Les communautés religieuses face à la JNP : collabos ou stratèges?

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Title
Les communautés religieuses face à la JNP : collabos ou stratèges?
Creator
Zodnooma Kafando
Date
21 March 2001
Abstract
1. «Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère.
2. Mais, s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l'affaire se règle sur la déclaration de deux ou trois témoins.
3. S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise ; et s'il refuse aussi d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme un païen et un publicain.
Rights
In Copyright - Educational Use Permitted
Language
Français
Contributor
Frédérick Madore
Wikidata QID
Q114035174
content
1. «Si ton frère a péché, va et reprends-le entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu as gagné ton frère.

2. Mais, s'il ne t'écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l'affaire se règle sur la déclaration de deux ou trois témoins.

3. S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise ; et s'il refuse aussi d'écouter l'Eglise, qu'il soit pour toi comme un païen et un publicain.

4. Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.

5. Je vous dis encore que, si deux d'entre vous s'accordent sur la terre pour demander une chose quelconque, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux.

6. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux». C'est ce que la Bible dit en Mathieu 18 versets 15-20 sur le pardon des offenses.

Quant à la tradition islamique relative au pardon, elle est symbolisée par les hadiths suivants du Prophète Mohamed :

1. «Les meilleurs actes sont : prier en son temps, être bon pour ses parents, ses amis et surtout ses ennemis en leur pardonnant leurs offenses et lutter dans le chemin de Dieu».

2. «Quiconque se débarrasse du fardeau de la haine en pardonnant à autrui ses offenses éprouvera, grâce à la divine bonté, un sentiment de quiétude dans son cœur».

3. «Trois défauts rendent la vie amère : la rancune, la jalousie et le mauvais caractère». C'est en s'appropriant, entre autres, ces hadiths que ceux qui sont aux «Porte-trône, qui chantent la pureté par la louange de leur seigneur qui croient en lui iront au paradis».

Ils auront dit : «Seigneur ! Tu contiens toute chose, en miséricorde et science. Pardonne donc à ceux qui le souhaitent et suivent ton sentier, et garde-les du châtiment de l'enfer-Jahim» (Coran, Sourate 40).

Ces enseignements des religions historiques ou révélées ont été précédés par ceux de nos ancêtres pour lesquels :

1. «S'il est vrai que le pardon accordé très vite peut inciter à l'offense, il est également vrai que le refus d'accorder le pardon peut être le prélude à la destruction de la civilisation».

2. «Celui qui accorde le pardon est toujours celui qui a subi le préjudice ; mais en l'accordant, ce n'est pas parce qu'il espère que ledit préjudice sera réparé. Ce n'est pas non plus parce qu'il est atteint d'amnésie ou de débilité mais c'est parce qu'il arrive des fois où les impératifs de sauvegarde de l'essentiel dans une société obligent à faire preuve d'une exceptionnelle générosité de cœur».

Quelles interprétations faire de ces citations ?

Comme on le sait, les communautés religieuses chrétienne et musulmane et la chefferie traditionnelle adhèrent à l'idée de l'organisation, le 30 mars prochain, de la journée nationale du pardon (JNP) initiée par le gouvernement.

A bien y regarder, il ne pouvait en être autrement car par principe les coutumiers et les religieux sont pour le pardon sans condition tout au moins sur terre.

Autrement dit, si sur terre, les hommes et femmes demandent pardon à ceux qu'ils ont offensés directement ou/et indirectement, ces autorités doivent donner à la démarche leur bénédiction sans condition, car il ne leur revient pas, en ce bas-monde, de prononcer des sentences à l'instar des tribunaux. La justice des hommes n'est pas forcément celle de l'au-délà. Or eux, bien que vivants, se situent dans une perspective outre-tombe. C'est pourquoi dans la tradition islamo-judéo-chrétienne «Bonne nature et bon sens doivent toujours se rejoindre ; l'erreur est humaine ; le pardon est divin».

C'est dire que pardonner, c'est s'élever au niveau de la divinité (dont on est la création) parce que c'est faire abstraction de la haine, de la vengeance, de la vindicte toutes choses qui nous éloignent de Dieu et qui nous rapprochent du diable. Ce qui amène l'Imam Ali à se demander : «Comment guider autrui quand on s'égare soi-même, quand on est soi-même sous l'emprise de la haine ?» Traduction : si le gouvernement de la IVe République veut organiser une grand-messe pour inviter les Burkinabè à se pardonner les uns aux autres, il n'est pas de la compétence des hiérarchies religieuses et coutumières qui s'inscrivent dans une logique intemporelle d'exiger la satisfaction des conditions temporelles avant de prendre part à la JNP.

«Une attitude bien ambiguë»

Pour des personnalités proches du Collectif d'organisations démocratiques de masse et de partis politiques avec lesquelles nous avons discuté du sujet, l'attitude des autorités coutumières et religieuses est des plus ambiguës dans la mesure où comme le disait le Pasteur Martin Luther King Junior «Ce n'est pas la peine de promettre à l'homme dans l'au-delà ce dont il a besoin sur terre». Il faut donc comprendre que pour nos interlocuteurs, le gouvernement se livre à une supercherie dont les religieux et les coutumiers sont complices : le pardon qui sera demandé le 30 mars prochain devrait être précédé de la vérité sur les crimes et de la sanction par la justice, des coupables.

Par ailleurs, la justice de Dieu dans l'au-delà n'exclut pas celle des hommes aujourd'hui et moralement cette justice des hommes serait la bienvenue vu qu'elle prépare le terrain à un pardon et à une réconciliation nationale francs.

En plus du Collectif, nombre de familles de victimes notamment celles dont la mort des proches a été des plus médiatiques abondent dans ce sens malgré leur foi chrétienne ou musulmane.

Cette vision des choses s'apparente à bien des égards à la doctrine de la théologie de la liberté telle que théorisée, entre autres, par Dom Elder Camara... Mais la particularité du contexte burkinabè, c'est qu'il y a un déficit chronique de confiance entre certaines familles de victimes et le Collectif d'une part et les institutions de la IVe République d'autre part. Tant et si bien que les premiers pensent que les responsables des secondes veulent le pardon qui leur permettrait d'échapper à la justice.

Les faucons de ce camp soutiennent mordicus qu'il y a collusion entre le pouvoir, les coutumiers et les religieux.

S'agissant de ceux qui gèrent la République, c'est un truisme que de dire qu'ils sont d'autant plus contents de l'adhésion des communautés religieuses et coutumières que ce n'était pas gagné d'avance. L'adhésion que le pouvoir n'a pas obtenue des familles des victimes et du Collectif semble être compensée par la disponibilité des autorités coutumières et religieuses. Mais cela suffira-t-il ? Rien n'est moins sûr et c'est pour cela que nous sommes partisan du report de la JNP. Malheureusement, la messe semble définitivement dite alors qu'au fur et à mesure qu'on approche du 30 mars la tension sociale et politique monte et la journée qui est supposée voir les Burkinabè se réconcilier risque de voir se produire l'effet inverse.

Préjugés du Collectif et naïveté du pouvoir

Pour en revenir à l'attitude autorités coutumières et religieuse autant le pouvoir aurait tort de penser qu'elles apportent une caution inconditionnelle à la JNP, autant le Collectif et les familles des victimes se tromperaient s'ils leur en voulaient «parce qu'elles ont vendu leur âme au diable qu'est le pouvoir de la IVe République». C'est ignorer probablement à cause de la douleur, que leur adhésion à la JNP a été le fruit de débats et d'engagement (de la part du pouvoir) dont les cléricaux et coutumiers pensent qu'ils ne peuvent pas douter de la sincérité. C'est aussi ne pas intégrer le fait que si ces derniers estiment qu'ils peuvent prendre part à la JNP, ceci ne signifie pas qu'ils sont pour l'impunité des crimes de sang au nom du pardon. Il est vrai que le Collège de sages présidé par un clérical avait proposé le schéma défendu par le Collectif ; cependant, les religieux se voient mal en train d'exiger l'application de ce schéma pour la simple et bonne raison que le Collège de sages avait un caractère laïc et non religieux. Ses recommandations ne s'imposent donc pas aux autorités coutumières et religieuses.

Ce qu'il faut affirmer avec force, c'est que si la JNP doit se dérouler dans la conjoncture actuelle, les religieux et coutumiers devront être des sentinelles vigilantes vis-à-vis du pouvoir afin que dans les faits après le 30 mars, le maximum de Burkinabè se rendent à l'évidence que les choses ont changé et bien changé. Sinon, ils auront servi de faire-valoir aux hommes politiques au pouvoir ; ce qui ne manquera pas de ternir leur image aux yeux de leurs ouailles.

Z. K.