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Fait partie de An-Nasr Vendredi #038 (Non à l'injustice contre le voile!)

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An-Nasr Vendredi #038.pdf
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fa An - nasr
ó

C4 L

n'O38 du 08 Octobre 2004

Lorsque vient le secours d'Allah a in si que la v ic to ire, célèbre le s louanges de ton Seigneur et i^ lo r e son pardon

’interdiction du port des signes
publié dans le numéro 37 sur « la philosophie
religieux à l ’école ; voici un sujet
de l ’h abillement en islam », nous revenons
qui ne cesse de faire couler beau­
cette fois-ci sur la polémique née de l ’interdic­
coup d ’encre et de salive, de soule­
tion sur le port du voile en France. Et cette
ne saurait être examinée sans que
ver des foules, d ’a nim er des chroniques question
et de
susciter des réactions et débats non seulement
l ’on ne fasse référence au contexte du Burkina
en France, mais partout dans le monde, où
Faso car quelqu'un n ’aura pas tort de dire
que : » Lorsqu'il pleut à Paris, Abidjan est
l ’on est soucieux d ’une société des hommes
plus juste. Et cette question est revenue sur la
mouillé », pas seulement Abidjan mais Oua­
gadougou aussi.
scène avec la prise d'otage des journalistes
Seulement, quand une injustice est grande,
français en Irak et la rentrée des classes en
elle mobilise au-delà des victimes directes, le
France qui voit pour la première fois la mise
m é c o n te n te ­
en application de
m ent et l ’ac­
cette loi sur la laï­
NON A L'INJUSTICE CONTRE LE
tion de per­
cité ou plus précisé­
VOILE!
de
sonnes
ment sur le voile.
Par SAIB
bonne
foi,
Et à l ’occasion de
s o u c ie u se s
la rentrée des clas­
d ’une société des hommes plus juste et plus
ses au Burkina Faso, où la tenue scolaire est
équitable. A u nombre de ces personnes, M.
instituée désormais, il est à craindre que cer­
Jean Fabien Spitz, professeur de philosophie
tains esprits dangereux ne soient tentés de
politique de l ’université de Paris I prend posi­
transposer ce qui se passe en France dans notre
tion contre l ’injustice criarde que traîne cette
pays ; car il existe comme une dépendance psy­
polémique autour du port du voile et le cas
chologique, à la limite, épidermique et obsé­
particulier d'intolérance et de discrimination
dée dont certains colonisés refusent de se dé­
dont été victimes deux élèves musulmanes,
faire.
Lila et A lm a l ’a nnée dernière en France. Ces
En espérant vivem ent que ces personnes n ’a r­
filles musulmanes, on le rappelle, exclues de
rivent pas à influencer négativement nos déci­
leur établissement pour le simple crime d ’a ­
deurs et hommes de loi dans le sens de cette
voir refusé d ’enlever leurs voiles. Nous vous
injustice, A n Nasr vendredi se propose de
proposons la substance de l ’analyse du profes­
faire une série d ’analyses sur la question de
seur Spitz à travers un article publié dans le
l ’habillement en islam et plus spécifiquement
journal » Le Monde ».
sur le port du voile. E t à la suite de l ’article

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L’exclusion de Lila et Alma : un cas
manifeste d’intolérance
« Pour les partisans de l’interdiction du
foulard islamique à l’école, le voile consti­
tue un signe ostentatoire d’appartenance
confessionnelle. A ce titre, il ne saurait
être admis dans l’espace public de l’éduca­
tion nationale, car la loi républicaine
exige que les croyances religieuses soient
considérées comme ressortissant du do­
maine privé de l’individu et de lui seul.
La même logique qui se veut que l’école
publique n’enseigne aucune confession ou
doctrine morale, exigerait donc que celui
qui la fréquente ne manifeste en rien ses
propres convictions. Cette attitude paraît
raisonnable, mais elle recèle en réalité une
évidente confusion qui fait de l’exclusion
de Lila Lévy et d’Alma (deux élèves m u­
sulmanes exclues de l’école pour port de
voile l’année dernière en France), un cas
manifeste d’intolérance et de violation de
droit à la liberté d’expression, sans comp­
ter bien entendu la très grave discrimina­
tion qui consiste à les empêcher de béné­
ficier de manière égale des avantages de
l’enseignement public, en principe ouvert
à tous sans distinction de couleur ou de
religion.

La théorie des rapports entre le reli­
gieux et l’espace public.
La théorie classique des rapports entre le
religieux et l’espace public, forgée au
XVIIè siècle par Locke èt Bayle, est très
simple : la puissance publique est exclusi­
vement chargée de la défense des intérêts
civils des citoyens, leur vie, leurs biens,
l’exercice de leurs droits. Tout ce qui,
dans la conduite d’un individu entre en
contradiction avec la défense des intérêts
civils des tiers doit être interdit et répri­

mé par la puissance publique, par exem­
ple le meurtre, la menace de violence, le
vol, l’intimidation, l’entrave à la liberté
d’aller et de venir.
Lorsqu’il tranche la question de savoir si
un comportement est nuisible aux inté­
rêts civils des tiers, l’Etat doit être aveu­
gle aux motifs, en ce sens que, lorsqu’un
individu entreprend un acte contraire aux
intérêts civils des tiers pour des motifs re­
ligieux, cela ne peut constituer ni une cir­
constance atténuante ni une circonstance
aggravante.
Ainsi, la loi protège la santé publique en
interdisant l’abattage privé des animaux
de boucheries destinés à être vendus. Au­
cun motif religieux n ’autorise à qui que
ce soit à se soustraire à cette règle. Même
chose pour l’excision et la polygamie, que
la loi réprime non pas en tant qu’actes
dotés d’un sens religieux mais en tant
qu’actes civils. Ils sont interdits aussi
pour ceux qui s’y livreraient sans leur
conférer le moindre sens religieux. Tant
qu’un comportement n ’est pas attenta­
toire aux intérêts civils des tiers, il ne
peut faire l’objet d’une interdiction, quel
qu’en soit le motif : s’il est permis de se
couvrir le visage parce que l ’on est atteint
d ’une maladie de peau (par exemple), on
doit aussi pouvoir le faire pour tout autre
motif, y compris religieux. L ’Etat n ’est juge
que des effets sur les intérêts des tiers.
Dans certains cas, il doit même autoriser
que les intérêts civils d ’autrui soient lésés
lorsque cette atteinte est légère et que, en
revanche, le droit dont il s’agit de proté­
ger l’exercice est essentiel : ainsi la mani­
festation sur la voie publique entre en
contradiction avec l’intérêt civil de ceux
qui veulent circuler librement, mais le

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Prix 50 f cfá

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droit de manifestation remporte sur cet
intérêt, au moins dans certaines circons­
tances.
Le port du voile n ’est pas une atteinte
aux intérêts civils d’autrui.
Le port d’un signe manifeste de l’adhé­
sion d’un individu à certaines idées - reli­
gieuses ou autres - est-il une atteinte aux
intérêts civils d’autrui ? Oui, si les idées
en question ont, par leur diffusion et leur
présence dans l’espace public, pour effet
visible de porter atteinte au respect de
certains individus et d’entraver par-là
l’exercice effectif et égal de leur droit ; il
en est ainsi des idées racistes ou antisémi­
tes.
On notera toute fois qu’aux Etats Unis
les juges font la différence entre les pro­
pos racistes formulés sous une forme abs­
traite et dans des conditions telles que
seuls ont accès ceux qui le désirent (sur
Internet par exemple) et des propos racis­
tes proférés en présence ou à proximité
directe de ceux qui en sont l’objet. Les
premiers doivent être libres parce que,
dira-t-on, ils ne lèsent les intérêts civils (la
possibilité d’agir et de se comporter
comme un égal de tous) des victimes du
racisme que d’une manière trop légère et
trop indirecte pour justifier une mise en
cause de la liberté d’expression. Dans le
second cas, la conclusion est inverse. Là
aussi, plusieurs impératifs doivent être
pondérés l’un par l’autre et toutes les
conceptions de la démocratie ne
concluent pas nécessairement dans le
même sens.
Le port d’un signe manifeste d’apparte­
nance religieuse, dans le cas français,
constitue-t-il une atteinte aux droits civils
des autres élèves et des professeurs ? Les

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atteint-t-il dans leur dignité, les empêchet-il de développer librement leurs propres
croyances et de choisir leur propre com­
portement ? Ce pourrait être le cas si le
port du voile devenait un comportement
majoritaire dans certains établissements et
s’il constituait une pression forte sur les
élèves qui refusent de l’adopter. Dans ce
cas, l’interdiction sera justifiée pour cette
raison (et non pas en raison de son carac­
tère religieux). Mais pas dans le cas pré­
sent. En outre, même si une telle pression
pouvait être ressentie, il resterait encore à
pondérer ses effets avec la restriction de la
liberté d’expression qu’il faudrait mettre
en œuvre pour la réduire.
Oui, répondra-t-on, mais une telle liberté
d’expression ne peut exister dans l’espace
public de l’éducation nationale, surtout
lorsque l’expression se manifeste de ma­
nière ostentatoire. Quel peut être bien le
sens de cette réponse ? La liberté existe
partout dans l’espace public, y compris à
l’école où les élèves ont seulement le
droit mais le devoir de manifester publi­
quement ce qu’ils pensent.
Du vrai sens de « ostentatoire »
Comment peut-on « exprimer son opi­
nion » de manière non ostentatoire ? En
se taisant ? En étant contraint à enlever
un signe d’appartenance, c’est à dire en
étant dissuadé ou empêché de dire ce que
l’on croît juste ? Ostentatoire vient du
mot latin qui signifie m ontrer
(ostendere). Peut-on exprimer ce que l’on
pense sans le montrer, le manifester ? On
ne peut raisonnablement le soutenir.
C’est pourquoi il faut s’en tenir à la rè­
gle : le contenu comme le mode de mani­
festation des opinions ne peut faire l’ob­
jet d’aucune restriction - dans quelque es-

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pace public que ce soit- s’ils ne portent at
teinte aux intérêts civils d’autrui.
O n peut aller un peu plus loin : l’Etat - du
moins en France - est garant des intérêts
civils des individus contre les actions des
tiers mais aussi contre leurs propres ten­
dances : ainsi, il rend obligatoire la scolarité
jusqu’à l’âge de 16 ans, il oblige les élèves à
suivre des cours d’éducation sexuelle, à ap­
prendre que l’homme à un ancêtre com­
mun avec les grands singes, à fréquenter des
établissements mixtes y compris pour les
activités physiques (sport, piscine).
L’Etat est donc juge des moyens indispen­
sables à l’accès des individus à l’autonomie
' et, à là encore, aucune invocation d’un mo­
tif religieux n ’autorise quiconque à se sous­
traire de la règle commune : porter un
voile ne peut être un motif valable d ’exclu­
sion, mais il n’en va évidemment pas de
même du refus d’une fille d’être assise en
classe à côté d ’un garçon, de participer aux
activités mixtes à la piscine, etc.
Reste un argument trop dangereux que
nous avons entendu ces derniers temps :
l’interdiction du port de voile est un se­
cours pour les jeunes filles musulmanes
parce qu’elle les encourage à paraître sans
voile et à briser le système de commande­
ment imposé par les familles.
Le voile n’est pas porté sous la pression
.
de la famille.
f Dans le cas d’Alma et Lila, l’argument est
sans valeur puisque la famille n ’impose
rien. Mais il faut tenir compte de deux au­
tres éléments : de quel secours est l’inter­
diction lorsqu’elle débouche sur l’exclusion
définitive ? De quelle étrange conception
de la sanction faut-il se prévaloir pour esti­
mer que ceux qui la subissent ne l’ont méri­
té en rien par leur comportement mais
qu’elle est socialement utile ?
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O n dira enfin que l’interdiction du voile
est justifiée parce que, de même que l’Etat
juge la pratique sportive et la connaissance
des mécanismes de la sexualité indispensa­
ble à la formation d’un citoyen, il juge l’ap­
partenance aussi clairement manifestée à
une confession religieuse incompatible avec
l’autonomie individuelle (les partisans de
l’exclusion insinuent toujours peu ou prou
que les jeunes musulmanes portent le voile
sous la pression de la famille). C’est la logi­
que même de l’intolérance : qui jugera que
le port du voile n ’est pas volontaire ? Vo­
lontaire ou non, le port du voile ne nuit
pas à autrui et c’est l’essentiel.
On ne peut pas déplacer la question en préten­
dant que ces jeunes filles se nuisent à ellesmêmes, car l’Etat n ’est pas comptable de cela,
sauf à estimer qu’une adhésion si entière à
une croyance est incompatible avec la qualité
de citoyen et l'autonomie qu’elle implique.
Qui osera proférer une telle énormité s*
O n ne peut la déplacer non plus en soute­
nant que les parents nuisent à leurs enfants
en les obligeant à porter le voile. Dans ce
cas, il faut porter attention au comporte­
ment des responsables (les parents), pas à
celui des victimes. Et quelle inquisition fau­
dra-t-il mettre en œuvre à l’intérieur de la
famille afin de vérifier que les parents ne
font pas pression sur leurs enfants pour les
inciter à adopter tel ou tel comportement
qui, au demeurant, ne nuit pas à autrui. A
quand le procès intenté à ceux ou celle qui
presque nu(e)s foulent les lieux publics, à
un père qui nuit à l’autonomie de son fils
en l’incitant par son exemple à rester vau­
tré devant la télévision quatre heures par
jour ou à abuser du tabac ?
SA IS

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Source : journal Le Monde

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