An-Nasr Vendredi #227 (La sincérité, son sens et sa nécessité pour les itinérants vers Allah)

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Title
An-Nasr Vendredi #227 (La sincérité, son sens et sa nécessité pour les itinérants vers Allah)
Date
15 April 2008
issue
227
Rights
In Copyright - Educational Use Permitted
Language
Français
Contributor
Frédérick Madore
Wikidata QID
Q116190746
extracted text
E IS s s a s s s s s s H E s â æ s s s E S s s s -a a s s s a E s s s H s œ s S s E II

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11 ▲

B

10
IM

Lorsque vient le secours d'Allah ainsi que lavictoire, célèbre les louangesde ton Seigneuret implore son pardon

a force des logiques qui
nous étouffent est à son
paroxysme
lorsqu’e He s
—/ parviennent à nous habi­
ter. Incroyable et insidieuse effi­
cacité d’une entreprise qui aliène
notre volonté et nous trompe sur
notre personne, alors même que
nous pensons être responsables
de nos pensées
autant que de
nos actes. Le
constat
est
clair : nous
courons
au­
jourd’hui
le
risque de ne plus nous apparte­
nir. Quand l ’avoir l’emporte telle­
ment sur l’être, quïl semble être
devenu la seule condition du bien
-être, quand la vitesse de l'infor­
mation est plus importante que
son analyse, quand l’image l ’e m ­
porte sur le verbe, quand enfin le
progrès devient pour lui-même la
justification de son bien-fondé...
alors, il devient difficile, de vivre
sa foi, de façonner son esprit, de
déterminer ses repères, de m ar­
quer ses limites. Difficile d’être
un homme, difficile d’être libre.
J ’entends libre de cette vraie li­
berté au souffle de laquelle l’e s ­

prit chemine et fait ses choix à
proximité de son cœur, de ses
méditations, de son intelligence,
de ses espérances.
Lislam est une école. Elle a un
objectif et un programme, un c a ­
dre et une dynamique, des exi­
gences autant qu’une évaluation
nécessairement formative. Son
premier princi­
pe se fonde sur
lïmpérative li­
berté de ce lui
qui s y forme
dès lors que ce­
lui-ci se sait et
se reconnaît comme un être de
conscience et de responsabilité.
Lïslam dit une réalité et s’appuie
sur un sentiment : tout commen­
ce par la solitude devant Dieu. Le
premier espace de formation, d’é ­
dification, de résistance, de réfor­
me et de liberté est le cœur si na­
turellement attiré vers le trans­
cendant, si promptement déchiré
par l’artifice ou noyé par le super­
ficiel. Il n ’y a pas de foi sans li­
berté, pas de liberté sans pleine
possession de son être, cœur et
esprit. Or, notre monde et ses
pouvoirs, la technologe et son
efficacité, les modes et la vitesse

I

Le devoir de
résistance

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nous amputent et nous perdent. Un être
humain qui vit à la surface de ses désirs et
dont les besoins ont pour la plupart été
fabriqués n’est plus un être humain... ce
peut même devenir une bête entretenant
l’illusion de son humanité. Un monstre
virtuel dont les excès ne tiennent parfois

dictature de nos seuls désirs, protéger la
lumière
de
son
cœur,
construire
l’autonomie de son esprit, revendiquer le
droit de choisir en conscience son chemin
et le sens de sa vie. Devant Dieu, seul,
conscient et responsable.

qu’à ce fil de la rationalité qui fait office de

Décolonisation
La première résistance est aujourd’hui, très
clairement, une entreprise de décolonisa­
tion. Il s’agit pour chaque musulmane et
chaque musulman de retrouver le chemin
de son être le plus profond, de redevenir un
être libre. La vie quotidienne, avec les
modes de pensée et de consommation, h
gestion du travail et celle du temps libre, h
culture cinématographique et musicale, est
propre à façonner, presque inconsciem­
ment, une seconde nature qui s’apparente i
une prison. Il faut s’en échapper... la
spiritualité, profonde et exigeante, est la
clef.

laisse. Si la rationalité est humaine, le
monstre est apprivoisé, mais si par malheur
la rationalité n’est plus qu’économique ou
financière, alors la bête se déchaîne et
promet le pire, de carnages en génocides.
Nous l’avons trop constaté.
Notre religion nous apprend que la
première résistance à ces dérives est à
l’intérieur.
Avec
Dieu,
dans
l’approfondissement de la foi, l’être humain
doit s’initier à la maîtrise, à la compréhen­
sion, à la pondération, à la nuance. Dans la
prière ou la méditation, il doit prendre le
temps de se connaître et de se reconnaître,
de résister à ses propres violences, à ses
colères, à sa volonté de pouvoir. Ainsi son
cœur doit devenir une classe dans laquelle il
apprend à son esprit, à étudier, à approfon­
dir, à s’éloigner des préjuges, à éviter les
caricatures. La lumière du cœur est une des
conditions pour s’orienter dans les profon­
deurs de l’esprit. Elle donne la force de
répondre au premier devoir de résistance
qui nous habite : contre les pouvoirs
arbitraires, contre les fausses idoles, contre
la séduisante

32

Il existe un autre espace à "décoloniser"
Après notre cœur, notre intelligence. Jamais
autant qu’aujourd’hui, l’information ne s’est
trouvée concentrée en aussi peu de mains
Quelques entreprises et agences gèrent
désormais l’outil "média" comme une
industrie, "une affaire qui marche". Tout st
passe comme si le ton de l’élaboradot
intellectuelle, du débat de société ou dedéfis politiques était désormais donné pir
les médias et, parmi eux, par le suppôt
essentiel de l’image. La télévision n’est pw
un simple outil, elle est devenue ®
paramètre,

une échelle, presque une valeur au chevet
de laquelle les autres valeurs et les
références se mesurent. Résister à cette
tourmente de l’image et de la vitesse est
aujourd’hui impératif : les musulmans,
comme tous les citoyens, doivent
réapprendre à penser, à analyser, à
débattre. La shûrâ, la concertation à
laquelle les invite leur religion, exige
Peux qu’ils forment leur intelligence et
■laborent leur réflexion, en profondeur,
' ivec précision et nuance. Il ne suffit pas
le se dire musulman pour être protégé
les caricatures et des simplifications : la
rommunauté musulmane n’est d’ailleurs
1 pas en reste quant aux analyses caricatui raies ou aux jugements à l’emporte-pièce.
| L’islam exige de nous de libérer nos
esprits et de vivifier nos intelligences :
| résistance intellectuelle active qui devrait
etre la conséquence naturelle d’une foi
ancrée et d’une spiritualité épanouie.
- Economie, politique et société
I Les ordres ont été inversés et l’on fait
l chaque jour l’expérience du primat de
i l’économie dans la gestion des affaires
internationales comme des questions de
sociétés. L’éthique et la morale ne sont
' pas, on le sait, les maîtres mots de ce type
de gestion, et ce qui compte désormais,
I c est le rendement, l’efficacité, le degré
de subordination aux logiques du nouvel
ordre économique... Les dysfonctionne, ments politiques ou les mauvaises
I gestions sociales sont relativisés

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en fonction des profits financiers qu’ils
permettent : une dictature qui "rapporte"
(en matière économique ou sur le plan
géostratégique) n’est pas tout à fait une
dictature et le critère d’une bonne politique
se mesure essentiellement à sa capacité à ’
protéger les intérêts de ceux qui
l’appliquent. Les aliénations, au sens
propre et premier, se multiplient et
s’additionnent : l’économie qui devait être
un instrument au service d’une politique
est devenue une finalité en soi ; la société
des citoyens qui devait titre la finalité et
donc, au premier chef, bénéficier de la
gestion politique est insensiblement deve­
nue un moyen, un simple instrument. Au
coeur du nouvel ordre économique, l’être
humain, ancien sujet de son histoire, a la
curieuse sensation d’être devenu un objet,
un moyen, un jouet. Pour les musulmanes
et les musulmans, il s’agit de remettre les
choses à leur place, dans le bon ordre. Que
l’homme, devant le Créateur et avec ses
semblables, redevienne une fin et non plus
un moyen. Il s’agit de réinvestir, avec le
cœur et avec intelligence, toutes les sphères
dans lesquelles ce changement peut
s’opérer. Sur le plan social, le devoir de
résistance commence avec l’énoncé du
clair refus que des sociétés industrialisées
enfantent des millions de chômeurs et tant
d’autres millions de laissés pour compte.
La question ne relève pas des seuls moyens
financiers, mais bien de la sournoise
préservation de l’intérêt de quelques

préservation de l’intérêt de quelques-uns et
de l’absence de volonté politique. C’est dire
qu’il faut s’engager dans des projets locaux,
des projets de proximité, par lesquels on
doit lutter contre le chômage, l’exclusion, la
marginalité et l’ensemble des fractures
sociales. Ce refus ne peut s’exprimer,
comme c’est encore souvent le cas pour les
musulmans, par la seule mise en place de
projets fondés sur le bénévolat ou la solida­
rité. La justice est un droit, non un cadeau,
ni une charité. A terme, la résistance passe
nécessairement par l’engagement citoyen et
politique. Refuser les passe-droits, exiger
que les volontés politiques soient explici­
tées, demander des comptes, questionner
les choix de politique sociale, sont autant
d’attitudes qui doivent permettre aux
citoyens de confession musulmane de
participer avec les autres à réformer leurs
sociétés. A tous les niveaux, des initiatives
sont attendues qui permettent des gestions
économiques alternatives et, surtout, un
retour de la politique à sa véritable vocation
fondée sur le débat et la participation
citoyenne. Pour les musulmans comme
pour tous les êtres humains, pas de
résistance sans participation.

autant de voix qui ne craignent pas é
dénoncer les dictatures, les tortures, le
hypocrisies et les dérives inhumaines
qu’elles soient ou non perpétrées au nos
de l’islam. Q uand le silence compila
étouffe, notre dignité est la dénonciation.
L’emprisonnement de tant d ’innocents à
par le monde pourrait bien finir par non
rendre coupables de si mal gérer œ
libertés. Aucun intérêt économique B
peut justifier notre silence. A moins que a
soit la crainte ? La peur ? La paresse ? L
confort ? Que dirons-nous le jour ou iln
aura d’ombre que Son om bre ? Que non
craignions pour nos vies ? Que nous n
pouvions pas ? Que nous étions seuls
Alors qu’à chacune de ses pages, la Révéh
tion nous rappelle que Dieu aime les pieu:
qui prient comme les justes qui résister
Au demeurant, nous ne sommes pas seul
et tant d’autres consciences sont amies é
ce même combat, de cette mes
résistance. Dieu exige de nous la fidélité:
notre foi nous com m ande la dignité ; 1
devoir de résistance est l’exacte réalisation
de cette fidélité digne, consciente que le
n’est jamais aussi près de Dieu que lorsqu
l’on lutte contre l’m humanité des homme
Avec cœur, au nom du droit.

Reprendre possession de son cœur,
construire son intelligence et s’engager à
promouvoir des projets alternatifs de proxi­
mité sont autant de manifestations de ce
devoir de résistance qui est le nôtre. Nous
n oublierons pas non plus que la justice
exige de nous que, nous devenions

Tariq Ramadan

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