An-Nasr Vendredi #331 (8 mars : poser les bonnes questions)

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Titre
An-Nasr Vendredi #331 (8 mars : poser les bonnes questions)
Date
5 mars 2010
numéro
331
Droits
In Copyright - Educational Use Permitted
Langue
Français
Contributeur
Frédérick Madore
Wikidata QID
Q116190514
contenu
8 mars : poser les bonnes questions

Le 8 mars s'approche et les discussions vont bon train pour savoir s'il faut que nos mamans et nos sœurs prennent part ou non aux cérémonies commémoratives de cette journée. En attendant une fatwa dont je doute des motivations profondes, certains musulmans sont encore en train de s'illustrer dans l'art de mal poser les questions et les problèmes.

Tout porte à croire que toute initiative salutaire ou pas venant des Amériques et de l'Europe est à rejeter et à fuir comme la peste. L'islam est il devenu synonyme d'antieurope votre d'antiamérique?

En quoi le 8 mars serait-il haram, si bien que les musulmans qui y participent ou organisent une activité ce jour-là sont égarés. Ceux des musulmans qui pensent ainsi savent peu de l'histoire de la journée du 8 mars. C'est l'histoire d'un appel à la justice. Inutile de dire que l'injustice est condamnée dans la tradition musulmane. Nos imams et prêcheurs appellent à la justice jour et nuit. La justice, valeur intrinsèque du musulman. Faut-il rappeler que l'histoire remonte jusqu'au 8 mars 1857. Les ouvrières du textile de New York manifestèrent pour la suppression des mauvaises conditions de travail, la journée de 10 heures de travail, la reconnaissance de l'égalité du travail des femmes, Dans les années suivantes, elles obtiendront en France l'interdiction du travail de nuit pour les femmes non majeures. C'est en 1910 que Clara Zetkin, proposa de faire définitivement du 8 mars, la journée internationale des femmes. Par leur combat, elles participent à la construction d'une nouvelle société. Ou la voix des femmes est prises en considération. C'est ainsi qu'après l'intifada (la guerre des pierres), des organisations des femmes palestiniennes diffusèrent le 8 mars 1988, un programme politique intitule « les femmes palestiniennes et les territoires occupés ». C'est un manifeste qui exhorte l'ensemble des femmes à prendre la place qui leur revient dans la construction de l'Etat palestinien à travers les comités populaires et les comités d'éducation. L'exemple des initiatives avait fait écoles.

Les questions doivent être franchement posées! Nous sommes tous d'accord que les notions et manifestations qui tendent à pervertir la femme, la fille, la famille et la société sont à condamner. Les analyses également qui consistent à prendre pour injuste les préceptes de l'islam vis-à-vis de la gente féminine sont erronées. Le degré d'émancipation de la femme et la liberté de la femme ne style de vie mais à l'accès à l'instruction, à l'éducation, à la spiritualité etc. bref à sa capacité d'apporter un mieux être à la société.

L'on peut se révolter du contenu donné au cadre (le 8 mars) au fil des ans. Il est cependant important de reconnaître que le contenu donne au cadre ne fait pas du cadre lui même un élément méprisable voir illicite. Plusieurs voix ont fustigé le caractère de plus en plus festif des 8 mars. Inutile de dire que festivité rime avec dépenses. C'est justement à partir de là que l'on doit poser les bonnes questions et trouver les réponses satisfaisantes.

Primo, le cadre (8 mars) n'est pas lié à une confession religieuse. Autrement dit, ce n'est ni une fête islamique ni chrétien ne. C'est un jour de souvenir, de mémoire, un arrêt pour faire un bilan. Le bilan des injustices et de la résistance des autres. De ce point de vue, la journée internationale de la femme n'étant pas lié à une quelconque ibâdâte (acte d'adoralion) ne peut faire l'objet de qualification de bid'a.

Secundo, le 8 mars commémore un fait hautement louable en islam « ordonner le bien et condamner le blâmable • (sourate 3 verset 110). En effet des femmes ont lutté pour que leurs droits soient reconnus! L'injustice, la douleur, la souffrance et l'humiliation rassemblent au delà des religions, des pays, des continents. Les femmes musulmanes ont-elles leur mot à dire dans cette affaire de lutte contre l'injustice ou bien ce sont les hommes qui parleront comme d'habitude à leur place? Sont-elles muettes ou peu intelligentes pour cela? L'injonction coranique d'« ordonner le bien et condamner le blâmable » nous concerne, tous, hommes comme femmes.

Tertio, s'il existe une institution garante des droits de la femme et de la justice universelle, c'est bel et bien l'islam. N'est ce pas une occasion pour un partenariat pour "ordonner le bien" et éliminer toute forme d'injustice faite aux "filles et fils" d'Adam? c'est également une aubaine pour que nos sœurs apprennent à ceux qui veulent le savoir en quoi l'islam est libérateur pour les femmes.

Enfin, 8 mars est pour nous un miroir. Comme un miroir, le cadre nous renvoie à la réalité de notre comportement avec nos sœurs, nos épouses et nos mamans. La plupart des discours sur la femme viennent en réponse à ce que « l'autre » dit de la femme en islam. Considéré comme éternel enfant » pour beaucoup, on répond naturellement à sa place en rappelant la condition d'injustice que la femme subissait chez les romains, les grecs, les arabes d'avant l'islam et sur le berceau de l'humanité avant de faire l'éloge bien évidemment des droits et libertés qu'ALLAH le Miséricordieux a accorde à la femme. Ces réponses vraies et légitimes, en guise de réponse à « l'autre », ne doivent pas nous faire oublier la somme de nos manquements dans ce domaine. L'on n'ignore pas qu'à travers des exemples faux et insultants, on a voulu faire de l'islam le bourreau des femmes; mais il faut voir la réalité en face.

En vérité la question de la femme pose un véritable problème. Ce problème est révélateur des sérieux manquements que nous avons eu dans l'interprétation profonde de nos sources se référant à la femme. A l'interprétation vient se greffer la confusion entre les textes de l'islam et les coutumes ancestrales. Ces coutumes raciales ou ethniques remplacent parfois le modèle prophétique que nous avons dans la sounnah. Pire, notre manque de connaissance des textes dans leurs profondeurs doublé du poids des coutumes conduit très souvent à développer un discours et une représentation plus « antioccidentale » dans son orientation que réellement islamique en son essence. Conséquence de cette logique binaire: si l'occident va à droite avec la femme, nous allons automatiquement à gauche avec elle sans réference à nos sources. Nous avons en théorie donné les droits d'Allah à la femme. La réalité dans la Oummah ici comme ailleurs a besoin d'être parfait non pas parce que c'est devenu un sujet de prédilection de ceux qui veulent s'en prendre à l'islam et aux musulmans, mais par responsabilité devant Allah, l'Unique qui mérite d'être satisfait. Au Burkina, les résultats du recensement général de la population et de l'habitat de 2006, donne 52% de femmes et plus de 60% de musulmans. A côté des injustices que nous côtoyons jour et nuit, aux litiges qui se règlent à l'amiable ou au forceps et la loi du plus grand nombre ne nous permettent pas un silence quant il s'agit de droits qu'Allah a accorde aux femmes. Quand ce n'est pas à l'intérieur, les écueils et les discriminations conscientes ou inconscientes se multiplient à l'extérieur avec les innombrables problèmes que l'on sait pour les pratiquantes, en ce qui concerne l'intégration socioprofessionnelle, scolaire et la très difficile participation sociale ou citoyenne.

Et dans ce débat, nous passons à coté très souvent de la dimension première de la femme: celle de vivre sa foi en tant qu'être devant Allah. Les discours font trop état de ces fonctions en tant que enfant, épouse et mère oubliant qu'elle est avant tout un être devant son Créateur à qui elle a un compte à rendre le jour de la résurrection. La femme musulmane doit se réapproprier cette dimension de son être. La spiritualité, voilà un facteur d'épanouissement de la femme musulmane, de tout être humain. Loin du discours trompeur de la seule esthétique, des concepts aux contours peu délimités mais également loin des propos littéralistcs et fuyants, il faut qu'elle puisse retrouver la Révélation qui a proclamé sa grandeur et sa noblesse. Noblesse et grandeur qui nous emmènent à aller chercher le Paradis à leurs pieds. Nous l'avons dit, nous sommes loin d'appliquer comme il se doit les enseignements de l'islam en ce qui concerne les droits et le rôle des femmes dans nos sociétés. N'est ce pas la définition ou la recherche de ce rôle qui justifie la multitude de conférences, exposés et débats dans notre milieu. Une véritable réforme ne saurait aboutir que si nous passons d'abord par cette première étape de rétablissement de l'identité de la femme. Cela suppose une prise de conscience et, au risque de nous répéter, l'élaboration d'un discours profond et fidèle aux sources islamiques.

Encore faut il dire que le processus de réforme qui est exigé de nous ne saurait être le fait des seules femmes. Il ne s'agit pas d'engager une libération ou une révolte sur le mode du conflit hommes femmes tel qu'il a été vécu dans pratiquement toutes les sociétés industrialisées. Il est également necessaire de rappeler à ceux qui habitent la demeure de l'islam que la lieutenance (khilafat) dont parle le coran dans la sourate Baqarat concerne l'homme et la femme. Ce qu'il faut promouvoir aujourd'hui est une véritable mobilisation des hommes et des femmes non pas les uns contre les autres, mais ensemble et au nom des principes fondamentaux de l'islam, et ce afin de lutter contre les discriminations et les injustices entretenues, les coutumes faussement islamiques cl les alibis culturels. Dans le même registre, nous devons refuser l'usage de l'islam pour couvrir des discriminations et injustices manifestes dans les domaines tels que L'enseignement, la vie conjugale, l'emploi...

Si le discours sur l'être et la spiritualité est fondamental, il doit être accompagne d'un travail conséquent d'éducation et de formation aux principes islamiques, pour les femmes comme pour les hommes. Il s'agit de promouvoir une éducation harmonieuse et confiante, non pas par opposition à l'Occident mais en vertu des orientations essentielles de l'islam. Les autres étapes de cet engagement communautaire pour redonner à la femme musulmane ces lettres de noblesse se dessinent assez clairement:

- Élaborer une réflexion sur la femme à partir d'une lecture profonde de nos sources, et non contre l'Occident;

- Fonder ladite réflexion à partir de l'être de la femme et non pas des seules fonctions d'enfant, d'épouse ou de mère

- Promouvoir une éducation généralisée touchant les hommes et les femmes quant à leurs références et à la façon de les vivre.

A chaque étape, il faudra faire la part des choses entre les coutumes d'un pays, d'un groupe ethnique et les enseignements proprement islamiques. Nous devons enfin faire face à la réalité des dis criminations et s'engager, femmes et hommes ensemble, à une profonde réforme des mentalités et des comportements. Le chemin est long et le programme vaste, mais ce sont là nos responsabilités: toute une communauté qui doit se mobiliser ensemble pour rendre ses droits à la moitié de la communauté... aux femmes. Non pas par crainte des critiques extérieures, mais parce que nous sommes habités par la conscience d'un devoir et d'une exigence devant Dieu. Rien ne saurait justifier notre silence ou notre démis sion. Ce combat appartient à tout porteur de foi, du dépôt que les monts ont refuse et que nous devons assumer. Tout ce qui a germé en Europe comme dans les Amériques n'est pas d'essence haram (illicite). A moins qu'on ne suspecte pas la dimension et la portée réelle de la justice ou du bien.

Certains de nos braves sœurs et respectueuses mamans ont fait le pari de trans mettre le bon message, de dire en quoi l'Islam est libérateur pour la femme. Ces initiatives en marge des brouhahas sont à saluer et à encourager pour plus de justice.

Ibrahim OUEDRAOGO

ibrafaso@yahoo.fr
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