Les musulmans au Burkina : entre foi et développement

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Title
Les musulmans au Burkina : entre foi et développement
Publisher
Le Pays
Date
1 April 1996
Abstract
Fonctionnaire de police en retraite, El Harouna Sana a longtemps été dirigeant à la Communauté musulmane, avant de créer, en août 1991, le Conseil islamique burkinabè (ClB). Depuis sa création, le CIB a toujours critiqué l'organisation du pèlerinage à la Mecque telle qu'elle se faisait par le passé. Il a plusieurs fois proposé des solutions à l'Etat pour permettre de soulager les pèlerins, Aujourd'hui, on peut dire que son voeu a été exaucé, avec la mise en place d'une Commission nationale d'organisation du pèlerinage patronnée par l'Etat.
A partir du 5 avril prochain, les premiers pèlerins burkinabè s'envoleront pour les lieux saints de l'Islam, la Mecque et Médine. Avec El Hadj Sana Harouna, nous avons voulu faire un tour d'horizon des problèmes liés à ce pèlerinage et, de façon générale, à la vie des associations islamiques burkinabè.
Spatial Coverage
Ouagadougou
Médine
Rights
In Copyright - Educational Use Permitted
Language
Français
Source
Archives Le Pays
Contributor
Frédérick Madore
content
Fonctionnaire de police en retraite, El Harouna Sana a longtemps été dirigeant à la Communauté musulmane, avant de créer, en août 1991, le Conseil islamique burkinabè (ClB). Depuis sa création, le CIB a toujours critiqué l'organisation du pèlerinage à la Mecque telle qu'elle se faisait par le passé. Il a plusieurs fois proposé des solutions à l'Etat pour permettre de soulager les pèlerins, Aujourd'hui, on peut dire que son voeu a été exaucé, avec la mise en place d'une Commission nationale d'organisation du pèlerinage patronnée par l'Etat.

A partir du 5 avril prochain, les premiers pèlerins burkinabè s'envoleront pour les lieux saints de l'Islam, la Mecque et Médine. Avec El Hadj Sana Harouna, nous avons voulu faire un tour d'horizon des problèmes liés à ce pèlerinage et, de façon générale, à la vie des associations islamiques burkinabè.

Le Pays : Monsieur le président, comment avez-vous accueilli la décision du gouvernement de prendre en main l'organisation du pèlerinage à la Mecque ?

El Hadj Harouna Sana (HS) : Nous nous réjouissons beaucoup que l'Etat ait pris en charge l'organisation du pèlerinage. Avant, vous avez sans doute constaté que le Conseil islamique burkinabè avait dénoncé le comportement de certaines associations islamiques qui en avaient fait une affaire personnelle. Nous n'avons donc pas manqué de rappeler, chaque fois, ce qui se passait sur le terrain.

Dieu merci, cette année, je ne dirai pas que notre appel a été entendu, mais nous nous réjouissons beaucoup de la décision de l'Etat à laquelle nous souscrivons. Nous ferons tout pour que cette Commission réussisse dans sa mission.

Le Pays : L'intervention de l'Etat ne signifie-t-elle pas que les musulmans ne sont pas capables de s'organiser eux-mêmes ?

H.S : On peut effectivement Interpréter la situation de cette façon. Mais, il faut se dire que comme dans les pays voisins, l'Etat s'est immiscé tout juste pour présenter une bonne Image du pays à l'extérieur. A la Mecque, les autorités saoudiennes n'ont pas, en effet, manqué d'attirer l'attention de notre gouvernement sur le comportement de nos pèlerins. Notre ambassadeur sur place n'a pas non plus manqué, à travers différents rapports, d'évoquer le cas de nos pèlerins qui sont laissés à eux-mêmes. Enfin, les rapports des délégués ne sont pas suffisamment exploités. Il n'y a que les pèlerins qui, une fois de retour, se plaignent des problèmes qu'ils rencontrent.

Nous pensons donc que l'intervention de l'Etat était devenue nécessaire. Il ne s'agit pas d'une immixtion dans les affaires religieuses, mais d'organisation matérielle.

Le Pays : Certains pèlerins vont à la Mecque pour faire du commerce. Cela ne complique-t-il pas les choses ?

H.S : C'est vrai, il y a des personnes qui y vont pour des affaires. Quand on débourse au moins un million de F CFA pour le pèlerinage et qu'on a les moyens de minimiser ce coût par un certain commerce, les gens n'hésitent pas. Certains ont ainsi fait 20 ou 30 fois le pèlerinage qui est pour eux une occasion de faire des affaires. Mais, ces commerçants ne spolient pas les pèlerins. Ce sont plutôt ceux qui ont en charge l'encadrement des pèlerins qui se comportent de la sorte. Ils sont devenus les autochtones de la Mecque, ils en connaissent tous les coins et recoins. D'autre part, les pèlerins, qui ne maîtrisent pas la langue (anglais, arabe, haoussa), ont recours à leurs services. Tout est payant à la Mecque.

Je trouve donc qu'il est normal que des commerçants fassent partie du pèlerinage car c'est seulement à cette période et à celle de l'Oumra, qu'ils peuvent faire leurs affaires.

Le Pays : N'avez-vous pas des appréhensions en ce qui concerne l'organisation du Hadj'96 ?

H.S : Nous avons des appréhensions parce que c'est la première fois que l'Etat est amené à prendre une telle organisation en charge. De loin, on croirait que l'organisation du pèlerinage est une mince affaire. En réalité, ce n'est pas le cas. Depuis novembre, presque tous les mardis, il y a des réunions, des mises au point dans lés médias. Et malgré cela, nous pouvons dire que le temps ne nous a pas suffi. Une mission gouvernementale devait par exemple précéder les pèlerins, ce qui n'est pas encore le cas. C'est dire que le temps matériel n'a pas suffi. Je crois que l'Etat a joué son rôle pour essayer de nous soulager. Mais, c'est une première. Il nous appartient d'aider l'Etat à s'en sortir. Car à long terme, il n'est pas exclu qu'il se désengage, une fois le rouage bien huilé.

Le Pays : Mais, que devient tout le petit monde qui gravitait autour de l'ancienne organisation ? Il n'y a pas de grincements de dents ?

H.S : Bien sûr qu'il y en a qui ne sont pas contents. Mais au niveau du Conseil islamique burkinabè, nous nous en réjouissons car c'est la première fois que nous participons à l'organisation du Hadj. Et si l'Etat ne s'y était pas intéressé, il est certain que nous aurions attendu encore au moins 20 ans pour prendre part à une telle organisation. L'Etat a vu juste en élargissant la Commission à certaines associations Islamiques.

C'est tout à fait normal que cela provoque des grincements de dents. Chaque année, l'organisation donnait lieu à toutes sortes d'affaires. Le pèlerin souffrait ici parce qu'il devait sortir de. l'argent plus qu'il n'en faut, du fait des démarcheurs. Le billet qui coûte normalement 581 200 F CFA pouvait lui revenir jusqu'à à 600 000 F CFA. Et ce sont les mêmes qui inscrivent les pèlerins ici, qui les accompagnent à la Mecque. C'est une continuité. Arrivés sur place, les gens sont abandonnés à eux-mêmes et n'ont d'autre choix que de se soumettre. Cette année, au contraire, la moindre plainte des pèlerins sera prise en compte.

On ne peut pas faire des omelettes sans casser les oeufs. L'Etat n'a fait que jouer son rôle, ce qui est salutaire pour nous.

Le Pays : Vous venez d'inaugurer une mosquée à Ouagadougou. On reproche justement aux musulmans d'inaugurer plus de mosquées que d'écoles ou de dispensaires...

H.S : C'est vrai. Mais l'on oublie que nos mosquées ne sont pas aussi chères que cela. Pour une mosquée digne de ce nom, Il faudra peut-être dépenser plus de 100 millions de F CFA. Mais Ici, ce sont des fidèles ou des associations qui construisent une mosquée avec très peu de moyens.

Nous aurions voulu construire des hôpitaux. Mais sans soutien, nous ne pouvons pas, à partir de nos cotisations, des dons de certains opérateurs économiques, réaliser de telles infrastructures. De nos jours, les opérateurs économiques hésitent d'ailleurs à épauler les associations islamiques parce qu'il n'y a pas de transparence. Personne ne veut mettre son argent dans un mouvement religieux où il n'y pas d'entente. Beaucoup d'opérateurs économiques sont donc dans l'attentisme, pour voir comment va évoluer la situation. Vu sous cet angle, on ne peut pas reprocher aux associations islamiques d'inaugurer plus de mosquées que d'écoles.

Notre souhait, c'est d'avoir des écoles, des hôpitaux, etc, Nous vivons de nos cotisations, des petites quêtes. On recevrait l'argent des pays développés qu'on ferait aussi plus.

Il faut cependant noter qu'il y a un début avec les réalisations du Dr. Dakouré.

Le Pays : La Communauté musulmane a reçu récemment une aide de 5 milliards de F CFA. Avez-vous été contacté pour aider à élaborer des projets de développement ?

H.S : Quand on annonçait dans la presse que la Communauté musulmane a reçu 5 milliards, j'étais absent. Toutefois, j'ai été heureux de constater que ceux de l'extérieur s'intéressent un tout petit peu à nous. En fait, nous sommes délaissés.

Mais dans ce don, il n'y a pas que la Communauté musulmane qui est concernée. C'est, Je pense, l'ensemble des musulmans. Mon entendement à moi, c'est que le développement de ce pays n'est pas l'affaire d'une seule personne ou d'une seule association.

Le Pays : Quel sentiment éprouvez-vous quand on assimile l'Islam à l'intégrisme ?

En période de guerre, on peut dire que tous les moyens sont bons. Mais l'intégrisme dans le monde tel qu'il est actuellement, concerne un petit groupe fanatique, désœuvré. On recrute dans ce milieu pour essayer de se faire entendre. Ce groupe a une vision religieuse, mais aussi politique des choses. C'est donc un groupe politique qui veut passer par la violence pour arriver au pouvoir.

Nous ne souhaitons pas que cette forme de violence arrive dans notre pays. C'est un phénomène contagieux, mais nous au CIB, nous mettons l'accent sur les activités concrètes sur le terrain. Malgré tout, certains n'hésitent pas à nous présenter autrement. Nous avons toujours négligé cette façon de caricaturer le Conseil islamique. On devrait nous juger sur les actes que nous posons.

Il faudra qu'on arrive à nous aider. Car aujourd'hui, il est nécessaire de contrôler certains groupes qui se créent. Nous devons donc être vigilants, bien que dans notre pays des indices n'existent pas encore, qui incitent tirer la sonnette d'alarme. Les miséreux se comptent aussi dans nos rangs, mais Jusqu'à présent, ils vivent de leur sueur.

Le Pays : A quelques jours du départ des pèlerins, quels sont vos souhaits?

H.S : J'ai participé à la Commission nationale d'organisation au nom du Conseil islamique burkinabè. Il y a eu une mission à l'ouest et une autre au nord. Je peux déjà vous dire que les gens avaient toujours des appréhensions, malgré la mise en place des commissions provinciales d'organisation. Mais depuis que la Commission nationale s'est déplacée auprès des fidèles, des Hauts-Commissaires pour donner l'Information, cela a tranquillisé les futurs pèlerins. Il reste maintenant le pèlerinage lui-même à la Mecque, qui relève de l'inconnu. Je pense que là aussi, l'Etat a pris ses dispositions.

Depuis le 20 mars, Il y a une permanence, au niveau du ministère de l'Administration territoriale, pour permettre aux pèlerins de régler leurs versements ou régler les petits problèmes liés au pèlerinage. Si vous allez au MAT, la Commission est présente nuit et Jour, pour procéder au classement. Selon ce que nous vivons, nous pouvons d'ores et déjà dire que le travail sera bien fait, s'il plaît à Dieu.

Le Pays : Quels conseils avez-vous à donner aux pèlerins ?

H.S : Je souhaite que les pèlerins restent toujours à l'écoute des encadreurs. Il leur faudra d'abord aller vers ceux-ci. S'ils sont rejetés, Ils pourront alors se plaindre Mais en débarquant à la Mecque, des pèlerins se diront qu'ils ont fait la Mecque plusieurs fois et qu'ils peuvent en faire à leur guise. A ce sujet, la Commission doit rester vigilante. Car certains vont tenter de divertir les pèlerins. Vingt encadreurs pour un millier de pèlerins, c'est peut-être insuffisant, mais avec un minimum de discipline on peut s'en sortir.
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