Plus d'un million de musulmans voltaïques se regroupent pour défendre leurs intérêts

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Title
Plus d'un million de musulmans voltaïques se regroupent pour défendre leurs intérêts
Publisher
Carrefour africain
Date
8 April 1972
Abstract
A Ouagadougou, vient de se tenir pour la première fois depuis 1964, le troisième congrès de la Communauté musulmane de Haute-Volta (C.M.H.V.) qui a groupé pendant quatre jours, 119 délégations venues de toutes les régions du pays en présence des grands dignitaires de l'Islam. Rappelons que la Communauté musulmane est une association dont l'ambition est de grouper tous les musulmans de Haute-Volta. Les statuts stipulent que tout musulman des deux sexes, sans distinction aucune, âgé de plus de 16 ans peut être membre de la Communauté.
Spatial Coverage
Ouagadougou
Rights
In Copyright - Rights-Holder(s) Unlocatable or Unidentifiable
Language
Français
Contributor
Frédérick Madore
Wikidata QID
Q114757228
content
A Ouagadougou, vient de se tenir pour la première fois depuis 1964, le troisième congrès de la Communauté musulmane de Haute-Volta (C.M.H.V.) qui a groupé pendant quatre jours, 119 délégations venues de toutes les régions du pays en présence des grands dignitaires de l'Islam. Rappelons que la Communauté musulmane est une association dont l'ambition est de grouper tous les musulmans de Haute-Volta. Les statuts stipulent que tout musulman des deux sexes, sans distinction aucune, âgé de plus de 16 ans peut être membre de la Communauté.

DIX ANS D'EXISTENCE

La Communauté musulmane de Haute-Volta est née en 1962. Après 10 années d'existence et huit années d'inactivité, puisque le dernier congrès date de 1964, quelle est généralement la situation actuelle de cette association et particulièrement celle de la religion musulmane, quelle est l'état actuel de ses relations avec les autres confessions religieuses, avec les pouvoirs publics ? L'association telle qu'elle était conçue, répond-elle aux impératifs du monde moderne ? Quelle est la position du monde musulman voltaïque face au progrès scientifique et technologique, face à l'athéisme, face à un monde atomique aux mutations déroutantes ? Comment la Communauté musulmane peut-elle agir pour être un interlocuteur qui mérite les égards non seulement des pouvoirs publics, mais également de l'opinion publique voltaïque ?

Ce sont autant de questions auxquelles les congressistes avaient à répondre. C'était le but même du congrès. Pour ce faire, le premier souci des congressistes fut de doter l'association de nouveaux statuts et d'un règlement intérieur dont les nouvelles dispositions ont cet avantage qu'elle lui offrent une structuration plus décentralisée et plus fonctionnelle.

En effet, l'association telle qu'elle existait renfermait de nombreuses imperfections et lacunes. C'est ainsi que l'essentiel des prérogatives était concentré entre les mains des représentants de Ouagadougou. Ce qui a provoqué une certaine mésentente entre Ouagadougou et les autres cercles, mésentente accentuée par la présence de nombreuses sectes parmi les musulmans. Les nouveaux statuts prévoient, maintenant des comités régionaux et locaux dans chaque chef-lieu de cercle et dans chaque canton. Enfin, les statuts confèrent à ces comités, le pouvoir de régler certains litiges sans avoir recours au somment. Les responsables de la C.M.H.V. estiment que ces nouveaux statuts permettront de résoudre les problèmes qui freinent le développement, la sauvegarde, et la pénétration de l'Islam en Haute-Volta.

Ces problèmes sont à la fois d'ordre politique, des problèmes nés des intrigues sérieuses entre personnes. C'est ainsi que lorsqu'il fallait désigner le remplaçant du grand Imam de Ouagadougou, mort depuis 1966, des conflit avaient éclaté. De même, depuis 1964, la Communauté musulmane, était dirigée par un intérimaire. Pour les profanes cependant, les musulmans n'ont aucune raison apparente de se plaindre.

PLUS D'UN MILLION DE FIDÈLES

En effet, selon les statistiques officielles, la Haute-Volta compte actuellement 1 538 175 de fidèles, soit une proportion de 27,5 % de la population, 7,5 fois le nombre des catholiques, 275 fois celui des protestants et 42,% du nombre des animistes. De plus, depuis trois années, le nombre des animistes qui se convertissent à la religion musulmane ne cesse de s'accroître. C'est ainsi qu'en 1971, on a enregistré 2116 nouveaux convertis contre 2,041 en 1970 et 1972 en 1969. Les chiffres sont éloquents quant à la représentativité des musulmans en Haute-Volta et quant à leur poids et à leur rapport numérique entre différentes confessions religieuses. En ce qui concerne le pélérinage dans les lieux-saints, il faut rappeler qu'en 1971, on a enregistré 385 pèlerins contre 247 en 1970 et 220 en 1969. À cela, il faut ajouter ceux des pèlerins qui partent d'autres pays et échappent au contrôle de la C.M.H.V. Au niveau de l'enseignement en Arabe, il faut rappeler que la Haute-Volta compte 15 boursiers en Algérie, 7 en Arabie Saoudite, 10 en Egypte et 10 au Maroc.

DE NOMBREUSES DESERTIONS

Cependant, les préoccupations des responsables de la Communauté musulmane sont d'un autre ordre. En effet, dans le rapport moral et d'activités, ces derniers, reconnaissent que s'il y a de nombreuses adhésions, on rélève également que « les désertions sont nombreuses, surtout parmi les intellectuels au niveau de l'enseignement secondaire et supérieur ». Un tel état de fait entraîne les responsables à constater que « le nombre des musulmans est infime et dérisoire au niveau de la direction du pays (Gouvernement, Assemblée nationale, services publiés...) Il importe que chacun réfléchisse sur les conséquences d'une telle participation aussi insignifiante pour en tirer la leçon ».

Une autre préoccupation des musulmans a été le problème de leur union. Là-dessus, le rapport fait remarquer que malgré les exhortations en faveur de cette union, des « divisions se produisent fréquemment dans les familles, divisions provoquées par les opinions politiques. N'est-il pas aberrant que les liens de sang et aussi de religion s'effacent devant les options politiques... » Il y a ensuite l'opposition entre les sectes qui ne semblent pas avoir compris quel idéal poursuit la C.M.H.V. qui est de faire l'u-dénominateur incontestable ; le coran et le prophète Mahomed. Qui d'autres que les musulmans de toutes sectes, réunis autour d'un même étendard défendront le prestige de notre religion... ?

UN SEUL LIEN : LE CORAN

C'est au contraire, ce dénominateur qui fait l'objet du conflit opposant les différentes sectes musulmanes. En effet, si toutes ces sectes puisent les fondements de leurs pratiques dans le coran, toutes ne sont cependant pas d'accord en ce qui concerne le prophète. On évalue schématiquement à trois le nombre des sectes religieuses existant en Haute-Volta :

- Les « Mahomédistes » : se distinguent des autres parce qu'ils croient que Mahomed a été l'envoyé de Dieu pour prêcher la parole sainte sur terre. C'est la raison pour laquelle, dans leurs prières, ils font appel à Mahomed pour qu'il serve d'intermédiaire entre eux et Dieu.

- Les « Wahabia » : sont de ceux qui croient au contraire que le prophète Mahomed n'a jamais existé. De ce fait ils soutiennent qu'il ne saurait y avoir de relais entre l'homme et Dieu.

Enfin, la secte des « Laï-La » ; Le conflit qui l'oppose aux autres sectes concerne essentiellement la grande prière du Vendredi. Tandis que pour les autres, le Vendredi est le jour saint où on célèbre la grande prière, la secte des Laï-La considère ce jour comme un jour ordinaire. L'explication en est la suivante : la prière du Vendredi est une institution de la Mecque. Les Laï-La estiment donc que son application en Haute-Volta implique celle de toutes les habitudes des lieux-saints, par exemple celle qui consiste à couper un bras à un voleur. Enfin, un bon Laï-La ne devra pas assister aux obsèques d'un beau père, lorsque ce dernier n'est pas musulman.

Comme on le voit, tous ces conflits sont à la fois religieux et juridiques. Un fidèle quant à lui, sait que tous ces conflits traduisent l'appétit des dirigeants de faire de la religion leur gagne-pain. Le président de la Communauté musulmane, dans son discours d'ouverture a fait remarquer que cette situation était le fait de « croyants fanatiques, intolérants et insociables auxquels il faut faire échec. Aussi, la Communauté musulmane réprouve la mentalité et la conduite extrémiste de certains croyants, dont les rapports sont hautains et méprisants envers leurs propres coreligionnaires et envers les non musulmans... » Pour la Communauté musulmane, la sauvegarde de l'Islam réside dans la nature des relations avec les autres confessions religieuses. S'agissant de cela, la communauté musulmane estime que « outre la croyance commune à Dieu que nous avons avec les chrétiens, nos compatriotes des autres confessions sont aussi des frères et sœurs d'une patrie commune liés par le sang, la terre et condamnés à la conquête d'un même destin ; c'est donc dans l'entente nationale que nous défendrons les intérêts de notre pays, que nous pourrons lutter contre la haine génératrice de violence, contre le péché ».

La Communauté musulmane d'autre part a souligné la nécessité de développer davantage ces relations autrement qu'à l'occasion de certains évènements importants de la vie religieuse des deux communautés tels que fêtes de Noël ou de Ramadan. Au niveau des protestants, si les relations sont moins spectaculaires, il y a lieu également, estime la Communauté musulmane, de développer. En ce qui concerne les rapports animistes-musulmans, les congressistes ont estimé qu'ils doivent être plus permanents et plus étroits. « Ils (les animistes) nous fournissent la masse de nos nouveaux fidèles et méritent notre entière sollicitude. Ils ne demandent qu'à comprendre et à être convaincus. Il faut aller à eux sans mépris, ni hauteur, mais avec la force de la vérité et la persuasion, l'ardeur de la foi et l'enthousiasme du salut futur. »

DEUX INNOVATIONS

Jusqu'à présent, la femme a toujours été soumise dans la religion musulmane, à de nombreux interdits qui font d'elle, l'esclave de son coréligionnaire du sexe masculin. Les congressistes pour prouver volonté de la Communauté musulmane de s'adapter au monde moderne, viennent de prendre une décision importante en faveur des musulmanes. Il s'agit de la création d'un comité des femmes musulmanes voltaïques. Justifiant une telle décision, la Communauté musulmane estime que « nos femmes doivent se connaître et se regrouper, quelles que soient leurs origines et leurs conditions sociales pour chercher les voies et moyens nécessaires à leur formation ou perfectionnement religieux ; elles doivent réfléchir aux problèmes du monde moderne et à ceux notamment qui les confrontent avec leurs sœurs non musulmanes afin d'y trouver des solutions d'égalité et de progrès ; elles doivent veiller à l'éducation de leurs enfants et échanger à cette fin, leurs expériences. »

Jusqu'ici, les musulmans, ne se sont pas beaucoup préocupés de la jeunesse. Les nouveaux statuts prévoient l'institution d'un comité de la jeunesse musulmane voltaïque. Pourquoi, un tel comité ? Selon les responsables de la C.M.H.V. « il est indéniable que l'avenir de la religion dépendra de la conscience et de la conduite religieuse de notre jeunesse. Celle-ci doit donc être tenue, encadrée, instruite et éduquée, afin, qu'elle soit libérée de tous complexes face à la population non musulmane. Nous avons signalé les disertions qui affectent notre religion ; cela concerne essentiellement notre jeunesse qui ignore tout de l'Islam. Situation grave dont sont principalement responsables les parents de la Communauté musulmane de Haute-Volta tout entière ; situation encore plus grave car elle prive l'Islam voltaïque des cadres administratifs et gouvernementaux du pays. Il suffit pour s'en alarmer, d'écouter à la radio, les résultats des concours et examens : à peine 10 % de jeunes musulmans; il faut remarquer que maints musulmans de brousse répugnent à envoyer leurs enfants à l'école par méfiance à l'égard de l'école européenne. Or, par les temps que nous vivons, concluent les congressistes cette formation est nécessaire, sinon impérieuse et chaque famille doit évoluer et y pourvoir dans l'intérêt même de l'Islam qui doit être présent aux divers rendez-vous de l'histoire universelle au moment où se prennent les grandes décisions nationales et internationales...» Enfin, concernant les relations avec les pouvoirs publics, les musulmans se déclarent décidés à instaurer respect et dévouement aux autorités du pays.

En conclusion, on peut dire que le congrès de la Communauté musulmane a été l'occasion pour les fidèles de l'Islam d'affirmer leur volonté d'ouverture et d'entente avec les autres éléments de la nation ; volonté également de participer à toutes les activités de la vie nationale, volonté enfin de s'adapter à un monde une pleine transformation. Cela implique de sa part, l'abandon de certains dogmes dont l'exercice est de plus en plus recusé, surtout par la jeunesse qui, enfin de compte représente l'avenir.

Cette volonté, les nouveaux statuts et règlements intérieur adoptés au cours du congrès ainsi que le discours du nouveau président le laissent présager. En effet, intervenant en fin de congrès, El Hadji Amado, nouveau président de la C.M.H.V. disait notamment : « Les musulmans ne sont seuls, ni en Haute-Volta, ni au monde. Nous sommes condamnés à vivre avec des frères et sœurs qui ne partagent pas nos convictions. Nous n'avons pas le droit de nous renfermer sur nous-mêmes, comme en hibernation éternelle, contents de nos acquis. Nous devons quelque chose aux autres. Faisons en sorte que les autres aussi redevables de quelque chose d'utile. Secourons donc l'apathie que l'on nous reproche et engageons le dialogue avec autrui, notre frère, en Haute-Volta comme à l'étranger. Ainsi, du total de nos potentialités, résulteront les sciences, les techniques, les arts, l'amour et la paix qui rendront meilleures les conditions d'existence de l'humanité que nous sommes, sans distinction de races, de couleur de religion et d'idéologies ».

Rappelons que le nouveau bureau de la C.M.H.V. comprend désormais 42 membres dont le président est El Hadji Amado Ouédraogo, secrétaire général El Hadji Oumar Sogoty, et trésorier général, El Hadj Soumaïla (dit Wang-yandé) ; président d'honneur, le Morho-Naba.
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