Sommet islamique : que fait le Burkina dans l'OCI?

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Titre
Sommet islamique : que fait le Burkina dans l'OCI?
Créateur
Issa Cissé
Editeur
Le Pays
Date
1 juillet 1999
Résumé
Nous vous proposons en guise de document, cette contribution du Dr Issa Cissé relative à la présence du Burkina Faso dans l'Organisation de la conférence islamique.
Droits
In Copyright - Educational Use Permitted
Langue
Français
Contributeur
Frédérick Madore
contenu
Nous vous proposons en guise de document, cette contribution du Dr Issa Cissé relative à la présence du Burkina Faso dans l'Organisation de la conférence islamique.

I - Quelques rappels sur la genèse de l'OCI

La création de l'OCI en septembre 1969 à Rabat est liée à l'incendie de la mosquée El Aksa. Mais ce problème de mosquée a été une occasion pour le Roi Fayçal de chercher à supplanter Nasser dans le monde arabo-islamique (1). Signalons que Nasser était contre la formule d'un sommet islamique soutenue principalement par le Maroc et l'Arabie Saoudite, mais plutôt en faveur d'une conférence au sommet pour examiner la question de l'incendie de la mosquée. Alors, la tenue du sommet islamique a eu pour effet, comme le conclut Marchés tropicaux, "de renforcer les atouts du roi Fayçal notamment dans sa résistance à l'influence nassérienne" (2).

Convoqué dans un esprit exclusivement religieux, le sommet islamique de Rabat devait réfléchir sur les stratégies de recouvrement des lieux saints de Jérusalem (Al Qods) occupés. Ces lieux saints de Jérusalem sont importants pour le Judaïsme et l'islam. Le “mur des lamentations”, c'est la partie du mur occidental de l'esplanade du Temple d'Hérod le grand, est sacré pour les Juifs qui célèbrent leur fête religieuse. Alors occupé par Israël, les musulmans sont privés de l'esplanade du Temple Haram (Esch-sherif) où se trouvent la mosquée Al Aksa incendiée et le dôme du Roché d'où, selon la tradition musulmane, le prophète Mohammed est monté aux cieux dans son “voyage nocturne".

Ce recouvrement des lieux saints ne pouvait se faire sans un plan de lutte contre Israël et un soutien au peuple Palestinien. La charte de l'organisation fut adoptée en 1972 à Djeddah. La conférence des rois et chefs d'Etat et de gouvernement et celle des ministres des Affaires étrangères sont les cadres de rencontre des pays membres. Le siège du secrétariat général est provisoirement installé à Djeddah au début de Vannée 1970 ; son transfert est prévu à Jérusalem après la libération des lieux saints.

Au cours de son évolution, l'OCI a pris des proportions politiques, financières et économiques. Ainsi selon J. Khemais qui reprend les termes de l'OCI : “Les Etats membres mènent incessamment un combat en faveur de l'avènement d'une ère nouvelle où les relations entre les peuples et les nations seront régies par des principes pacifiques, où toutes les formes d'oppression, d'exploitation, d'hégémonie, d'injustice, de colonialisme auront disparu définitivement, où seront bannies toutes les formes de discrimination ethnique, raciale et religieuse. En d'autres termes, second forum international après les Nations Unies, l'OCI se veut une organisation de coopération pour le progrès et le combat contre l'injustice dans tous les aspects. Conscients de leur poids humain, économique et politique, les pays islamiques sont résolus à faire de leur organisation, une force créative ayant une place sur l'échiquier mondial" (3).

Des organes spécialisés à l'instar de l'ONU ont été créés au fur et à mesure pour mener à bien les coopérations au sein de l'organisation panislamique. La Banque islamique de développement est l'un des organes spécialisés les plus importants dans le domaine financier. Elle a été créée à la faveur des “pétrodollars" sur l'initiative de l'Arabie Saoudite en avril 1974 ; le siège a été établi à Djeddah. Mais, elle n'a commencé ses opérations qu'en 1977.

Les possibilités d'aides financières et ta solidarité avec le peuple palestinien ont favorisé l'adhésion de plusieurs Etats à l'organisation panislamique ; pourtant le statut islamique de certains de ces pays, notamment parmi ceux de l'Afrique noire, est discutable si l'on tient compte de l'article III de la charte qui dit : “Chaque Etat islamique a le droit de devenir membre de l'OCI".

Il - L'adhésion et la participation du Burkina à l'Organisation

1 - Le contexte de l'adhésion

Le Burkina Faso, invité par les pays fondateurs, a refusé de participer au premier sommet de l'OCI (4). Mais, au second sommet de Lahore au Pakistan, tenu en 1974, quelques mois après la guerre de Kippour en octobre 1973, le Burkina a pu se faire admettre au sein de l'OCI. Un des anciens ministres nous affirmait que le gouvernement fut mis devant le fait accompli à l'époque, et que l'opportunité d‘aller à l'OCI n'avait jamais été discutée au préalable en conseil des ministres.

Au plan statutaire, la charte de l'OCI est peu “claire. Fallait-il une majorité islamique du une volonté politique pour prétendre être membre de l'organisation panislamique ? Un constat sur les pays ayant adhéré progressivement à l'organisation fait dire que la seconde hypothèse (la volonté politique) l'a emporté sur la première concernant les critères d'adhésion, surtout le contexte de 1974 où, après la guerre d'octobre 1973, il fallait mobiliser l'Afrique noire pour soutenir la cause arabe. Cependant, l'image d'une coloration fortement islamique n'avait-elle pas tenu le Nigeria; le géant de l'Afrique à l'écart de l'OCI (5) ? C'est dire qu'au Burkina, les avis divergent sur la participation à l'OCI. Pour le Président Lamizana, il fallait adhérer à l'OCI afin de bénéficier des subsides financiers, alors que d'autres redoutaient la connotation religieuse. Comme un abbé de la paroisse de Kologh Naba de Ouagadougou nous le disait : “On n'a pas demandé l'avis des évêques pour aller à l'OCI ; il est certain que si leur avis avait été demandé ils n'allaient jamais accepter". Ce fait accompli (selon l'ancien ministre) n'a pas été sans réaction dans l'opinion publique et pu sein de la classe dirigeante. Elles sont mentionnées par un Père Jésuite Burkinabè dans le texte de sa conférence en ces termes : "Dans une émission en mooré, un Curé voltaïque avait occasionnellement soulevé le problème de la participation de la Haute Volta aux conférences des Etats islamiques. Un de ses anciens condisciples du petit séminaire, un ministre chrétien, l'appelle pour lui en faire le reproche, lui disant que le président est très susceptible sur cette question. Ainsi, ta susceptibilité de ce croyant musulman est aux yeux de ce cadre chrétien plus digne d'attention que la violente parjure faite à cette personne en sa qualité de premier magistrat du pays, à la constitution et, partant, à tous les croyants des autres religions. Il n'y a pas à s'étonner que des cadres chrétiens se font appuyer par des El Hadj pour être ministre. D'autres islamisent manifestement leur nom pour avoir en poupe le vent islamique si bénéfique. A côté de ces lâchetés opportunistes, il ne faut pas oublier ceux qui ont fait leur devoir, par exemple ce ministre qui a osé s'en prendre au président en plein conseil des ministres sur la question des conférences islamiques".

Malgré ces réactions, le Burkina est devenu membre de l'OCI et a adhéré aux différents organes spécialisés, créés tout au long de l'évolution de l'Organisation. Que ces organes aient une vocation économique, financière ou religieuse, cette coopération a été toujours maintenue.

2 - Les positions du Burkina au sein de l'Organisation

L'OCI est devenue, comme nous l'avons déjà dit, un cadre important de rencontre entre les pays membres pour discuter de leurs problèmes économiques et financiers. De 25 pays présents lors du sommet de Rabat en 1968, on pouvait compter en 1978, par exemple, à la conférence des ministres des Affaires étrangères de Dakar, 42 Etats membres de l'organisation et de nos jours plus d'une cinquantaine (56). Après son adhésion en 1974, le Burkina devait alors prendre part aux processus de résolutions des problèmes qui ont marqué la vie de l'Organisation. Cependant, il ne nous a pas été possible de faire entièrement le point de la participation du Burkina aux différentes rencontres du mouvement panislamique. Les conditions de son adhésion à l'Organisation - déjà évoquées - montrent combien le rassemblement d'informations est difficile en la matière. Mats, quelques urgences auxquelles l'OCI a été confrontée peuvent permettre de déterminer la position du Burkina.

En effet, la signature du traité de paix égypto-israëlien a été l'un des problèmes majeurs que les Etats membres de l'OCI devaient discuter dans les instances de l'Organisation. C'est ainsi que la conférence des ministres des Affaires étrangères de Fez tenue du 8 au 12 mai 1979 a décidé de la suspension de l'Egypte de l'Organisation. Le Burkina s'est abstenu lors du vote pour la suspension de l'Egypte. A cette rencontre de fer, ont été condamnés les accords de camp David, le traité de paix égypto-israëlien et l'action des Américains ayant favorisé le rapprochement entre le Caire et Tel-Aviv. En décembre 1979, les rivalités Est-Ouest ont eu pour conséquence l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques. Un régime pro-soviétique fut installé à Kaboul. La réaction de l'OCI fut la convocation d'une réunion extraordinaire à Islamabad (Pakistan) du 27 au 29 janvier 1980.

A cette réunion, la participation de l'Afghanistan a été aussi suspendue du Mouvement islamique. On demandait aux Etats membres de s'abstenir de reconnaître le régime installé à Kaboul jugé illégal. Pour éviter de prendre position contre l'URSS, le Burkina a refusé de prendre part à la rencontre extraordinaire d'Islamabad (6). Toujours à Islamabad, s'est tenue la conférence annuelle ordinaire des ministres des Affaires étrangères du 17 au 20 mai 1980. Le Burkina tout comme le Gabon et le Niger ont émis des réserves sur la nouvelle condamnation de l'Egypte en raison de la normalisation de ses relations avec Israël d'une part et d'autre part, des facilités qu'elle avait accordées aux Etats-Unis lors de la tentative de libération des otages américains en Iran (7). La préparation du troisième sommet de Taëf en Arabie Saoudite après Rabat et Lahore, révèle l'effacement du Burkina au sein de l'Organisation au vu des remarques du diplomate burkinabè en poste à Djeddah à l'époque. Ce somment devait marquer un tournant important dans la vie de l'Organisation. On devait parler du problème du transfert de la capitale d'Israël de Tel-Aviv à Jérusalem, du conflit Iran-Irak et d'importantes décisions économiques et financières dont l'aide aux pays du Sahel éprouvés par la sécheresse. Ainsi, la préparation a fait l'objet d'une réunion entre le ministre des Affaires étrangères saoudien et les chefs de missions diplomatiques des pays membres de l'OCI en poste en Arabie Saoudite. Celui du Burkina, M. Sinaly Djibo, a pris part à la rencontre. Pour insister sur l'importance du Sommet de Taëf prévu pour janvier 1981, il a formulé les observations suivantes à l'attention du ministère des Affaires étrangères du Burkina : “Au sujet de ce sommet, je dois attirer votre attention particulière sur la nécessité pour la Haute Volta d'être présente à ce rendez-vous afin d'éviter qu'on ne rende public ce qui se murmure dans les coulisses de la Conférence islamique. En effet, dans le milieu de l'Organisation, on a pu constater que, depuis sa création, les ministres voltaïques des Affaires étrangères se font chaque fois représenter aux différentes réunions ministérielles. Il convient de souligner ici que les institutions auprès desquelles nous sollicitons leurs aides sont de sa création. Il s'agît de la Banque islamique de développement, du Fonds de solidarité islamique (...). Nous devons en conséquence nous intéresser à l'Organisation politique dont nous sommes membres".

De tout ce qui précède, on peut dire que la participation du Burkina a été longtemps nominale sans une prise de position déterminante comme nous le fait aussi remarquer un des anciens, ambassadeurs burkinabè. Le Burkina ne tenait pas compte des décisions prises au cours des travaux des instances des autres organisations internationales telle que l'ONU alors que l'OCI est un cadre de concertation où on essaie d'engager les pays membres dans le problème palestinien, par exemple, en vue d'une action commune à l'ONU. Pour le Sommet de Taëf par exemple, le chargé d'Affaires burkinabè à Djeddah faisait ces propositions : “la Haute-Volta, disait-il, pourrait proposer une section diplomatique pour résoudre ce douloureux problème palestinien. Elle consisterait à condamner Israël à s'exécuter avec menace de son exclusion de la grande famille des Nations Unies. A ce propos, la 35e session de l'Organisation sera l'occasion au cours de laquelle tous les pays membres de la conférence islamique se concerteront pour arrêter une solution commune. Si donc cette suggestion rencontre votre agrément, il s'avère alors urgent et indispensable d'adresser, avant le 15 septembre (1980) prochain, un mémorandum au secrétariat général de l'OCI pour lui faire part de la position voltaïque”. Nous n'avons pas retrouvé une suite à la suggestion du diplomate Burkinabè; Néanmoins, tes commentaires du président Lamizana sur la rupture des liens avec Israël peuvent servir de réponse : "Nous avions rompu avec Israël, mais nous nous sommes abstenus de l'embêter au niveau des instances internationales”.

Il est alors possible de souligner que la prudence et surtout la méfiance ont longtemps caractérisé la participation du Burkina à l'Organisation panislamique. C'est avec la RDP que l'approche de l'OCI s'est faite sans hésitation. Le problème de la ratification de la charte de l'OCI resté en suspens depuis 1974 fut tranché. Par Kiti (décret n°85-159/CNR/REC du 13 décembre 1985, te Burkina signa l'accord sur les immunités et privilèges de l'OCI. En outre, jusqu'en 1984, aucune contribution financière n'avait été perçue par l'Organisation panislamique ; alors pour donner plus de crédit à son adhésion à l'OCI, le Burkina commença à payer ses cotisations par un versement de 10 875 dollars US en 1984 et 18 500 dollars au titre de l'année 1985/86 (8).

La participation au Ve sommet à Koweït City se distinguait des autres participations nominales d'antan. En plus de la conduite de la délégation par le chef d'Etat pour la première fois, 1e Burkina assistait à un sommet de l'OCI avec des projets de résolutions. Il s'agissait de l'envoi d'une troupe d'interposition de maintien de la paix dans le conflit Iran-Irak et de la condamnation par la conférence des pays africains ayant renoué leurs relations diplomatiques avec Israël (9). Au cours des discussions pendant le sommet, loin d'être effacée, la délégation burkinabè avait défendu la thèse qui consistait à soumettre plutôt à la compétence de l'OUA certains problèmes tels les conflits Tchad-Libye et Ethiopie-Somalie. Dans son discours, le président Sankara faisait un rapprochement entre Islam et révolution. Il a établi un parallélisme entre le Burkina d'avant le 4 août 1983 et la période de la Jahilia (en Arabie) ; et l'ère islamique qui s'ouvrait avec le prophète Mohammed qui était comparé à la révolution burkinabè. Il se donna le courage de dénoncer te manque de solidarité entre tes membres de l'Organisation panislamique vis-à-vis du problème palestinien et de l'Afrique australe tout en accusant les Arabes d'être en complicité avec l'Occident et de ne pas aider suffisamment les pays africains par le canal de la coopération afro-arabe. Une telle participation active à ce sommet de l'OCI avait pour but de faire connaître la révolution burkinabè à ces pays du Golfe. On peut aussi noter un enjeu financier au regard des différentes rencontres que la délégation burkinabè a pu faire durant te sommet.

Ce nouvel élan du Burkina, remarqué à travers sa participation à l'OCI depuis la RDP, semble plus ou moins être maintenu sous la IVe République. En effet, au Sommet des Rois et chefs d'Etats et de gouvernements de Casablanca en décembre 1994, te Burkina Faso, pour la deuxième fois, a été représenté à un niveau présidentiel depuis son adhésion. Et enfin, l'engouement du Burkina pour la coopération avec le monde arabo-islamique en général et l'OCI en particulier se confirme avec l'accueil de cette XXVle Conférence des ministres des Affaires étrangères de l'Organisation panislamique du 28 juin au 2 juillet à Ouagadougou. Si un tel renforcement des liens avec le monde arabo-islamique peut permettre d'avoir des financements pour les projets de développement au Burkina Faso, Il faut aussi reconnaître qu'il existe d'autres retombées notamment sur le plan religieux qu'il ne faut pas négliger.

Et jusque-là, à observer de près les relations entre l'Etat et les musulmans à l'intérieur, nous pensons qu'une réflexion poussée sur l'interaction entre les orientations de politique extérieure (en direction du monde arabo-islamique) et la dynamique interne de l'lslam a fait défaut. Cette dynamique interne de l'lslam, remarquée par le débordement des organisations musulmanes dans le domaine de l'enseignement (nous voulons parler des Medersas surtout), par l'apparition et l'affirmation de plus en plus d'une élite arabisante, par la prolifération des associations musulmanes (de 3 en 1980 elles sont passées à plus d'une trentaine d'associations de nos jours), et par les multiples problèmes au sein des organisations musulmanes, est gérée difficilement par l'Etat à travers ses démembrements.

Dr Issa CISSE Enseignant-chercheur ENSK/Université de Ouagadougou

(1) Nasser et le Roi Fayçal rivalisaient pour le rôle de leadership dans le monde arabe. L'intervention égyptienne au Yémen en 1962 a été surtout l'un des facteurs importants de leurs différends.

(2) Marchés tropicaux et méditerranéens, no 1246, p.2591.

(3) Jebali Khemais, la coopération panislamique, mémoire de DESS en diplomatie et organisation des institutions internationales, université Paris Sud Ossay p.10.

(4) Robert Santucci, "Africains Arabes et Asiatiques au sein de l'Organisation de la conférence islamique", in sociétés africaines, monde Arabe et culture islamique, mémoire du CERMAA no4 p.9.

(5) Ce n'est qu'en 1957 que le Nigeria a adhéré à l'OCI selon le rapport des travaux du Ve sommet tenu au Koweït.

(6) Mamadou Sérémé, l'islamisation de l'Afrique noire, mythe ou réalité, thèse de doctorat en droit, option relations internationales, p.58.

(7) Robert Santucci op. Cit. p.26.

(8) Dossier "OCI" : Centre national des archives.

(9) Dossier "Coopération Burkina Koweït", Centre national des archivés.
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