L'islam ivoirien et burkinabé à l'ère du numérique 2.0

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Academic Article
Title
L'islam ivoirien et burkinabé à l'ère du numérique 2.0
list of authors
Frédérick Madore
Abstract
fr À partir des cas ivoirien et burkinabé, cet article propose d'explorer les contenus de l'islam à l'ère du web et des réseaux sociaux, d'en présenter les conséquences sur l'identité, l'appartenance à la communauté, l'autorité spirituelle et la diffusion du message religieux ainsi que sur les nouvelles formes de religiosité qui sont apparues. Dans un contexte régional marqué par une vague d'attentats terroristes, cette recherche interroge les liens entre ce médium et la radicalisation de certains acteurs musulmans.
en This study reflects on Islam in the era of the web and social networks by looking at the Ivory Coast and Burkina Faso. It explores the impact on identity, the sense of community belonging, spiritual authority, and the dissemination of religious messages, as well as on new forms of religious inclination that have appeared on the web. In a regional context marked by a wave of terrorist attacks, the aim of this research is to examine the connection between the Internet and the radicalization of certain Muslims.
Journal
Journal des anthropologues
issue
146-147
page start
151
page end
178
Date
2016
Language
Français
Wikidata QID
Q58165675
Spatial Coverage
Burkina Faso
Côte d'Ivoire
extracted text
L’ISLAM IVOIRIEN ET BURKINABÉ
À L’ÈRE DU NUMÉRIQUE 2.0
Frédérick MADORE∗
À partir des années 1990 et surtout depuis les années 2000,
tout un champ d’études s’est développé sur la façon dont la religion
s’inscrit dans le numérique tels les sites web, forums, blogs, courriels, médias de diffusion en ligne tels que YouTube, réseaux
sociaux comme Facebook et Twitter, etc. Les auteurs ont forgé différents concepts tels que « religion online », « online religion » et
« digital religion » pour mieux appréhender les nouvelles formes de
religiosité qui sont apparues grâce au web (Dawson & Cowan,
2004 ; Helland, 2005 ; Campbell, 2012 ; Cheong et alii, 2012 ;
Hojsgaard & Warburg, 2012 ; Duteil-Ogata et alii, 2015). Les recherches, essentiellement issues de spécialistes du monde
arabo-musulman, se sont focalisées sur les conséquences de cet
espace singulier sur la piété islamique (Bunt, 2003 & 2009 ;
El-Nawawy & Khamis, 2009 ; Khan, 2015). Cependant, peu
d’études ont jusqu’à présent été publiées sur la présence de l’islam
ouest-africain dans le cyberespace et de ses répercussions sur les
pratiques religieuses des fidèles.
Le degré de pénétration et l’accessibilité d’Internet dans cette
région demeurent un des plus faibles dans le monde : seulement
∗ Département des sciences historiques, Université Laval, Québec
2325 rue de l’Université – Ville de Québec – QC G1V 0A6, Canada
Courriel : frederick_madore@outlook.com

Journal des anthropologues n° 146-147, 2016

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9,4% de la population burkinabée et 22,5% de celle de Côte d’Ivoire
utilisent Internet, selon des chiffres de novembre 2015. Cependant,
son usage est en forte augmentation surtout en milieu urbain : entre
2000 et 2015, le nombre d’utilisateurs est passé de 10 000 à plus de
1 750 000 au Burkina Faso et de 40 000 à plus de 5 000 000 en Côte
d’Ivoire ; en novembre 2015, près de 500 000 comptes inscrits sur
Facebook provenaient du Burkina Faso alors que 1 800 000 d’entre
eux étaient issus de Côte d’Ivoire1. Les productions islamiques
d’Afrique de l’Ouest sur le web sont loin d’être aussi nombreuses et
développées qu’ailleurs dans le monde musulman et les moyens plus
classiques et « anciens » tels que la presse écrite, la radio, la
télévision et les SMS demeurent des véhicules clés pour l’expression
religieuse (Samson, 2011 ; Savadogo & Gomez-Perez, 2011 ;
Schulz, 2012 ; Sounaye, 2013 & 2014). Seule l’étude d’Hassane
(2009) sur le Niger, théorique et peu appuyée sur des données
empiriques et celle de Bondaz (2015), sur la diffusion d’images
cultuelles et de photographies des fondateurs de la confrérie mouride
au Sénégal, ont réellement pris en compte l’Internet.
Cette étude exploratoire propose donc de réfléchir sur l’islam à
l’ère du web et des réseaux sociaux à partir des cas ivoirien et
burkinabé afin de voir quelles sont les conséquences sur l’autorité
spirituelle, l’identité, l’appartenance à la communauté, la diffusion
du message religieux et les nouvelles formes de religiosité qui sont
apparues sur le web. Dans un contexte régional marqué par une
vague d’attentats terroristes2, l’intérêt sera également porté sur le
lien entre ce médium et la radicalisation de certains musulmans. Au
1 « Internet Usage Statistics for Africa », Internet World Stats,
www.internetworldstats.com/stats1.htm, page consultée le 13 décembre
2015.
2 Outre les attentats orchestrés par Boko Haram au Nigeria, au Tchad et au
Cameroun depuis 2009, d’autres actions terroristes revendiquées par les
organisations Al-Mourabitoune et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)
ont récemment été commises ailleurs en Afrique de l’Ouest : Bamako
(Mali) le 20 novembre 2015, Ouagadougou (Burkina Faso) le 15 janvier
2016 et Grand-Bassam (Côte d’Ivoire) le 13 mars 2016.

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L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
cours des dernières années, la question du rôle d’Internet comme
outil de propagande et de recrutement pour des groupes terroristes
comme Al-Qaïda et Daesh a fait l’objet de vifs débats parmi les
chercheurs3, les décideurs politiques et les organisations sécuritaires.
Dans cette optique, cette contribution souhaite analyser les discours
véhiculés sur les principales plates-formes islamiques ivoiriennes et
burkinabées, et ce, en allant au-delà d’une perspective purement
sécuritaire et contre-terroriste parfois réductrice.
La recherche se base principalement sur l’analyse du contenu
numérique des principales associations islamiques nationales présentes sur Internet4, les pages Facebook de certaines figures
musulmanes parmi les plus actives et les plus populaires (en termes
de mentions « j’aime »)5 de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. Tous
Un numéro spécial de la revue Studies in Conflict & Terrorism,
« Terrorist Online Propaganda and Radicalization » (à paraître en 2016),
porte sur ces questions :
http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1057610X.2016.1157402
4 Pour la Côte d’Ivoire :
COSIM (http://cosim-ci.org, www.facebook.com/cosimci),
AEEMCI (www.aeemci-ce.org,www.facebook.com/pages/AeemciComit%C3%A9Executif/622883921070689),
AJMCI (http://ajmci.org, www.facebook.com/Association-des-JeunesMusulmans-en-Côte-dIvoire-233321096710646),
AMSCI (www.ams-ci.org, www.facebook.com/AMSCI-440012886101334),
JEMCI (www.jemci.net, www.facebook.com/Jamsci),
LIPCI (www.lipci.org, www.facebook.com/LipciLigueIslamiqueDesPredicat
eursenCoteDIvoire),
CNI (www.cnicosim.org).
Pour le Burkina Faso :
AEEMB (www.aeemb.bf, www.facebook.com/AEEMB-Burkina383154995194073),
CERFI (www.cerfi.bf, www.facebook.com/Cerfi-Burkina1539198672980618),
Mouvement Sunnite
(http://sunna.bf, www.facebook.com/mouvementsunnite).
5 Cheikh Soufi Moaze Ouédraogo
(www.facebook.com/cheicksoufi.ouedraogo),
3

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Frédérick Madore
les sites web, forums et groupes privés ont été exclus. L’article repose également sur des données empiriques tirées d’une enquête de
terrain conduite à Abidjan (novembre 2014-avril 2015) et à
Ouagadougou (avril-juillet 2015) au cours de laquelle des entretiens
ont été effectués auprès des responsables et des fondateurs de
quelques-uns des principaux sites Internet musulmans « indépendants » (sans affiliation associative) dans ces deux pays, ce qui a
permis de les mettre en perspective. Il s’agit principalement des sites
Le Musulman du Faso6 et Bissmillahi-bf (Le forum pour un islam
décomplexé au Burkina Faso)7 et Salam.ci8 en Côte d’Ivoire, qui
sont parmi les sites les plus fréquemment mis à jour et les plus riches
en contenu. Bien qu’il ne s’agisse évidemment pas d’un échantillon
exhaustif, ces données ont permis de dresser un premier état des
lieux de l’islam burkinabé et ivoirien. Si ce portrait n’est ni certain
ni univoque compte tenu de la diversité des mouvements et des
usages différenciés que font les différents acteurs de leur appartenance à l’islam, certaines tendances peuvent toutefois être relevées
dans la façon dont les communautés musulmanes des deux pays se
mettent en scène sur le web.
Dans un premier temps, l’analyse des principales initiatives qui
ont permis une plus grande présence de l’islam ivoirien et burkinabé
sur le cyberespace permettra de montrer qu’en dépit de l’importance
que les musulmans des deux pays accordent aux médias numériques,
les résultats sont mitigés. La seconde partie sera l’occasion
d’analyser quelques-unes des nouvelles dynamiques et des formes de
religiosité qui ont émergé avec le développement de la da’wa9
numérique. Ceci a notamment permis à de jeunes musulmans, plus à
l’aise avec les nouvelles technologies, d’acquérir une légitimité
Cheikh Malick Soufi Konaté (www.facebook.com/cheick.soufikonate),
Cheikh Moustapha Sonta (www.facebook.com/Cheickmsontakgtci),
Hadj Aminata Kane (www.facebook.com/kaneaminata.kone).
6 http://islam.bf.
7 www.bissmillahi-bf.org.
8 www.salam.ci.
9 Le « prosélytisme religieux » en arabe.

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L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
auprès de leurs aînés, tout en offrant à des autorités religieuses établies et plus âgées de nouvelles possibilités pour réaffirmer leur
influence. Cette nouvelle donne a également favorisé la transnationalisation de l’identité islamique locale. Enfin, si les plates-formes
islamiques ivoiriennes et burkinabées les plus dynamiques promeuvent, pour plusieurs d’entre elles, une conception littérale de l’islam
détachée des enjeux politiques, les principaux groupes et figures
salafistes des deux pays les ont utilisées pour dénoncer activement
les dérives violentes et djihadistes des organisations terroristes.
L’irruption de l’islam ivoirien et burkinabé dans le numérique :
une nouvelle offre criblée de bugs

Assez tôt, les associations islamiques nationales des deux pays
ont considéré les médias numériques comme étant une nouvelle
interface majeure pour interagir avec leurs membres et se poser en
concurrence avec les autres groupes confessionnels dans un marché
religieux très compétitif. Toutefois, au-delà des discours, plusieurs
initiatives des organisations musulmanes ont connu des ratés si bien
que les projets les plus dynamiques sont surtout l’œuvre d’actions
individuelles. C’est notamment le cas de certaines figures publiques,
dont plusieurs d’obédience soufie, et des promoteurs qui ont lancé
les sites Le Musulman du Faso, Bissmillahi-bf et Salam.ci.
Les associations islamiques et les médias numériques : derrière les
discours, des actions mitigées
Dans de nombreux pays ouest-africains, dans un contexte caractérisé par un paysage religieux pluriel, éclaté et de plus en plus
compétitif, les mouvements religieux de toutes les confessions ont
saisi l’occasion de la déréglementation des télécommunications qui a
suivi la libéralisation politique et sociale entreprise au début des
années 1990, pour utiliser la presse, la radio, la télévision et plus
récemment Internet comme voies de prosélytisme et d’affirmation
religieuse (Lasseur & Mayrargue, 2011). Les nouveaux christianismes de type évangélique et pentecôtiste ont été des acteurs
majeurs par leur entrepreneuriat prosélyte tous azimuts
(Fath & Mayrargue, 2014). La Côte d’Ivoire et le Burkina Faso n’y

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ont pas échappé. À Abidjan, les Églises évangéliques et les autres
nouveaux prophétismes pentecôtistes ont acquis une très grande
visibilité par le biais de la commercialisation de produits religieux
sur le web et lors de rassemblements ponctuels dans des lieux publics (Mary, 2002 ; Guiblehon, 2010 ; Miran-Guyon, 2014). Au
Burkina Faso, elles se sont elles aussi montrées très actives dans le
paysage ouagalais depuis les années 1980 à travers leurs campagnes
d’évangélisation, qui ont attiré de nombreux jeunes. Elles ont également joué un rôle accru sur le plan politique (Fancello, 2007 ;
Laurent, 2009).
Les musulmans ivoiriens et burkinabés, se sentant quelque peu
en retard devant la médiatisation des autres courants religieux, ont
désiré donner une plus grande visibilité à l’islam par l’entremise des
médias. Il fallut cependant attendre le début des années 2000 pour
voir les premiers usages d’Internet par les musulmans ivoiriens
d’abord et par les Burkinabés quelques années plus tard.
L’importance accordée aux médias numériques par les associations
musulmanes de toutes les tendances est manifeste dans les discours
et les activités menées dans les dernières années. En Côte d’Ivoire,
le Conseil national islamique (CNI)10 et le Conseil supérieur des
imams (COSIM)11 ont fait figure de pionniers en mettant sur pied,
dès le début des années 2000, un site Internet12 qui a constitué en
quelque sorte un modèle pour la qualité et la quantité des contenus
ainsi que pour la fréquence de ses mises à jour. Entre 2003 et 2010,
au moins 700 articles, dont des comptes rendus d’activités, des
transcriptions de sermons ainsi que des interviews avec des responsables de la communauté, ont été publiés sur ce site. Suite à une
intense rivalité entre le CNI et le COSIM, à partir du milieu des
10 Le CNI est une structure fédérative créée le 9 janvier 1993 pour unifier
les différentes associations musulmanes.
11 Alors que le CNI s’occupe des affaires administratives de la communauté
musulmane ivoirienne, le COSIM, créé en 1987, se veut l’autorité morale de
la communauté. Composée d’imams, l’association est responsable de la
gestion spirituelle, des mosquées et des imams du pays.
12 www.cnicosim.org. Le site n’existe plus depuis plusieurs années.

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L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
années 2000, ce dernier a lancé son propre site web13 en avril 2009.
Cette association a aussi organisé de nombreuses activités de formation pour les imams et les prêcheurs sur les NTIC (nouvelles
technologies de l’information et de la communication), comme celle
de décembre 2012 au terme de laquelle les participants devaient être
en mesure de faire des recherches sur le web pour améliorer leurs
connaissances sur l’islam et savoir mettre en ligne leurs prêches et
sermons14.
Les associations musulmanes de jeunesse ivoiriennes, en
raison du profil de leurs membres, se sont elles aussi montrées assez
dynamiques. L’Association des élèves et étudiants musulmans de
Côte d’Ivoire (AEEMCI)15 a lancé sa page en 200716 alors que
l’Association des jeunes musulmans de Côte d’Ivoire (AJMCI)17 a
fait de même en 200918. Du côté du Burkina Faso, ce sont les jeunes
francophones de l’Association des étudiants et élèves musulmans du
Burkina (AEEMB)19, qui ont été les pionniers en lançant leur site
web en janvier 200620. Ils ont été suivis par les intellectuels
francophones du Cercle d’études, de recherches et de formation

www.cosim-ci.org
« Réduction de la fracture numérique : les imams et les prédicateurs à
l’école des technologies de l’information et de la communication (TIC) »,
www.cosim-ci.org/spip.php?article175, page consultée le 9 avril 2013.
15 Reconnue officiellement en 1979, l’AEEMCI regroupe la jeunesse
musulmane scolarisée dans le système éducatif francophone et laïc.
16 http://aeemci.info, aujourd’hui www.aeemci-ce.org
17 Une association nationale de jeunes musulmans déscolarisés créée en
1992.
18 http://ajmci.org
19 Créée en 1985, cette association vise la promotion de l’islam dans le
milieu éducatif francophone laïc. Elle s’est grandement inspirée de
l’AEEMCI.
20 www.aeemb.bf
13
14

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islamiques (CERFI)21 en 200922. Ces sites informent essentiellement
les internautes des activités associatives.
À l’inverse, d’autres associations musulmanes nationales ont
été quelque peu en retard. C’est le cas de l’Association des
musulmans sunnites de Côte d’Ivoire (AMSCI), de tendance salafiste
et dont les responsables affirment accorder de l’importance aux
NTIC depuis plusieurs années et organisent plusieurs activités sur
cette question23. Cette volonté de l’AMSCI s’est aussi traduite par le
lancement d’un site web en 201424 avant qu’il ne soit mis hors-ligne.
La situation est similaire pour la Communauté musulmane du
Burkina Faso (CMBF)25 et pour le Mouvement sunnite du Burkina
Faso (MSBF)26, deux des plus importantes et anciennes associations
musulmanes à l’échelle nationale. Bien qu’ayant créé chacune leur
site Internet27, celui du MSBF n’a pas été mis à jour depuis des
années alors que celui de la CMBF est hors-ligne depuis 2013. Ces
trois cas illustrent bien les limites du virage numérique pris par les
musulmans de Côte d’Ivoire et surtout du Burkina Faso. En effet, les
Créé en 1989, le CERFI est en quelque sorte le prolongement de
l’AEEMB. N’ayant plus le statut d’élève ou d’étudiant, ses membres, insérés
sur le marché du travail, font partie du Cercle.
22 www.cerfibf.bf
23 Par exemple, en novembre 2008, environ 200 imams étaient en atelier de
formation sur le thème de « L’islam et les NTIC ». Voir « Islam,
fonctionnement du Codis et NTIC : les imams un peu plus outillés », Notre
Voie, 17 novembre 2008 ; « Adjamé Bracodi. Atelier de formation des
imams : le CODIS forme ses membres », Islam Info, n° 159, 19 au 25
novembre 2008.
24 www.ams-ci.org
25 Créée en 1962 sous le nom de Communauté musulmane de Haute-Volta
(CMHV), elle se voulait à l’origine comme l’unique association regroupant
tous les musulmans au plan national. Avant la création de la Fédération des
associations islamiques du Burkina (FAIB) en 2005, la CMBF était
généralement considérée comme l’association la plus représentative des
musulmans du Burkina Faso.
26 Officiellement reconnue en 1973, elle est la principale association de
tendance salafiste du Burkina Faso.
27 www.sunna.bf (MSBF) et http://cmbf-bf.com (CMBF).
21

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L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
sites sont parfois hors-ligne au gré des départs et des mouvements de
personnel, ou ne sont plus mis à jour pendant un certain temps.
Abdoul Karim Ouédraogo, l’informaticien qui a conçu le site du
MSBF, avance qu’outre un manque de volonté, cette situation est liée
à des lacunes dans les connaissances informatiques des militants et à
l’obligation qui en découle de payer les services d’un
informaticien28.
Au lieu de leurs sites web qu’elles délaissent de plus en plus,
certaines de ces associations utilisent davantage Facebook pour
promouvoir leurs activités depuis 2013-2014. La très grande
popularité de ce réseau social et le fait que les connaissances
informatiques requises pour administrer une page sur Facebook
soient peu élevées, ne sont certainement pas étrangers à cette
tendance. Le CERFI (près de 5 100 « j’aime »)29, l’AMSCI (plus de
3 100 « j’aime »)30, l’AEEMB (plus de 2 800 « j’aime »)31 et
l’AEEMCI (plus de 2 600 « j’aime »)32 se sont montrés
particulièrement actifs en diffusant plusieurs publications
hebdomadaires. Les sections locales des associations nationales
offrent souvent une page Facebook qui permet aux membres de
partager du contenu religieux, mais également de publiciser les
activités organisées et de mieux mobiliser les militants. L’AEEMCI
compte à elle seule près de 100 pages Facebook de ses sections
locales, sous-comités et autres structures. Cependant, de la même
manière que pour les sites web, certaines associations comme le
MSBF ont créé leur page Facebook33, mais ont cessé de la mettre à
jour ou presque, si bien que certaines pages ne sont pas activées
durant de longues périodes. Ainsi, plutôt que les associations
musulmanes, ce sont surtout les individus qui sont à l’origine de
28 Entretien avec Abdoul Karim Ouédraogo, gestionnaire du site internet
Le Musulman du Faso, à son bureau, 5 mai 2015.
29 www.facebook.com/pages/Cerfi-Burkina/1539198672980618
30 www.facebook.com/AMSCI-440012886101334
31 www.facebook.com/AEEMB-Burkina-383154995194073
32 www.facebook.com/Aeemci-Comité-Exécutif-622883921070689
33 www.facebook.com/mouvementsunnite

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Frédérick Madore
meilleures initiatives contribuant à une présence plus dynamique de
l’islam ivoirien et burkinabé dans les médias numériques.
Les initiatives individuelles et les entrepreneurs religieux : les
véritables véhicules de l’islam ivoirien et burkinabé sur le web
Contrairement à ce qui a été observé pour les
(néo)pentecôtistes ouest-africains où plusieurs figures charismatiques ont saisi les opportunités offertes par Facebook et Twitter
pour développer leur réseau d’influence (Hackett, 2009 ;
Asamoah-Gyadu, 2014), les chefs religieux musulmans du Burkina
Faso et de Côte d’Ivoire sont encore peu nombreux à utiliser ces
réseaux sociaux. Le jeune Cheikh Soufi Moaze Ouédraogo, figure
charismatique et guide spirituel de la communauté spirituelle
musulmane des Soufis du Burkina Faso depuis novembre 2009, est
de loin la figure musulmane burkinabée la plus suivie sur sa page
Facebook créée en août 201134 avec plus de 4 850 « amis ». Il se
sert beaucoup de l’image sur les réseaux sociaux – il est d’ailleurs
surnommé « Cheick Rasta » – en se mettant en scène dans des photos rendant compte de ses voyages en compagnie de plusieurs
savants soufis d’un peu partout à travers le monde. À l’instar de ce
qui s’observe au Burkina Faso, il est intéressant de noter que parmi
les figures musulmanes ivoiriennes les plus actives sur Facebook se
trouvent de grands leaders soufis. Il faut souligner que depuis 2000,
un réveil confrérique à Abidjan a favorisé l’émergence d’une jeune
génération de cheikhs et khalifes concurrents. Parmi eux, il y a
Cheikh Malick Soufi Konaté et Cheikh Moustapha Sonta, lequel se
présente comme le khalife général des tidjanes35 de Côte d’Ivoire.
www.facebook.com/cheicksoufi.ouedraogo
Adeptes de la confrérie soufie « Tidjaniyya » du nom de son fondateur
Ahmad Tidjani. Née au XVIIIe siècle dans le sud de l’Algérie, elle a essaimé
dans toute l’Afrique sub-saharienne et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, de
par les migrations de ses adeptes et les conversions, elle se rencontre
également aux États-Unis, en Europe, en Asie. Dans ses foyers africains,
elle concurrence d’autres confréries telles celle des Mourides, des Layènes
et la très ancienne Kadiriyya.
34
35

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L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
Tous deux, qui totalisent plus de 4 750 « amis »36, publient
régulièrement des enseignements sur l’islam, des résumés de leurs
activités et beaucoup de photos, qui sont passablement commentés et
partagés. Alors que les prêcheuses sont pratiquement invisibles sur
la toile, l’Ivoirienne Aminata Kane Koné et sa page Facebook37, qui
compte plus de 9 300 abonnés, représente une exception. Elle recueille souvent plus de 500 mentions « j’aime » et de nombreux
partages à chacune de ses publications, presque quotidiennes, suscitant aussi maints commentaires tant de la part d’hommes que de
femmes. Cette ancienne animatrice très appréciée de la radio musulmane Al Bayane de 2007 à 2016, fait partie des femmes musulmanes qui ont émergé en Côte d’Ivoire dans les dernières années.
Elle tire notamment sa popularité de ses messages de dévotion et de
réflexion qui inspirent ses abonnés.
Dans une grande mesure, ce ne sont pas des initiatives personnelles des imams et des prêcheurs eux-mêmes, mais plutôt celles
d’autres individus, souvent des jeunes qui n’ont pas nécessairement
d’affiliation militante, qui favorisent leur médiatisation sur le net.
Deux sites musulmans burkinabés et un ivoirien sont particulièrement à l’avant-garde. Le premier est Le Musulman du Faso38, lancé
en février 2012, qui, selon les statistiques du site, a eu, à ce jour,
plus de 755 000 visites. Il est l’œuvre d’Abdoul Karim Ouédraogo,
un jeune informaticien, qui n’est membre d’aucune association. Parti
du constat que la plupart des fonctionnaires musulmans n’arrivaient
pas à assister aux prêches et aux sermons du vendredi dans les mosquées, il a décidé de recueillir à Ouagadougou des prêches et des
sermons pour les rendre disponibles sur Internet afin de permettre à
ces musulmans de les consulter, où qu’ils se trouvent : « Le but c’est
d’amener l’islam dans les bureaux et dans les téléphones39 ».
www.facebook.com/cheick.soufikonate
www.facebook.com/Cheickmsontakgtci
37 www.facebook.com/kaneaminata.kone
38 http://islam.bf
39 Entretien avec Abdoul Karim Ouédraogo, 5 mai 2015.
36

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Frédérick Madore
Sur la page d’accueil, il est possible d’écouter les derniers
sermons du vendredi prononcés dans les plus importants lieux de
culte de la capitale, ainsi que les prêches hebdomadaires de
plusieurs figures populaires. Dans la section « Les prêches »,
quelques centaines d’enregistrements sont classés par imams,
prêcheurs ou thèmes et sont facilement téléchargeables. Parmi
ceux-ci, « Conseil au fonctionnaire » de Mohammed Sawadogo a été
téléchargé à plus de 6 400 reprises. Le gestionnaire du site a même
numérisé d’anciens prêches datant des années 1980 et 1990, qui
étaient enregistrés sur cassettes audio. Ce site islamique, de loin le
plus régulièrement mis à jour au Burkina Faso, est assez complet
avec un forum relativement actif, un « chat » et différentes sections
thématiques. Le concepteur de ce site propose également une page
web entièrement consacrée à 12 imams et prêcheurs burkinabés. Le
site offre aussi des vidéos de sermons et prêches sur YouTube
depuis juillet 2014. La chaîne, qui compte 500 abonnés, a eu un total
de plus de 77 000 visionnements pour ses 9 vidéos. En dépit de la
grande popularité du site, l’administrateur affirme faire face à
plusieurs difficultés. La principale est le coût et la qualité (vitesse)
de la connexion Internet au Burkina Faso si bien qu’il ne met que
très peu de vidéos sur YouTube40.
Outre Le Musulman du Faso, le site Le Forum pour un islam
décomplexé au Burkina Faso (Bissmillahi-bf)41 s’est montré
particulièrement dynamique depuis son lancement en juillet 2013.
Mohamadi Nana, jeune gérant d’une entreprise familiale
d’alimentation de Ouagadougou, en est le promoteur avec d’autres
jeunes collègues (un journaliste, un enseignant et un informaticien) :
Nous sommes parvenus à la conclusion que pour toucher un
maximum de jeunes musulmans burkinabés, il est opportun de passer
par Internet, qui est un médium moderne, qui rapproche et rassemble
un nombre important d’usagers du monde entier. Aujourd’hui, vous
conviendrez avec moi qu’il est beaucoup plus aisé de porter un

40
41

Entretien avec Abdoul Karim Ouédraogo, 5 mai 2015.
www.bissmillahi-bf.org

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L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
message à la jeunesse en passant par les réseaux sociaux qu’à travers
un communiqué radiophonique42.

Si le précédent site est davantage axé sur les enregistrements
audio, celui-ci mise beaucoup plus sur la vidéo par YouTube43. En
mai 2016, leur chaîne comptait 707 abonnés et plus de 200 000
visionnements pour les 79 vidéos en français et en mooré. En plus
d’être présent sur Facebook44 (45 000 « j’aime »), Bissmillahi-bf
propose un nombre important de rubriques sur différents aspects de
la foi musulmane y compris une section sur la conversion.
Du côté ivoirien, c’est surtout le site Salam.ci qui se démarque
depuis sa mise en ligne le 12 avril 201445. Il s’agit d’une initiative
mise sur pied par cinq jeunes musulmans. Les initiateurs ont créé
une structure assez développée pour assurer la gestion du site, dont
un « conseil des sages et savants » composé d’individus jugés
« experts » en sciences religieuses, ayant pour tâche d’évaluer le
contenu religieux publié sur le site46. Le site Salam.ci offre
principalement du contenu audiovisuel : plus d’une centaine de
vidéos de sermons, de fatwas, de hadiths, de tafsirs ainsi que des
activités, séminaires et conférences-débats organisés par des
associations musulmanes ivoiriennes. Cet accent mis sur la vidéo
n’est certainement pas étranger au fait que la qualité d’Internet en
Côte d’Ivoire est bien supérieure à celle du Burkina Faso.
Le portrait de la présence de l’islam ivoirien et burkinabé sur
Internet ayant été dressé, il s’agit maintenant de se pencher sur les
nouvelles dynamiques et formes de religiosité qui ont émergé ainsi
que sur la nature des discours qui sont véhiculés sur ces
plates-formes numériques.
42 « El hadj Mohamadi Nana (SONACOF) : un entrepreneur, une vision,
une foi », Le vrai visage de l’islam, no 10, 5 décembre 2013 au
5 janvier 2014.
43 www.youtube.com/channel/UCTcB_GMaikuF9IsIXy9Wn5Q
44 www.facebook.com/bissmillahiOfficiel
45 www.salam.ci
46 Focus group avec les gestionnaires du site Salam.ci, Riviera Palmeraie,
31 janvier 2015.

163

Frédérick Madore
iMusulmans47, e-imams et umma digitale : vers de nouvelles
formes de religiosité et une radicalisation ?

Le désir de plusieurs leaders musulmans ivoiriens et
burkinabés d’investir les médias numériques pour renforcer la da’wa
a ouvert des portes pour des jeunes, dont certains ont pu utiliser leur
savoir-faire en informatique pour acquérir une légitimité religieuse
auprès de leurs aînés. Cependant, les médias numériques, tout en
offrant des plates-formes qui défient les modèles hiérarchiques de
transmission du savoir religieux, ont permis du même coup à des
chefs religieux de réaffirmer leur influence. L’utilisation d’Internet
par un plus grand nombre de musulmans a aussi favorisé la
transnationalisation de l’identité islamique locale. Les discours sur
le web mettent généralement de côté tout projet politique et se
concentrent majoritairement sur la quête spirituelle individuelle.
Bien que certains des principaux sites des deux pays soient des
vecteurs du salafisme, ils ont aussi dénoncé activement les dérives
terroristes et djihadistes.
« Analphabètes numériques » et « génération techno » : la
participation des jeunes musulmans à la da’wa sur le net
Si beaucoup d’aînés sont conscients de l’importance des médias numériques pour la da’wa au XXIe siècle, nombre d’entre eux,
dont certains parmi les plus grandes figures religieuses des deux
pays, ne maitrisent pas bien, voire pas du tout, ces moyens de communication. Ils doivent donc faire appel aux jeunes pour lesquels les
médias numériques ont constitué une source d’autonomisation et de
légitimité. Outre les trois sites précédemment évoqués, qui étaient
l’œuvre de jeunes musulmans, un excellent exemple est celui du
jeune Ivoirien Mohamed Lamine Cissé appelé Bill Gates Junior par
ses coreligionnaires. Consultant en informatique pour le CNI jusqu’à
son décès en 2007 à l’âge de 20 ans, Cissé était membre d’un noyau
de jeunes à l’avant-garde du projet de « e-mosquée », qui visait à
attirer les jeunes vers les mosquées à travers Internet. Il collaborait
47 En référence aux produits électroniques de la compagnie Apple. Terme
tiré du titre de l’ouvrage de Bunt (2009).

164

L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
aussi auprès d’autres organisations musulmanes pour la conception
de sites web48.
De jeunes musulmans ivoiriens ont aussi été à l’avant-plan de
la politique numérique de la radio islamique Al Bayane de Côte
d’Ivoire, qui est devenue un modèle dans toute la sous-région. Elle
dispose d’une page web depuis 200549 sur laquelle il est possible
d’écouter les émissions en direct en streaming et d’une page
Facebook très active50. Les responsables de la radio, qui se sont
donné comme objectif de faire appel à la jeunesse pour développer
la radio51, ont engagé deux jeunes qualifiés pour diriger les services
informatiques52. Du côté du Burkina Faso, des aînés ont aussi eu
recours à des plus jeunes. C’est le cas notamment d’Abdoul Karim
Ouédraogo, évoqué précédemment. Cependant, les aînés ont mis
plus de temps à confier des responsabilités plus importantes aux
jeunes dans la gestion des affaires de la communauté. Dans le champ
religieux burkinabé, ces derniers demeurent encore largement dans
une position de cadets sociaux confrontés au poids des structures
sociales.
Malgré cet ascendant de la jeunesse avec le développement des
médias numériques, il est à noter qu’aucune (jeune) figure musulmane issue de ces deux pays n’a acquis une popularité et une autorité en se faisant d’abord connaître sur Internet. En effet, si les
jeunes sont largement responsables de la mise en ligne de contenus
religieux, ce ne sont pas véritablement eux qui en sont les producteurs. Alors qu’Internet pourrait à première vue affaiblir les grandes
figures musulmanes avec une fragmentation de l’autorité religieuse
− les internautes ayant accès à un choix de sermons et de prêches, de
48 « Cissé Mohamed Lamine : fin de parcours pour le génie en
informatique », Islam Info, no 106, 7 au 13 novembre 2007 ; « Hommage à
Cissé Mohamed », Islam Info, no 109, 28 novembre au 4 décembre 2007.
49 www.radio-albayane.com
50 www.facebook.com/radioalbayane
51 Entretien avec Ismaël Dolle, Chef de service informatique à la radio Al
Bayane, Radio Al Bayane, 29 novembre 2014 et 19 janvier 2015.
52 Au moment de l’enquête de terrain en mars 2015.

165

Frédérick Madore
thèmes et de prédicateurs « à la carte » –, les sites populaires tels
que Le Musulman du Faso, Bissmillahi-bf et Salam.ci ont consolidé
le contrôle de plusieurs autorités musulmanes dominantes sur
l’interprétation religieuse. La plupart des sermons et prédications sur
les deux sites burkinabés sont le fait de grandes figures islamiques
nationales comme Mohammed Kindo, Ismaël Derra et Mohammed
Sawadogo, qui ont tous un parcours « classique », ayant étudié dans
de prestigieuses universités du monde arabe. La situation est similaire sur Salam.ci. Adam Fofana et Vakoualé Fofana, parmi les individus qui ont le plus d’enregistrements, sont tous deux titulaires d’un
doctorat en sciences islamiques d’une grande université arabe. Il est
à noter que les femmes sont invisibles sur ces trois sites. Outre une
participation accrue des plus jeunes à la da’wa, la révolution informatique et d’Internet a aussi amené des changements dans le rapport
identitaire de croyants musulmans burkinabés et ivoiriens au monde.
Religiosité transnationale et diaspora : une identité religieuse entre
le local et le global
Les nouvelles technologies numériques et leur plus grande accessibilité (nombre croissant d’internautes, popularité des cybercafés
auprès des jeunes) ont amplifié le phénomène de transnationalisation
de l’identité islamique locale et de déterritorialisation du discours
religieux. Depuis la maison, le cybercafé ou leur mobile, les musulmans ivoiriens ou burkinabés branchés peuvent assister à des
cérémonies religieuses en streaming ou écouter des sermons du
monde entier. Le site Bissmillahi-bf donne des liens pour regarder
Saudi Sunna TV Channel et Saudi Quran TV Channel en streaming.
Le Musulman du Faso participe aussi à ce phénomène en fournissant
des liens externes vers d’autres sites web tels qu’Oumma Media. De
son côté, Bissmillahi-bf présente des nouvelles alimentées par différents sites français d’actualité musulmane en ligne : SaphirNews,
AJIB.fr et Katibîn.fr. Sur Facebook, les internautes ivoiriens et burkinabés renvoient fréquemment à des réflexions de penseurs
musulmans provenant de l’étranger ou à des articles d’actualité
portant sur la situation des musulmans dans le monde. Ce regard
porté sur la situation des musulmans à l’international n’est certes pas

166

L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
nouveau – par exemple, l’AEEMB et le CERFI, dans leurs publications et discours, abordent régulièrement l’actualité internationale
depuis longtemps (Madore 2016a : 154-155) –, mais il est grandement amplifié.
D’un autre côté, le contenu religieux disponible sur les
plates-formes numériques permet aux membres de la diaspora ivoirienne et burkinabée de rester connectés aux évènements de leur
communauté musulmane nationale. Les sites retenus pour cette étude
participent à promouvoir l’islam « vernaculaire ». Selon Abdoul
Karim Ouédraogo, une grande proportion des visiteurs du site Le
Musulman du Faso provient de l’extérieur du Burkina Faso. Il affirme même recevoir fréquemment des appels d’internautes basés à
l’étranger, dont beaucoup de Burkinabés, qui veulent poser des
questions à différents prêcheurs, dont les enregistrements se trouvent
sur le site53. La situation est similaire pour Salam.ci. Selon
l’informaticien du site, 20% des utilisateurs proviennent de
l’étranger : les visiteurs de Grande-Bretagne et des États-Unis sont
respectivement en deuxième et troisième position juste après ceux
de Côte d’Ivoire. Selon les gestionnaires du site, ces « frères »
expatriés sont ravis d’avoir des nouvelles de l’islam de leur pays
d’origine54. Les responsables affirment d’ailleurs être souvent en
contact avec eux par le biais de leur page Facebook. Le cas de la
Radio Al Bayane illustre lui aussi ce désir des expatriés de suivre les
nouvelles religieuses de leur pays d’origine. Cette radio, une des
plus écoutées en Côte d’Ivoire, dispose également d’un large audimat en Afrique de l’Ouest et ailleurs dans le monde grâce à sa
disponibilité sur Internet. De nombreux messages de remerciements
d’expatriés ivoiriens qui suivent la radio à distance sont
régulièrement publiés sur la page Facebook de la radio. Si la sphère
publique islamique présente dans les deux pays est de plus en plus
marquée par la transnationalisation, qu’en est-il des discours qui y
sont véhiculés ?
53
54

Entretien avec Abdoul Karim Ouédraogo, 5 mai 2015.
Focus group avec les gestionnaires du site Salam.ci, 31 janvier 2015.

167

Frédérick Madore
Des discours peu politisés et un islam « normatif » : les médias
numériques, vecteurs du salafisme et d’une radicalisation
terroriste ?
Les formes variées des médias numériques, représentent un
défi pour les États africains, car elles sont beaucoup plus difficiles à
réguler que ceux dits « traditionnels ». Bien que permettant
l’anonymat et échappant au contrôle de l’État, les médias numériques retenus ici n’ont pas été des vecteurs d’une « radicalisation »
politique de l’islam ivoirien et burkinabé. Il est extrêmement rare
d’y trouver des discours radicaux et des critiques de la laïcité. Il faut
dire que la Côte d’Ivoire et le Burkina n’ont jamais connu de mouvements politiques islamistes contrairement à des pays voisins.
Historiquement, les principales associations islamiques nationales
tout comme la très grande majorité des musulmans des deux pays
sont restés légalistes et n’ont jamais remis en question la laïcité
inscrite dans la Constitution (Miran, 2006 ; Madore, 2016a).
Les premiers sites web musulmans ivoiriens et burkinabés,
lancés au milieu des années 2000, s’inscrivent à un contexte politique particulier. En Côte d’Ivoire, la décennie 2000 fut terrible sur
le plan politique et social avec l’éclatement de nombreuses violences
et dérives politico-religieuses. Le régime du président Laurent
Gbagbo et les médias progouvernementaux avaient considéré la
tentative de putsch raté du 19 septembre 2002, qui mena à la scission du pays en deux, comme le « 11 septembre ivoirien » en assimilant la rébellion à un terrorisme religieux musulman
(Miran-Guyon, 2015). Au Burkina Faso, si la situation politique et
sociale n’était pas aussi délétère pour la même période, le climat
s’alourdissait dans un contexte où le régime de Blaise Compaoré, au
pouvoir depuis 1987, était de plus en plus critiqué, surtout par la
jeunesse burkinabée.
En dépit de ces contextes, les sites web des associations
musulmanes nationales des deux pays ont rarement publié des prises
de position politique. Ils étaient peu actifs pour la plupart et
Facebook était largement sous-utilisé avant la décennie 2010. Le site
web du CNI-COSIM, puis celui du COSIM, furent les seuls en Côte

168

L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
d’Ivoire à avoir véritablement évoqué la question nationale durant
les troubles des années 2000 en diffusant des textes qui dénonçaient
les exactions commises envers les musulmans55, certaines de leurs
activités en faveur de la paix56 et des discours de leurs responsables
pour la réconciliation et la bonne tenue des élections présidentielles
de 201057. Lorsque les principales associations musulmanes de Côte
d’Ivoire sont devenues plus actives sur le web, l’essentiel des
publications concernait toujours des comptes rendus d’activités sans
véritablement relayer des prises de position politique, et ce, bien
qu’Alassane Ouattara, souvent présenté comme le « candidat des
musulmans », soit maintenant président. Si les associations de
jeunesse musulmanes se sont approprié le thème de l’émergence58,
elles n’ont jamais milité ouvertement en faveur de sa réélection en
2015. Les sites web et les pages Facebook des associations se sont

55 « Le traitement de la question musulmane : causes lointaines et
immédiates, dans la crise actuelle », CNI-COSIM, 16 mai 2006,
www.cnicosim.org/article.php?id_article=224 ; « La problématique de la
réconciliation : enjeu politique, constitutionnel, juridique ou moral ? », CNICOSIM, 16 mai 2006, www.cnicosim.org/article.php?id_article=226
56 « Processus de paix : les religieux chez le premier ministre », CNICOSIM, 18 avril 2008, www.cnicosim.org/article.php?id_article=772 ; « Le
Forum des confessions religieuses de la vallée du Bandaman. Travailler
pour consolider la paix », CNI-COSIM, 23 juillet 2009.
www.cnicosim.org/article.php?id_article=842
57 « Le Conseil constitutionnel chez le Cheick Al Aïma Aboubacar
Fofana », COSIM, 17 octobre 2009, www.cosim-ci.org/spip.php?article40 ;
« Le guide de la communauté musulmane dans le bas Sassandra », COSIM,
29 octobre 2009, www.cosim-ci.org/spip.php?article41
58 « Faire de la Côte d’Ivoire une nation émergente à l’horizon 2020 » est
un slogan régulièrement utilisé par Alassane Ouattara. Le séminaire
national de formation islamique Al Falah 2014, organisé par la JEMCI, avait
pour thème « Émergence de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020 : quel apport
de la jeunesse musulmane ? ». Cet évènement a été relayé sur leur page
Facebook : www.facebook.com/Jamsci/posts/436916363115309. L’AJMCI
et l’AEEMCI ont aussi organisé des activités similaires et en ont fait la
promotion sur Internet.

169

Frédérick Madore
contentés de lancer des appels à un scrutin apaisé59 ou d’encourager
les musulmans à voter selon leur conscience60.
Au Burkina Faso, les associations musulmanes n’ont que très
peu, voire pas du tout, commenté les évènements politiques via les
plates-formes numériques. L’ancien président Compaoré, pour légitimer son régime, s’était notamment assuré le soutien des autorités
musulmanes (Vanvyve, 2015). Ainsi, les principales associations
musulmanes ont adopté une posture de discrétion voire de retrait
presque complet par rapport aux affaires politiques même lors des
différentes crises qui ont ébranlé le régime. La seule exception notable fut le cas du CERFI, lors de l’épisode du Sénat et du
changement de l’article 37 de la Constitution61. Cette association,
accompagnée de l’AEEMB, s’était distancée des propos du
porte-parole de la FAIB, qui s’était prononcé en faveur de
l’instauration d’une Chambre haute, dans une lettre publiée dans les
journaux burkinabés le 16 septembre 2013 (Madore, 2016b). Le
CERFI, n’ayant pas de page Facebook à l’époque, s’est contenté de
relayer la lettre sur son site web, mais seulement un mois plus tard62.
Cet usage des médias numériques par les associations musulmanes a
L’AMSCI avait écrit sur sa page Facebook, 16 octobre 2015 « Djouman
Moubarak, Allah fortifie nos liens de fraternité, une élection apaisée en
Côte d’ivoire [sic], Paix rien que la Paix ». Cette publication avait
grandement été appréciée par les internautes.
(www.facebook.com/440012886101334/photos/a.445986538837302.10737
41828.440012886101334/640852539350700).
60 L’AEEMCI a rendu compte sur sa page Facebook, le 14 octobre 2015, de
la visite d’Affoussiata Bamba-Lamine, ministre de la Communication et
directrice régionale de campagne du RHDP (le parti de Ouattara) à Cocody
au siège de l’association dans le cadre de la campagne présidentielle.
L’AEEMCI a rappelé qu’elle était une organisation apolitique, appelant ses
militants à voter librement. Voir www.facebook.com/permalink.php?story_f
bid=1253776034648138&id=622883921070689
61 Les opposants estimaient que Compaoré avait l’intention de se servir du
Sénat pour réviser l’article 37, qui l’empêchait de se représenter aux
élections de 2015.
62 http://cerfibf.com/index.php/cerfi-news/23-lettre-ouverte-de-l-aeemb-etdu-cerfi-au-presidium-de-la-faib
59

170

L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
donc énormément contrasté avec l’utilisation qu’en ont faite de
nombreux Burkinabés, dont de jeunes musulmans, pour qui
Facebook et Twitter ont joué un rôle central dans l’expression de
leur opposition au régime de Compaoré et dans la mobilisation pour
son départ (Frère, 2015 ; Hagberg et alii, 2015).
Du côté des sites Le Musulman du Faso, Bissmillahi-bf et
Salam.ci, véhiculent un message « piétiste » centré sur l’individu,
détaché de l’action politique collective. Ils mettent l’accent sur
l’orthopraxie religieuse à travers conseils et modes d’emploi, d’où la
popularité des « questions et réponses » et des listes de fatwas. Dans
ce contexte, les musulmans sont invités sur ces plates-formes à aller
au-delà de l’islam hérité de leurs parents et à adopter un islam normatif et littéraliste voire salafiste63. Chaque jour, Le Musulman du
Faso affiche les derniers articles du site Islam Question & Answer64.
En outre, les figures dont on trouve le plus d’enregistrements – les
imams Mohammed Kindo, Mohammed Sawadogo et Mahmoud
Ouédraogo ainsi que le prêcheur Ismaël Derra – sont affiliés au
MSBF ou sont près des courants salafistes burkinabés. Ce sont essentiellement les mêmes figures qui sont les plus médiatisées sur
Bissmillahi-bf. Mohamadi Nana, le promoteur de ce site, aspire à
63 Le salafisme est un nom générique qui désigne un ensemble d’écoles et
de mouvements divers qui ont en commun de prôner un retour marqué à
l’islam des pieux ancêtres (salaf, à savoir la génération du prophète
Muhammad, de ses compagnon-ne-s et les quelques générations qui
suivirent). En Afrique de l’Ouest, les salafistes sont souvent qualifiés de
« wahhabites » par les autres musulmans, en raison de leur islam littéraliste
fortement inspiré de l’exemple saoudien et du théologien arabe du XVIIIe
siècle Muhammad Ibn Abd al-Wahhab. L’AMSCI (Côte d’Ivoire) et le
MSBF (Burkina Faso) sont les principales associations relevant de cette
tendance.
64 Ce site très populaire, qui relève du salafisme saoudien, a été lancé en
2006 par Muhammad Salih Al-Munajjid. Née en Syrie, cette figure
religieuse saoudienne est connue pour ses positions controversées sur le
tsunami de 2004 dans l’océan Indien, les Jeux olympiques d’été 2008 de
Pékin et sa fatwa émise en 2011 permettant le piratage de sites Internet
« juifs ».

171

Frédérick Madore
véhiculer l’islam « authentique65 ». Salam.ci relève lui aussi de cette
tendance comme l’a expliqué l’un de ses responsables : « On veut
dégager tout ce qui est erreur et apporter tout ce qui est vérité, tout
ce qui a un fondement réel en islam66 ». D’ailleurs, une majorité de
vidéos du site concerne des activités des groupes salafistes ou des
prédicateurs et imams de ce courant.
Malgré tout, ces sites n’ont pas pour autant diffusé des
discours faisant la promotion du terrorisme ou du djihadisme67. Ils
ont au contraire servi à dénoncer vivement les actions des groupes
djihadistes et à mieux diffuser les appels des associations et figures
salafistes de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso contre cette
radicalisation, et ce, bien avant les attentats terroristes qui ont frappé
les deux pays au début de 2016. Salam.ci a par exemple mis en ligne
une vidéo de l’activité organisée par l’AMSCI en septembre 2015
pour prévenir la radicalisation terroriste68. Le site Bismillahi-bf a lui
aussi diffusé plusieurs articles sur sa page web69 et plusieurs vidéos
sur sa chaîne YouTube70 concernant le caractère non islamique du
65 « El hadj Mohamadi Nana (Sonacof) : un entrepreneur, une vision, une
foi », Le vrai visage de l’islam, no 10, 5 décembre 2013 au 5 janvier 2014.
66 Focus group avec les gestionnaires du site Salam.ci, 31 janvier 2015.
67 Le conflit malien en 2012, l’insurrection violente de Al-Shabbaab en
Somalie et la violence perpétrée par Boko Haram au Nigeria ont
considérablement influencé les perceptions liées au salafisme en réduisant
souvent à tort ce courant uniquement à la violence et aux conflits.
68 Cette activité s’inscrivait dans un contexte où la Côte d’Ivoire craignait
un attentat terroriste sur son territoire à la suite de deux attaques terroristes
qui avaient eu lieu au Mali près de la frontière ivoirienne. À cela
s’ajoutaient les menaces d’attentats formulées par Ismail Khalil. Ces
évènements avaient mené à l’adoption d’une loi antiterroriste le 3 juillet.
Voir www.salam.ci/page5.html.
69 « 12 PREUVES que les actes perpétrés le 13 novembre [2015 à Paris]
n’ont aucun lien avec l’islam », www.bissmillahi-bf.org/?p=10571 et
« Mise en garde contre Daesh (EI) & Al-Qaïda », www.bissmillahibf.org/?p=7774#.VmrzV4-cFPY
70 Les vidéos « Notion de l’islam et le terrorisme » avec Imam Ismaïl,
« Attentats contre Charlie Hebdo » et « Position de l’islam face aux groupes
jdihadistes » avec Dr Ahmad.

172

L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
terrorisme pratiqué par Daesh et Al-Qaïda en Occident et ailleurs
dans le monde. Dans la foulée de l’attentat de Ouagadougou du 15
janvier 2016, Le Musulman du Faso a publié près d’une dizaine
d’enregistrements prononcés par différents imams et prêcheurs
burkinabés dénonçant le terrorisme au nom de l’islam71. Sur
Bismillahi-bf, un texte intitulé « Attaque terroriste au Burkina
Faso !!72 » dénonçait « l’amalgame malsain qui se forme [sic] entre
l’islam et le terrorisme ». Sur Facebook, les musulmans burkinabés
ont aussi été nombreux à condamner ces attentats. La déclaration de
la FAIB et celle du CERFI sur ces évènements73 ont été largement
commentées et partagées par d’autres internautes. En Côte d’Ivoire,
la réponse a été similaire suite aux attentats de Grand-Bassam de
mars 2016, les principales associations salafistes ont toutes
rapidement dénoncé ces évènements et l’amalgame entre salafisme
et violence par le biais de leur site web ou de leur page Facebook74.
Il ne serait donc pas juste d’affirmer que les principaux médias
numériques musulmans de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso aient,
jusqu’à présent, favorisé une radicalisation de l’islam dans ces deux
pays.

L’enregistrement de la conférence du 20 mars 2016 intitulée « Les
causes du terrorisme et conseils aux autorités pour éviter le terrorisme », qui
a été donnée par Mohammed Kindo, le grand imam du MSBF, a été partagé
à plus de 50 reprises sur Facebook et téléchargé 2 644 fois en date du 15
avril 2016.
72 www.bissmillahi-bf.org/?p=11244
73 www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1742936389273511&id
=1539198672980618
www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=1743311832569300&id=15
39198672980618
74 http://cosim-ci.org/content/declaration-du-cosim-suite-aux-attentats-degrand-bassam-les-imams-condamnentavec force ; www.facebook.com/Jamsci/posts/668009120006031
www.jemci.net/article/attaque-terroriste-en-côte- d’ivoire-condamnationferme-de-la-jeunesse-musulmane-ivoirienne.
71

173

Frédérick Madore
Conclusion : des communautés musulmanes 1.5

Il est certes difficile de mesurer l’impact réel des médias
numériques sur la pratique « hors ligne » des fidèles d’autant plus
que l’extension progressive de la sphère publique islamique à
Internet en est à ses balbutiements au Burkina Faso et en Côte
d’Ivoire. Malgré tout, le fait que ces ressources soient désormais
plus accessibles, notamment chez les jeunes ainsi que dans une
classe moyenne et supérieure en milieu urbain, et ce, à travers une
multiplicité de dispositifs, permet de supposer que l’influence du
numérique a augmenté de manière significative auprès d’un nombre
croissant de musulmans ivoiriens et burkinabés. Les différentes
plates-formes numériques sur l’islam, dont les plus dynamiques
proviennent d’initiatives individuelles, ont contribué à l’émergence
d’un marché religieux de plus en plus concurrentiel à la jonction
entre le local et le global.
D’autres études seront nécessaires pour bien en saisir toutes les
répercussions sur la pratique religieuse musulmane et ainsi poser un
regard plus complet. Si cette contribution s’est surtout concentrée
sur les producteurs de contenu, tout un travail de recherche devra
aussi être mené auprès des usagers de cet islam sur le web.
Comment les internautes se comportent-ils sur Internet et de quelle
manière cela influence-t-il leur religiosité ? Comment reçoivent-ils
et distribuent-ils ce qu’ils grappillent sur le net ? Il y a aussi la
nécessité de développer des méthodes pour manipuler et traiter les
grandes quantités de données, de nature souvent éphémère, présentes
sur Internet. Les difficultés sont accrues pour les questions touchant
à la radicalisation sur le web. Il n’est pas simple d’accéder aux sites
privés dont l’accès est sécurisé. L’accès aux messages, photos et
vidéos, qui sont échangés sur les outils de messagerie Internet tels
que WhatsApp, est tout aussi ardu75.
75 Suivant les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, la presse avait
d’ailleurs souligné le fait que Telegram soit une des applications préférées
des djihadistes, qui utilisent ses possibilités de communication chiffrée.
Voir « L’application de messagerie Telegram fait le ménage dans les
comptes de l’État islamique » (Le Figaro, 19 novembre 2015).

174

L’islam ivoirien et burkinabé à l’ère du numérique 2.0
Il est certain qu’au fur et à mesure que l’accès à Internet se
diffusera plus largement aux populations, les conséquences sur la
façon dont les musulmans pratiquent leur religion n’en seront
qu’accrues. Dans l’état actuel de cette recherche, il est possible de
relever certains ratés dans plusieurs initiatives des musulmans de
Côte d’Ivoire et du Burkina Faso. De plus, certains réseaux sociaux
comme Twitter demeurent encore largement inexploités76, et que les
femmes sont encore très peu présentes, voire absentes en tant que
productrices de contenu sur Internet. Ce sont plutôt les fidèles qui,
de manière individuelle, ont recours aux médias numériques et non
pas véritablement les chefs religieux. C’est la raison pour laquelle il
est préférable de parler de « communauté musulmane 1.5 ». De
nouvelles mises à jour ne sauraient tarder.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ASAMOAH-GYADU J. K., 2014. «"We Are on the Internet":
Contemporary Pentecostalism in Africa and the New Culture of
Online Religion », in HACKETT R. I. J. & SOARES B. F. (dir.), New
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76 Cette faible utilisation de Twitter s’observe plus largement en Afrique
francophone. Selon l’étude « How Africa Tweets » de 2016 (www.howafric
atweets.com), environ 1,6 milliard de tweets ont été publiés en Afrique en
2015, 34 fois plus que lors de la première édition de l’étude publiée en
2013. Cependant, cette progression est d’abord portée par l’Égypte et les
pays d’Afrique anglophone tels que le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Kenya
et le Ghana si bien que seulement 4% des tweets africains ont été rédigés en
français.

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Résumé
Á partir des cas ivoirien et burkinabé, cet article propose d’explorer les
contenus de l’islam à l’ère du web et des réseaux sociaux, d’en présenter les
conséquences sur l’identité, l’appartenance à la communauté, l’autorité
spirituelle et la diffusion du message religieux ainsi que sur les nouvelles
formes de religiosité qui sont apparues. Dans un contexte régional marqué
par une vague d’attentats terroristes, cette recherche interroge les liens entre
ce médium et la radicalisation de certains acteurs musulmans.

Mots-clefs : islam, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Internet, réseaux
sociaux, médias.

Summary

Ivorian and Burkinabe Islam in the 2.0 Digital Era

This study reflects on Islam in the era of the web and social networks by
looking at the Ivory Coast and Burkina Faso. It explores the impact on
identity, the sense of community belonging, spiritual authority, and the
dissemination of religious messages, as well as on new forms of religious
inclination that have appeared on the web. In a regional context marked by
a wave of terrorist attacks, the aim of this research is to examine the
connection between the Internet and the radicalization of certain Muslims.

Key-words: Islam, Burkina Faso, Ivory Coast, Internet, social
networks, media.

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Mouvement interreligieux et usages d'Internet au Burkina Faso : le cas de l'Union fraternelle des croyants (UFC) de Dori Academic Article