans difficulté et
sans intervention des autorités, conformément à la tradi
tion. Pour les successions importantes, notamment pour
celles des chefs, dont l’hoirie personnelle se double de l’hé
rédité de leur charge et des biens y afférant, l’autorité
supérieure (roi, chef de tribu, président du tribunal au
jourd’hui) intervient pourdésignerungardien, le« Sapoho»
chargé de veiller à la conservation du patrimoine du de
eu/us pendant la « jacence d’hérédité ». On sait, en effet, que
dans tout le Dahomey les funérailles d’un chef ne suivent
pas de près sa mort. 11 s’écoule entre l’une et les autres un
temps plus ou moins long, généralement de trois à quatre
mois, qui est une sorte de retraite, où femmes, enfants,
biens, sont dans un état de recueillement, d’attente. Pen
dant ce temps, la famille du défunt est soumise à une
foule d’interdictions religieuses et de pratiques rituelles,
qui sont un véritable supplice quand la période d’attente se
prolonge. C’est actuellement le cas pour la famille de
Béhanzin. Ce prince, mort en exil à Blida (Alger), il y a
LE HAUT DAHOMEY
225
vingt ans, n ’a jamais eu à Abomey les funérailles solen
nelles qu’exige son rang. Sa famille demande instamment
le retour de ses cendres, afin d’être délivrée de la tyrannie
rituelle de la tradition, et de recouvrer sa liberté. Les
veuves par exemple n’ont le droit de sortir de la case du
défunt et de se remarier qu’après les funérailles, les cou
tumes se sont conservées, au moins partiellement, dans
les sociétés musulmanes.
La succession d ’un chef comprend : i° ses biens person
nels; 2° les biens de sa charge.
Ceux-ci passent naturellement à l’héritier de sa charge
qui comporte souvent des fonctions de tuteur, donc des
biens dont il est comptable.
Les biens personnels passent à ses héritiers directs, qui
en sont saisis d’office, et sans pouvoir accepter ou refuser
la succession.
Les héritiers sont sur le môme pied que les enfants et
les frères du défunt. Les enfants héritent, mais les frères,
ou plutôt le frère aîné, chef de la collectivité, a un droitde
regard et de prise sur la succession, parce qu’il est respon
sable des dettes et charges du défunt, et parce que sa
parenté lui confère la tutelle des mineurs. 11 est difficile de
donner plus de précisions. La coutume ne pose qu’un
principe : l’application varie avec les cas d’espèce.
La représentation n’est pas admise chez les animistes,
mais elle tend à pénétrer dans les villages musulmans;
ainsi un individu, non-héritier par lui-même, n’est pas
admis formellement au partage comme représentant d’une
tierce personne décédée, dont il est l’ayant droit, mais on
lui fait tout de même, sous l'influence du droit coranique,
une certaine part.
Les héritiers naturels sont les enfants, qui se partagent
1a succession par parts égales entre garçons ; les filles ont
des parts variables qui vont du tiers au cinquième de la
part d’un garçon. Aucune coutume, même celle des Peul
226
É T U D E S SU R L'ISLA M
AU
DAHOM EY
nettem ent islamisés, n ’adm et l’égalité successorale des
sexes, chère à notre droit, ou la règle de la m o itié, pres
crite par le droit m usulm an.
A défauts d ’enfants, le partage s’opère p a r p arts égales
entre les frères germ ains du défunt.
Le mari n ’hérite pas de la fem m e, ni la fem m e du m ari.
On applique rigoureusem ent la règle P a le rn a p a te r n is .
materna m aternis. La femm e a sim p le m e n t u n d ro it de
reprise su r ses apports dotaux. T o u tefo is, ici encore, on
sent une légère influence de l’islam .
Chez les islamisés Dendi, C otocoli, et n o ta m m e n t chez
les Peul, il est adm is que la fem m e d o it re cev o ir quelque
chose su r la succession de son m ari. C ette p a rt est to u t à
fait indéterm inée et dépend de la v aleu r de l ’héritage, de
la bonne volonté des héritiers, etc. D isons, p o u r fixer les
idées, q u ’elle est du vingtièm e de la succession.
Chez les Peul par exem ple, on rem et à la veuve, à son
départ, un bœ uf, si le défunt était p au v re, 2 à 4 s ’il était
aisé; 5 à 10 s’il avait de beaux tro u p e a u x . E lle p o u rra
ainsi vivre à son aise, soit q u ’elle se re m a rie , et la chose
lui en sera facilitée, soit q u ’elle rentre au « gâ t> paternel.
11 faut signaler un cas spécial, d ’a u ta n t p lu s q u ’il est
assez courant dans les sociétés m u su lm a n es : celui d ’asso
ciations com m erciales entre les deux co n jo in ts. L ’époux
survivant retire ses apports personnels et la m oitié desgains
réalisés. 11 est responsable de la m oitié des dettes. Les hé
ritiers et la collectivité responsable p re n n e n t l’autre
moitié des biens et des charges.
11 n’y a pas de déshérence chez les fétichistes. Les seules
successions en déshérence sont celles des co lp o rteu rs et
m archands m u sulm ans qui trépassent au co u rs de leurs
pérégrinations. Jadis les chefs s’a p p ro p ria ie n t, p ar droit
d’aubaine, le contenu des ballots. A u jo u rd ’h u i nos textes
adm inistratifs règlent le cas.
Le testam ent est connu et adm is d an s tout le haut
*«• t
LE HAUT DAHOMEY
227
Dahomey, encore qu’il ne soit pas d’un usage courant.
Dans certains villages pourtant, le défunt, de son vivant ou
sur son lit de mort, distribue des legs à ses amis ou parents
ou favorise certains de ses enfants. Il ne le fait d’ailleurs
pas dans une mesure raisonnable. On ne cite pas de cas
d’exhérédation totale. Mais on ne voit pas non plus que les
testateurs, même musulmans, se croient liés par la règle
du tiers, prescrite par le droit coranique.
La répartition des legs est faite par les soins de l’exécu
teur testamentaire, désigné par le défunt, ou par ceux du
chef de la collectivité, qui se conforme aux volontés du de
eujus
Les avances d'hoirie ne font pas retour à la succession.
Les biens sont ici essentiellement tangibles et consommés
dès que livrés. 11 serait difficile d’en faire le rapport en
nature et encore moins par représentation, plusieurs annés après.
8“ L es contrats. — Il est impossible de vouloir traiter
ici, même superficiellement, la matière des contrats. Signa
lons simplement les grandes lignes de l’institution et ses
principaux rapports ou divergences avec le droit musul
man.
La convention lie les parties comme partout ailleurs,
mais ici, en vertu du principe de solidarité familiale ou de
responsabilité collective, elle lie aussi les tenants ou ayants
droit de chacune des deux parties. C’est ainsi que la dette
ou l’obligation de faire n ’est pas éteinte parce que le débi
teur est décédé, ou en fuite ou absent, ou défaillant de
quelque façon que ce soit. Tous ses tenants ou membres
de sa famille en sont responsables. Cette solidarité va si
loin, qu’en cas de décès du débiteur, son successeur,
dans l’ordre de priorité familiale, hérite de sa dette et en
devient personnellement responsable sur ses biens et sur
ses propres enfants, dégageant ainsi les enfants du défunt.
22.8
ÉTUDES SLR L'iSLAM AU DAHOMEY
La convention n’est éteinte que par l ’exécution intégrale
des engagements des parties. La partie défaillante peut se
mettre en gage, ou être mise en gage judiciairement, ou
mettre un des biens en gage, mais ce gage n ’entraîne pas
du tout la libération du débiteur dans un certain délai.
L’obligation reste identique à elle-même jusqu'à l’exécution
de la convention. Cette mise en gage est assez courante,
même sous notre administration. Le débiteur gagé l’est
d’ailleurs toujours volontairement et mène dans la famille
du créancier gagiste une vie très douce de serviteur et de
client. Les femmes gagées se marient souvent avec le chef
de famille, ou avec un de ses enfants, ou avec un serviteur,
qui se trouve dans leur cas, et par la suite ne veulent plus
abandonner leur nouvelle famille.
La coutume n’a guère prévu la saisie des biens, en cas
de refus d’exécution de la convention : les biens avaient
si peu de valeur jusqu’à présent. D’ailleurs, en cas de saisie,
tout ce qui en faisait l'objet, récoltes, pagnes, etc., étaient
accaparés par les agents des chefs, chargés de l’opération,
et le créancier ne percevait à peu près rien.
La prescription n’existe pas en droit, et il est toujours
loisible à un créancier de réclamer le m ontant de sa dette
ou le prix du sang. Pratiquement elle est entrée dans les
mœurs par le fait que la créance doit être établie, qu’elle
ne peut l’être que par témoignages et enfin que ces témoi
gnages sont, au bout de très peu de temps, rendus impos
sibles par la disparition des témoins. On n’oubliera pas, en
effet, que le rôle de témoin est joué par les notables chenus
et respectés, et que 10 ou 15 ans après la formation d'un
contrat, il y a bien des chances pour que les témoins en
aient disparu.
La vente se présente généralement sous la forme du troc.
Cependant la monnaie indigène, les cauris et la monnaie
française ont cours partout ; et dans les villes, la multipli
cité des échanges en nécessite l’emploi.
LE HAUT DAHOMEY
Î29
Le prêt est d’un usage général : prêt sur gage, prêt à in
térêts, etc. L’islam n’a rien pu contre cette institution, re
niée par lui, au moins officiellement, mais très utilisée
par la coutume. Les prêts sont à la semaine ou au mois,
et entraînent des intérêts considérables, 1 à2»/<,à la semaine
5 à 10 % au mois. Le prêteur s’entoure de garanties, outre
celles que lui offre la coutume sur la personne et la fa
mille de l’emprunteur. 11 exige souvent une caution riche
ou honorable et ses droits sur elle deviennent alors identi
ques à ceux qu'il a sur le débiteur. Musulmans commer
çants, où fétichistes cultivateurs utilisent également ces
sortes de contrats.
La location est courante, qu’il s’agisse de locations d'im
meubles d’habitation, bien connues dans les centres ur
bains, ou de locations rurales, fréquentes chez les popula
tions agricoles, ou de locations d’animaux.
Le contrat de location d’animaux, fréquent entre Peul
musulmans et animistes cultivateurs, se présente sous une
forme spéciale. Le but recherché n’est pas le transport ou
le trait, c’est le fumier. Dans nombre de villages bariba,
dompago, pila-pila, etc., le développement intensif des cul
tures amène un appauvrissement du sol considérable. Faute
d’autres engrais, on se rabat sur le fumier des troupeaux,
et comme les Peul sont les seuls à en avoir d’importants,
on passe contrat avec eux, pour qu’ils les conduisent plu
sieurs nuits de suite ou même un mois (lunaire) tout entier
sur les champs de l’intéressé. La rémunération consiste en
versement de produits agricoles :mil,ignames, légumes,etc.
Rarement d’argent.
Le louage de services est courant. On le trouve surtout
à l’intérieur des villages animistes agricoles. Mais l’insti
tution a débordé ce milieu, et les musulmans qui se détour
nent ici de la culture de la terre, font souvent appel à des
serviteurs animistes pour mettre leurs champs en valeur.
Ces conventions ont une conséquence inattendue. Le ser-
î
ÉT UD ES SLR L'iSLA M A U
3o
DAHOM EY
viteur s’installa dans la soukala de son m aître, s’y marie,
y fait souche, et c’est souvent une recrue pour l’islam . C’est
ainsique nombre de Dompago, Pila-Pila, Séméré, Bariba ont
été attirésàla religion du Prophète. Bien superficiellem ent,
de toute évidence, au moins à la première génération.
Les locations de cheptel sont assez fréquentes dans les
centres. C’est surtout un contrat entre m usulm ans. Lescom
merçants des villes généralem ent m usulm ans, m ais aussi
quelquefois les grands chefs fétichistes, désireux de possé
der un troupeau, se le constituent par achats successifs et
le confient à des bergers peul. Ceux-ci les soignent avec leur
affection accoutumée pour le bétail. Le troupeau et son croit
sont la propriété du bailleur. Le berger a pour sa rém uné
ration les produits naturels : lait, poils, laine et fum ier ; et
aussi des cadeaux. La transform ation du troupeau initial
avec le temps et la mauvaise foi des bergers peul. entraî
nent souvent des litiges en cette matière.
Ajoutons que le Peul est toujours responsable des dégâts
que causent ses troupeaux, à lui propres ou en gardien
nage, dans les champs des cultivateurs voisins. Et la chose
est courante.
La forme des contrats est purem ent verbale chez les ani
mistes, qui sont illettrés, et même chez les m usulm ans qui
ne le sont généralement guère moins. Cependant, il arrive
souvent, surtout dans les centres, que les com m erçants
musulmans, surtout quandétant étrangers (Haoussa, Nago,
Achanti) ils sentent le besoin de se protéger contre une
ambiance plus ou moins xénophobe, il arrive souvent q u ’ils
établissent leurs contrats par écrit, en arabe, soit entre eux,
soit avec les autochtones.-A vrai dire, ce contrat, établi par
une seule des parties et sans signatures, n’a aucune valeur ;
toutefois, le respect de l’indigène pour l’écrit est tel q u ’il ne
nie jamais la preuve produite sur le papier.
9’
L a
propriété .
— Si la conception de la propriété
LE HAUT DAHOMEY
23 1
mobilière ne diffère guère, dans le haut Dahomey, de la
nôtre ou de celle du droit musulman, la conception de la
propriété immobilière en revanche est d’origine nettement
raditionaliste et se sépare complètement de l’esprit des
droits écrits. Mais, on le verra, elle aussi, comme les autres
institutions, est en marche.
On entend par immeubles les cases d’habitation et les
champs.
Des cases il y a peu de choses à dire: elles n’ont guère
de valeur, même aux yeux des indigènes, et sont facilement
abandonnées. D’ailleurs, la crainte des génies locaux et des
lares familiaux, empêcherait toute intrusion ou occupation
arbitraire de case, même dans les sociétés musulmanes.
Les champs au contraire constituent la vraie richesse
immobilière des indigènes, mais sur ce point l’islam n’a
pas pu faire sentir son influence, car les populations musul
manes sont, ou pastorales, comme les Peul, à qui les cul
tures font en quelque sorte horreur, ou commerçantes, tels les
Haoussa en totalité, les Dendi ou Cotocoli partiellement, et
elles ne se livrent aux travaux agricoles que dans le strict
minimum deleurs besoins. Et encore, n’est-ce pas toujours
exact.
Ce sont donc les animistes: Pila-Pila, Bariba, Dompago,
Tannéka, Séméré, qui sont essentiellement agricoles, et
leurs conceptions originelles de la propriété immobilière
sont restées à l’abri des atteintes du droit islamique. Elles
se réduisent aux principes suivants, qui d’ailleurs se modifient
journellement sous l’influence française :
a) La terre appartient à un chef traditionnel, représen
tant d'une famille ou d’un clan. C’est lui qui doit en faire
la répartition. Toutefois, depuis quelques années, le chef
administratif, responsable de l'ordre, de la sécurité, de l’es
sor économique, du paiement des impôts dans le village,
tend de plus en plus à se substituer à l’antique « makre de
la terre ». En tout cas, ses dires sont toujours écoutés.
2 Î2
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
Z>) La prise de possession du champ est acquise par une
cérémonie rituelle : sacrifice au fétiche ou aux génies du
lieu, enterrement d’un gri-gri ou d ’une am ulette, etc. ; très
souvent les rites mêlés de l’islam etdu fétichisme sont con
fondus. C’est plussûr. D’ailleurs, ces pratiques religieuses
ont d’autres heureux effets : elles assurent l’heureux déve
loppement de la récolte, elles la protègent contre les oiseaux
rapaces, contre les singes, contre les voleurs.
c) Le droit essentiel de l’occupant est la jouissance de la
récolte, due à ses soins. Il n’a pas d’autre droit. C’estainsi
que les produits naturels du sol (bois, fruits, écorce, etc.)
appartiennent au propriétaire du terrain. C’est ainsi encore
que le droit de chasse est absolument distinct du droit de
culture, et que le gibier appartient au propriétaire du droit
de chasse, et non à l’usufruitier du fonds.
rf) Le fonds, accordé à l’usufruitier, rentre chaque
année, en principe, dans la masse rurale collective, ou du
moins, est censé y rentrer, car il reste souvent dans les
mains de l’occupant. Notre présence amène une certaine
révolution à ce point de vue. Ce principe paraît s’estomper:
les occupants gardent toute leur vie le même terrain, et, à
leur mort, il passe à leurs héritiers, comme un bien meuble.
Le droit de propriété immobilière, le « dom inium » est
manifestement en voie de formation chez ces tribus.
L’islam n’y est pour rien. Dans certaines d ’entre elles, les
fétichistes notamment, tels les Dompago, fervents cultiva
teurs, qui utilisent les moindres coins de terre arabe de leurs
collines, et qu’on pourrait comparer aux Kabyles, la répar
tition définitive des terrains, leur délimitation, leurappropriation, sont choses acquises aujourd’hui. La situation
était prête à notre arrivée: il n’y m anquait que la sécurité
publique pour asseoir l’état de choses nouveau. Vingt ans
de notre domination ont mis fin à cette précarité qui empê
chait toujours le droit de propriété d’arriver à son aboutis
sement normal. Aujourd’hui la chose est faite, et chacun
LE H AUT DAHOMEY
233
se considère comme maître chez lui. Il vend, il loue, il
cède à titre onéreux ou gratuit, ses terrains. Il en dispose
par testament. Il en hérite ab intestat. Le droit coutumier
de ces peuples a rattrapé notre droit. Les autres y mettront
plus de temps, mais ils y arriveront aussi.
La sécurité que notre occupation a engendrée dans le
pays,a donné aux cultures un développement considérable.
Tel qu’il n’osait pas dépasser jadis l’enceinte du village, de
peur d’ètre enlevé, ou qui, tout au plus, faisait quelques
cultures dans le champ visuel de sa case, dans la bordure
extérieure du village, ne craint pas aujourd’hui d’aller cul
tiver à io, i5 et même 20 kilomètres. Des hameaux de
culture se créent tous les jours qui, avec le temps, devien
nent de nouveaux villages. Cette extension rapide de l’aire
cultivable a eu pour singulier effet d'abaisser considérable
ment la valeur de la terre. Jadis on se disputait les lopins
de terre attenant au village. Aujourd’hui si ceux-ci sont
toujours plus appréciésà cause du grand principedu moindre
effort, si cher aux noirs, on ne se dispute pas toutefois
pour les occuper, et l’on va défricher un morceau de brousse
voisin.
10” Coutumes pénales. — 11 y a peu de choses à dire
sur la coutume pénale des indigènes du haut Dahomey.
Avant, comme depuis notre occupation, elle n’a rien de
spécifiquement islamique, et cette matière, plus que tout
autre, était laissée à l’arbitraire des rois et des chefs.
On fera seulement les remarques suivantes, qui rentrent
plus directement dans notre domaine.
Le principe de la compensation est un principe général
dans le droit coutumier indigène, tant au point de vue
civil, qu’au point de vue pénal. Toute partie lésée a tou
jours le droit de s’entendre avec le délinquant et de mettre
fin à son affaire, en acceptant des réparations civiles. Le
roi ou chef lui-même, dans l’exercice de l’action publique.
234
ÉTUDES SU R L’ iSLAM AU DAHOMEY
a les mêmes droits que l’action privée. Son droit est supé
rieur à tous les autres et il peut imposer ce rachat de l’in
fraction .même à l’action privée.
Le principe de la responsabilité collective est général
dans toutes ces sociétés. La famille ou la collectivité sont
responsables de tout délit, commis par un de leurs membresdéfaillant ; mais, il est curieux de constater que cette
responsabilité, dans les délits portant dommage à des par
ticuliers ou à des groupements, est purement civile. C’est
une simple obligation de compensation, un devoir de
réparer le mal, fait par le membre défaillant. Cette obliga
tion peut d'ailleurs s’accompagner de sanctions pénales, si
les parents responsables refusent de l'acquitter de leur plein
gré. Quand le délit est commis envers l’État, la responsa
bilité du groupement familial ou collectif s’aggrave d ’un
caractère pénal. Dans ce cas, le groupement est tenu pour
solidaire du coupable, non seulement sur le chapitre des
réparations civiles, mais encore pour les pénalités à subir,
et ce châtiment va souvent jusqu’à l'amende collective, à la
destruction des cultures et même à l’emprisonnem ent des
chefs et à la dispersion du groupement.
Les peines frappaient l’individu dans ses biens, dans sa
liberté ou dans son corps.
Dans ses biens, c’étaient l’amende primitive ou collec
tive, la destruction de sa case ou de ses champs, les répara
tions civiles. L’amende était généralement prononcée par
le chef pour lui-même, mais quelquefois pour une œuvre
d’intérêt général : mosquée, entretien des pauvres, féti
ches, etc.
Les peines privatives de liberté étaient la mise en capti
vité, temporelle ou perpétuelle, qui correspond à peu près
chez nous à l’emprisonnement, mais se pratiquaient dans
des conditions différentes. Le captif était logé dans la
demeure du roi ou de l’individu lésé et était employé à son
service, non sans brutalité, et sévices de toutes sortes. 11
235
LE HAUT DAHOMEY
n’était remis en liberté que contre rachat, et le plus sou
vent sur l’intervention de personnages puissants dont par
la suite, il restait le « client ». Souvent même, la vente du
captif était prononcée par le roi ; et le prisonnier, s’il n’avait
pas su se dérober, par la suite, à ce triste sort, était dirigé
sur les marchés d’esclaves de Sokoto (Nigéria), de Savé et
de Savalou (Dahomey), de Sokodé (Togo). C’était en
quelquesorte l’exil, le bannissement, l’interdiction deséjour
de l’indésirable.
Les peines corporelles consistaient en : t° la mise au fer
avec privation presque complète de nourriture ; 2°la baston
nade ou la flagellation surledosetlesfesses,lepatientayantétô
attaché ventreà terre ;3’Ia mutilation qui consistait en l'abla
tion de l’une ou de deux oreilles, pour les femmes adultères
du roi, soit en l’ablation d’un ou de deux poignets pour les pri
sonniers de guerre quel’on ne voulait pas conserver. L’abla
tion du poignet, peineordinairedu voleurrécidivisteen pays
musulman, n’était que peu usitée ; 40 la peine de mort
prononcée par le roi seulement. Elle était exécutée sous forme
de fusillade ou de lapidation, plus rarement par décollation.
Quelquefois aussi, le coupable était livré à la fureur des
victimes.
Le cadavre est abandonné ou exposé dans un champ
voisin. La tête servira plus tard, de fétiche ou de gri-gri.
La mâchoire inférieure est réservée aux tam-tam du roi. La
direction de ces supplices était réservée au bourreau officiel
du roi « l’anakoma » (Dendi), ou « farou » (Pila-Pila).
Les circonstances atténuantes étaient connues. On peut
citer par exemple, la jeunesse du coupable, la provocation,
l’adultère du conjoint, et même, ce qui est remarquable,
au moins chez les musulmans, l’ivresse. L’individu en état
d’ivresse est considéré comme dément et non responsable
de ses actes, il n’est tenu qu’à des réparations civiles en
vers (a partie lésée, quelle que soit la cause et la nature de
son ivresse. 11 est difficile de suivre les indigènes dans cette
16
2ÎÔ
ÉTUD ES SUR
l ' is l a m
AU DAHOMEY
voie, car on sait qu’ils recherchent un stim ulant dans l’al
cool, quand ils ont projeté quelque grave délit.
La complicité est punie des mêmes peines que l’infrac
tion principale. Ce terme de complicité est pris, d’ailleurs,
dans l’acception la plus large, et comprend jusqu’aux faux
témoignages et même jusqu’au refus de délation.
12"L a procédure. —‘Le pouvoir politique et le pouvoir
judiciaire sont intimement liés. Les chefs, en leurs divers
degrés, étaient aussi des juges, et l’on en appelait judiciai
rement du chef du village au chef de province, et de celuici au roi. Nous avons m aintenu ce principe traditionnel de
la confusion des pouvoirs en mettant la plupart à la tète des
tribunaux.
La plénitude du pouvoir judiciaire résidait dans le roi,
tant au point de vue civil q u ’au point de vue pénal.
La procédure est réduite à sa plus simple expression.
Le plaignant se présente sans façon devant le juge, et lui
expose sa requête; il est souvent accompagné d ’une sorte
de conseiller, qui confirme ses dires, se porte garant de sa
moralité, le soutient et l’encourage, pendant l’exposé de sa
réclamation. C’est le « batala », dont le rôle n'est pas inu
tile et qui, de notre consentement tacite, s’est maintenu
devant nos tribunaux.
La preuve est faite par l’aveu, par le témoignage, et par
les pratiques du fétichisme. Parmi celles-ci il faut compter,
même chez les musulmans, les indications et désignations
données par le cadavre, tandis qu’on le transporte à sa der
nière demeure, et transmises consciemment ou incons
ciemment par ses porteurs.
En matière pénale, les supplices venaient hâter l’aveu du
délit; ils n’étaient pas extrêmement cruels et consistaient
en bastonnades plus ou moins prolongées, et en suppres
sion de nourriture ou de liberté (mise aux fers). Ces pro
cédés ont aujourd’hui pris fin.
LE HAUT DAHOMEY
23?
Le jugement, rendu public par le crieur du roi, était
immédiatement exécutoire. En matière pénale, les « crikous » du roi appliquaient séance tenante, armés de leurs
martinets, la peine de la flagellation. Le bourreau du roi,
« l’anakoma » était requis, quand la peine de mort était
prononcée et faisait son œuvre sans tarder.
En matière civile, la contrainte par corps s’exerçait à
l’égard de la partie perdante jusqu’à l’exécution volontaire
du jugement. Cette séquestration du débiteur s’étendait, en
cas de fuite, à un membre de sa famille. C’était une sorte
de captivité judiciaire, subie chez le chef ou chez la partie
gagnante, beaucoup plus qu’un emprisonnement.
Aujourd’hui, et conformément à la charte judiciaire de
l'A. O. F. (décret du 16 août 1912), la justice est distribuée
dans les territoires du haut Dahomey, en première ins
tance par les tribunaux de subdivision ci-après, et en appel,
par les tribunaux de cercle leur correspondant.
Tribunaux
de subdivision.
Djougou
Séméré
Natitingou
Kouandé
Tanguiéta
Boukombe
Parakou
N’ikki
Bintbéréké
Kandi
Guéné
Tribunaux de cercle.
de Djougou, à Djougou.
de l’Atacora, à Nalitingou.
du Borgou, à Parakou.
du moyen Niger, à Kandi.
Dans chacun de ces tribunaux, l’élément musulman est
représenté par un ou plusieurs assesseurs de cette catégo
rie ethnique et religieuse.
C H A P IT R E V
Les in stitu tio n s sociales.
i° L a. société . — Dans cette sorte de féodalité, où vivent
les peuplades du haut Dahomey, il faut distinguer le dynaste ou roi, le maître de la terre, la cour, les hommes
libres-, les captifs.
Le roi était de droit le chef des bandes qui partaient pé
riodiquement au pillage. Son seul titre était vraiment
d'être « un soldat heureux ». 11 rendait la justice, veillait à
la sécurité intérieure de son peuple, et faisait élever et ré
parer les fortifications des villages qui en certains endroits,
comme à Ouangara-Kilir, avaient 8 kilomètres de dévelop
pement, et qui en d’autres points, comme chez les Tannéka (Djougou), qui avaient à se défendre contre les Bariba de Birni, mesuraient jusqu’à trois lignes de murs en
pierres sèches. Son trésor se composait de droits de mar
ché, de dîmes, de tributs de villages vassaux. A peu près
partout les dynastes sont choisis exclusivement dans une
seule famille, mais toutes les branches de la famille, aînée
et cadettes, formées lorsdela première génération, sontappelées successivement au pouvoir.
Cette curieuse institution du maître de la terre, q u ’on
rencontre à peu près partout en Afrique Occidentale, existe
aussi dans le haut Dahomey. A côté du chef politique, il y
LE HAUT DAHOMEY
23g
a un chef territorial, qui est dit le maître du sol ou de la
terre. Il n’v avait nullement entre eux conflits d’attribu
tions : ils sont indépendants l’un de l’autre. On connaît
les droits et pouvoirs du roi ou chef politique. Ceux du
maître du sol consistent en un droit d’administration de
la terre, doublé de fonctions sacerdotales. 11 est sans doute
le dernier vestige d’un état disparu, le représentant des au
tochtones, ou des premiers occupants, à qui appartint la
terre, dès le premier jour, et qui passèrent contrat avec les
génies du lieu. Il a pour fonctions principales la surveil
lance et la répartition des terrains de culture entre les fa
milles. Les dynasties passent, les chefs politiques sont
renversés, des invasions nouvelles surviennent, le maître
du sol est toujours le même.
Brimé, pillé, maltraité souvent de toutes façons par les
nouveaux maîtres politiques, c’est à lui que ceux-ci auront
tout de même recours quand il s’agira de procéder au par
tage des terrains.
L’islam n’a absolument rien changé à ces traditions,
qui ne s’accordent guère avec son esprit. La tradition est
la plus forte.
En certains pays, le maître du sol avait, théoriquement
au moins, le pouvoir, sous certaines réserves, de désigner
le successeur du roi défunt; et même le nouveau roi devait
rester enfermé quelques jours dans le tata du maître du sol
pour s’initier à ses devoirs et à ses attributions secrètes.
L’autorité française avait, dans le haut Dahomey, été
frappée dès le début, par cette institution qui lui avait
échappé en d ’autres colonies, et c'est pourquoi nous voyons,
en 1897, un traité avec le chef de Sasserou, maître de la
terre de Djougou suivre immédiatement le traité avec le
roi du pays.
La cour du roi est composée d’abord par les innom
brables princes, engendrés par une polygamie abondante
et un concubinage sans limites, que la législation de
240
ÉTUDES SUR L ’ISLAM AU DAHOMEY
l'islam, pourtant bien large, n ’a pu endiguer ; ensuite par
les chefs de bande, les notables, les patres fa m ilia s, con
seillers plus ou moins fidèles, plus ou moins dociles du dynaste. Avec l’islam, un nouvel élément apparaît à la cour :
le marabout, qui devient vite le chapelain officieux du roi,
même quand celui-ci n ’est pas m usulman. 11 prie pour
lui et lui concilie les faveurs d’Allah, ce qui, dans ledoute,
n’est pas à dédaigner. Il lui écrit ses amulettes, délivre des
talismans, conjure les maléfices, bref met la science écrite
et le prestige de l’Islam à la disposition de chefs aussi
émerveillés que craintifs.
La foule des hommes libres, guerriers, cultivateurs,
commerçants constituent le peuple, le seul dont il puisse
être question. Les femmes libres jouissent d'une très
grande liberté et ont même, en certains points, une hié
rarchie et des institutions particulières.
Les captifs sont, comme partout, divisés en deux caté
gories : les captifs de traite, bétail hum ain provenant des
guerres ou des razzias et qui ont complètement disparu de
puis notre occupation ; les captifs de case, employés aux
travaux des champs et au service domestique, à côté de
leurs maîtres, se mariant, se reproduisant, quelquefois li
bérés, toujours heureux, et n ’aspirant pas à changer de
condition. Ceux-là subsistent toujours en certains endroits,
malgré nos règlements, et ce n’est pas le fait de ne plus
voir en eux que des « serviteurs », qui a transform é la si
tuation. La coutume et l'islam ont été ici les plus forts.
Notre réglementation n’est tout de même pas inutile, car
maîtres et captifs savent que ces derniers sont libres à nos
yeux, et cette connaissance a pour heureux résultat pour
les premiers : de les contraindre à traiter avec plus de bien
veillance encore leurs « serviteurs », s’ils veulent les garder ;
pour ceux d’entre les seconds que leur émancipation mo
rale et leur activité ont acheminé vers la liberté, de venir la
faire consacrer officiellement au poste. Le cas n’est pas rare.
P l . X , d. — G i-G la , ro i d ’A lla d a .
P l . X , b . — T y p e s bariba.
A droite, le chef du village de Donza
LE HAUT DAHOMEY
241
2. P olygamie et polyandrie. — La polygamie illi
mitée est la règle des sociétés indigènes du haut Dahomey,
tant musulmanes que fétichistes. Atakora,chef de Djougou,
a 75 femmes; les chefs bariba de Nikki et de Kandi en ont
25 à 3o ; plusieurs chefs peul traînent dans leurs campe
ments un sérail d’une dizaine de femmes. Le nombre de
femmes est proportionné aux ressources de l’homme, et
même leur est quelquefois supérieur, car l’homme tire va
nité de la richesse de son harem, signe sensible de sa haute
position sociale.
Cette abondante polygamie n’entrave pas le fonctionne
ment des ménages ordinaires, d'abord parce qu’elle n ’est le
fait que d'une infime minorité ; ensuite parce qu’il n’y a
pas de femmes qui ne soient en possession d’homme. Il
n’est, pour ainsi dire, pas permis à une femme de vivre en
dehors du mariage.
Veuve, elle est prise automatiquement par le frère ou un
parent de son mari. Divorcée, elle convole immédiatement
avec un amoureux secret. Cette institution engendreen re
vanche une floraison d’adultères inimaginable. Les mœurs
sont faciles ici ; la férocité de l’Orient est inconnue des
peuples noirs, même musulmans. Aussi par la complicité
des co-épouses et souvent même du mari, il n ’est pas de
femme dans un mariage polygame, qui n’ait son ami, hors
du tata conjugal.
Chez les fétichistes, comme dans le droit musulman,
l’union libre ou concubinage est une institution, en quelque
sorte légale, réglementée jusqu’à un certain point, et ad
mise par la société, quoiqu’avec une défaveur marquée.
Les Bariba la nomment avec un rare bonheur d’expression
« l’ombre » (donsano). Elle se produit parla vieen commun
d’un homme et d’une femme, sans la célébration des for
malités du mariage et surtout sans le paiement d’une dot.
Le type le plus commun du concubinage est l’union d’un
maître et de sa captive, ou l’union d’un couple de condition
242
ÉTUD ES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
servile. On ne connaissait même que celui-là jadis. Au
jourd'hui où par notre seule présence, sinon par nos
théories étrangement humanitaires et individualistes, nous
jetons la perturbation dans la société noire, le ressort fa
milial se détend de jour en jour, les filles échappentà leurs
parents, les servantes à leurs maîtres, les femmes à leurs
maris. Nous n’entravons pas, souvent même nous provo
quons les faits ; en tout cas, nous empêchons les chefs de
groupe et les chefs de famille de les réprim er avec l’auto
rité voulue. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le concubi
nage, sous sa deuxième forme, c ’est-à-dire sous l’aspect
d’une union passagère se soit développé, surtout dans les
grands centres (Kouandé, Djougou, Bassila, Parakou,
Nikki, Kandi), avec une rapidité inquiétante. On verra plus
bas que le caractère provisoire de ces unions se réduit à
des proportions tellement infimes q u ’il ne peut plus s’agir,
dès lors, d’institutions sociales, mais sim plem ent de pros
titution. En tout cas, la natalité n’a rien gagné à cette trans
formation des mœurs.
Les enfants, nés d’une union libre, suivent le même sort
que les enfants légitimes. Ils appartiennent au père, que la
mère soit ou non sa captive. C’est donc à lui q u ’incombe
la charge de leur entretien.
La polyandrie existait et en somme existe encore, dans
le haut et moyen Dahomey, mais sous certaines formes et
conditions. Elle est strictement réservée aux princesses de
sang royal et de grandes familles, et limitée aux sociétés
fétichistes: dahoméennes d’Allada et d ’Abomey ; dendi et
pila-pila de Djougou ; bariba deNikki et de Kandi. La prin
cesse, mariée officiellement, a le droit d ’avoir tous les
amis qu’elle veut. Les enfants appartiennent au père légal.
Si elle n ’est pas mariée, sa liberté est encore plus grande,
et les enfants sont alors la propriété du prince régnant. 11
ne faut pas s’étonner que les enceintes royales, renommées
jadis pour la facilité de leurs mœurs, soient devenues de
LE HAUT DAHOMEY
véritables lupanars et qu’avec le temps, et le relâchement
de l’autorité royale et familiale, signalée plus haut, la
prostitution ait fait des progrès affligeants. Des hautes
classes elle descend aux couches inférieures et tous les
centres urbains, énumérés plus haut, renferment mainte
nant des « maisons » et même des quartiers entiers « d’il
lusion ».
Notre responsabilité est incontestable, car l’institution
fleurit dans les régions, où se fait sentir directement notre
autorité, au détriment de l’autorité traditionnelle, tandis
que dans les tribus éloignées, chez les Tannéka, les Dontpago, les Cabrais, soustraites à notre influence immédiate,
les mœurs, sauvegardées par des traditions plus rigides,
sont beaucoup plus pures.
L’enfant, né de ce commerce passager, est attribué à la
mère et à sa famille. Mais les enfants sont plutôt rares
dans ces sortes d ’unions ; les produits les moins contes
tables en sont une diminution considérable de la natalité,
et une extension inquiétante et incurable des maladies vé
nériennes.
3“ C roisement de races. — Le phénomène du croise
ment des races conquérantes et immigrantes et des
races autochtones et conquises s'est produit ici comme
dans tous les pays noirs. 11 est d ’autant plus abondant
qu’on s’éloigne du point de départ des conquérants. C’est
ainsi que dans le cœur etsur les frontières des pays bariba,
il y a peu ou point d’unions mixtes. Les mœurs, la langue,
lgs institutions bariba sont donc intactes. Au delà de
Djougou, les conquérants de cette race, en minorité, se
sont alliés en grand nombre aux Pila-Pila, etc., autoch
tones, aux Dendi immigrants, aux Gourmantché, descendus
du Nord, et contribuent ainsi à former une race métisse,
où on ne distingue plus l’apport bariba.
L’islam a toujours gain de cause dans ces sortes d’unions.
2-44
ÉTUD ES SUR
l ’ is l a m
AU DAHOM EY
car sa solide contexture défie les atteintes d ’un fétichisme
qui d’ailleurs, loin d’attaquer, ne se défend même pas.
En dehors de ces croisements de conquête, il faut si
gnaler ceux, chaque jour plus nom breux, qui s’opèrent
dans les marches-frontières, dans la zone de dégradation
de deux ou plusieurs races. Le phénom ène est général
et aucun peuple ne paraît être, de par ses origines, ses
mœurs ou sa religion, un objet de m épris de la part de ses
voisins. Les enfants suivent, dans ce cas, la condition du
père. Leur statut familial est intact, mais leur statut social
et politique souffre quelque peu de leur naissance métisse.
Ils sont, aux yeux de leurs concitoyens d ’origine pure,
des « fils d’étrangers » (en dendi, « à barayo »), nous di
rions des « métèques », et ils ne sauraient concourir pour
un commandement im portant.
Les Peul, plus fermés, tant à cause de leur religion m u
sulmane que de leur mentalité ethnique, subissent malgré
tout ces tranformations. La coutume peul, dit Marcel
Feuille, en son état primitif plus formelle, interdisait tout
croisement de race et ne reconnaissait com m e régulière
ment valable que le mariage entre Peul de condition libre.
Tout croisement de race, toute différence de condition en
traînait la non-existence du mariage, qui se résolvait en
simple concubinage. Mais, en pratique, la longue station
que les groupements peul ont faite ont des points très cir
conscrits, les ont insensiblement rapprochés des races au
tochtones, et, leur petit nom bre aidant, il en est résulté
d’assez fréquents croisements. Les enfants qui en sont nés
ont suivi la condition des parents, toujours sous la réserve
de l’exclusion de la direction du groupement.
4° L e nom. — L’onomastique hum aine est réduite ici à sa
plus simple expression. Elle se modèle sur la coutum e nigé
rienne du Nord, haoussa par exemple, plus que sur la tradi
tion soudanaise : pas de noms patronym iques. Un simple
24 5
LE HAUT DAHOMEY
prénom qui, vu la pauvreté du calendrier, a besoin d’être ac
compagné d ’un surnom . Ce surnom, emprunté aux circon
stances de la premièreenfance, remplace souvent le prénom.
Ce prénom, ou plus exactement ce nom ou premier nom,
donné à l’enfant par ses parents, s'inspire généralement
des circonstances qui ont accompagné sa naissance ou du
rang qu’il occupe dans la succession de progéniture.
Chez les Bariba et les Pila-Pila, les noms suivants sont
obligatoirement donnés aux enfants dans l’ordre de pro
géniture :
Pour les garçons : i° Ouorou, 20 Chabi, 3° Biao, 4" Boni,
5" Sani, 6" Koda, 70 Tori.
Pour les filles : t° Gnon, 2“ Bona, 3° Baké, 4“ Bougnou,
5° Goni, 6° Narhi.
A ces noms viennent s’ajouter une série de surnoms, qui
varient avec les époques de la vie de l’individu. Ces sur
noms, les indigènes les adoptent, ou leurs contemporains
les leur donnent ou le fétiche les leur impose.
Le plus souvent les surnoms changent au moment du
mariage, de la naissance d’un enfant, de la mort d’un pa
rent, à mesure que l’individu vieillit.
Chez les Dendi, où l’influence de l’islam est sensible, le
premier nom donné à l’enfant est celui du jour de sa nais
sance. La règle est souvent modifiée par la volonté du fé
tiche, intervention assez curieuse puisqu’il s’agit de noms
de provenance arabico-islamiques. Ces appellations sont
reproduites dans le tableau suivant :
J o u rs
N om s d e g arçon s
L u n d i .................
M a r d i ................. T a ra ta
M e r c r e d i. . . . L a rb a
J e u d i..................... L a m is s i
A lté n é
T a h a ta
V e n d r e d i. . . .. A z o u m a n
S a m e d i................. A s s ib i
D im a n c h e . . . L àh âd i
Z ou m arou
S ib iri
S o u lé o u S o u m a n o u
L a ro u a
L a m issi
N o m s d e fille s
T é n ê ou T éni
T éh a
Larba
L am i
A rzou m a
S a h a n ê o u A ss ib i
L ab ad i
946
ÉTUDES SU R L’iSLAM AU DAHOMEY
Les Pila-Pila, quoique uniquem ent anim istes, tendent
eux aussi à adopter cette coutume.
Quand il s’agit de jumeaux : a) si ce sont des garçons,
le premier est appelé Sounon, le deuxième P ao; £>) si c'est
une fille et un garçon, celui-ci est appelé Pao et la fille Assana ; c)’ si ce sont deux filles, la première est appelée
Marhi et la deuxième Gado.
Chez les Bariba, quand des enfants sont jum eaux, on
ajoute « Sica » à leurs noms respectifs et l’enfant, né après
des jumeaux, s’appelle obligatoirem ent « Gado ». Egale
ment en pays Bariba, les jumelles « Sica » sont destinées
à être unies au roi.
Chez les musulmans, les noms les plus com m uns ont
été empruntés au vocabulaire onomastique des Haoussa.
On y trouve des Marna, ou M ahamma au moins pour
les 7/10, des Aliou, des ldrissi, des Oum arou, des Bouharinta, des Tahirou, des Baba,-des Halidou, (Lhaled), des
Salifou, des Abou, Bakari, des Assouma, des Soule’iman,
des Se'ibou (Choaïb), des Abdoullaye, des Moussa, pour les
hommes ; des Mariama, des Aissatou, des Fatim atou, des
Lalla, des Zara (Zohra) pour les femmes. Les autres noms
islamiques sont peu employés.
11 ne parait pas y avoir d ’appellations spéciales à la salu
tation, sauf pour ceux qui ont un titre de cléricature : on
appelle respectivement un imam de mosquée, un docteur
ou un professeur d ’école coranique, soit en leur adressant
la parole, soit en parlant d’eux : Limamou X, Sirki X,
Alfa X.
Les captifs, affranchis par leurs maîtres m usulm ans, re
çoivent généralement un nom, tiré du calendrier islamique
au moment de leur affranchissement. C’est celui du maître
libérateur ou celui d’un de ses enfants ou parents, ou celui
du marabout voisin.
Il n’y a pas d’état civil bien entendu, mais les indigènes
sont beaucoup moins ignorants sur ce chapitre qu’on ne
LE HAUT DAHOMEY
247
le croirait. Ils marquent les grandes étapes du temps par
les principaux événements connus de tous : l’année de telle
guerre, de telle famine, de telle maladie, l’année de l’ar
rivée des Européens, l’année de la construction du chemin
de fer. Les Peul usent de la succession des faits pastoraux :
l’année où les troupeaux furent dans tel état, eurent telle
maladie, furent conduits dans tels pâturages ; à l’aide de
cette computation primitive, ils arrivent très bien à établir
la chronologie de deux ou trois générations, et à y asseoir
leur état civil.
5°L’habitation. — L’indigènedu haut Dahomey, musul
man ou fétichiste, habite la case de chaume, du type rond
classique. Seules, quelques cases, appartenant à des étran
gers, soitSoudanais (Bambara, Mandé), soit Nigériens (sur
tout Yorouba), rappellent la forme rectangulaire de leur
pays. Cette mode a rencontré quelques imitateurs chez les
Bariba.
Quelques éléments influent sur la grandeur et le confort
de ces cases. C’est ainsi que dans la région des Tannéka,
et plus particulièrement au sommet des Karoum, où
l’eau, les bois de charpente sont également rares et l’espace
exigu, les murs sont contruits mi-partie terre de barre et
mi-partie pierre. Les plus belles de ces cases ne dépassent
pas 2 mètres à 2 m. 5o de diamètre, et il en est où un
homme, en se couchant, ne peuts’allonger de toute sa taille
(Feuille)?
L’épaisseur des murs varie de 0 m. 10 à o m. 3o.
Le toit, de forme conique, fait dé chaume tressé, est sup
porté par un bâti de branches d’arbres non dégrossies ou
de bambous (tige de la feuille du palmier Bam), qui par
fois viennent de très loin. Les Dompago, par exemple,
vont chercher les bambous qu'ils utilisent jusque dans la
région de Onklou. Toutes les toitures sont coiffées de
vieilles jarres qui assurent l’étanchéité du sommet.
248
ÉTUD ES SUR L’ iSLAM AU
DAHOM EY
Les cases des chefs sont généralem ent assez spacieuses.
Le pignon de leur toiture est surm onté d’une flèche en
paille tressée où sont piqués des morceaux de bois. Seule,
la demeure du grand chef du pays est surm ontée de l’œuf
d’autruche, coutume importée des pays nigériens et du
Soudan, et qui, des Bariba, s’est répandue à peu près par
tout.
La seule ouverture de la case est la porte d ’accès. Dans
les pays Dompago et T annéka, les portes ont souvent à
peine o m. 5o de hauteur et on ne peut y passer qu’en
rampant. 11 faut y voir une mesure de préservation contre
les intempéries et le froid.
Seule, la case d’entrée du tata échappe à cette règle,
encore qu’il y en ait peu dans lesquelles on puisse pénétrer
sans se baisser.
Le « tata» est formé de l’ensemble des cases d ’une même
famille. Un m ur relie entre elles les cases extérieures. Dans
les régions qui furent en contact avec les Bariba, ces murs
atteignent quelquefois 3 mètres de haut. Ailleurs, ils dé
passent à peine 1 mètre. Les pluies délabrent ces murs
d’enceinte, que les enduits protègent mal contre la violence
des orages, et la plupart d ’entre eux se découpent en den
telles plus profondes à chaque hivernage (Feuille).
La cour que circonscrit le m ur d’enceinte, soigneusement
battue ou pavée de pierres plates, sert aux travaux du mé
nage. C’est là que se prépare la cuisine, transportée aux
heures de pluie dans la case d'entrée, et que se tiennent les
femmes tout le long du jour. Parfois, cette cour est divisée
en plusieurs compartiments et forme un véritable dédale.
C’est dans cette cour qu’ordinairem ent sont construits les
greniers, hauts troncs de cône de 2 mètres, recouverts d’un
disque en terre de barre qu'abrite un petit toit de chaume.
Souvent sous ces greniers, sont réservées de petites exca
vations qui servent à loger le bétail de case ou la volaille.
Sur le pourtour de la cour, on rencontre aussi fréquent-
LE HAUT DAHOMEY
249
ment des abris, réservés au bétail. Les étables à porcs,
chez, les animistes, sont toujours à quelque distance des ha
bitations.
Les murs, à l'intérieur des cases, sont crépis de terre de
barre. Enduits de bouse de vache ou de matières coloran
tes à base de netté, ils perdent rapidement toute teinte sous
l’action de la fumée qui sedégage des feux, allumés d ’une
manière presque continue à l’intérieur. Le noir de fumée
se dépose sur les poutrelles du toit, sur les gri-gris nom
breux, qui pendent le long du mur, et bientôt se détache
avec les toiles d’araignée, en longues stalactites que le
moindre souffle fait voltiger sur l’occupant.
Chaque membre du tata: hommes, femmes, serviteurs,
possède sa case. Celle du chef du tata est plus spacieuse et
le seuil enjolivé de porcelaine brisée, incrustée dans la terre
de "barre du sol, est le plus souvent protégé contrôles in
tempéries par une légère avancée du toit sous laquelle on
ne peut guère se maintenir qu'accroupi.
Le mobilier, se réduit à quelques nattes de bambous ou
de paille tressée, étendues sur le sol et qui servent de lit.
Parfois, l’emplacement de celui-ci est marqué par un basflanc en terre. Les gens aisés remplacent la natte par une
peau de bœuf.
L’éclairage est des plus rudimentaires. Il est fait un usage
courant de lampes formées d’une mèche de coton brûlant
dans du beurre de karité, mais souvent encore l’éclairage
n’est constitué que par la seule lueur du foyer.
C’est d’ailleurs la seule lumière que le fétiche tolère, la
nuit venue, dans certains villages, tels que Bougouroy et
Baré, où la coutume ne permet d’allumer, le soir, des lam
pes de karité qu’une seulefois par an etencoreà l’occasion
de la fête du fétiche.
Les habitations des bergers peut sont beaucoup plus
sommaires que les cases décrites plus haut.
Elles sont conditionnées par le nomadisme des gens. Ils
250
ÉTUDES SUR LISLAM AU DAHOMEY
se construisent une hutte (ouro), en moins de temps qu’un
saharien n’édifie sa tente. Quelques branchages fichés en
terre et sur lesquels on jette quelques poignées de chaume
ou de graminées ou de feuilles,constituent cette hutte qui
servira ce que dure un pâturage : quelques jours.
6°- Le vêtement et l’armement. — Chez les fétichistes,
le vêtement est fort simple: rien jusqu’à la puberté (12 ans),
tant pour les filles que pour les garçons. Chez les Bariba.
cette nudité est même poussée beaucoup plus loin en cer
tains cas. Ainsi les jeunes filles, destinées à être unies à
deschefs, restent nues jusqu'au moment du mariage, c’està-dire jusqu’à 16 et même 18 ans, Dans les familles musul
manes, on réagit contre cette coutume.
A la puberté, on se revêt du vêtement national, le pa
gne qui d’ailleurs,‘chez les plus arriérés d’entre eux (Dompago, Tannéka, fractions Pila-Pila), n'est porté que par
intermittence. Ce pagne est commun aux hommes et aux
femmes, mais il ne se porte pas de la même façon : les
hommes se drapent dans leur pagne à la façon des Ro
mains dans leur toge; les femmes l’attachent aux aisselles,
de façon à recouvrir entièrement les seins.
Chez les Bariba, ce pagne prend souvent la forme d’une
sorte de blouse russe (tako), un peu pincée à la taille et à
manches larges et courtes. Elle est de couleur sombre,
souvent brodée de fil rouge. Les personnages riches ou
notables y appliquent des morceaux d’étofïe rouge, des
plaques d’argent ou de fer-blanc, des amulettes ou grisgrig,divers, même des petites glaces de pacotille.
Au pagne, les Bariba joignent souvent un pantalon à
coulisse (samia) large et serré soit au genou, soit à la che
ville.
Ici, comme ailleurs en pays noir, l’influence de l’islam
se fait sentir fortement dans l’habillement des indigènes.
Cette influence vestimentaire n’est pas d’ailleurs spéciale
l5 l
LE H AUT DAHOMEY
à l’islam; la christianisation, ou simplement toute trans
formation morale due à des causes plus laïques : passage à
l’école, enrôlement militaire, voyages de commerce, etc.,
produisent les mêmes effets. Dès que l’indigène est sorti
physiquement ou moralement de son milieu, il a honte de
sa nudité et tout de suite cherche à s’habiller.
Pour les islamisés, cette transformation vestimentaire se
traduit par le port de larges braies, connues dans le Nord
sous le nom de « pantalon arabe » (seroual), et souvent par
le port de la chemise ample, blanche ou bleue, à manches
très larges (derraa, gandoura). Ces vêtemer ts sont impor
tés, confectionnés ou non, par les Gambari, colporteurs
haoussa musulmans. Ils proviennent généralement delà
Haute-Nigéria, sous forme de pièces de guinée, et font
ainsi concurrence aux étoffes de fabrication locale.
Mais l’influence européenne se fait aussi sentir, par les
mêmes intermédiaires d’ailleurs, et l’on voit de magnifi
ques pagnes de velours, de soie brochée ou pailletée, de
iatin , etc.
La chéchia rouge représente le couvre-chef religieux par
excellence. On ne le porte généralement pas, mais les jours
de fête, on l’arbore fièrement, et c’est en quelque sorte le
signe sensible par lequel le fidèle se distingue de ses con
génères fétichistes. Le summum de la piété et de la science
islamiques c’est d’entourer cette chéchia d’un rouleau
d’étoffe blanche, formant turban. Cette manifestation sa
cre son auteur docteur, professeur, imam, chef ou notable
de la communauté.
Les Bariba, fétichistes ou musulmans, portent en temps
ordinaire des bonnets (fouco) de toute sorte, en coton. Les
chefs ou notables leur font subir des transformations, mar
ques de leur dignité. Le fond en est élargi et souvent rendu
rigide. Ils fixent sur le pourtour, des carrés ou des losanges
de fer-blanc, des glaces ou des gris-gris et amulettes de di
verses natures. En route, ils revêtent par-dessus le bonnet
■7
2Î2
é t u d e s sur l ’ is l a m
au
Da h o m e y
le chapeau de paille tressé avec des ap p liq u es en c u ir et
une longue jugulaire. Ces chapeaux so n t de fabrication et
d’importation extérieure (Sokoto).
Chez les Peul musulmans, to u t le m onde p o rte le petit
bonnet de paille pointu.
Les chaussures, rares, consistent en sandales de cuir,
solides et bien faites. A cheval, les Bariba p o rte n t de lon
gues bottes, attachées à la ceinture. Elles so n t confectionnées
soit en cuir mou, avec des dessins appliqués de cuir co
lorié, soit en étoffe rouge, rem bourrée de soie de kapok et
piquée. Ces dernières ont surtout pour bu t de protéger les
jambes du cavalier contre les flèches de l’ennem i.
Les Dendi portent la même botte, m ais elle présente un
doigt pour le gros orteil, car ils n ’em ploient pas l’étrier
arabe; le leur est beaucoup plus petit et ne doit être tenu
que par le gros orteil soit qu’ils le placent en dedans ou en
dehors de l’étrier.
Les femmes ne portent pas de chaussures, sauf pendant
les grosses pluies de l’hivernage; elles se servent alors,
parfois de sabots de bois, élevés de 10a i5 centim ètres, un
peu semblables à ceux employés au Japon.
Les chevaux sont revêtus de riches caparaçons, comme
ils le furent en Europe à la fin du moyen âge.
Le type du guerrier dans le haut Dahomey est le cava
lier Bariba, dominateur de la région avant notre arrivée.
Son armement comprend la lance ou le javelot avec une
hampe ferrée à l’autre extrémité, pour faire contrepoids et
pouvoir les fixer en terre, le sabre ou plutôt l’épée à deux
tranchants à lame droite, mince mais très large, età fourreau
de cuir. Le sabre est suspendu à l ’épaule par une écharpe
en coton rouge. Le bouclier est rond, en peau de bœuf ou
de coba ; plusieurs couteaux de diverses tailles, à large
lame, à double tranchant, quelquefois le manche du cou
teau peut entourer complètement la main : dans ce cas, il
est en fer et l’arme s’appelle kanga ; les couteaux se portent
LE H AUT DAHOMEY
253
soit à la ceinture, soit sur la poitrine. Les hommes à pied
sont armés d’arcs et de flèches, empoisonnées avec le suc du
strophantus que l’on cultive dans ce but près de chaque
village ; chaque homme porte avec lui un carquois conte
nant de ioo à 200 flèches. Pour la chasse et la route, ils
ont des carquois plus petits pouvant contenir de 10 à
12 flèches.
Les ornements indigènes dans cette région, dit Valmorin, n’ont rien de remarquable. Les métaux précieux sont
rares, l’or est à un prix élevé : aussi voit-on plus souvent
des bijoux en argent, dont nos écus et notre monnaie divi
sionnaire font les frais. En dehors de ces ornements, qui
représentent une certaine valeur, on ne trouve guère que
des bracelets et des bagues grossièrement fabriquées en
fer, en cuivre ou en cuir tordu. Les hommes portent au
tour du cou des sachets en cuir, suspendus à un cordon,
des dents de carnassiers, des morceaux de verre. Les PilaPila, les Dompago ont souvent un anneau de cuivre ou
de fer à l'oreille et parfois à un ou deux doigts de pied.
La coquetterie féminine qui est de tous les pays, s’exerce
avec une gaucherie qui fait sourire. Toutes les femmes ont
depuis leur plus jeune enfance, des ceintures de perles
fausses, en nombre variable, sur les hanches. Les boucles
d’oreilles sont en fer ou en cuivre. Les bracelets énormes
se superposent parfois au nombre de cinq ou six à chaque
bras. Aux jours de fête, tous ces bijoux sont astiqués ; la
femme s’enduit de rouge des pieds à la tête, elle se colore
les ongles et donne une teinte bleue ou violette à ses pau
pières.
7° L’alimentation. — La base de l’alimentation dans
tout le haut Dahomey, est le mil ; on le prépare avec de la
graisse de karité ou de faux karité, de plus en plus com
mune, au fur et à mesure qu’on remonte vers le Nord et
que le palmier à huile diminue, avec du piment et avec
2 54
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOMEY
divers ingrédients : feuilles de baobab, fr u its d u g o m b o , etc.
Au m il, il faut joindre, l’ignam e, trè s re c h e rc h é e au ssi,
car elle entre dans la préparation du ca la lo u . Le m aïs n ’est
em ployé q u ’accessoirem ent dans l’a lim e n ta tio n , so u s form e
de beignets frits dans l’huile ou de g âtea u x c u its à l ’eau . Il
en est de m êm e du riz et des diverses v a rié té s de harico ts
que l ’on trouve ici.
La viande est très estim ée. Des b o u c h e rs m u s u lm a n s
débitent dans les centres le b œ u f et le m o u to n ; les p o p u
lations fétichistes recherchent en p lu s la v ia n d e de porc.
Cet anim al abonde d ans les villages a n im is te s . Les m u s u l
m ans le repoussent avec dégoût de le u rs c e n tre s ou de leurs
quartiers. C ependant les plus tièdes d ’e n tre e u x , perdus
dans la brousse, ne se g ênent pas p o u r s a v o u re r u n p h a
cochère, pris à la chasse.
Les légum es so n t représentés p a r les g o m b o s, les to
m ates indigènes, les haricots. 11 existe, en o u tre , u n e dizaine
de plantes d o n t les feuilles servent à p ré p a re r le calalou.
Q uand le vent sec a d étru it ces re sso u rces, les jeunes
pousses du baobab sont recueillies d a n s le m êm e b u t.
Les fruits les plus com m uns so n t les b a n a n e s , les pa
payes et les citrons.
Mais on peut dire plus exactem ent q u e les indigènes
m angent to u t ce q u ’ils tro u v e n t. Les P ila -P ila , par
exemple, sont d ’une voracité q ue rien n ’a rrê te . L e sa n im a u x ,
crevés de m aladie, leur sont c o u ra m m e n t a b a n d o n n é s. Ils
attaquent avec le m êm e appétit, les c h a ts, les ra ts, les s e r
pents, les poulets et les charognes les p lu s sales. Ils ont
p o u rta n t un faible p our la viande de ch ien . D ans les gros
villages, à K ilir n o tam m en t, à K andi, etc ., se tie n t rég u
lièrem ent un m arché, où ces am is de l’h o m m e , co n v e n a
blem ent engraissés au p a rav a n t, font l’objet d ’u n com m erce
intéressant. S u r ces m archés, un chien c h â tré et engraissé,
vaut i5 à 20 francs.
La boisson ordin aire est l’eau p u re chez les fétichistes,
LE HAUT DAHOMEY
255
comme chez les musulmans, absorbée, non pendant les
repas, mais à la suite du repas. Cependant, ni les uns ni les
autres, ne méprisent la bière de mil (dolo) ou le vin de
palme (bangui).
8° L ’hygiène et la toilette ( i). — L’hygiène du corps,
si peu observée généralement par les indigènes adultes,
est, au contraire, l’objet d’une grande attention en ce qui
concerne les tout jeunes enfants. A peine mis au monde,
l’enfant est, en effet, lavé, nettoyé avec peut-être une cer
taine exagération. On ne le baigne pas moins de trois ou
quatre fois par jour dans de l’eau tiède. Son cordon ombi
lical, qui n ’est protégé par aucun pansement, prend sa part
dans ces ablutions répétées et se dessèche, malgré tout,
sans complication. Mais les protestations et les cris de l’en
fant commencent à ouvrir la voie à la hernie ombilicale.
Quatre ou cinq jours après la naissance, on coupe ses
cheveux pour la première fois et c’est l’occasion d’une fête
dans la famille. Lorsque le cordon, desséché, tombe, l’en
fant, fait sa première sortie avec sa mère. 11est nettoyé une
fois de plus, coloré en rouge sur le corps, en bleu autour
des yeux; il est orné de bijoux, suivant la fortune des pa
rents et il va recevoir les félicitations des amis. C’est aussi
à cette époque, quelquefois un peu plus tard, que l’on pro
cède au tatouage.
Ces bonnes habitudes de propreté se perdent assez vite.
Jusqu’à l’âge de trois ans, c’est-à-dire jusqu'à la fin delà
période d’allaitement, quelques mères continuent à les
observer. Mais beaucoup, et c’est le plus grand nombre,
commencent avant cette échéance à inspirera leurs enfants
l’horreur de l’eau, qui est partagée par la majorité des in
digènes de ce pays, surtout dans la saison froide.
L’indigène adulte n'observe l’hygiène qu’en ce qu’elle a
(i) D’après le docteur V almorix, J. O. du D ahom ey, 1918.
256
ÉTUDES SUR L'ISLAM AU DAHOMEY
de conform e à ses goûts. Dans to u te la ré g io n , elle est n é
gligée ou plutôt ignorée. Dans les m ilieux, où l’islam a
pénétré, on rem arque une plus g ra n d e re ch erch e p o u r ce
qui concerne la propreté du corps.
Il faut avouer cependant, que la p lu p a rt des indigènes
sont soigneux de leurs dents. A la fin de le u r re p as, ils se
rincent consciencieusem ent la bouche. P lu s ie u rs fois p ar
jour, on peut les voir m âch o n n an t, so it une jeu n e tige de
karité, soit les pousses d ’un arb u ste à sa v e u r sty p tiq u e . qui
croît dans la brousse, et qui a la p ro p rié té de ra ffe rm ir les
m uqueuses, tout en d o n n an t u n e b la n c h e u r éc la tan te aux
dents.
En revanche, ils ne p re n n en t au cu n soin de le u r cheve
lure. Les cheveux sont portés très c o u rts , m êm e chez les
femmes, exception faite pour les fem m es P eu l. Q uelque
fois la tête est entièrem ent rasée. Les B ariba laissan t géné
ralem ent, au som m et du crâne, u n e touffe de ch ev eu x plus
longs qu’ils disposent en petites tresses fines et q u ’ils e n
duisent de beurre de karité. Les jeunes gens T a n n é k a , ju s
q u ’à leur m ariage, porte une petite calotte en paille m ince
fixé à une grosse touffe de cheveux isolés a u m ilieu de la
tête. Ils ne s’en défont jam ais, m êm e p e n d a n t le u r so m
m eil. Au bout de quelques années, la calotte fait co rp sav ec
les cheveux, d 'a u ta n t m ieux que le to u t est e n d u it fré
quem m ent de graisse. Les jeunes filles P ila -P ila , à q u i est
réservé l’h o n n eu r de faire p artie du gynécée d u roi Atacora de Djougou, ont la m oitié de la tête rasée d ’av a n t en
arrière, et se reconnaissent à cette m arq u e.
9° I nhumations ( i ). — S uivant la co u tu m e qui existe
chez beaucoup de peuplades africaines, les m o rts so n t e n
terrés sous le sol des cases. C ependant, depuis u n e dizaine
d'années, les indigènes des villes, s u r l ’in terv e n tio n de
( i) D ’après le d o cteur V a l m o iu x , J . O . d u D a h o m e y t 1918.
LE H A U T DAHOMEY
257
l’Administration, ont l’habitude de procéder aux inhuma
tions dans un terrain aftecté àcet usage, et qui est éloigné
de 5oo mètres à 1 kilomètre du village.
Les diverses populations ont gardé leurs anciennes tra
ditions à cet égard. C’est ainsi que chez les Bazantché, on
continue à enterrer les Chefs seulement sous le sol des
cases. Les autres indigènes sont enterrés en dehors de la
case, tout près de la porte d’entrée. Si c’est un indigène de
race différente, on l’enterre hors du village.
Les Dompago enterrent aussi les chefs dans les cases.
Les autres cadavres sont jetés dans les puits creusés à une
certaine distance du village. Chaque quartier a un puits
spécial. Après l’enterrement, le trou est bouché herméti
quement à la surface pour arrêter les émanations. Quand
un puits est rempli, on en retire tous les ossements que l’on
va enfouir dans le sol, puis on en creuseun autre.
Les Bariba enterrent leurs morts tantôt dans la cour des
tatas, tantôt dans les cases. Une légère surélévation du sol
indique l’emplacement de la tombe, sur laquelle il y aune
calebasse avec des cauris. Le cadavre repose horizontale
ment au fond de la fosse, enveloppé dans un pagne blanc.
La terre n’est pas jetée directement sur lui : on établit à
une faible hauteur au-dessus du corps une sorte de plafond
de branchages serrés, de piquets de bois ou de pierres
plates. La terre est ensuite tassée par-dessus. Quelquefois
la fosse comprend une partie perpendiculaire et à partir du
fond de celle-ci, elle est creusée obliquement. On fait alors
glisser le cadavre dans cette partie oblique.
Chez les Pila-Pila, la coutume de placer les cadavres
dans les cases, s’est conservée dans certains villages; dans
d’autres, au contraire, ce sont les chefs seulement qui ont
droit à ce mode d’inhumation. A Kilir (Djougou), l’inhu
mation n’a lieu dans les cases, que s’il s’agit de chefs.
Hors ces cas, on enterre les morts dans différents endroits
de la forêt, toujours à l’est du village.
□ 58
ÉTUDES SU R L’ iSLAM AU DAHOMEY
Voici quelques renseignements sur cette cérémonie ; on
envisage le cas le plus commun : l’enterrem ent d’un PilaPila de la basse classe.
Après la mort, le cadavre est lavé et parfum é et enduit
de rouge. La fosse, dont le mode de construction est inva
riable, se compose de deux parties: une fosse perpendicu
laire comme il s’en fait en Europe, et une galerie transver
sale creusée sous le sol à partir du fond de la première.
C’est dans cette cachette transversale que le cadavre est
déposé.
La profondeur de la fosse varie avec l’importance du
personnage défunt : pour un indigène de la basse classe,
la fosse perpendiculaire à la moitié de la hauteur du corps
d’un homme debout; pour les princes, les membres de
familles importantes, elle va jusqu’à l’aisselle : enfin, quand
il s’agit des chefs, un homme peut s’y tenir debout, les
bras levés au-dessus de la tète, sans q u ’on l’aperçoive de
l’extérieur.
La cérémonie de l’enterrement n’est jamais compliquée.
Le défunt est apporté au bord du trou, enveloppé dans la
natte où il couche habituellement. On en sort le cadavre
pour le vêtir d'un pagne neuf, percé de trois trous faits au
couteau, s’il s’agit d’un homme, et de quatre trous si c’est
une femme. Les indigènes font des trous, afin de permettre
au mort de se diriger dans l’au-delà, où il va séjourner. Le
cadavre est ensuite descendu dans la fosse et introduit
dans la cachette transversale, où on a disposé à l’avance
sur le sol une natte neuve qui servira à l’envelopper com
plètement.
La position à donner au cadavre n’est pas indifférente:
il est toujours placé sur le côté droit, le bras droit plié et
la tête reposant sur la main droite, les jambes en flexion
sur les cuisses et les cuisses sur le corps. Pourquoi cette
attitude? c’est que c’est la position préférée de l’homme
quand il se repose. Sa femme se couche en face de lui
LE HALT DAHOMEY
25g
dans sa case et il dort généralement sur le côté droit, la
main gauche étendue sur sa compagne, en signe de pro
tection.
Quand il s’agit d’un homme, la tête est tournée du côté
du levant, c’est-à-dire la direction qu’il suivait de son
vivant pour se rendre à ses champs. Il esta remarquer, en
effet, que les « gléta » se trouvent, d’une manière générale,
à l’est des villages. S’il s’agit d’une femme, la tête est
tournée au contraire du côté du couchant, c’est-à-dire vers
le village, vers les cases où elle a passé presque toute sa
vie.
On ne dépose pas beaucoup d’offrandes à côté du cadavre,
surtout si le défunt est pauvre. L’enfant jusqu’à i5 ou 16
ans est enterré tout nu, le jeune homme est recouvert
d’un beau pagne, car il doit être bien vêtu pour aller voir
ses ancêtres.
L’homme m ûr emporte ses armes, ses flèches et ses
instruments de travail. Enfin le vieillard a, en plus, des
cauris dans sa fosse.
Le corps une fois installé dans sa cachette, l’orifice de
celle-ci est fermé par un petit mur de terre glaise analogue
aux murs de cases indigènes. Puis la fosse perpendiculaire
est combléeàson tour jusqu’à ras du sol, et rien n’indi
querait en passant l’emplacement d’une tombe, si on ne
mettait parfois une jarre renversée au-dessus de l’endroit
où se trouve-la tète du défunt.
La famille du défunt, réunie pour les funérailles, ne
s’en va pas de si tôt, surtout si c’est un homme riche. Elle
prend littéralement pension dans son tata et ne se décide à
partir qu’après plusieurs semaines et souvent même plu
sieurs mois.
On notera, pour terminer, les particularités suivantes:
Lorsqu’une femme meurt pendant ses couches et avant
sa délivrance, toutes les femmes du village se sauvent dans
la brousse en poussant des cris. Aussitôt la morte est enve-
2Ô0
ÉTUDES SU R L’ ISLAM AU DAHOMEY
Ioppée de tous ses pagnes et enterrée en dehors du village,
à l’est, avec tous ses ustensiles de ménage. Alors seulement
les autres femmes peuvent rentrer et tout redevient calme
comme auparavant.
Si la femme accouche d’un enfant m ort, on emporte
celui-ci pour l’enterrer en dehors du village, à l’est, à une
croisée de chemins. Si c’est la mère qui m eurt, on . l’en
terre dans sa case. Dans ces deux derniers cas, les femmes
ne prennent pas la fuite.
io" C ommerce. — Il est inutile d’envisager l’influencede
l’islam dans le domaine de l’industrie (tisserands, teintu
riers, potiers, vanniers, forgerons, bijoutiers, etc.) ou dans
celui de l’agriculture. Elle est nulle. En revanche, le com
merce est à peu près tout entier entre les m ains des musul
mans, d’origine étrangère d ’ailleurs : Haoussa, dits Gambari, et quelques Mandé. Il est naturel que par ce canal,
beaucoup d’infiltrations islamiques se fassent sentir.
Le mouvement caravanier, né dans les pays haoussa et
peul de Kano et de Sokoto, et sur les rives du Niger fran
çais, passe à peu près en totalité par le haut Dahomey,
soit qu’il ait pour but de desservir ces régions, soit surtout
qu’il ne fasse qu’y transiter pour gagner les colonies de
l’Ouest, Togo et Gold Coast, ou le Sud du Dahomey même.
De Lest.à l’Quest ces grandes routes caravanières sont :
i° llo (Nigeria), Kandi, Bankouna, Tanguiétà, Natitengou
(Dahomey), Sansanné Mango (Togo) ; 2"N ikki, Bimbéréké,
Sinendé, Ouassa, Kouandé, Bakoumbé et le Togo ; 3» Péréré, Ndali ou Bimbéréké, Djougou, Séméré ; 4“ Parakou,
Ouari, Djougou, Séméré. Il p a , bien entendu, de nom
breuses bifurcations, souvent plus im portantes que les tron
çons principaux. C’est ainsi que la route de Ouassa à
Kandi, est très suivie par les colporteurs nigériens.
Du sud au nord, le mouvement caravanier s’est régula
risé dans les deux grandes routes, tracées depuis quelques
LE H AUT DAHOMEY
î6 l
années par l’Administration et qui, au surplus, sont car
rossables: 1° la route de « l ’E st», qui relie Savé, termi
nus de la voie ferrée, au N iger moyen (Karimama,
Malanville, Gaya). Elle dessert les villages importants de
Tchaourou, Parakou, Bimbéréké, Kandi et Guéné. Elle
mesure483 kilomètres de long ; un service hebdomadaire de
transports automobiles assure rapidement et efficacement
les communications. Les richescommerçants nigériens font
de cette voie le plus large usage. Les petits colporteurs,
pour aller à pied, ne l’empruntent pas moins. C’est un
sillonnement d’islam dans le pays Bariba, déjà si atteint ;
2" la route de « l’Ouest » est un peu moins fréquentée.
Elle part de la gare de Dassa-Zoumé, peu avant le terminus
de Savé et par Savalou, Bassila, Djougou, Birni, atteint
Kouandé, et la frontière soudanaise, ou elle se relie à la
route soit de Fada N’Gourma, soit du Mossi (Haute-Volta).
Les grands marchés traditionnels du haut Dahomey
sont : Tchaourou, Parakou, Nikki, Ndali, Bimbéréké, dans
le Bourgou ; Bassila, Dlougou, Kopalrho, le plus grand
centre de vente du bétail de tout le territoire ; Ouassa, le
grand marché de sel, Sémêré, Aledjo, Pélélan, dans la
région de Djougou ; Kouandé, Bakoumbé, Natitengou, Maka et Ouassa dans l’Atacora; Bouay, Zougou, Kandi, Guéné dans le moyen Niger.
Tandis que certains de ces marchés décroissent avec le
temps, l’ouverture de la frontière, qui a suivi notre occu
pation du Togo, a amené l’accroissement sensible de cer
tains autres, jadis secondaires : c’est ainsi que Batiokouara,
point de transit et centre des pays lama et cabrais, s’est
considérablement développé, ces dernières années ; c’est
ainsi encore que Koutao, grand marché cabrais, réunit
actuellement, tous les cinq jours, 3 à 4.000 indigènes; et
naturellement les colporteurs musulmans qui ne s’aventu
raient guère jusqu’à ce jour dans ces pays arriérés et féti
chistes, y apparaissent de jour en jour plus nombreux.
2Ü2
ÉTUDES SUR L’ISLAM AU DAHOMEY
Le m ouvem ent commercial a tro is sources différentes:
a) l’achat et l’exportation du bétail local. D epuis l’in terd ic
tion d ’exportation su r les colonies v o is in e s .e e m ouvem ent
prend une réelle im portance dans to u t le h a u t D ahom ey
et se canalise vers le sud. A cet élém en t il c o n v ien t d ’ajou
ter le commerce des pagnes, de fab ricatio n indigènes, de
rendem ent d ’ailleurs lim ité; £>) l’ac h at du sel et des objets
fabriqués dans les escales de la voie ferrée : Dassa-Zoum é,
Savé, ou proches de la voie ferrée ; S avalou ; c) une ém i
gration tem poraire assez forte, qui gagne la Gold Coast,
où la m ain-d’œ uvre em ployéeaux p la n ta tio n s, cacaoyers et
colatiers, réalise de beaux bénéfices et les tran sfo rm e en
colas q u ’ils revendront sur les m archés locaux.
Les échanges qui se font s u r les m arc h és, d it Feuille,
ont un caractère essentiellem ent re strein t. Les produits sur
lesquels porte l’ensem ble des tran sa ctio n s so n t pauvres et
en dehors du producteur, qui apporte le p ro d u it de son
travail, et qui n’en tire q u ’une faible ré m u n é ra tio n , il est
rare qu’un vendeur réalise un bénéfice jo u rn a lie r, supérieur
à 0,20, o,5o ou i franc. Les seules m a rc h a n d ise s ayant
quelque valeur sont constituées p a r les tissus d ’im portation,
ou de fabrication indigène, et p a r le sel.
CHAPITRE VI
C ro y an ces a n im is te s e t p ra tiq u e s m édico -m ag iq u es.
i° L es croyances. — Les croyances des peuplades du
haut Dahomey, sauf pour les Peul relativement islamisés,
relèvent du fétichisme le plus grossier. 11 n’est pas de vil
lage qui n’ait son ou ses fétiches, qui se présentent sous
les aspects les plus inattendus: arbres surtout, grosses
pierres, tessons de poterie, débris de fer ou de bois, quel
quefois une montagne ou une rivière. Le fétiche est le pro
tecteur du groupement et le médiateur ou plus exactement
le représentant de l’Être suprême. Il est, en effet, intéressant
de constater que les peuplades du Borgou, du Djougou et
de l’Atacora, quelles qu’elles soient, ont toutes une
croyance bien déterminée en l’existence et même en l’unité
d’un Être supérieur, auteur et régulateur de toutes choses,
mais ce Dieu est si haut et si loin qu’il ne peut guère s’oc
cuper des affaires humaines : il agit par le fétiche et c’est
à ce dernier que doivent être adressées les suppliques et
destinés les sacrifices. Les Dendi appellent cet Être
«Trifei », notre maître ; les Pila-pila « Tchin-Sahoua ».
Chez les Koumba, ou chefs féticheurs des Bariba, cette
croyance en une divinité souveraine semble très nette, et
il apparaît qu’on lui consacre quelques méditations, ou un
certain enseignement.
2 64
ÉTUDES SUR L'iSLAM A U DAHOMEY
Les musulmans ne se distinguent guère de leurs congé
nères fétichistes q u ’en ce que leur croyance en la divinité
s’est raffermie et en quelque sorte concrétisée par l’adora
tion d’Allah. II y a donc progrès au point de vue spirituel.
Le lien qui unit l ’homme à Dieu (religio) s’est raffermi ;
les premiers éléments d ’un culte raisonné apparaissent.
Mais il faut se hâter de dire que, pour la masse des fidèles,
les croyances fétichistes subsistent entières et que les deux
cultes vont de pair.
La croyance à la survivane post-mortelle est très nette
aussi chez tous ces peuples. T out n ’est pas fini à la mort.
Sans doute l’esprit s’est échappé de son enveloppe maté
rielle et s’en va quelque part, bien loin, retrouver ses an
cêtres. Mais il ne cesse pas de visiter ses parents, ses amis.
11 occupe de temps en temps sa place au to u r du feu. On
l’entend parfois dans la nuit faire des recom m andations à
sa femme ou à ses enfants. Et lorsque ses désirs n ’ont pas
été remplis, il se plaint et il menace. Aussi, lorsqu’il
meurt hors de son village, la famille prend les mesures
nécessaires pour ramener le corps chez lui. Une femme,
qui meurt en accouchant, revient toujours chercher son en
fant, et si les féticheurs ne procèdent pas à certaines céré
monies, telles que le lavage de l’enfant dans le jus de quel
ques plantes, celui-ci m eurt à son tour.
Chez les Bariba, le séjour des m orts serait un lieu de dé
lices pour celui qui a bien vécu sur la terre, tandis que le
criminel est condamné à expier ses fautes dans un endroit
de supplices, analogue à l’enfer chrétien ou islamique. Il
y a là manifestement une influence de l’islam.
20 T hérapeutes et thérapeutique (T)- — La vie de
l’indigène est ici — comme dans tous les pa\ s noirs — do
minée par des forces inconnues, esprits bienveillants ou
(1) D’après le docteur V alm orin.
LE H AUT DAHOMEY
265
hostiles, qui exercent leur influence sur tous ses actes.
C’est pourquoi les causes de maladies doivent être cher
chées dans une origine surnaturelle.
Chez les Pila-Pila, elles sont attribuées la plupart du
temps aux manœuvres des sorciers, toujours inconnus,
parce que invisibles. Ceux-ci sont capables de jouer les
plus vilains tours à leurs congénères. S’il leur plaît, par
exemple, d’attacher un homme par des liens impalpables
à un arbre de la brousse, cet homme sera malade dans sa
case, et aucun soulagement ne pourra lui être apporté.
S’ils veulent se venger sur un village, ils provoquent une
mortalité élevée qui sèmera l ’inquiétude dans la popula
tion. Il n ’est q u ’un moyen de contre-balancer leur action,
c’est de faire appel à l’influence d'un médecin de sorcier ou
contre-sorcier, « modigué », doué d ’une sorte de double
vue. Celui-ci est capable de prévoir qu’un homme sera ma
lade dans un temps déterminé, et même de connaître à
l’avance la nature du mal dont il souffrira. Les gens des
Tenneka ont la réputation de jouir presque tous de cette
inestimable faculté. Quand une mortalité anormale frappe
un village, le chef en même temps qu’il prévient l’admi
nistration, se hâte de faire venir les contre-sorciers.
Il est à rem arquer que l’on parle peu d’empoisonne
ments. C’est, en effet, le fait exceptionnel. La matière médi
cale n ’est peut-être pas riche sous le rapport des toxiques
végétaux ; le principal poison, utilisé dans le pays, est le
strophantus, dont on trouve des spécimens dans tous les
villages du Nord. Il est surtout employé pour la chasse.
Ce sont les féticheurs qui, le plus souvent, exercent pa
rallèlement le métier de guérisseurs. Les marabouts à leur
tour n ’auraient garde de dédaigner une si belle source de
revenus. Ils ont leur clientèle particulière, qu’ils traitent
par des moyens un peu différents, mais toujours basés sur
la suggestion. Quelques phrases du Coran, écrites à l’encre
sur un morceau de papier, constituent leur principale res-
206
ÉTUDES SUR LISLAM
AU DAHOMEY
source thérapeutique. Cette amulette, portée constamment
sur soi, sera un excellent préservatif contre tous les maux
à venir. L’encre, lavée à l’eau, et absorbée dans une bois
son peut guérir beaucoup de maladies, de même que les
bains généraux où entrera cette solution.
La profession de « Tiouté », médecin en pila-pila, est
toujours lucrative pour celui qui l’exerce. Le prix du trai
tement varie suivant la fortune du malade. Il atteint au
plus 25 francs. Mais indépendamment du prix que l’on
verse en argent, il comprend une grande quantité de ca
deaux en nature : poulets, m outons, sel, et parfois che
vaux.
Les médicaments indigènes sont em pruntés aux trois
règnes de la nature : animal, végétal et minéral. Bien
qu’ils ne soient l’objet d’aucune étude raisonnée de la part
de ceux qui les emploient, ils sont nom breux, tout en
étant de valeur inégale.
3° L es fétiches . — Nous avons vu ce qu’est le fétiche
et sous quelle forme inattendue il se présente.
Le culte, rendu au fétiche, consiste en sacrifices d'ani
maux vivants, poulets, cabris, m outons, quelquefois un
bœuf. La bête est égorgée sur le fétiche ou à côté du fé
tiche, que le koumba (féticheur bariba) arrose ensuite
avec le sang, encore chaud de la victime.
Chaque année au mois de février, a lieu, chez les Ba
riba, la fête des fétiches. C’est une occasion de réjouis
sance et d’orgie. Avant notre occupation, la fête de Kandi
particulièrement remarquable, attirait les habitants des
villages voisins, même distants de plusieurs jours de
marche. Le koumba, en présence d’une nombreuse assis
tance, demandait au fétiche ce qu’il désirait comme of
frande cette année ; généralement le fétiche, par la bouche
du koumba, demandait un bœuf. Immédiatement la vic
time était amenée, égorgée et dépecée ; son sang était
267
LE HAUT DAHOMEY
offert au fétiche ; la viande était cuite et partagée entre les
assistants, qui donnaient ensuite en offrande au fétiche
les os, soigneusement rongés. La fête se continuait toute
la journée, et même plusieurs jours de suite, pendant les
quels le tam-tam faisait rage, et le dolo coulait à flot.
Dans le courant de l’année, lorsque quelqu’un veut con
sulter le fétiche dans une circonstance grave, pour la gué
rison d ’un parent malade par exemple, il va trouver le
koumba qui lui fixe un jour ; au jour dit, on égorge une
victime et le fétiche, arrosé de sang et de plumes, donne
son oracle par la bouche d’un fou du village ou du koumba
lui-même, si l’on n ’a pas pu en trouver.
Un même village peut avoir plusieurs fétiches ; à Kandi
par exemple ce sont de grosses pierres à i5o mètres du vil
lage au sud-est, et un arbre situé à l’intérieur du village,
près c^e l’ancien poste.
En pays bariba, on trouve fréquemment sur la place du
village un gros arbre, entouré d’une bande de coton de 5 à
i5 centimètrcsde largeur,à 1 m. 5oou 2 mètres du sol, c’est
là un arbre fétiche qui a demandé un pagne pour s’habiller.
Voici, d’après Feuille, quelques-uns des principaux féti
ches de la région de Djougou. A Kilir, Yakounga et Ouarou-Koum protégeant le village contre les sorciers. Jadis,
quand par l’intermédiaire de Yakounga, un sorcier était
découvert et tué, sa tête était déposée au pied de l’arbre qui
le représente. Ouarou-Koum est surtout le fétiche de la
terre de Djougou. Il appartient au roi et sa demeure esta
l’intérieur du palais. La légende voulait que dans la case
où il se trouve, un serpent et une panthère demeurassent
en permanence, ne sortant que les vendredis. Il provoque
également la grossesse et la pluie. Il est le symbole et le
gage de la royauté forte et généreuse.
A Ouangara, à l’entrée de la forêt de Kilir, le fétiche«5tmagatna » siège au pied d'un baobab centenaire. Il provo
que la grossesse et l’avenir.
18
268
ÉTUDES SUR L'iSLAM AU DAHOMEY
A Patougou, petit groupement au nord-ouest de Ouangara, habile dans une petite broussaille le fétiche PaliPirou ou Papelrho. Il annonce les malheurs à venir; un
petit marigot passe auprès de sa demeure, et la légende dit
que chaque fois que l’on voit, sur les bords du ruisseau,
un petit poisson mort, c’est le signe certain qu’un person
nage petit ou grand mourra dans le cours de l’année. Le
féticheur doit être immédiatement averti de cette décou
verte.
A Sérou, existe le fétiche M ontant ; à Bouloum se trouve
Danou, fétiche de la famille royale qui y sacrifie périodi
quement un bœuf. Déoua possède Noumba. Souroukou
Pagnim, Ouassa Ahoui, Boni, Pélébina et Mami Aguéhou,
Aledjo abrite Agnoro, etc.
L’autel de tous ces fétiches se trouve au pied d ’arbres
sacrés. Ils donnent la fécondité aux femmes, et préservent des
malheursà venir. Beaucoup dévoilent la destinée. Kolongo,
à Barei, est représenté par un caillou et provoque la pluie,
Les grands cours d’eau, comme la Donga et le Kémétou,
affluents de l’Ouémé et l’Ouémé lui-mème, sont également
fétiches.
Pour bénéficier de l’influence du fétiche, la femme qui
souffre de sa stérilité, va trouver le Bolroute (féticheur).
Celui-ci la conduit à l’autel du fétiche, elle s'y agenouille,
le féticheur lui badigeonne alors le front, la poitrine et le
dos avec une motte de terre mouillée etpréparée à l’avance ;
quelquefois il lui fait en outre ingurgiterune mixture, faite
d’herbes malaxées. Ceci fait elle va trouver son mari. En
reconnaissance de l’action du fétiche, l’enfant né de cette
intervention doit porter son nom. Toutefois cette règle
comporte des variantes. A Bougourou, la femme doit aller
au bord de la rivière fétiche Sanni, en un endroit désigné
par le féticheur, elle jette dans l’eau quelques aliments. Si
les poissons les absorbent, c’est que le fétiche lui est favo
rable et qu’elle sera bientôt mère, si au contraire ceux-ci
LE HAUT DAHOMEY
269
sont sans appétit, elle restera stérile. Chez les Tannéka,
l’homme et la femme vont ensemble trouver le féticheur
qui les conduit au fétiche Gnaho. Un coq est immolé, le
féticheur place sur l’autel quelques-unes de ses plumes et
selon la disposition de celles-ci leur promet ou leur refuse
une descendance. Mais le plus célèbre est le caïman de Simendé (Borgou) à l’influence duquel aucune stérilité ne
résiste, et que de tout le Dahomey on va consulter.
La femme enceinte peut d’autre part satisfaire son désir
d’avoir un garçon ou une fille, en présentant au fétiche,
qu’elle a consulté, un petit arc avec sa flèche, ou un fu
seau.
Tchagnoroum à Salanga (canton de Sérou), Apabapabanho à Déoua, Borocossi et Ahoui à Ouassa (canton de
Soubroukou) sont les principaux fétiches de la foudre. En
dehors de leur pouvoir d'amener la fécondité, ces fétiches
ont le pouvoir de retrouver et de foudroyer les auteurs des
vols, leurs complices et leurs recéleurs. Autrefois le volé
devait, avec 1.000 cauris et un coq, aller trouver le féti
cheur, qui immolait le coq et faisait couler trois ou quatre
gouttes de son sang sur l’autel.
Cette cérémonie achevée, toute personne, frappée par la
foudre, était considérée comme le coupable. Tous ses biens
étaient saisis et versés au fétiche. La famille pouvait rache
ter ces biens, en payant au féticheur une somme fixée par
lui.
L’arc-en-ciel est le « serpent de la pluie » et aussi le «ser
pent de la richesse ». Ses excréments sont d’argent. Il a
ses fétiches qui sont ceux de l’eau.
Les Tannéka-Béri, les Tannèka-Koko et les Pabégou,
peuples essentiellement agriculteurs, ont consacré leurs
principaux fétiches à la prospérité des champs. Leurs féti
cheurs prennent obligatoirement les noms de Namari, de
Ouaté et de Ouara. Namari, qui parait être le chef de ces
confréries, porte comme signe distinctif un collier de per-
270
ÉTUDES SUR L ’iSLAM AU DAHOMEY
les, au milieu duquel s’insère une dent d’ivoire, OuatéKpémoho et Ouara lui sont adjoints. Tout les féticheurs
de la terre, et ceux-ci sont nombreux, doivent être coiffés
de la calebasse. Seuls Namari, Ouaté Kpémoho et Ouali se
coiffent du bonnet.
Le rôle de ces féticheurs est d’obtenir une récolte abon
dante. Au moment du début des travaux de la culture.
Namari et Ouaté Kpémoho vont de nuit à l’autel du fétiche
et là, Namari, qui dit-on, a quatre yeux, choisit entre la
bonne et la mauvaise semence. Suivant le succès, ce féti
cheur est accablé d'injures ou comblé de cadeaux. On pré
tend môme qu'autrefois cette cérémonie, qui est toujours
l’occasion de grandes fêtes, était accompagnée de sacrifices
humains. C’est le seul cas dans le haut Dahomey, où on y
fasse allusion.
Ici, doit être signalée une coutume qui montre combien
grande est chez ces tribus la place que prend l’agriculture.
Lorsqu’un des féticheurs Ouara ou Ouaté, n’ayant pas
encore quitté la calebasse va dans un village étranger, il
lui est interdit d’y soulager ses entrailles ou s’il ne peut
faire autrement, il doit ramasser dans des feuilles une par
tie de ses excréments pour la rapporter au village natal
sur le sol duquel il la jette. Sous aucun prétexte, il ne doit
laisser sa fumure végéter sur un sol étranger. L’inobserva
tion de cette règle se traduirait par une abondance immé
ritée ici et par la disette là.
Il ne faut pas confondre les gri-gris ou amulettes avec
le fétiche, celui-ci est une divinité, celui-là est un talis
man. Il y a des gri-gris pour tout : pour éviter les flèches
de l'ennemi, pour les maladies, pour être heureux à la
guerre, à la chasse, en ménage, etc... Leur forme et leur
composition varient à l’infini; ils se portent suspendus
au cou, aux bras, à la ceinture, cousus à la coiffure ou au
vêtement. Ils peuvent aussi être placés dans les champs
pour protéger les récoltes contre les voleurs, à l’entrée des
LE H A U T DAHOMEY
271
villages pour que les gens animés de mauvaises intentions
tombent morts avant d’avoir pu faire du mal, etc.
Si le gri-gri n’a pas produit l’effet attendu, ce n’est ja
mais parce q u ’il était mauvais, mais bien parce que celui
qui le portait a commis un acte qui a détruit sa vertu, et
cette croyance est tellement ancrée chez les noirs querien
ne peut dim inuer leur confiance. Elle est d ’ailleurs soi
gneusement entretenue par les fabricants et marchands
qui leur vendent fort cher cesgri-gris; mais même ceux-ci
finissent sans doute par se convaincre eux-mêmes.
11 est difficile de démêler le gri-gri fétichiste de l’am u
lette proprement musulmane. Marabouts et féticheurs ex
ploitent également ces deux branches lucratives et se font
des em prunts réciproques, de sorte qu’il n’est pas rare de
voir d’une part le féticheur vendre des petits papiers ara
bes, ou prétendu^arabes, car les caractères ne sont sou
vent que des zig-zags et carrés informes simulant l’écriture
arabe ; et d’autre part le marabout du cru céder à ses fidè
les des sachets contenant des poils, des ongles, des lam
beaux de fétiches. Gri-gris et amulettes ont un égal succès
sur la poitrine du kifiri comme sur la tête du musulman.
4" L es féticheurs . — Les féticheurs (Bolrouté en Pila
Toroupé en Dendi) ne paraissent pas constituer dans leur
ensemble une caste organisée et bien définie, comme dans
tout le bas Dahomey. C'est toutefois là.une matière diffi
cile à pénétrer, car l’étranger est peu admis à la connaître.
Il est certain que les féticheurs tirent de leurs fonctions
une autorité réelle, faite de la crainte qu'ils inspirent. Ils
tiennent un rôle dans chaque acte de l’existence, et on les
voit même intervenir souvent au moment de la nomina
tion des chefs administratifs qui doivent, avant leur prise
de fonctions, être instruits par eux des droits et des de
voirs de la charge qu’ils assument.
Feuille rapporte un fait dont il fut le témoin à Djougou et
ip
ÉTUDES SUR L’iSLAM AU DAHOM EY
où on remarque l’action entremêlée et surtout compliquée
des marabouts musulmans et des féticheurs de la coutume.
Au cours de l’épidémie de grippe infectieuse, qui, en fin
de 1918, fit de si graves ravages dans la population indi
gène, les marabouts et leurs compères les féticheurs orga
nisèrent une grande chasse pour trouver et m ettre à mort
le sorcier, dont les maléfices avaient provoqué le fléau. Ils
s’en allèrent en chevauchée autour des agglom érations de
Kiliret de Ouangara. Au retour, certains déclarèrent avoir
vu l’être abject cause de tout le mal. Ils le décrivaient même,
petit, de taille épaisse, le chef couronné de cornes, grandes
dents et corps velu. Il avait été m is en déroute. Néammoins l’épidémie suivant son cours, une nouvelle expédi
tion fut décidée. Cette fois, ce ne fut plus le sorcier qu’on
poursuivit, mais son fils et celui-ci pourchassé s’était perdu
dans les broussailles. La maladie effectivement décrois
sait peu après. Bientôt elle disparaissait.
CONCLUSIONS
La statistique des populations du Dahomey, par race et
religion donne les indications suivantes:
Musulmans.
Total.
B a rib a
. . . . .
D e n d i ..................................
D ahom éens du S u d .
9 .0 0 0
a5o
H a o u s s a ............................
N a g o , Y orou ba. . .
7 .0 0 0
P e u l .................................
S é n é g a la i s .
. . .
a5o
1 0 6 .0 0 0 â m e s
—
i5 .o o o
—
4 4 0 .0 0 0
9 .0 0 0 —
6 3 .0 0 0
4 1 .0 0 0
a5o
—
—
—
Soit 70.000 musulmans sur une population qui, au to
tal, avec les autres peuples fétichistes et chrétiens, non
LE HAUT DAHOMEY
2 7^
portés à ce tableau, comprend 900.000 habitants, dont
720.000 imposables.
Les langues usitées chez ces peuples sont leurs langues
maternelles, L'emploi de l’arabe littéraire est à peu près
inexistant. L’arabe vulgaire est inconnu. Les Haoussa
usent quelquefois des caractères arabes pour écrire leur
langue maternelle. Les Dendi aussi, mais plus rarement.
P aul M arty .
ANNEXES
T S C S V sxï-
ANNEXE I
Carte du D ahomey, communiquée par le S ervice géographique de l ’A . O. ? .
ANNEXE II-a
T atouages
des races dahoméennes.
Cotocoli
typ»l
y o ro u b i- Nacjo
typ« I.
nu-Piu
typ« l
T anneka
Bariba
ANNEXE I I-Z>
T atouages
des races dahoméennes.
ANNEXE III
L IS T E D E S IM A M S D E P O R T O -N O V O
i.
3.
— S e ïd o u ..........................................................................................
— O u sm an de la m a iso n A fo d jé ........................................
3. —
4. —
5. —
6. —
7. —
M am adou O m ab a, fils d e S a ï d o u ................................
Al Hadj M o u ia ro u , d e S o k o m é .......................................
B issiriou , fils de M am ad ou O m a b a ................................
A il G assou m ou . . , .........................................................
A l-H adj M oh am m ed L aouani d u g r o u p e P a r a ïso .
A lfa S arou k ou , du g ro u p e M o u te ïr o u .
vers
—
—
—
—
—
—
i8 5 o
1860
i8 8 3
1899
1909
>9*3
1920
ANNEXE IV
L IST E DES SERIKI M OUSSOULIM I DE PO RTO -NO VO
î . — A s s o u m a ...................................................................................... vers i85o
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
—
—
—
—
—
—
—
A d i n g b a ......................................................................................
W ari Elouan L e s s é ................................................................
A bd ou Bakari B e n d é k é ..........................................................
T êrou (T ah irou ) A d é r o m o u ...............................................
A bd ou Bakari A lo b a m a d y a ...............................................
G badam assi A ïb o u k i................................................................ — 1917
M am adou Bello Seriki du groupe M onteïrou . . .
— 1917
S o u m a n o u A ïb ouk i, du grou p e Paraïso.
ANNEXE V
A mulette
musulmane du bas
D ahomey .
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ANNEXE VI
A mulette
musulmane du haut
D ahomey.
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ANNEXE VII
F ac- similé de l’écriture de Lu d i -A um idou , imam de O uidah .
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/
ANNEXE VIII
T R A D U C T IO N
d' une lettre arabe trouvée a la mosquée de yola
LE 2 3 DÉCEMBRE
1914.
Je c h e r c h e D ie u p o u r m e g u id e r
A p r ès q u o i :
C e tte le ttre e s t e n v o y é e à l’E m ir d e Y o la p o u r lu i d ir e q u e le S a ra k in e d e s m u s u lm a n s a e n v o y é d ir e a u K a ise r c e q u e f o n t le s A n g la is .
L es A n g la is o n t l'in t e n t io n d e p r e n d r e t o u t le p a y s d e s F o u lb ê m u s u l
m a n s . Q u a n d ils l’a u r o n t c o n q u i s , ils e m p ê c h e r o n t c e u x - c i d e p rier. L e
s u lta n d e s m u s u lm a n s n e fa it q u 'u n a v e c le K a ise r a lle m a n d , i l s n 'o n t
q u ’u n e b o u c h e . I ls fo n t d ire à t o u t m u s u lm a n q u e c e u x q u i a id e n t le s
A lle m a n d s a id e n t le s u lt a n d e s m u s u lm a n s . S ’il m e u r t , il m e u r t e n
m u s u lm a n . C e lu i q u i a id e le s A n g l a is , q u a n d il m e u r t , il m e u r t en
in f id è le . N o u s d e m a n d o n s à D ie u d e n o u s g a r d e r p a r c e q u e le s A n g la is
c o m b a t t e n t j u s q u 'à c e m o m e n t le s u lt a n d e s m u s u lm a n s .
A p r ès q u o i, n o u s a v o n s à d ire à l'é m ir d e Y o la q u e s i q u e lq u 'u n e s t
tu é d a n s c e p a y s , e n a id a n t le s A n g la is , D ie u re n d ra l’E m ir r e s p o n s a b le
p o u r la m o rt d e c e t h o m m e p a r c e q u ’il e s t le u r c h e f . M a is le s S a ra k in c
d e s m u s u lm a n s je v o u s d is à t o u s , q u i ê t e s m u s u lm a n s , q u e q u ic o n q u e
c r o it e n D ie u m e s u i t . J e c r o i s q u e t r o u v e r o n t D ie u e n p a ix c e u x q u i
s u i v e n t le s A lle m a n d s , le s a id e n t e n c o m b a t t a n t le s A n g la is . C e c i e s t
l'o rd re q u e j e d o n n e a u x m u s u lm a n s . C e lu i q u i n ’o b é ir a p a s à c e tte
p a r o le a m è n e r a le tr o u b le s u r lu i.
C ’e s t to u t .
ANNEXE IX
T R A D U C T IO N
d’une lettre trouvée a la mosquée de YOLA LE l3 JANVIER IQIÔ.
* Q u e D ieu v o u s aid e to u s ».
C ette lettre v ie n t d u ca p ita in e d u J a riey sim u ; e lle e st en v o y ée à
to u s ce u x q u i p e u v e n t la lire. Je d is à t o u s c e u x q ui v o ie n t ce tte lettre
les vraies n o u v e lle s , d e b o n n e s n o u v e lle s . C es n o u v e lle s s o n t ven u es
d 'A lle m a g n e . E lle s m e d is e n t q u e le s so ld a ts a lle m a n d s s e so n t levés et
s o n t allés en A n gleterre p ou r c o m b a ttre le s A n g la is. Ils com b a ttire n t un
jo u r. Ils tu èren t le s A n g la is , 10.0 0 0 d ’en tre eu x à l’in térieu r d e la ville
a n g la ise, e t ce u x q ui fu irent é ta ien t 3 o .o o o .
Ils étaien t effrayés par les so ld a ts a lle m a n d s et s'en fu ire n t, m ais les
so ld ats a llem a n d s les cap tu rèren t e t le s m ir en t en p rison a v ec d es
ch a în es a u tou r du cou et a in si les ram en èren t en A lle m a g n e . Les A lle
m a n d s prirent q uatre v illes a n g la ises et trois v illes fra n ça ises. C eci est
la n o u v e lle q ui v ie n t de n o u s arriver d ’A lle m a g n e .
Q u elq u es au tres n o u v e lle s en co r e v in re n t. D e d e u x s o u r c e s d ifféren tes,
de b o n n es n o u v e lle s. C ette n o u v e lle éta it la m ê m e q u e ce lle relative à
la fu ite. Q u an tité d e n o u v e lle s. Je sa is q u e les A n g la is et le s Français
sero n t b a ttu s par n o u s . N o u s les c h a s se r o n s d e leu rs g ra n d es villes
Les A lle m a n d s o n t pris au x A n g la is 5oo gros c a n o n s , a v ec d e s ca n o n s
< m a x im s » . Le p eu p le a llem a n d a fait ce tte sorte d e c h o s e à p lu sieu rs
reprises en co r e. U n h o m m e n e p e u t pas c o m p te r to u t ce q u ’ils o n t fait
pen dan t cette gu erre. V oilà p o u rq u o i j ’éc ris cette le ttre. C ette lettre e st
en v o y ée à to u s le s m u su lm a n s afin q u ’ils p u is se n t voir ce tte lettre et
sa v oir q u e les A n g la is et les F ran çais s o n t d e s m en teu rs et d es v o le u r s.
Q u ic o n q u e cr o it et s u it ce tte lettre sera e x e m p t d e to u t e n n u i.
(N o te : La lettre était b arb ou illée a v ec u n e m ix tu re , d ite « m é d e c in e »,
q u i assu rerait à la lettre le p rivilège d'étre cru e par q u ic o n q u e la lit.)
ANNEXE X
T R A D U C T IO N
DU CHEF DE KARISAMI AU SARJKINE DE MARQUA MOHAMADOU SAJOU
S a lu t a t io n s .
A p r è s c e c i, n o u s v o u s f a is o n s c o n n a ît r e q u e n o u s c o m b a t t îm e s a v e c
le s F r a n ç a is e t le s A n g l a is e t c a p t u r â m e s 4 0 0 g r o s c a n o n s d a n s la
p r e m iè r e b a ta ille q u i a e u li e u . L e s F r a n ç a is e t le s A n g la is s e s o n t m is
d ’a c c o r d p o u r c o m b a t t r e le S a r ik in e d e s m u s u lm a n s d e S t a m b o u l. E t
s a c h e z a u s s i q u e le s F r a n ç a is e t le s A n g l a is s e s o n t r é u n is d a n s la
g r o s s e v ille d e F r a n c e , q u i e s t P a r is ; le s s o ld a t s a ll e m a n d s e n tr è r e n t
d a n s P a r is e t e n c h a s s è r e n t le s F r a n ç a is e t le s A n g la is e t p r ir e n t P a r is .
J’ai e u c e t t e n o u v e lle p a r u n e le ttr e r e ç u e d u G o u v e r n e m e n t d e
B ouéa.
2 ’ n o u v e lle . — L e s A n g la is e t le s F r a n ç a is p a t r o u ille n t s u r le u r fr o n
tiè r e o r ie n t a le c o m m e d e s v o le u r s p r é c is é m e n t p o u r d é m o li r le u r p a y s
e t le s c h e f s . E n v ir o n t o à t5 c a v a lie r s p a t r o u ille n t e t d is e n t q u e le p a y s
e s t à e u x . Ils d is e n t d e s m e n s o n g e s ; c e s o n t d e s v o le u r s . N o u s v o u s
in f o r m o n s q u e c e tt e g u e r r e n e p e u t p a s so r tir d u p a y s d e s F o u lb é . E lle
s o r t d e s p a y s a lle m a n d s , fr a n ç a is e t a n g la is , q u i s o n t le p a y s d e s b la n c s .
N o u s v o u s in f o r m o n s
d a n s n o tr e p a y s ; ils le
le s A lle m a n d s . T o u s
p r é s e n t s e n p r o p o r t io n
q u ’il s ( a n g la is e t f r a n ç a is ) n ’o n t a u c u n e fo r c e
q u i t t e r o n t d a n s p e u d e j o u r s . V o u s d e v e z a id e r
c e u x q u i a id e r o n t le s A lle m a n d s r e c e v r o n t d e s
d e le u r b o n t r a v a il e t c e u x q u i n e le f e r o n t p a s
a u r o n t a p r è s c e t t e g u e r r e b e a u c o u p d e t r a c a s q u i c a u s e r o n t le u r m o r t .
V o u s d e v e z r é u n ir t o u t v o tr e p e u p le e t lu i lire c e lt e le ttr e a in s i q u ’à
t o u s le s c h e f s q u i n ’o n t p a s s u i v i le u r p e u p le . V o u s d e v e z c i r c u le r e t
r e c h e r c h e r le s g e n s et le u r lir e c e t t e le t t r e .
ANNEXE XI
T R A D U C T IO N
D’un
document arabe reçu d’un officier allemand
PAR LES INDIGÈNES DE LA PROVINCE DE M ü R I .
A u n o m d ’A lla h , L o u a n g e s o i t A lla h s e u l, e t le s a lu t a s s u r é à c e u x
q u ’il a c h o is is .
D e la p art d u S u lt a n d e T u r q u ie e t d e l ’e m p e r e u r d 'A lle m a g n e s a l u
ta tio n e t a m it ié , je v o u s in v it e à e n v o y e r c e t t e le ttr e a u x m u s u lm a n s d e
la p o p u la tio n s o u d a n a is e p o u r s o u la g e r le u r s co e u r s e t r e n fo r c e r le u r s
m em b res.
O to i, p e u p le d e la f o i, s i q u e lq u 'u n d e v o u s tr o u v e c e t t e le ttr e
j e l'in v ite à a g ir c o n f o r m é m e n t à c e q u ’il y l i t , s ’il e s t j u s t e .
O to i, p e u p le d u S o u d a n , e n c e q u i c o n c e r n e la g u e r r e e n t r e le s A l l e
m a n d s e t le s A n g la is , le s F r a n ç a is , e t la R u s s ie , t u n e f e r a s p a s la g u e r r e
à le u r p ro fit. Q u ic o n q u e e s t a v e c le s A lle m a n d s d a n s c e t t e g u e r r e c o m
b at p o u r m o i, e t q u ic o n q u e e s t a v e c le c h e f d e s m u s u lm a n s c o m b a t p o u r
s a r e lig io n ; s 'il m e u r t, il v a v er s s o n p è r e , il e s t m o r t p o u r la f o i ; il a
la c o n fia n c e d ’A lla h ; il en tr e r a p a r m i le s s a in t s d u p a r a d is .
M ais s ’il e s t d u c ô t é d e n o s e n n e m i s , il d e v ie n t u n s o u t i e n d e s i n
c r é d u le s , c o m m e s ’il c h e r c h e à d é tr u ir e la r e lig io n d e s m u s u l m a n s .
Q u ic o n q u e e s s a y e d e c o m b a ttr e c o n t r e le c h e f d e s m u s u lm a n s n ’e s t p a s
au n o m b r e d e s ju ste s.
P a ix 1 p o u r c e tte c a u s e , j ’e n v o ie c e t t e le t t r e p o u r q u e t u la p o r t e s t o u
jo u r s d a n s to n esp rit.
I
ANNEXE XII
B IB L IO G R A P H IE
A l b é c a ( A l e x a n d r e d ’) . —
L e s É ta b lis s e m e n ts f r a n ç a i s d u g o l f e
de
B é n i n . L ib r a ir ie m ilit a ir e B a u d o in , 1 8 89.
B o u c h e ( A b b é P i e r r e ) . — S e p t a n s e n A f r i q u e O c c i d e n t a l e . L a C ô te
d e s E s c l a v e s . P I o n - N o u r r it , P a r is , i8 8 5 .
F r a n ç o is (G .) . — N o t r e C o l o n i e d u D a h o m e y . L a r o s e , P a r is , 1 9 0 6 .
G o u v e r n e m e n t g é n é r a l d e l ’A , O . F . — L e D a h o m e y . E d . C r ê t é , C o r b e il, 1906.
G r a n d i s - ( C o m m a n d a n t ) . — L e D a h o m e y . L ib r a ir ie R e n é H a t o n , P a r is,
1895.
L e H é r i s s é . — L ’A n c i e n R o y a u m e d u D a h o m e y . L a r o s e , P a r is , 1 9 1 1 .
M o n o g r a p h i e s m a n u s c r i t e s d e s C e r c l e s d e D j o u g o u , p a r l'A d m in is t r a
t e u r M a r c e l F e u i l l e , d u M o y e n - N i g e r p a r le C a p it a in e C h e v a
l ie r
.
N ic o l a s . —
L 'E x p é d itio n
du
D a h o m e y en
1 8 9 0 . L a v a u z e lle ,
P a r is ,
1892.
P a a v lo w sk i ( A u g u s t e ) , — H . P . L a n n o y : B ib lio g r a p h ie r a is o n n é e d e s
o u v r a g e s c o n c e r n a n t l e D a h o m e y . L ib r a ir ie m ilit a ir e B a u d o in , P a r is ,
1895.
T o u t é e . — D a h o m e y - N i g e r , T o u a r e g , 1898.
D u D a h o m ey au S a h a ra , 1889.
V a l m o r i n ( d o c t e u r ) . — E x t r a it d ’u n r a p p o r t m é d ic a l
s u r le C e r c le d e
D j o u g o u . J o u r n a l O f f i c i e l d u D a h o m e y , a n n é e 1916.
R e n s e ig n e m e n t s f o u r n is p a r M M . le s G o u v e r n e u r s M e a v v a r t e t F o u r n ,
le s A d m i n i s t r a t e u r s M a r i a , A u t i ê , R e y n i e r , d e C a n t e l a r , D e s a n t i ,
D u t i i o i t , G o u e f r a n , D u p o n t , e t p a r le C o m m a n d a n t P é r è s .
TABLE DES PLANCHES
Pages.
Planche I, a .— Porto-Novo : Mosquée du qu a rtie r Zébou (Alfa
Saroukou)...............................................................
—
I, b. — Porto-Novo : Mosquée du qu artier Hassou-Komé
(imam Laouani)......................................................
—
II, a. — Porto-Novo : Socle de prières (idi) du groupe Sa
roukou (Palmeraie du qu artier Gbézounpa) .
— II, b. — A b b a s A li Farsi, de K oton ou..................................
—
III. — Porto-Novo : Groupe d’A lfa Saroukou. . . .
—
IV . — Porto-Novo : Groupe de l ’imam Laouani .. . •
— V ,a .— C hef d a h o m é e n .....................................................
— V, b. — Porto-Novo : Scnhor Ignacio Paraïso (Souleï).
— VI, a. — Mausolée dans le cimetière musulman de PortoNovo ....................................................................
— V I, b. — Mala Mahamadou, d it Youssouf Boraïma (Daho. m e y ) ............................. ................................... .....
.
3a-33
64-65
8c-8i
9#>97
112-113
128-129
.
— V II, a. — Ecole coranique du quartier Hassoukomé (PortoNovo) ....................................................................
— V II, b. — École coranique du faubourg d’Aja-elegba (PortoNovo) ....................................................................
— V III, a. — École coranique du quartier Zébou-aga (PortoNovo) ....................................................................
— V III, b. — École coranique du quartier Togo (Porto-Novo).
— IX , a. — École coranique de O uidah..................................
— IX , b. — École coranique à C o to n o u ..................................
— X ,a . — Gi-Gla, roi d’Allada.................................................
— X, b. — Types bariba : à droite, le chef du village de
D o u z a ....................................................................
144.145
160-161
208-209
240-241
TABLE DES MATIERES
Page».
LIV R E PREM IER. — LE BAS DAHOMEY.
Chapitre premier : Le m ili e u ................................
i
I. — L es groupements e t h n iq u e s ...............................................................
i* F o n ............................................................................................
2* M a h i............................................................................................
3* H o u é d a .......................................................................
4* E p i a ............................................................................................
5* Agaïn (M in a ).......................................................... .... . . .
6* Nago (Y o ro u b a ,.........................................................................
7* H aoussa................................................ .x ..................................
8* C r é o le s ................................................... ' ...............................
i
2
3
4
K
12
i3
i5
16
I. — C royances et rites fétichistes..........................................................
19
C h apitre IL — La communauté Islamique
. . . .
I. — P hysionomie de l 'I s l a m ...................................................................
28
28
II. — G roupements et individualités is l a m iq u e s ..................................
48
i ” Cercle de P o rto -N o v o ...............................................................
48
a) H is t o r i q u e ...............................................................................
48
b) ScÀtsmes de la com m unauté m u s u lm a n e ..................
56
c) P e rso n n a lité s isla m iqu e s de P o r to - N o v o .....................
83
d) Les e n viro n s de P o r t o - N o v o ............................................
96
2* Cercle de C o to n o u ....................................................................
97
3* Cercle de O u id a h .......................................................................... 104
a) E lé m e n ts e th n iq u e s ...................................................................... io5
b) C om m unautés m u s u lm a n e s ...................................................... 108
4* Cercle du M o n o ......................................................................... 113
5* Le Togo m a r it im e ..........................................................................122
6* Cercle d 'A lla d a ............................................................................... 126
ÉT UD ES SU R L’iSLAM AU DAHOMEY
294
Pages.
7* Cercle d ’Abom ey................................................................................ i36
8* Cercle de Z a gn a n a d o ...................................................................... 137
g* Cercle de S a v é ........................................................................................141
io* Cercle de S a v a lo u ........................................................................... i5o
L IV R E I I . — LE HAUT D A H O M E Y
C hapitre premier : Le m ili e u ................................ i53
C hapitre II . — Les groupements ethniques
. . . .
156
1* B ariba............................................................................................. .........
a* P ila -P ila ............................................................................................... 161
3* D e n d i....................................................................................................162
4* C o to c o li................................................................................................164
5* S é m é r é .................................................................................................165
6* Som b a ............................................................................................... 166
7* O u in g u i-O u in g u i................................................................................ 16Ô
8* Dompago.............................................................................................. 167
9* B o u rm a n tc h é ..................................................................................... «68
io* P e u l ....................................................................................................168
1r Haoussa...............................................................................................171
Chapitre I I I . — Les collectivités e t Individualités islamiques .
i*
2*
3“
4°
5*
173
Note p r é lim in a ir e ...........................................................................173
Cercle du B o r g o u .........................................................................«/8
Cerclede D jo u g o u .............................................................................‘ S5
Cercle de l'A ta c o ra ......................................................................... *92
Cercle du M o y e n -N ig e r............................................................... 196
C hapitre IV . — Le droit c o u tu m ie r ................................. 207
t* L a f a m i l l e ...................................................................................................................... 207
2* La c o lle c tiv ité ................................................................................... 209
3* L ’e n fa n t.............................................................................................212
4* La t u t e l l e ........................................................................................214
5* Le m a riage........................................................................................2t5
6* Dissolution du m a ria g e ................................................................ 221
7* Successions........................................................................................224
8* C ontrats............................................................................................ 227
9* La p r o p r ié té ................................................................................... 23o
io* Coutumes pé nales......................................................................... 233
il* P ro c é d u re ....................................................................................... 236
TABLE DES MATIERES
2g5
Pages.
C hapitre V . — Les Institutions sociales..........................238
»• La s o c ié té ....................................................................................238
2* La polygamie et polyandrie........................................................ 241
3* Croisements de ra c e s ................................................................. 243
4* Le n o m ................................ , .............................................. 2+4
5’ L’h abitation..............................................................................................247
6* Le vêtement et l ’arm em ent.........................................................a5o
7* L ’a lim e n ta tio n ............................f î .................................... 253
8* L ’hygiène et Ja t o i l e t t e ........................................................255
9’ In h u m a tio n s ................... ' ...................................................256
C hapitre V L — Croyances animistes et pratiques médico-magiques. a63
' »• Les croyances................................................................................ 2Ô3
2* Thérapeutes et thérapeutique.....................................................264
3* Les fé t ic h e s .................................................................................266
3 ' Les féticheurs................................................................................ 271
Conclusions.................................................................................................. 272
ANNEXES
r Carte du D a h o m e y ...........................................................................276-277
2* Tatouages des races dahom éennes...................................................279-281
3* Liste des imams de Porto-Novo . ................................................
2S2
4* Liste des seriki moussoulimin de Porto-Novo............................
283
5° Amulette musulmane du bas Dahomey......................................
284
0’
—
—
du haut Dahomey.......................................
285
7* Fac-similé de l'écriture de Liadi Ahmidou, imam de Ouidah .
286
8* Traduction d’une lettre arabe trouvée à la mosquée de Yola le
23 d é c e m b re ................................................................................
287
9‘ Traduction d'une lettre trouvée à la mosquée de Yola le 3 jan
vier 1915 .....................................................................................
288
io* Traduction d'une lettre du chef de Kansami au Sankine de
Maroua, Mohamadou Sajou.........................................................
289
ii° Traduction d un document arabe reçu d’un officier allemand par
les indigènes de la province de M û ri (Nigéria).......................
290
12* B ibliographie.....................................................................................
291
Table des p la n c h e s ...........................................................................
5961-4-26. — Tours, Imprim erie A rrault et C1*.
292