Lutte contre le terrorisme et sécuritisation du salafisme au Bénin et au Togo : instrumentalisations diverses d'une « menace étrangère »

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Title
Lutte contre le terrorisme et sécuritisation du salafisme au Bénin et au Togo : instrumentalisations diverses d'une « menace étrangère »
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Frédérick Madore
Abstract
fr La détérioration de la situation sécuritaire au Burkina Faso, qui a suivi la chute du président Blaise Compaoré en octobre 2014, laissait craindre une diffusion du djihadisme à la Côte d’Ivoire, au Ghana, au Bénin et au Togo. Ces pays côtiers du golfe de Guinée, qui furent longtemps épargnés par cette menace – à l’exception de l’attentat de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire en mars 2016 – ont été la cible d’attaques dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger au cours des dernières années. Ce texte souhaite aller au-delà d’une perspective strictement sécuritaire sur le Bénin et le Togo en se penchant plutôt, d’une part, sur les répercussions de la lutte contre le terrorisme sur la démocratie et, d’autre part, sur les conséquences de la sécuritisation de l’islam et plus particulièrement du salafisme – surtout présent au Togo – sur les minorités musulmanes des deux pays. Des leaders politiques et même musulmans ont en effet présenté l’islam radical et en l’occurrence le salafisme comme un enjeu de sécurité et une menace pour la cohabitation religieuse.
Journal
Bulletin FrancoPaix
volume
7
issue
8
page start
2
page end
7
Date
October 2022
Language
Français
Type
Rapport
Wikidata QID
Q114713939
Spatial Coverage
Bénin
Togo
extracted text
Lutte contre le terrorisme et sécuritisation du
salafisme au Bénin et au Togo : instrumentalisations
diverses d’une « menace étrangère »
Frédérick Madore

Frédérick Madore
Chercheur postdoctoral
Leibniz-Zentrum Moderner Orient
(ZMO), Allemagne
frederick.madore@zmo.de

RÉSUMÉ EXÉCUTIF
La présence de plusieurs groupes armés terroristes d’obédience islamiste,
plus ou moins structurés, est souvent invoquée comme menace à la stabilité
du Sahel. Ces dernières années, des États du golfe de Guinée comme le Bénin et
le Togo, jusqu’ici relativement épargnés par la violence djihadiste, ont été visés par
des attentats.
Face à la recrudescence de ces attaques, la lutte contre la radicalisation islamiste
tend à être érigée en cheval de bataille par les gouvernements des deux États,
et l’idéologie salafiste, en particulier, est dénoncée par certains imams comme un
risque pour la cohabitation religieuse.
Dans le cas du Togo, le gouvernement de Faure Gnassingbé a apposé l’étiquette
salafiste au principal parti politique d’opposition, dont la base partisane est
islamisée, lui permettant ainsi de justifier de fortes répressions et emprisonner ses
leaders. « L'épouvantail salafiste » a été brandi pour restreindre les libertés et la
contestation alors que le président togolais tentait d’obtenir un quatrième mandat
consécutif aux élections de 2020.
Au Bénin, si le paysage politique est davantage démocratique depuis la fin du
régime de Mathieu Kérékou en 1991, la menace salafiste est instrumentalisée par
les dirigeants musulmans eux-mêmes dans le but de se maintenir à la tête des
principales organisations musulmanes du pays.
Dans les deux États, cette lutte contre le terrorisme a des conséquences sur les
stratégies de consolidation du pouvoir politique et religieux.

Photo de couverture et en-tête : Patrice Talon à la Fête de l'indépendance, août 2022
Crédit photo: Présidence du Bénin

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La détérioration de la situation sécuritaire au Burkina Faso, qui a suivi la chute
du président Blaise Compaoré en octobre
2014, laissait craindre une diffusion du
djihadisme à la Côte d’Ivoire, au Ghana,
au Bénin et au Togo. Ces pays côtiers du
golfe de Guinée, qui furent longtemps
épargnés par cette menace – à l’exception
de l’attentat de Grand-Bassam en Côte
d’Ivoire en mars 2016 – ont été la cible
d’attaques dans les zones frontalières
avec le Burkina Faso et le Niger au cours
des dernières années. Ce texte souhaite
aller au-delà d’une perspective strictement sécuritaire sur le Bénin et le Togo
en se penchant plutôt, d’une part, sur les
répercussions de la lutte contre le terrorisme sur la démocratie et, d’autre part,
sur les conséquences de la sécuritisation
de l’islam et plus particulièrement du salafisme – surtout présent au Togo – sur les
minorités musulmanes des deux pays. Des
leaders politiques et même musulmans
ont en effet présenté l’islam radical et en
l’occurrence le salafisme comme un enjeu
de sécurité et une menace pour la cohabitation religieuse.

Le Bénin a subi sa toute première attaque
djihadiste en mai 2019 avec l’assassinat
d’un guide béninois et l’enlèvement de
deux touristes français dans le parc de la
Pendjari. Depuis novembre 2021, les régions
au nord du Bénin et du Togo endurent des
assauts de plus en plus fréquents attribués
à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS)
et la Jamaat Nusrat al Islam wal Muslimin
(JNIM ou Groupe de soutien à l’islam et
aux musulmans, GSIM). En effet, le Bénin
aurait été la cible de 28 attaques visant des
membres des forces de défense et de sécurité et des civils dans ses zones frontalières1.
Au Togo, dans la nuit du 10 au 11 mai 2022,
une attaque djihadiste contre le poste militaire de Kpékpakandi dans le nord du pays
fit au moins huit morts et treize blessés.
Le 13  juin 2022, le gouvernement togolais
décrétait l’« 
état d’urgence sécuritaire 
»
dans la région des Savanes. À la mi-juillet,
des offensives simultanées dans plusieurs
localités firent plusieurs morts parmi les
civils.
Un nombre croissant de rapports et d’ana-

lyses ont souligné divers facteurs pouvant
contribuer à la propagation de l’extrémisme
religieux et du djihadisme dans les pays
côtiers du golfe de Guinée2. Parmi ceux-ci
se trouvent la porosité des frontières, la
présence de réseaux criminels, le manque
de coordination des États de la région et
l’insuffisance de services publics. D’autres
évoquent les conflits fonciers entre agriculteurs et pasteurs transhumants, les réserves
fauniques et forestières qui servent de
refuge aux djihadistes et la stigmatisation
communautaire touchant particulièrement
les Peuls, exacerbée par les groupes d’autodéfense. Le style de gestion du parc de la
Pendjari et du parc W au Bénin par African
Park Network3, qui crée des tensions avec
les communautés locales, et la diffusion du
salafisme sont également mentionnés.
L’islam au Bénin et au Togo, deux pays
multiconfessionnels dans lesquels le christianisme est la première religion, demeure
méconnu, les chercheurs s’étant davantage penchés sur la Côte d’Ivoire. Selon
des données de 2013, l’islam est pratiqué
par 27,7  % de la population béninoise. Au
Togo, en l’absence de statistiques officielles

« La menace du
terrorisme a aussi
été invoquée par le
gouvernement pour
justifier l’adoption
d’une série de mesures,
entre décembre 2018 et
août 2019, restreignant
la liberté d’expression
et de manifestation.»

récentes, les musulmans représenteraient,
selon les estimations avancées, entre 10 %
et 20 % de la population. Les communautés

musulmanes togolaises et béninoises
entretiennent également des relations
passablement étroites.

Dérives autoritaires et
exactions par l’État au
nom de la lutte contre le
terrorisme
Dans le contexte de la guerre contre le
terrorisme, plusieurs études ont montré
comment des États autoritaires en Afrique
subsaharienne ont pu atténuer les pressions internationales en faveur de la
démocratisation grâce à des stratégies
d’« extraversion4 
». Ces processus ont
assuré la survie de leur régime et affaibli
les opposants nationaux. Il est d’autant
plus essentiel de le souligner puisque les
principaux bénéficiaires de l’aide occidentale au développement, à la sécurité et à la
coopération militaire sont les États les plus
directement impliqués dans la lutte contre
l’extrémisme violent et les mouvements
djihadistes5.
Au Togo, le Parti national panafricain (PNP),
dirigé par Tikpi Atchadam, un musulman,
a joué un rôle prépondérant dans les
manifestations antigouvernementales de
grande envergure qui ont éclaté en 2017.
Le PNP a en effet réussi à se construire
une solide base populaire au centre et
au nord du pays, dans les villes fortement
islamisées de Sokodé, Bafilo, Dapaong et
Mango, qui étaient auparavant considérées comme la chasse gardée du pouvoir en
place. Le régime de l’actuel dirigeant togolais Faure Gnassingbé, peinant à freiner
ce mouvement d’opposition politique (le
plus important depuis les soulèvements
de 1990-1991 contre son père, le président
Gnassingbé Eyadéma), a présenté le PNP
comme un groupe ethnico-religieux d’inspiration salafiste et islamiste, voire djihadiste,
pour justifier la répression, dissuader la
population à soutenir l’alternance politique
et chercher à attirer la sympathie occidentale6. Pratiquement inconnu avant  2017,
Atchadam est devenu, en l’espace de
quelques semaines, le nouveau visage de
l’opposition. L’opposant politique demande
notamment le rétablissement de la Constitution de 1992, et donc la limitation du

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nombre des mandats présidentiels, afin
d’empêcher le président Gnassingbé, déjà
élu en 2005, 2010 et 2015, de se représenter
en 2020. Le pouvoir fut pris de court par
l’ampleur des rassemblements populaires,
les 19 et 20 août 2017, à Lomé – traditionnel
bastion contestataire –, mais également à
l’intérieur du pays où des milliers de Togolais arboraient des chiffons et tee-shirts
rouges, la couleur du PNP. D’autres
marches furent organisées, dont celles des
6 et 7  septembre, qui ont mobilisé plus de
100 
000  personnes à Lomé et plusieurs
dizaines de milliers ailleurs au Togo.
Le 16 octobre 2017, le populaire imam Djobo
Mohamed Alassani, dit Alfa Hassan Mollah,
originaire de Sokodé, fut arrêté. Coordonnateur du PNP dans la région centrale, cet
imam était connu depuis longtemps pour
ses prédications acerbes contre le pouvoir.
Son incarcération a déclenché une vague
de violence entre des habitants de Sokodé
et les forces de l’ordre. Les imams Djobo
Mohamed Alassani et Alfa Abdoul Wahid
de Bafilo – dont les liens avec PNP sont
connus et qui avait été arrêté le 22 octobre
– furent finalement libérés en décembre.
Quant à Atchadam, accusé de « trouble à

l’ordre public » et d’« incitation à la haine »,
l’opposant s’est exilé vers la fin de 2017 et
vit dans la clandestinité depuis.
Ceci n’a toutefois pas empêché le gouvernement de continuer à dénoncer l’extrémisme
du PNP et de son leader dans les médias
nationaux et internationaux, comme l’a fait
le président togolais lui-même, sans équivoque, dans une entrevue accordée à Jeune
Afrique en décembre  2017. Il avait alors
affirmé voir l’influence de réseaux islamistes
radicaux derrière le PNP7. Le ministre OuroKoura Agadazi avait pour sa part accusé
Atchadam, sur les ondes d’une radio locale,
d’être le responsable d’un mouvement agissant selon le même « mode opératoire que
celui de réseaux djihadistes de la sous-région »8. La menace du terrorisme a aussi été
invoquée par le gouvernement pour justifier
l’adoption d’une série de mesures, entre
décembre 2018 et août 2019, restreignant
la liberté d’expression et de manifestation.
En août 2020, une enquête menée par les
journaux Le Monde et The Guardian révélait l’utilisation par l’État togolais du logiciel
israélien « 
Pegasus 
» pour espionner les
téléphones portables d’opposants, de
militants de la société civile et même de

leaders religieux9.
Si le Togo n’a toujours pas expérimenté d’alternance politique, le Bénin est souvent cité
en exemple pour le dynamisme et la stabilité de sa démocratie. En effet, ce pays a
connu trois transferts pacifiques du pouvoir
depuis la Conférence nationale souveraine
de 1990. Toutefois, le président Patrice
Talon, élu en 2016 et réélu en 2021, est
accusé d’avoir opéré un virage autoritaire
et de recourir au système judiciaire pour
emprisonner des opposants sous couvert
d’accusations de terrorisme. En raison de
l’adoption d’un nouveau code électoral et
d’une nouvelle charte des partis politiques
visant à assainir le paysage politique, les
législatives d’avril 2019 s’étaient tenues
sans aucun parti de l’opposition, une
première depuis près de 30  ans. La présidentielle d’avril 2021 s’est déroulée elle aussi
dans un contexte très tendu. Les dossiers
des principaux candidats de l’opposition
furent écartés par la Commission électorale
nationale autonome (CENA), ne retenant
seulement que ceux de Patrice Talon et
de deux opposants peu connus du grand
public. Les principales figures de l’opposition ne purent recueillir un nombre suffisant

« La menace que constituerait le salafisme n’est pas seulement instrumentalisée par les États,
mais aussi par des leaders musulmans eux-mêmes.»

Photo : Femme musulmane à Lomé, février 2013
Crédit photo : Luis Enrique Aguilera

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de parrainages auprès des députés et
des maires conformément à la nouvelle loi
électorale de novembre  201910. Arrêtée le
3  mars 2021, Reckya Madougou, la candidate recalée du parti Les Démocrates, fut
reconnue coupable de « complicité d’actes
terroristes » visant à saboter le processus
électoral, par la Cour de répression des
infractions économiques et du terrorisme
(Criet). Elle a été condamnée à purger une
peine de 20  ans. En décembre, l’opposant
Joël Aïvo, dont la candidature à la présidentielle avait aussi été rejetée, fut quant

« Au cours des
dernières années,
nombre d’associations
et de leaders
musulmans ont
fréquemment plaidé
pour que la majorité
non musulmane et les
politiciens ne fassent
pas d’amalgame entre
islam et terrorisme. »

à lui incarcéré pour dix ans pour « complot
contre l’autorité de l’État », par la Criet.
Les resserrements autoritaires au Bénin et
au Togo avaient d’ailleurs amené Amnesty
International à publier un communiqué à
la fin juillet  2022 appelant les dirigeants
des deux pays à « veiller à ce que les droits
humains soient respectés dans le cadre
de la lutte contre les groupes armés » et
soulignant les arrestations et détentions
arbitraires ciblant particulièrement les
Peuls ainsi que les atteintes à la liberté de
réunion pacifique et d’expression touchant
des journalistes et des partis politiques de
l’opposition11. Depuis la réélection de Faure
Gnassingbé en février 2020, l’État togolais

a procédé à de nouvelles arrestations de
dissidents en plus du harcèlement contre
des journalistes. Agbéyomé Kodjo, candidat
à la dernière élection présidentielle, est en
exil. En juin 2022, le gouvernement avait
interdit un rassemblement de l’opposition, sous prétexte, selon le ministre de la
Sécurité, que « 
l’organisation d’une telle
manifestation dans un contexte sécuritaire
sous-régional et national actuel très préoccupant (était) de nature à compromettre
les efforts pour préserver l’ordre public et la
sécurité12 ». Invité à Paris à la fin août 2022,
le président Talon avait affirmé devant des
cadres et des dirigeants d’entreprises français que la démocratie « peut conduire à
l’anarchie » et que « le recul démocratique
est le sacrifice à faire pour conduire le pays
au développement13 ».

Les leaders musulmans et
« l'épouvantail salafiste »
La menace que constituerait le salafisme
n’est pas seulement instrumentalisée par
les États, mais aussi par des leaders musulmans eux-mêmes. C’est notamment le cas
de certains dirigeants des organisations
faitières islamiques des deux pays. Depuis
sa création en 1963, l’Union musulmane
du Togo (UMT) est considérée par l’État
comme le seul interlocuteur officiel de la
communauté musulmane. Cette organisation s’est historiquement caractérisée par
sa proximité avec la famille Gnassingbé. En
effet, nombre de ses responsables ont été
d’anciens hauts fonctionnaires, ministres
ou politiciens très proches des cercles du
pouvoir. Son actuel président, Inoussa
Bouraïma, qui gouverne l’association
depuis 2007, fut ministre sous Eyadéma et
candidat défait pour le Rassemblement du
peuple togolais (RPT) aux législatives de
1994. Quant à l’Union islamique du Bénin
(UIB), fondée en 1966, ses dirigeants ont,
eux aussi, affiché un soutien presque indéfectible aux différents régimes en place.
Les postes stratégiques de l’UIB furent
accaparés par quelques individus issus des
mêmes familles de notables. Ainsi, ces deux
organisations ne bénéficient pas d’une
grande légitimité auprès de la plupart des

musulmans, dont des jeunes, qui jugent
qu’elles ne défendent pas adéquatement
les intérêts de leur communauté.
Dans ce contexte, des responsables de
l’UIB et de l’UMT ont utilisé l’épouvantail
du salafisme pour discréditer les demandes
de réformes de la « nouvelle » génération,
qui critique de plus en plus ouvertement le
leadership exercé par leurs ainés. Le cas de
l’UIB est très éloquent. Au printemps  2019,
Ibrahim Ousmane, l’imam principal de la
mosquée centrale de Cotonou Jonquet –
l’une des deux plus importantes de la ville –,
fut élu député à l’Assemblée nationale. Sa
candidature provoqua un schisme au sein
de l’UIB dont il était le premier vice-président. En mars, en l’espace de deux jours,
deux présidents furent nommés par des
congrès concurrents se disputant la tête de
cette organisation. Le 15  avril, le président
Talon lui-même orchestrait une séance de
réconciliation hautement médiatisée avec
les protagonistes de la crise.
Sans entrer dans les détails de cette crise
interne14, des responsables de longue date
de l’UIB avaient soutenu que les jeunes
étudiants formés dans les pays arabes, qui
étaient parmi les « 
dissidents 
», connaissaient mal le « 
contexte béninois 
», une
société laïque et multiconfessionnelle dans
laquelle les musulmans sont minoritaires. Ils
avaient aussi fait valoir que les jeunes sont
facilement manipulables par les prêcheurs
« salafi », « radicaux » et « sectaires » provenant du Nigeria et du Niger, et dont la
popularité représente une menace pour
la cohabitation religieuse. Ce fut en ce
sens qu’un membre du Conseil supérieur
de l’islam au Bénin regroupant les « hauts
dignitaires » de l’UIB m’avait fait part de son
« inquiétude » face à la tentative des Salafis
de « manipuler les jeunes » pour « arracher
l’Union islamique du Bénin dans la main
des anciens » et « imposer des choses qui
seront difficiles à gérer », car ce sont « des
gens qui sont trop violents ».
De manière similaire au Togo, en 2016,
l’UMT, préoccupée par la progression du
salafisme auprès des jeunes, avait lancé
une campagne nationale de lutte contre
le terrorisme et la radicalisation15. Le titre
éloquent utilisé par le portail d’informa-

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tion de la République du Togo pour un
article sur l’initiative – « Ni wahhabites ni
salafistes, mais togolais16 
» – contribuait
à renforcer une dichotomie entre un islam
togolais soi-disant pacifique et le salafisme extrémiste, étranger et même violent.
Le texte soulignait qu’« une forme d’islam
voit ainsi le jour avec des codes vestimentaires et de nouveaux interdits. Elle séduit
les jeunes, mais inquiète l’UMT, adepte d’un
islam de tolérance. La campagne d’information qu’elle va lancer a donc pour but de
recadrer certains musulmans tentés par le
wahhabisme ou le salafisme. »
Plusieurs médias et analystes donnent
souvent l’impression que la propagation du
salafisme – fréquemment identifiée comme
un risque pour la cohabitation religieuse
et menant à l’essor du djihadisme – est un
phénomène récent dans la région côtière,
favorisé par les ONG islamiques des pays
du Golfe. Pourtant, bien que le champ
islamique au Bénin et au Togo demeure
largement dominé par le courant Tijaniyya
et, dans une moindre mesure, la Qadiriyya,
le salafisme ou le wahhabisme – quel que
soit le nom qu’on lui attribue – ainsi que
le rejet des pratiques soufies telles que le
mawlid (célébration de l’anniversaire du
prophète) et la vénération des saints sont
présents au Bénin et au Togo depuis des
décennies. Au début des années  1970,
des leaders musulmans avaient combattu
vigoureusement l’implantation de la

Tijanyya niassène à Sokodé et avaient
même appelé le président Eyadéma à
lutter contre cette secte, selon leurs termes.
Dans les deux pays, à l’instar de la sous-région, le retour d’étudiants formés dans des
universités arabes depuis les années  1980
favorisa l’essor d’autres tendances réformistes de l’islam, dont le salafisme17. Cette
élite arabisante a depuis été régulièrement
impliquée dans les conflits de succession
aux postes d’imam dans les mosquées,
qui ont parfois pris une tournure violente.
À partir des années  1990, la libéralisation
politique et sociale permet à un nombre
croissant d’ONG islamiques d’opérer plus
activement au Togo et au Bénin. C’est le
cas de la World Assembly of Muslim Youth
(WAMY) et Al Muntada, souvent associés
au salafisme. On peut aussi noter la popularité de prêcheurs haoussa provenant du
Niger et du Nigeria ainsi que la présence
d’un mouvement izala important à Malanville au nord-est du Bénin. Quoiqu’il en soit,
au cours des dernières années, nombre
d’associations et de leaders musulmans ont
fréquemment plaidé pour que la majorité
non musulmane et les politiciens ne fassent
pas d’amalgame entre islam et terrorisme.
Plusieurs initiatives ont été organisées en
ce sens dans les deux pays18. Il reste néanmoins à voir si ces interventions ont eu un
réel impact.
En conclusion, s’il est primordial de réfléchir
aux facteurs favorisant l’extrémisme

Photo : Mosquée centrale de Cotonou Jonquet, mars 2019
Crédit photo : Frédérick Madore

religieux, il est également important de ne
pas perdre de vue les conséquences de la
lutte contre le terrorisme sur les institutions
démocratiques dans la région marquée
par une recrudescence de coups d’État
(Mali, Guinée, Burkina Faso). Au Bénin et au
Togo, les présidents Talon et Gnassingbé
ont ainsi pu consolider leur pouvoir, leurs
principaux opposants ayant été muselés
ou emprisonnés. Les prochaines échéances
électorales au Bénin auront lieu en janvier
2023 avec la tenue des législatives. La
présidentielle de 2026 sera dans la ligne de
mire puisque la Constitution ne permet pas
au président Talon de solliciter un troisième
mandat. Au Togo, les élections régionales,
prévues initialement en 2022, ont été
reportées à 2023 et devraient conclure le
processus de décentralisation entamé il y a
quelques années.
Par ailleurs, la surveillance accrue des
musulmans dans le contexte de la guerre
contre le terrorisme affecte également le
statut et l’engagement politique des minorités musulmanes dans le golfe de Guinée
comme en témoignent les cas du Bénin et
du Togo. Ceci est d’autant plus important
alors que les leaders musulmans béninois
et togolais, généralement réputés pour leur
quiétisme, expriment plus ouvertement leurs
préoccupations concernant la discrimination religieuse et le favoritisme de l’État
envers le christianisme.

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1

Leif Brottem, « Jihad Takes Root in Northern Benin », ACLED, 23 septembre 2022.

2 Voir notamment, Peter Knoope et Grégory Chauzal, « Beneath the Apparent State of Affairs: Stability in Ghana and Benin: The Potential for Radicalization and Political Violence in West Africa », Clingendael Institute, 25 janvier 2016; « L’Afrique de l’Ouest face au risque
de contagion jihadiste », International Crisis Group, 20 décembre 2019; Kars de Bruijne, « Northern Benin and Risk of Violent Extremist
Spillover », Clingendael Institute, 20 juin 2021; Mathieu Pellerin, « Les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. Nouvelle terre d’expansion des
groupes djihadistes sahéliens ? », Notes de l’Ifri, février 2022; Leif Brottem, « La menace croissante de l’extrémisme violent en Afrique occidentale côtière », Africa Center for Strategic Studies, 1er avril 2022; Promediation, « La menace djihadiste au nord du Ghana et du Togo :
état des lieux et perspectives pour contenir l’expansion », 7 avril 2022.
3 Le gouvernement béninois a attribué le contrat de gestion des deux parcs nationaux à African Parks Network, une entreprise sudafricaine, en 2017.
4 Cédric Jourde, « The International Relations of Small Neoauthoritarian States: Islamism, Warlordism, and the Framing of Stability »,
International Studies Quarterly 51, 2 (2007): 481‑503.
5 Jonathan Fisher et David M. Anderson, « Authoritarianism and the Securitization of Development in Africa », International Affairs 91, 1
(2015): 131-151.
6 Pour une analyse plus détaillée, voir Frédérick Madore, « ‘Good Muslim, Bad Muslim’ in Togo: Religious Minority Identity Construction
amid a Sociopolitical Crisis (2017-2018) », The Journal of Modern African Studies 59, 2 (2021): 197‑217.
7 François Soudan, « Faure Gnassingbé : “Dans un État de droit, le pouvoir ne se prend pas par la rue mais par les urnes” », Jeune
Afrique, 20 décembre 2017.
8

« Assassinat de deux militaires à Sokodé : Ouro-Koura Agadazi interpelle des leaders de l’opposition », Ici Lomé, 12 janvier 2018.

9 Joan Tilouine, « Comment le Togo a utilisé le logiciel israélien Pegasus pour espionner des religieux catholiques et des opposants », Le
Monde, 3 août 2020.
10 La totalité des députés de l’Assemblée nationale est de la mouvance présidentielle et les principaux partis de l’opposition ont
boycotté les communales de 2020.
11 « Bénin – Togo. Le combat contre les groupes armés ne peut en rien justifier les violations des droits humains », Amnesty
International, 27 juillet 2022.
12

Peter Sassou Dogbe, « Togo : la DMK s’insurge contre l’interdiction de son meeting par le gouvernement », RFI, 24 juin 2022.

13 « Opportunités. Devant le Medef, le président béninois fait applaudir le ‘recul démocratique’ de son pays », Courrier International, 1er
septembre 2022.
14 Frédérick Madore, « A Beninese Imam’s Controversial 2019 Election Campaign: Muslim Leadership and Political Engagement in a
Minority Context », Islamic Africa 13, 1 (2022): 1‑26.
15

« L’Union musulmane du Togo en croisade contre les menaces djihadistes », Togo Presse, 25 février 2016.

16

« Ni wahhabiste, ni salafiste, mais Togolais », République togolaise, 15 février 2016.

17 Galilou Abdoulaye, « The Graduates of Islamic Universities in Benin: A Modern Elite Seeking Social, Religious and Political Recognition », in Islam in Africa, Thomas Bierschenk et Georg Stauth (dir.), Münster, Lit, 2002, p. 129-146.
18

Voir par exemple Patouani Batchamla, « L’ACMT lutte contre l’extrémisme violent au Togo », Togo Presse, 5 août 2021.

Photo : Bain de foule pour Faure Gnassingbé, avril 2018
Crédit photo : Présidence du Togo

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