Médersas : la justice a tranché

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Title
Médersas : la justice a tranché
Creator
Jules Ouédraogo
Date
19 October 1992
Abstract
La rentrée scolaire 1992-1993 a débuté depuis le 1er octobre mais au niveau de la Communauté musulmane, elle n'était pas encore effective. En effet, les quatre médersas relevant de son autorité sont restées fermées jusqu'à ce jour à cause de dissensions entre certains membres de la Communauté et le Bureau exécutif.

De quoi s'agit-il au juste? El Hadj Toumani Triandé, président de la Communauté musulmane du Burkina Faso nous fait la genèse d'une affaire qui remonte à août 1983.
Spatial Coverage
Médine
Rights
In Copyright - Educational Use Permitted
Language
Français
Contributor
Frédérick Madore
Wikidata QID
Q114035664
content
La rentrée scolaire 1992-1993 a débuté depuis le 1er octobre mais au niveau de la Communauté musulmane, elle n'était pas encore effective. En effet, les quatre médersas relevant de son autorité sont restées fermées jusqu'à ce jour à cause de dissensions entre certains membres de la Communauté et le Bureau exécutif.

De quoi s'agit-il au juste? El Hadj Toumani Triandé, président de la Communauté musulmane du Burkina Faso nous fait la genèse d'une affaire qui remonte à août 1983.

La rentrée scolaire 1992-93 est maintenant effective, mais on constate que les médersas n'ont pas encore ouvert leurs portes. Peut-on savoir pourquoi ?

El Hadj Triandé : Une précision s'impose d'abord : la fermèture ne concerne pas toutes les médersas, mais des médersas relevant de la communauté musulmane du Burkina Faso. En fait presque toutes les associations islamiques du pays ont leurs médersas, donc celles qui sont actuellement fermées sont celles relevant de l'autorité de la communauté musulmane. Pourquoi maintenant celles-ci sont-elles fermées ? Pour comprendre le problème, il faut remonter un peu l'histoire. L'article 4 des statuts de la communauté stipule que l'un des objectifs prioritaires de la communauté musulmane est de favoriser l'implantation d'écoles sur le territoire national et notamment des médersas. Cet objectif ne met pas en cause l'existence des écoles coraniques, mais dans l'entendement de la communauté musulmane, étant donné les limites de ces écoles, il fallait créer d'autres structures aux possiblités larges et c'est pourquoi nous avions pensé que las médersas étaient plus indiquées pour asseoir un véritable enseignement islamique au Burkina Faso. Il n'y a pas de comparaison possible entre une école coranique et une médersa, car la différence est très grande.

L'école coranique est une école à mémoire. L'enfant apprend le Coran par cœur, ce n'est que plus tard qu'il va apprendre à écrire les arabesques et à traduire. Voyez le temps que cela prend, alors que dans les médersas, au bout d'une année scolaire, l'enfant sait déjà lire et écrire, comme dans les écoles classiques.

Les médersas sont donc des écoles véritablement scientifiques et modernes. Il y a encore une différence, dans les écoles coraniques, l'éducation islamique est très accentuée, ferme et rigoureuse, alors que dans les médersas l'éducation est beaucoup plus relax, mais nous le répétons, les avantages qu'offrent les médersas ne sont même pas à comparer avec ceux des écoles coraniques.

Dès l'avènement de la communauté musulmane au Burkina Faso, nous avons aussitôt implanté des médersas, mais cela a soulevé un tollé parmi les conservateurs, c'est-à-dire les promoteurs d'écoles coraniques. On disait à l'époque que les médersas étaient des écoles de satan. La vérité c'est que nos détracteurs croyaient qu'en instituant les médersas, nous demandions la suppréssion des écoles coraniques, or nous, nous disons que ce sont deux choses indispensables et complémentaires.

Ce n'est que plus tard que les gens ont compris les avantages qu'offraient les médersas, car les premiers universitaires arabophones actuels sont sortis de nos médersas et non pas des écoles coraniques. C'est pourquoi le gouvernement voyant le travail accompli par les médersas a organisé un séminaire pour susciter une nouvelle dynamique afin que toutes les médersas appliquent à l'échelon national un même programme, suivent les mêmes textes.

Après le boum des médersas que nous est-il arrivé ? En 1983, nous nous sommes retrouvés devant un dilemne. La révolution avec toutes ses exceptions, et tout ce que nous avons connu n'a pas épargné non plus la communauté musulmane; c'est ainsi que des gens à courte vue ont voulu suivre la révolution telle qu'elle se présentait. C'était leur droit après tout. Mais là où le bât blesse c'est qu'ils avaient exigé que la révolution aille jusque dans les mosquées. C'est ainsi qu'ils avaient institué des CDR dans les mosquées, dans les médersas etc. J'ai alors dit non. Il a fallu l'aide de Dieu pour que nous survivions. Je ne vais pas vous raconter toute les péripétiés de cette affaire, mais vous avez dû apprendre qu'au temps du CNR, nous avons été enfermés au palais pendant 24 heures, mais cela ne nous a pas empêché de dire non. Nous l'avons dit, nous ne sommes pas des anti-révolutionnaires, mais nous voulons seulement faire la part des choses; nous ne voulons pas amalgame politique et religion. Voilà comment nous voyions la chose, c'est tout. Malgré toutes nos remarques, protestations, on n'a pas voulu nous entendre. Certaines personnes sont donc arrivées à instaurer des CDR des élèves, des enseignants, au sein de nos médersas. A partir de 1983, alors à notre corps défendant, on a changé le personnel enseignant que nous avions, des parents ont retiré leurs enfants de nos écoles. De 3000 élèves que comptaient nos quatre médersas, il ne reste en 1992 qu'un effectif de 500 élèves.

Aujourd'hui, l'enseignement dans nos médersas est tombé à son plus bas niveau. Nous ne savons plus ce qu'on y enseigne là-bas et quel programme on applique. On fabrique et on délivre des diplômes n'importe comment : BEPC arabe, Bac arabe etc, alors que nous, nous disons qu'il faut aller par étape.

Devant cette situation comment la communauté musulmane propriétaire légale des médersa peut-elle se taire ? Bien des fois lorsque nous avions voulu régler nos différents au ministère de l'Administration territoriale, on nous renvoyait en nous disant de trancher nous mêmes nos problèmes. De 1983 à nos jours nous nous sommes donc battus et l'affaire vient d'être régler il y a dix jours seulement. Et qui était à la tête de cette affaire ? le fils du grand iman Tiemtoré Mahamoudou, aidé par d'autre personnes. Nous avons donc vécu un calvaire, mais Dieu merci, la vérité divine finit toujours par triompher et c'est ainsi que de l'Etat d'exception, nous sommes aujourd'hui dans un Etat de droit. Et nous nous sommes dits qu'il fallait maintenant voir les choses. Pour ma part, en tant que président national de la communauté musulmane, je me suis toujours refusé à trainer un frère musulman en justice. J'ai préféré toujours règler nos différents par la voie islamique, mais ceux de l'autre côté n'avait pas cet entendement. Le conseil exécutif m'a récemment mis devant mes responsabilités en me demandant de traduire nos différents devant la justice. Voilà comment nous avons été obligé de porter l'affaire devant le procureur de la République et la chose s'est réglée.

Auparavant les médersas étaient ouvertes, mais ayant porté l'affaire en justice, nous avons passé un communiqué invitant les parents d'élèves à n'inscrire leurs enfants qu'après le 15 octobre pour des raisons d'organisation administrative et pédagogique.

En clair El Hadj, ce sont donc ces seules raisons qui vous ont amené à fermer les portes de vos mérdarsas ?

El Hadj Triandé. C'est cela. Ce sont uniquement pour des raisons administratives et pédagogiques que nous avons fermé nos écoles.

-De quelle affaire s'agissait-il au juste ?

El Hadj Triandé. Il semble que vous ne me suivez pas. Il s'agit d'un groupe de personnes qui a récupé les médersas et qui les ont gérées de 83 à maintenant, excluant tout droit de regard de la communauté musulmane. Nous avons actuellement recupéré toutes les clés des quatre medersas. Le problème est donc totalement réglé.

- A quand maintenant l'ouverture des salles de classes ?

El Hadj Triandé. Quand ? nous ne pouvons pas pour l'instant vous le dire, car les médersas ne remplissaient pas toutes les conditions administratives. Maintenant qu'il y a un ministère de l'enseignement privé, il faut que les médersas se régularisent qu'elles aient une autorisation officielle d'existence. Il faut que les enseignants aient des autorisations d'enseigner. Il y a également le problème des programmes d'enseignement. Après le séminaire sur les médersas organisé par le gouvernement, on a la possibilité de choisir entre trois types de médersas. On peut avoir une médersas à dominante français et l'arabe comme deuxième langue, on peut avoir une médersa qui privilégie de manière équitable l'arabe et le français ou une médersa à dominante arabe.

Vous disiez tantôt que les médersas ont été créées pour palier les limites des écoles coraniques, mais dans un Etat laïc comme le Burkina Faso, quels sont les débouchés dont peuvent bénéficier les élèves issus des médersas?

El hadj Triandé : Les médersas offrent beaucoup de débouchés selon les niveaux des étudiants. Vous pouvez vous orienter vers l'enseignement, l'interprétariat. Vous pouvez aussi vous orienter vers d'autres métiers ; c'est ce à quoi nous nous orientons depuis la tenue du séminaire. Nous avons en effet exgigé qu'il y ait des lycées et collèges techniques arabo phones qui compléteront notre action. Votre question est pertinente. Il faut savoir en effet que les enfants que nous formons ne sont pas destinés à être des marabouts c'est-à-dire des maîtres d'écoles coraniques. Ils ont des possibilités diverses de s'épanouir plus tard dans la vie active.

Les étudiants que nous envoyons dans les pays arabes notamment en Lybie, en Algérie et ailleurs ne font pas seulement que de la théologie, il n'y a que ceux qui nous envoyons à Médine et à la Mecque qui font de la théologie. Nous avons aujourd'hui des cadres dans l'administration qui ont fait leurs études supérieures dans de grandes écoles arabes. Avec les résultats des travaux du séminaire sur les médersas, nous pensons qu'une solution sera trouvée dans les meilleurs délais en ce qui concerne les équivalences de diplômes.

Parlons maintenant, si vous le voulez, des problèmes qui minent la communauté musulmane. Il semblerait que le courant ne passe pas entre le bureau national et le reste de la communauté musulmane. Qu'en est il exactement ? Quelles sont les relations qui existent entre les deux entités ?

El hadj Triandé : Des relations ambiguës.

A mon niveau il n'y a aucun problème entre le conseil exécutif et les autres musulmans. Nous tenons des réunions tous les quinze jours, les statuts donnent trois ans au bureau national pour se renouveler, deux ans aux bureaux provinciaux et un an aux bureaux locaux. L'actuel bureau national date de 1988. Il est vrai que son delai de renouvellement est passé, mais est-ce que vous pouvez appeler cela un problème ?

Vous personnellement El hadj Triandé, vous êtes souvent pris à partie. On dit que vous vous êtes emparé de la communauté musulmane, qu'en matière de connaissance théologique vous n'avez rien à apprendre à personne et que vous ferlez mieux en tant que retraité d'aller cultiver vos choux. Qu'avez-vous à répondre de ces remarques ?

El hadj Triandé : Répondre aux coups de l'âne s'est être plus âne que l'âne lui même. Beaucoup de musulmans et de non musulmans connaissant l'auteur de cette allégation. Je croie que cela ne vaut plus la peine d'y revenir. Cependant je vais vous répondre. La communauté musulmane est structurée de façon suivante et ce n'est pas seulement au Burkina qu'il en est ainsi. Il y a d'abord une partie spirituelle et réligieuse qui relève du domaine des imams et une autre partie qui relève du domaine administratif. C'est cette structuration qui fait la force de la communauté musulmane. Prenons des exemples si vous voulez. Quand on parle de Tidjania, c'est la confrerie Tidjania, effectivment la confrerie Tidjania peut vivre avec son Cheick, c'est son problème, personne ne viendra s'immiscer dans leur affaire ; mais n'empêche que la confrerie Tidjania a son bureau administratif. Le mouvement sunnite ; le sunnite en tant que tel est une confrerie mais le mouvement sunnite a son bureau national et même ses bureaux provinciaux. Il faut donc faire la part des choses. Il y a d'un côté la partie religieuse et de l'autre la partie purement administrative.

D'autre part il n'est dit nul part que celui qui n'écrit pas ou ne parle pas arabe n'est pas un musulman. L'arabisme n'est pas synonyme d'islamisme. Tous les arabes ne sont pas tous des musulmans, la preuve le Coran est traduit dans combien de langues en ce moment ? ceux qui disent que nous sommes venus dorer notre retraite à la communauté musulmane, je leur dit tant mieux, Dieu seul est juge. Vous avez même oublié de dire qu'il me traite même de caffre! Qu'un musulman convaincu, conscient et soumis désigne un autre musulman sous le vocable caffre, c'est trop fort. Il faut être totalement perdu pour oser dire cela.

Je reviens sur la formulation de votre première question. Vous dites il semblerait, ce sont là des rumeurs. En ce moment nous sommes entrain de préparer nos journées d'étude pour essayer de rattraper le retard sur le renouvellement du bureau national. Nous ne pouvions tenir notre congrès en 1991 à cause des échéances électorales, car nous sommes après tout des citoyens soumis aux contraintes civiques.

Permettez que J'emprunte encore à la rumeur publique cette question. Il semblerait que le courant ne passe pas entre le bureau national et le grand Imam.

El hadj Triandé : Je ne vais franchement pas vous cacher la vérité. C'est une réalité. C'est pas moi seul, la mésentente se trouve au niveau du bureau exécutif et le grand Imam. Çà c'est l'affaire du grand Imam. C'est un vieillard qui a plus de quatre vingts (80) ans qui a ses limites et nous ne pouvons pas lui en vouloir. Mais c'est dommage que ses fils et d'autres détracteurs qui l'entourent continuent de l'induire en erreur. Nous faisons partie, nous, membres du bureau exécutif de ceux-là qui respectons et soutenons de tout coeur le grand Imam. Nous savons qui est entrain de détruire l'imam, sinon l'imam n'a pas quelqu'un qui puisse l'épauler plus que nous. Qu'on demande à l'imam qui lui a donné son imamat ? Qui a organisé la communauté musulmane sur le plan national, provincial et local ? Vous savez en l'islam il n'y a pas de hiérarchie écclaisiastique comme chez les catholiques ; chaque petit groupe musulman s'autogère.

La mosquée est le lieu de rassemblement des musulmans. Tout se passait avant autour de la mosquée. Nous avons voulu changé cela, en apportant un nouveau type d'organisation qui dépasse justement le cadre des petits rassemblement de zones. Avant on connaissait le Rakémooré et autre groupement et çà s'arrêtait là.

Pour revenir à votre question je dirais qu'entre le grand imam et nous des gens fabriquent toute sorte d'histoire, mais le grand imam ne sait malheureusement pas où se trouve son vrai bonheur.

Entre le grand imam et nous des gens fabriquent toute sorte d'histoire, mais le grand imam ne sait pas ou se trouve son vrai bonheur.

Quel sont ceux qui gravitent donc autour de l'imam?

El hadj Triandé : Il y a Issaka Démé de Bilbalogho, il y a Harouna Sana. Des musulmans des milieux Tidjania et sunnite connaissent qui est Harouna Sana. Cet homme n'a jamais cherché à faire quelque chose de positif. Il n'y a que l'intérêt personnel qui compte chez lui. Ce matin même (samedi 17 août) si vous aviez remarqué, vous verriez qu'il y avait un petit attroupement au niveau de la mosquée. Il s'agissait d'un demêlés de Harouna.

Le problème est de savoir si le grand imam se rend compte qu'on est entrain de l'induire en erreur. En tout cas nous à votre niveau, nous n'avons rien contre le grand imam.

Propos recueillis par

Jules Ouédraogo.