Prêcheurs(ses) musulman(e)s et stratégies de communication au Burkina Faso depuis 1990 : des processus différentiés de conversion interne

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Academic Article
Titre
Prêcheurs(ses) musulman(e)s et stratégies de communication au Burkina Faso depuis 1990 : des processus différentiés de conversion interne
Résumé
fr Depuis le tournant des années 1990, la visibilité accrue de l'islam dans l'espace public au Burkina Faso s'est manifestée entre autres par l'émergence de prêcheurs et prêcheuses de plus en plus médiatisés. La participation active tant des hommes que des femmes invite l'ensemble des membres de la communauté musulmane du pays à faire évoluer les discours religieux pour atteindre des fidèles aux profils diversifiés et tenter de répondre à la concurrence des chrétiens. Il s'agira ici de proposer un regard croisé entre prêcheurs et prêcheuses du Burkina Faso afin de relever les permanences et les ruptures dans leurs stratégies de conversion — à savoir le raffermissement de la foi des croyants et les tentatives de rejoindre de nouveaux profils de fidèles — et leur utilisation des médias. La médiatisation croissante de l'islam a favorisé l'émergence de trois figures de converti à travers lesquelles l'expérience religieuse oscille entre individualisation et individuation. Selon qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, d'un arabisant ou d'un francisant, d'un jeune ou d'un aîné, différentes logiques se dégagent que ce soit la recherche d'une plus grande légitimité, visibilité ou autonomie dans une perspective individuelle et communautaire.
en Since the early 1990s, Islam has been increasingly visible in Burkina Faso's public space. At the same time, several preachers, including women, have become more mediatized. The active participation of both men and women invite all Burkinabe Muslims to adapt their religious discourse in order to attract converts from different social classes and to respond to the fierce competition from Christian movements. This paper seeks to provide a new perspective on the ruptures and continuities in male and female preachers' conversion strategies in Burkina Faso, namely to strengthen the faith of believers and to attempt to reach new groups of converts. It also explores how the use of modern communication methods has affected the religious message. The higher mediatization of Islam has favored the emergence of three figures of convert through which religious experience oscillates between individualization and individuation. Depending on whether it is a man or a woman, an Arabisant or a French speaker, youth or elders, different approaches have emerged such as the search for more legitimacy, visibility and autonomy in an individual and collective perspective.
Journal
Théologiques
volume
21
numéro
2
première page
121
dernière page
157
Date
2013
Langue
Français
Wikidata QID
Q58165697
Couverture spatiale
Burkina Faso
extracted text
Théologiques 21/2 (2013) p. 121-157

Prêcheurs(ses) musulman(e)s et stratégies
de communication au Burkina Faso
depuis 1990
Des processus différentiés de conversion interne

Muriel Gomez-Perez*et Frédérick Madore**
Sciences historiques
Université Laval (Canada)

En Afrique de l’Ouest, la libéralisation des télécommunications, qui a
accompagné les transitions démocratiques au début des années 1990, a
permis la prolifération des médias privés après plusieurs décennies souvent
caractérisées par le monopole étatique (Tudesq 1999 ; Myers 2000 ; Hyden
2002). Les différents mouvements religieux de toutes les confessions ont
*

**

Muriel Gomez-Perez est professeur agrégée au Département de sciences historiques
de l’Université Laval. Ses recherches actuelles portent notamment sur les constructions et revendications identitaires par le religieux dans une perspective intergénérationnelle et du genre et sur la place du religieux dans l’espace public en Afrique de
l’Ouest francophone (notamment au Sénégal et au Burkina Faso). Elle conduit présentement une recherche subventionnée par le Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada (CRSH) portant sur Femmes, islam et médias en Afrique de
l’Ouest. Auteure de nombreux articles, elle a dirigé plusieurs ouvrages dont le plus
récent, avec Marie Nathalie LeBlanc, est (2012) L’Afrique des générations. Entre
tensions et négociations, Paris, Karthala.
Frédérick Madore est candidat au doctorat en histoire sous la codirection de Muriel
Gomez-Perez de l’Université Laval et de Cédric Jourde de l’Université d’Ottawa. Ses
recherches actuelles concernent les relations entre politique et religion, l’islam et sa
médiatisation dans la sphère publique, les profils des militants islamiques et les relations intergénérationnelles au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Sa thèse s’intitule
Islam, médias et espace public en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire et Burkina Faso) :
reconfiguration des rapports intergénérationnels (1960 à nos jours). Le CRSH lui a
attribué la bourse d’études supérieures du Canada Joseph-Armand-Bombardier pour
ce projet de recherche. Son mémoire de maîtrise portant sur les imams et les prêcheurs au Burkina Faso est en cours de publication aux Presses de l’Université Laval
dans la collection « Religions, cultures et sociétés ».

© Revue Théologiques 2013. Tout droit réservé.

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alors saisi l’opportunité de la déréglementation et de l’expansion rapide
des médias de masse pour utiliser la presse, la radio, la télévision et plus
récemment l’internet pour inonder la sphère publique et promouvoir leurs
objectifs religieux, politiques et sociaux (Meyer et Moors 2006). La plus
grande accessibilité des médias a ouvert la voie à de nouvelles figures religieuses, qui n’ont pas nécessairement le profil classique et qui ont mis à
profit ces nouveaux outils de communication pour acquérir une légitimité
voire une autorité dans la sphère publique (Schulz 2003 ; 2006a ; 2006b ;
Holder 2012 ; Soares 2004 ; 2005 ; Launay 1997 ; Masquelier 1999 ; Sounaye 2013). La médiatisation religieuse répond également à une volonté
d’accentuer le prosélytisme qui s’inscrit dans le cadre d’une compétition
interconfessionnelle, mais aussi — de plus en plus fréquemment — au sein
d’une même religion (Krings 2008 ; Hackett 2010 ; Samson 2011 ; Savadogo et Gomez-Perez 2011). Comme l’a souligné Mayrargue, dans un
contexte de « champs religieux extrêmement diversifiés et concurrentiels »
(2004, 103) qui caractérise l’Afrique subsaharienne d’aujourd’hui, il n’est
pas surprenant que la « compétition religieuse » dans la sphère publique ait
mené les différents acteurs religieux à « recourir à des modalités d’action,
identiques ou proches, montrant qu’une situation de concurrence peut
aussi générer des formes d’emprunts » (2009, 98).
Contrairement aux pays voisins fortement islamisés tels que le Sénégal,
le Mali et le Niger, le Burkina Faso se caractérise par son contexte multiconfessionnel. Ceci est particulièrement le cas à Ouagadougou, la capitale,
qui compte 55,7 % de musulmans contre 42,8 % de chrétiens (Barbier
1999). Par ailleurs, suivant la libéralisation politique et sociale entamée par
le régime du président Blaise Compaoré (1987-2014) avec l’adoption d’une
nouvelle constitution en 1991 et la fin du Front populaire, le Burkina Faso
a assisté à une vague de médiatisation spirituelle où les médias ont été
employés comme voies de prosélytisme et d’affirmation religieuse. À l’instar de ce qui s’observe dans la sous-région où le christianisme et les mouvements pentecôtistes s’impliquent fortement dans la sphère publique et
dans les médias (Hackett 1998 ; Ukah 2003 ; 2008 ; Meyer 2004 ; 2005 ;
2006 ; de Witte 2003 ; Marshall-Fratani 1998 ; 2001), le Burkina Faso voit
s’opérer les mêmes processus. Radio Évangile Développement, issue d’une
initiative de l’association protestante « Jeunesse pour Christ », a officiellement émis le 2 juillet 1993 ; la radio catholique, Radio Maria, a été créée,
en 1993, par le Cardinal Zoungrana ; Radio Lumière Vie Développement

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a été fondée en 1995 par la Fédération des Églises Évangéliques. Par ailleurs, une télévision évangélique, Canal Viim Koèga (CKV) a été lancée en
1996, et une catholique, TV Maria a été mise de l’avant en décembre 2009
par l’archidiocèse de Ouagadougou. La sphère publique burkinabè est
ainsi devenue un espace de compétition et de concurrence religieuse marquée par l’émergence d’entrepreneurs religieux.
Alors que l’islam burkinabé était généralement considéré comme peu
dynamique et en retard par rapport aux autres confessions quant à la
médiatisation et à l’utilisation des nouvelles technologies, il répond dorénavant de plus en plus à la tendance de la marchandisation du religieux
observée à plus grande échelle en Afrique de l’Ouest (Schulz 2006b ; 2007 ;
Hassane 2009 ; Sounaye 2011 ; 2013). En effet, il est aujourd’hui animé
d’une effervescence particulièrement importante notamment caractérisée
par une visibilité accrue dans la sphère publique urbaine avec la prolifération de mosquées (Kouanda 1996 ; Gomez-Perez 2009), le foisonnement
associatif (Cissé 2007 ; Traoré 2010) et la création de nouveaux médias
islamiques (Savadogo et Gomez-Perez 2011). Plusieurs périodiques islamiques sont apparus avec la publication des mensuels Al Qibla, La Preuve
et Al Mawada ainsi que l’hebdomadaire islamique francophone An-Nasr
Vendredi en janvier 1997. À cela s’est ajouté le lancement, en décembre
2004, de la première chaine de radio privée islamique à Ouagadougou, la
radio Al Houda, financée en grande partie par la fondation islamique
d’Arabie Saoudite Abdallah Ben Massoud. Une deuxième, radio Ridwan,
a été mise en onde le 13 mars 2010 sous l’initiative de cheikh Aboubacar
Doukouré1. Plus récemment, la chaine de télévision islamique Al Houda a
été lancée au printemps 2012 notamment grâce au financement de la fondation Abdallah Ben Massoud. Aux médias plus « traditionnels » que sont
la presse, la radio et la télévision s’est ajouté l’internet dans lequel la communauté musulmane burkinabé manifeste de plus en plus sa présence. La
majorité des principales associations islamiques ont dorénavant leur propre
site web2.
La présence de l’islam burkinabé sur une grande variété de médias a
favorisé l’émergence de prêcheurs(ses) de plus en plus médiatisés. Leur
visibilité a aussi été accentuée par la vente de cassettes audio, de CD et de

1.
2.

Assétou Badoh, « Radio Ridwane pour le développement : la voix de l’islam sur la
100.3 FM », Sidwaya (16 mars 2010).
<http://cmbf- bf.com> ; <http://mouvementsunnite.org> ; <http://cerfibf.com> ;
<www.aeemb.bf>.

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DVD de sermons et prêches dans les kiosques situés notamment devant la
Grande mosquée de la Communauté Musulmane du Burkina Faso (CMBF)
et à côté de la grande mosquée du Mouvement Sunnite (MS) dans le quartier de Zangouettin au centre-ville. Des enregistrements de plusieurs de ces
figures populaires sont même disponibles sur internet en téléchargement
en format mp3 sur le site web « Le Musulman du Faso », créé en 20123. La
participation active des hommes et récemment des femmes invite l’ensemble des membres de la communauté musulmane du pays à faire évoluer
les prônes et les discours religieux pour atteindre des fidèles aux profils
diversifiés et pour tenter de répondre à la forte concurrence des catholiques
(Otayek 1997), et plus récemment des pentecôtistes (Fancello 2007 ;
Laurent 2005 ; 2009).
L’« hypermédiatisation des prêches » tend à concerner autant de jeunes
prédicateurs(trices), que des plus âgés (Madore 2013a ; 2013b ; 2015). Ce
phénomène touche, d’une part, une nouvelle élite d’arabisants revendiquant l’autorité spirituelle par leurs connaissances religieuses et leur maîtrise de la langue arabe (Otayek 1993a) — ceux-ci sont notamment actifs
au sein du MS, une association à tendance salafiste4 (Koné-Dao 2005 ;
Cissé 2009), et dans le mouvement Itihad Al Islami-section femmes qui,
depuis sa création en 1984, forme des cohortes de militantes parmi lesquelles certaines sont repérées pour avoir le profil adéquat afin d’animer
une émission radiophonique dans les deux radios citées plus haut. D’autre
part, des musulmans francisants sont aussi touchés par ce phénomène de
forte médiatisation. Ces derniers, malgré leur formation dans les écoles
publiques, réclament une place aux côtés des arabisants en tant qu’acteurs
religieux légitimes et ainsi, s’efforcent d’investir la sphère publique, d’animer des émissions à la radio et à la télévision et de prêcher activement. Ces
francisants sont pour la plupart impliqués au sein de l’Association des
Élèves et Étudiants Musulmans du Burkina (AEEMB), une association
créée en 1985 qui vise la promotion de l’islam dans le milieu éducatif francophone, et du Cercle d’Études, de Recherches et de Formation Islamiques
(CERFI) créé en 1989 qui est le prolongement de l’AEEMB. Lorsque les
membres n’ont plus le statut d’élève ou d’étudiant et qu’ils se sont insérés
sur le marché du travail, ils deviennent membres du Cercle.
Alors que la littérature tend à souligner au Burkina Faso que les
phénomènes de conversion sont « très différents selon qu’il s’agit d’une
3.
4.

<http://islam.bf>.
Son existence officielle date de 1973.

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conversion à une religion majoritaire (comme l’islam), à une religion minoritaire (comme le protestantisme charismatique) ou au culte des ancêtres »
(Languewische 1998), notre étude montre que les logiques de conversion
interne au sein de la communauté musulmane connaissent non seulement
des permanences (quête de visibilité, de moralisation du comportement
social et de fidélité aux fondements islamiques), mais aussi des ruptures
dans la mesure où cette communauté est traversée par plusieurs courants
aux statuts tant complémentaires que concurrents. Ceux-ci n’ont pas
nécessairement les mêmes stratégies pour gagner une légitimité religieuse
et n’utilisent pas systématiquement les mêmes outils de communication et
de promotion. Nous avons choisi d’utiliser le terme de « conversion », car
il permet d’identifier certains nouveaux profils de fidèles et de montrer en
quoi les diverses figures du converti sont des agents de leur propre expérience de raffermissement de leur foi. Comme le soulignent très clairement
Mary et Piault (1998, 7), la notion de « conversion » lie « le salut individuel
à la sincérité de la “foi”, à l’engagement personnel et à un choix de vie
exclusif ». Plus précisément, nous examinons ici le processus d’« internal
conversion » (Geertz 1973, 170-190), qui inclut la transformation radicale
du mode de vie et des pratiques religieuses d’un individu, mais sans transfert vers une autre religion (voir aussi LeBlanc 2003). Ce processus s’inscrit
d’ailleurs dans une dynamique de « (re)moralisation » de la sphère publique
en Afrique subsaharienne (LeBlanc et Gomez-Perez 2007 ; Saint-Lary et
Samson 2011) et de réinterrogation de l’identité islamique dans un contexte de déprivatisation du religieux (Casanova 1994 ; Hann 2000 ; Göle
2002) et de globalisation (Coulon 2002 ; Roy 2002). En effet, comme le
suggère Roy, ceci est « la conscience que l’identité musulmane, jusqu’ici
simplement considérée comme allant de soi parce que faisant partie d’un
ensemble culturel hérité, ne peut survivre que si elle est reformulée et explicitée » (2002, 10).
Nous avons opté pour analyse longitudinale des dynamiques de raffermissement de la foi en croisant certaines de nos données empiriques issues
d’entretiens semi-directifs lors de terrains successifs (juillet 2009, mars-avril
2010, juillet-août 2011, octobre-novembre 2011 et mai 2013). Ces entretiens ont été menés auprès de différentes cohortes de prédicateurs(trices) à
Ouagadougou où siègent, d’une part, les associations islamiques dans lesquelles ces derniers(ères) agissent (MS, AEEMB, CERFI et Al Itihad al
Islami) et, d’autre part, les radios islamiques privées (Al Houda et Ridwan).
En parallèle, nous avons dépouillé et analysé les journaux produits par ces
associations et le contenu de plusieurs émissions radiophoniques pour

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mieux appréhender les aspirations de ces converti(e)s, tout comme celui de
la presse nationale afin de mettre en contexte certains faits d’ordre religieux
et politique ainsi que les discours de ces figures de converti(e)s.
Dans le cadre de cet article, nous proposons trois angles de vue. Nous
analyserons d’abord la figure du converti qui permet d’entrer dans les
logiques de raffermissement de la foi lesquelles passent à la fois par la
pratique, le sentiment d’appartenance à une communauté et un comportement social qui se veut exemplaire. Dans un deuxième temps, nous étudierons le profil du « nouveau » converti francisant, les stratégies mises en
œuvre pour l’atteindre et les moyens pour attirer les nouveaux autres
convertis dans un contexte de forte concurrence entre les acteurs religieux
et d’utilisation de médias diversifiés. Enfin, en troisième lieu, il sera question d’examiner le profil du « converti-éclaireur », sa capacité à gagner en
autorité et en légitimité et sa stratégie à œuvrer pour une forme de citoyenneté sociale par le religieux.
1. Le converti ou le musulman en situation de raffermissement de sa foi
En dépit de la diversité du paysage religieux, l’ensemble des tendances islamiques met l’accent sur tous les éléments qui peuvent favoriser le raffermissement de la foi du converti. Dans cette perspective, la pratique religieuse
est au centre du processus, considérant que pour « être un bon musulman »,
celui-ci doit mener une vie de pratiquant exemplaire tant individuellement
que collectivement. Ce discours est d’autant plus visible qu’il est relayé
dans tous les médias par des associations islamiques qui œuvrent pour que
l’islam soit de plus en plus présent dans la sphère publique. Cette médiatisation a conduit à la mise en exergue de certains marqueurs identitaires
d’ordre normatif et à l’appel récurrent à l’unité de la umma5.
1.1 L’assiduité dans la prière et le respect des cinq piliers de l’islam
Nombre de prêcheurs(ses) considèrent que l’influence culturelle occidentale, qualifiée d’« athée », a perverti les valeurs islamiques inhérentes aux
sociétés africaines. Un article du An-Nasr Vendredi paru en 2007 résumait
bien cette perception : « dans nos sociétés actuelles, la question de Dieu
passe pour être une question secondaire : les programmes, les ambitions, le
divertissement octroient peu de temps pour se souvenir de Dieu. […] Ce
5.

Communauté universelle formée de tous les croyants musulmans.

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phénomène prend de l’ampleur et beaucoup de cœurs sont conquis par le
pouvoir qu’exercent les biens de ce bas monde6 ». En fait, cette préoccupation était déjà mise de l’avant dès la fin des années 1980. Pour Ibrahim
Bara, président du bureau national de l’AEEMB de 1986 à 1988, l’influence de la civilisation occidentale se manifestait auprès des jeunes burkinabés à travers « les maux douloureux que sont l’impolitesse,
l’alcoolisme, la drogue, la prostitution, le désordre sexuel7 ».
Dans ce contexte, l’importance centrale donnée à la prière est un argument souvent utilisé tant dans les milieux arabisants que francisants
(LeBlanc et Gomez-Perez 2007, 46-52). La prière, considérée comme un
bienfait, est mise au centre du dispositif pour le raffermissement de la foi8.
Selon des responsables du CERFI, l’objectif premier était d’apprendre la
prière aux musulmans francophones qui n’ont pas accédé à l’école coranique et de recommander la connaissance et la compréhension des sourates
pour faire la prière correctement. Les croyants sont aussi invités à revenir
aux bases des fondements de l’islam comme source culturelle et morale
première. L’importance du salut du croyant9 (Saint-Lary 2011a) et le respect des cinq piliers de l’islam sont évoqués régulièrement10. Le raffermissement de la foi passe également par un travail de réforme des pratiques
cultuelles des musulmans. Cette volonté de bien pratiquer sa religion était
déjà mise en exergue par les différents mouvements réformistes dans les

6.

7.
8.

9.
10.

« Le zikr : notre responsabilité constante », An-Nasr Vendredi (13 avril 2007).
D’autres articles évoquèrent cette question : « Fête de la bière : que Dieu protège le
Burkina », An-Nasr Vendredi (10 février 2006) ; « L’affaiblissement de la foi »,
An-Nasr Vendredi (25 janvier 2008) ; « Bobaraba : la nouvelle stratégie de satan »,
An-Nasr Vendredi (2 juillet 2010).
« Premier congrès ordinaire de l’Association des Élèves et Étudiants Musulmans du
Burkina : redynamiser l’islam », Sidwaya (20 juillet 1988).
« La prière : une adoration et une éducation », An-Nasr Vendredi (6 février 2004) ;
« L’humilité dans la prière », An-Nasr Vendredi (30 juillet 2004) ; « Appel à la
prière », An-Nasr Vendredi (2 février 2007) ; « L’agrément de la prière », An-Nasr
Vendredi (23 mai 2008) ; « La prière : sens et dimension des différents mouvements »,
An-Nasr Vendredi (17 avril 2009) ; « Pourquoi prier ? », An-Nasr Vendredi (2 octobre
2009) ; « Hymne à la prière », An-Nasr Vendredi (24 décembre 2010).
« Cinq vertus permettant d’accéder au Paradis », An-Nasr Vendredi (14 novembre
2008).
« Comment accueillir le mois de Ramadan », An-Nasr Vendredi (31 juillet 2009) ;
« Ramadan : le mois de l’effort », An-Nasr Vendredi (20 août 2010) ; « La zakât :
compréhension, définition et traduction », An-Nasr Vendredi (2 janvier 2009) ; « Les
fondements et la philosophie du hadj », An-Nasr Vendredi (24 décembre 2004) ;
« L’obligation du Hadj », An-Nasr Vendredi (16 octobre 2009).

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années 1970-8011. Ceux-ci, incluant de nombreux jeunes arabisants de
retour au Burkina Faso de leurs études dans des écoles supérieures ou des
universités islamiques dans le monde arabe12, se posaient comme les détenteurs d’un islam « authentique », critiques des « interprètes populaires » de
l’islam (les marabouts) (Otayek 1993b ; Madore 2013b ; 2015). Or, le rôle
central joué par les différents médias pour accentuer la figure du converti
comme pratiquant exalté, c’est-à-dire plus visible dans la sphère publique,
est un élément nouveau surtout depuis les années 2000.
1.2 Foi, appartenance communautaire et visibilité dans la sphère
publique
La nouveauté des vingt dernières années réside dans le fait que ces conseils
sont véhiculés par tous les médias. Pour nombre de musulmans burkinabés, dans un contexte de libéralisation des télécommunications à partir
de 1991 (Lejeal 2002, 142-144 ; Balima et Frère 2003, 17-18), il s’agit de
« promouvoir l’image de marque de l’islam13 ». C’est également ce que
soulignait cet intervenant lors d’une conférence-débat organisée par le
CERFI :
Nous sommes à l’ère des autoroutes de l’information. […] Il ne faut rien
laisser de côté. Il faut utiliser tout ce qui est possible, la presse parlée, la
presse écrite, la presse audiovisuelle, les autoroutes de l’information pour
transmettre le message de l’islam de la manière la plus convenable14.

Le rôle joué par les médias correspond en fait à une forte dynamique
du sentiment religieux qui se traduit par une soif irrépressible de connaître
sa religion et de bien la pratiquer afin de renforcer le sentiment d’appartenance à la communauté religieuse. Ce sentiment traverse les générations et
les milieux sociaux. Dans cette perspective, les grands rassemblements

11. Au cours des décennies 1970 et 1980, des groupes réformistes ont repris le devant de
la scène, après une « traversée du désert » notamment au Sénégal, Mali et au Niger,
pour ne parler que de l’Afrique de l’Ouest francophone (voir notamment GomezPerez 2012).
12. De la fin des années 1960 à 1990, le redéploiement de la politique extérieure de l’État
sous la présidence du général Sangoulé Lamizana (1966-1980) vers le monde araboislamique s’est notamment matérialisé par la distribution de plusieurs centaines de
bourses d’études. À ce sujet, voir Cissé (1994, 344-345).
13. Hassan Diallo, conférence-débat organisée par le CERFI, enregistrement personnel
(date inconnue).
14. Ibid.

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dans des stades, l’organisation de conférences, la diffusion de prêches à la
radio et à la télévision participent de cette volonté d’investir l’espace public
du religieux et du coup, de mettre en exergue la figure centrale du converti,
habité par sa foi et vivifié au contact des autres ressentant le même sentiment d’appartenance à un moment précis et investissant des lieux moins
conventionnels. Il ne s’agit donc plus seulement d’aller se recueillir à la
mosquée, de suivre des cours de Coran à la madrasa15 ou dans une annexe
de la mosquée et de prêcher en français — considérant que les étudiants
francisants dans les mosquées étaient lésés du fait de prônes prononcés
uniquement en arabe16 —, mais aussi d’investir des lieux publics considérés
comme « non religieux » et éminemment populaires tels que les stades ou
encore les hôtels17. En fait, ceci participe à un phénomène plus général qui
s’observe dans la sous-région et notamment au Mali (Soares 2004 ; Schulz
2006a ; 2006b ; Soares 2006 ; Schulz 2007 ; Holder 2012) et au Niger
(Hassane 2009 ; Sounaye 2011 ; 2013).
Bien que les prêcheuses, même les plus reconnues, ne soient pas encore
au stade d’investir de tels lieux, il n’en demeure pas moins que ces dernières, toutes générations confondues, en ayant toujours insisté sur la
nécessité pour les femmes de connaître et de comprendre le Coran afin de
prendre conscience de l’importance de leur rôle en islam, ont d’abord privilégié des lieux de la sphère privée (les maisons) dès les années 1970 ou
les lieux d’entre-soi (associations féminines de quartiers et salles de prière
réservées aux femmes). Faisant le constat que les femmes étaient ignorantes
sur les fondements de l’islam et sur le contenu du Coran, certaines femmes,
plus au fait de leur religion, ont eu pour objectif de réunir leurs coreligionnaires, de les alphabétiser en arabe et leur dispenser quelques commentaires en mooré afin qu’elles comprennent des sourates-cibles qui ont trait
aux rôles, responsabilités et devoirs des femmes en islam18. La création
d’Itihad Al Islami-section femmes en 1984 est l’aboutissement de cette
dynamique. En effet, cette association a été voulue comme un lieu par
15. Établissement d’enseignement supérieur islamique.
16. Entretien avec imam Tiemdrebeogo, à son domicile (juillet 2009).
17. Hamadi Barro, « Le stade du 4-Août refuse du monde », Le Pays (25 juin 2007). Des
rassemblements ont parfois lieu à la Place de la Nation — « Célébration du Ramadan
à la place de la Nation : des vœux de paix et de prospérité au Burkina Faso », Sidwaya
(26 novembre 2003) ; « Place de la Nation − Un archevêque à la prière du ramadan »,
L’Observateur Paalga (12 septembre 2010) —– et même dans le luxueux hôtel Azalaï
Indépendance — « Centenaire du Califat de l’Ahmadiyya - Opération de charme à
Ouaga », L’Observateur Paalga (26 novembre 2008).
18. C’est le cas notamment d’une des pionnières dans le prêche, Ami (pseusonyme).

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excellence de rencontres, d’échanges et de promotion du statut de la femme
en islam et d’émulsion pour les jeunes générations qui, en animant des
conférences dans les quartiers, se sont fait connaître par un auditoire plus
large et mixte, ce qui leur a permis d’être progressivement repérées pour
animer des émissions à la radio. Selon les volontés de la fondatrice de cette
association, l’Itihad Al Islami-section femmes doit être un lieu où est facilité le passage de témoins des aînées aux plus jeunes19. Ainsi, bien qu’ayant
toujours choisi des lieux plus conventionnels, les femmes ont néanmoins
su s’adapter au nouveau contexte de médiatisation du religieux et prendre
au vol les quelques opportunités qui s’offraient à elles sachant que la programmation de leurs émissions n’est pas continue.
Cette nuance faite, il reste qu’en investissant de tels espaces, les musulmans ont la volonté de changer l’image rétrograde souvent accolée à
l’islam dans l’imaginaire collectif du Burkina Faso. Ce faisant, ils peuvent
mieux attirer de nouveaux profils de fidèles tels que des cadres, des intellectuels, des fonctionnaires, des industriels, etc. Comme le souligne l’imam
très reconnu de l’AEEMB/CERFI, Alidou Ilboudo, « sortir de la mosquée,
c’est toucher la communauté, aussi faire valoir les positions de l’islam,
communiquer avec la société, se faire connaître20 ». Cette logique, qui
s’observe également dans les autres pays de la sous-région, participe aussi
à une remoralisation de la sphère publique (LeBlanc et Gomez-Perez 2007,
51). Ce phénomène s’observe également un peu partout en Afrique de
l’Ouest tant du côté de l’islam (Masquelier 1999 ; Sounaye 2009 ; Samson
2009) que du côté des mouvements pentecôtistes (Mayrargue 2004). En ce
qui concerne les femmes, le fait d’investir les lieux traditionnels, dont la
mosquée, participe déjà d’une évolution marquante du refus de celles-ci de
vivre leur foi seulement dans la sphère privée. La présence de femmes à la
radio ne fait que renforcer cette évolution et rendre compte du fait que le
savoir transcende les frontières de genre et que les femmes sont tout aussi
à même de participer à la dynamisation de l’islam. Au-delà de l’ambition
de vivifier l’appartenance religieuse du musulman dans la sphère publique
notamment grâce à l’utilisation des médias, il s’agit aussi de mettre en
exergue la figure du converti qui a un comportement social exemplaire.

19. Entretiens avec Hadja Aminata Sawadogo, fondatrice d’Al Itihad, à son domicile, le
27 juillet 2009 et le 10 juin 2013.
20. Entretien avec imam Alidou Ilboudo, au siège de l’AEEMB (15 juillet 2009).

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1.3 Le converti comme figure exemplaire en vue d’une unité de la umma
L’entreprise de raffermissement de la foi, qui passe par la remoralisation,
nécessitait la création de médias islamiques en réaction à la nature considérée comme immorale de certaines émissions de chaines de radios ou de
télévisions privées. La remoralisation de l’individu, omniprésente dans les
discours des prêcheurs(ses), a pour modèle la figure du « bon musulman »
qui est marquée par une conduite de vie irréprochable. Des prêches font
régulièrement état du problème du contenu des télénovelas21. Ce type
d’émission est présenté comme un « danger » pour la société, car il véhicule
un mode de vie occidental « contraire à la morale » et participe à la « colonisation des esprits22 ».
En contrepoint à cette image d’Épinal collée à la civilisation occidentale, est proposée une autre représentation censée véhiculer une éthique
islamique à travers laquelle sont mis en avant des marqueurs identitaires
communs aux convertis. Parmi ceux-ci, on trouve l’importance de la
pudeur23, de l’hygiène corporelle (port de la barbe), des règles de conduite
avec l’Autre (serrer ou non la main à une femme, être seule ou accompagnée lorsqu’une femme est avec un homme dans une salle sans témoin), de
l’hygiène vestimentaire24 (porter le voile, des habits amples et non transparents pour les femmes voire porter des habits noirs pour les femmes sunnites jusqu’à porter ou non des gants, des chaussettes et le voile intégral
afin de cacher l’ensemble du corps ; porter la tunique blanche comme les
wahhabis ou non pour les hommes, etc.) et des signes d’humilité (ne pas
parler fort, avoir une certaine retenue dans ces propos, etc.). La figure de
la « bonne musulmane » est associée à un comportement vertueux dans la
vie de tous les jours avec pour référents notamment les femmes du Prophète et de ses compagnons25. Dans cette optique, tant les prêcheurs que
les prêcheuses formulent nombre de recommandations et d’injonctions
d’ordre comportemental pour le/la converti(e).

21. Ce sont des feuilletons de divertissement, diffusés quotidiennement à la télévision,
produits par les pays lusophones, hispanophones et par l’Inde dans lesquels sont
mises en scène des histoires de famille où amour, gloire, beauté, argent, mensonges
et trahisons sont les maîtres mots.
22. « La télévision », An-Nasr Vendredi (7 mai 2010).
23. « La pudeur n’apporte que du bien », An-Nasr Vendredi (23 octobre 2009).
24. « L’hygiène », An-Nasr Vendredi (18 décembre 2009).
25. Ceci est un discours récurrent dans les émissions radiophoniques collectées.

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Outre ces marqueurs identitaires, le principe d’unicité au sein de la
umma et la lutte contre la fitna26, qui a régulièrement affecté les musulmans du Burkina Faso (Otayek 1984 ; Cissé 1994 ; Kouanda 1998), sont
souvent abordés. Les prêches tendent à minimiser les spécificités cultuelles
des différentes tendances de l’islam burkinabé au profit d’un islam plus
« universel » dégagé de toute division et en lien avec les premiers temps de
l’islam. Ainsi, peu importe l’appartenance islamique, un consensus semble
avoir émergé en faveur d’un discours « islamiquement correct » afin de
s’adapter aux demandes des nouveaux profils de fidèles. Ceux-ci, pour la
plupart, préfèrent connaître les préceptes de base du musulman pratiquant
plutôt que d’entrer dans les débats théologiques, qui exacerberaient les
dissensions religieuses (Saint-Lary 2012). C’est ainsi que dans l’optique de
lutter contre la fitna pour ne pas désintéresser les convertis qui ne souhaitent pas se rattacher formellement à une tendance de l’islam, plusieurs
initiatives ont émergé pour impulser des rapprochements entre les différentes tendances islamiques du Burkina Faso27.
La cohésion effective de la communauté musulmane dans son ensemble
demeure en réalité ambivalente. Certes, le long conflit entre la CMBF et le
MS est de l’histoire ancienne (Cissé 2009, 25-29) ; le fait qu’Ismaël Derra
soit le responsable des émissions religieuses à la radio Al Houda et soit
identifié comme un homme qui a la confiance tant du milieu sunnite que
celui de la CMBF en est un bon exemple. Cependant, les tenants de la
Ahmadiyya font l’objet de critiques virulentes de la part de l’ensemble des
tendances de l’islam burkinabé au point d’être exclus de l’umma (voir
notamment Cissé 2010 ; Samson, 2011). L’imam Sana de la Grande mosquée de Ouagadougou gérée par la CMBF la critique régulièrement et
l’accuse de subterfuge dans ses prêches. Les Tidjanis sont également très
acerbes envers ce mouvement (Samson 2011) tout comme Dr Kindo du MS
ou Ismaël Derra. Les membres de la Ahmadiyya ont même été traités de
mécréants et d’hérétiques dans la presse généraliste28.
Pour leur part, les prêcheuses n’entrent pas dans ce type de débat pour
deux raisons principales. D’abord, elles ne se sentent pas encore aptes à
26. Ce mot arabe réfère aux désaccords et aux divisions parmi les musulmans.
27. « C.I.B. Imams et prêcheurs à l’école », L’Observateur Paalga (26 juin 1993) ;
« Associations islamiques du Burkina : une seule voix, un seul “muezzin” »,
L’Observateur Paalga (15 décembre 2005) ; « Associations islamiques du Burkina :
gestation d’une fédération », Sidwaya (16 décembre 2005).
28. « Place des Ahmaddiya en Islam : la polémique se poursuit », Le Pays (6 décembre
2007).

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rivaliser avec les prêcheurs sur de tels débats. C’est notamment le cas des
francisantes. Plus important encore, les francisantes comme certaines arabisantes, considèrent que la priorité est ailleurs, soit celle de traiter de
sujets relatifs aux rapports de genre en mettant l’accent sur la vie en couple
à travers les devoirs et droits tant des femmes que des hommes et en invitant à prendre de la distance avec des interprétations patriarcales des textes
religieux.
Dans un contexte de raffermissement de la foi, la prière est le premier
élément dans le dispositif pour mettre en exergue la figure d’un converti
exemplaire et exalté. Cette figure sera d’autant plus mise sur le devant de
la scène que s’opère la visibilité de l’islam dans l’espace public via les
médias. Ce nouveau contexte conduit à standardiser les comportements et
propager la figure du pratiquant, gage d’unité de la umma. Pour autant,
l’objectif est d’attirer des profils diversifiés de convertis, rendant compte
d’un jeu de complémentarité, mais aussi de concurrence entre les francisants et les arabisants.
2. La figure du « nouveau » converti : quêtes identitaires diversifiées
Les vingt-cinq vingt dernières années ont été marquées par l’émergence de
« nouveaux » profils de convertis, dont les francisants. Formés dans les
écoles publiques, ils sont à la recherche d’une plus grande connaissance de
leur religion et d’une légitimité au sein de la communauté musulmane. Pour
les atteindre dans une optique de raffermissement de leur foi, des activités
religieuses diversifiées ont été instaurées de même que l’utilisation plus
importante de médias. Du côté des prêcheurs et prêcheuses arabisant(e)s,
la volonté de répondre à la forte concurrence entre les acteurs religieux
d’une part, et de rejoindre un grand nombre de convertis d’autre part, a
favorisé l’utilisation de la radio, des langues nationales et plus récemment
de la télévision.
2.1 Le converti francisant en quête d’une foi plus affirmée et d’une
légitimité
Au-delà du bon comportement que le musulman doit adopter dans l’optique d’un raffermissement de sa foi, les années 1990 ont été marquées par
l’émergence de la figure du « nouveau » converti. Celui-ci, souvent issu du
système éducatif public, comprend des hommes et femmes fonctionnaires,
actifs ou retraités pour beaucoup — les « marabouts à cravate » comme les

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surnomme Miran dans le contexte ivoirien (2007, 99-100) qu’on retrouve
au CERFI —, des commerçants, des techniciens, ainsi que des étudiants et
des lycéens impliqués au sein de l’AEEMB29. Ayant hérité de la religion de
leurs parents, ils redécouvrent leur foi et aimeraient la prendre en main. Ils
souhaitent prouver qu’ils peuvent s’épanouir dans leur voie tout en revendiquant leur identité musulmane. Les musulmans francophones souffraient
cependant d’un déficit de légitimité religieuse. Au moment de la création
de l’AEEMB vers la fin des années 1980, le jeune âge et la formation dans
le public de ses membres faisaient l’objet de réserves et de critiques notamment de la part des arabisants. Beaucoup étaient d’avis que l’école publique
ne pouvait former que des sujets peu religieux, des « musulmans non pratiquants » sinon antireligieux si bien que les francisants durent s’engager
dans « une longue campagne d’explication et de sensibilisation auprès de
toutes les communautés musulmanes30. »
Ces nouvelles figures du converti étaient donc en quête de savoir islamique, car durant toute leur scolarité, ils n’avaient effectivement pas reçu,
ou très peu, d’éducation religieuse31. Ce contexte explique leur complexe
d’infériorité vis-à-vis des arabisants et leur timidité à affirmer leur identité
islamique. Avec les années 1990 caractérisées par une réaffirmation du
religieux, les francisants ont souhaité mieux connaitre leur religion. Pour
cela, ils bénéficient de guides en la personne de certains imams francisants
tels que Alidou Ilboudo, Ismael Tiemdrebeogo, Tiégo Tiemtoré qui, dès la
fin des années 1980, ont montré leur militantisme dans l’AEEMB. Par
exemple, Alidou Ilboudo était en 1988 responsable de l’information du
Kadiogo et faisait partie, entre 1990-1992, du bureau de l’association
comme délégué aux affaires culturelles32. Dans ce nouveau contexte,
nombre d’imams et de prêcheurs de l’AEEMB et du CERFI mettent l’accent
29. Elle s’est inspirée de l’Association des Élèves et Étudiants Musulmans de Côte
d’Ivoire (AEEMCI). L’influence de l’AEEMCI sur la création de l’AEEMB a été
importante par la présence dans l’AEEMB d’anciens membres de l’AEEMCI venus
au Burkina Faso pour la poursuite de leurs études supérieures. C’était le cas de l’ivoirien Ibrahim Barra qui a d’ailleurs été désigné comme premier président de l’AEEMB
en 1986. Voir « Historique », Site officiel de l’AEEMB, <http://aeemb.bf/aeemb/
historique>.
30. « Genèse de l’AEEMB », Site officiel de l’Association des Élèves et Étudiants
Musulmans au Burkina, www.aeemb.bf/index.php ? page=detailPage&title=AEEM
B&oPage=aeemb (page consultée le 29 août 2012).
31. À l’inverse, les élèves chrétiens bénéficiaient de catéchèses hebdomadaires et d’un
réseau scolaire catholique bien développé (Otayek 1997, 222-226).
32. Entretien avec Alidou Ilboudo, au siège de l’AEEMB (15 juillet 2009).

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sur l’apprentissage du Coran et des préceptes islamiques, car comme le
souligne l’imam Tiégo Tiemtoré, être un bon musulman nécessite la
connaissance : « La finalité de l’éducation en islam est de former et instruire
un individu musulman […] Ça veut dire de l’habiller de vertus, le parer de
qualités […] pour qu’il lutte pour le bien et s’érige en défenseur des bonnes
causes et pour qu’il soit un rempart contre les antivaleurs33 ».
Outre la volonté d’acquérir de meilleures connaissances religieuses
pour gagner en légitimité auprès des arabisants, les francisants cherchent
à déconstruire les préjugés ternissant l’image de l’islam au Burkina Faso.
Pour Ibrahim Bara, « l’islam est l’objet d’une diffamation séculaire [et] est
présenté comme une religion traditionnelle d’analphabètes — la religion
du fanatisme, de l’intolérance, de la paresse et de la mendicité. Et de fait,
l’islam à travers cette présentation est “l’opium du peuple34” ». Pour guider
et attirer les « nouveaux » convertis au profil particulier seront mises en
place de nouvelles stratégies de communication.
2.2 Du raffermissement de la foi des francisants à la figure du converti
ancré dans la globalisation
Pour mieux rejoindre les musulmans francisants, l’AEEMB met l’accent sur
un travail d’éducation et de formation religieuses en organisant des conférences dans les établissements scolaires et universitaires, des cours du soir,
des causeries-débats, des projections de films, des séminaires, des colonies
de vacances, des semaines culturelles et des activités récréatives (théâtre,
sport). Ces animations ne sont pas nouvelles et s’inspirent largement de ce
que les mouvements réformistes islamiques faisaient depuis les années
1980 dans la sous-région, notamment au Sénégal, au Mali ou au Niger. La
nouveauté réside plutôt dans le fait que ces animations visent à renforcer
les connaissances religieuses et la foi au sein des francisants en quête d’une
identité et d’une légitimité islamique dans le cadre de la da’wa35, en ciblant
un profil de fidèles, garçons comme filles, grandement ignoré jusque-là.
Dans cette optique, l’AEEMB a institué un organe de formation mixte à
trois niveaux — l’émir 1 (instructeur), l’émir 2 (moniteur) et l’émir 3
(conférencier) — et a mis en place en 2000-2001 l’« opération Khadidja »,

33. Imam Tiégo Tiemtoré, « Le Coran et l’éducation », Foi de croyant (date inconnue).
34. « Premier congrès ordinaire de l’Association des Élèves et Étudiants Musulmans du
Burkina : redynamiser l’islam », Sidwaya (20 juillet 1988).
35. Signifie prosélytisme religieux en arabe.

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qui est réservée aux lycéennes et aux étudiantes36. L’objectif est double :
d’une part, offrir un cadre aux filles pour qu’elles se sentent plus libres de
s’exprimer qu’au sein de structures mixtes et, d’autre part, donner l’image
d’une religion ouverte et moderne en alliant activités récréatives (cantiques,
tricotage, art culinaire) et formatives (conférences sur des thèmes religieux
portant sur les femmes). Les meilleurs éléments féminins sont aussi repérés
pour être formés à devenir conférencières dans le cadre de la « formation
élite pour sœurs/da’wa pour sœurs » pour qu’elles puissent prêcher devant
un public mixte37.
La volonté des musulmans francisants de mieux connaître et pratiquer
leur religion se manifeste aussi par l’apprentissage du Coran dans le cadre
des cours du soir. La Ligue burkinabè à la lecture et à la mémorisation du
saint Coran (Libulmesco), créée il y a près de 10 ans, a pour vocation
d’offrir à un public francophone, qui est, ou a été, scolarisé en français, des
cours du soir pour l’apprentissage du Coran et la maîtrise de l’arabe classique. Ces musulmans francophones se forment donc sur un terrain où les
arabisants pouvaient auparavant se distinguer (Saint-Lary 2011b). Parallèlement à cela, les cellules féminines des associations islamiques organisent des cours du soir afin que les femmes analphabètes ou francisantes
apprennent à lire le Coran pour bien pratiquer et pour qu’elles puissent
comprendre globalement le sens du texte sacré38.
La recherche d’une visibilité dans les médias est aussi une autre stratégie
pour rejoindre les nouveaux convertis francisants. Depuis 1998, l’émission
« Comprendre l’islam » est diffusée en direct tous les mardis de 21h à 22h
à la radio nationale Arc en ciel. Cette émission est rediffusée le dimanche à
la radio Al Houda sous le nom « Apprendre l’islam » avec un contenu qui
peut être modifié. L’émission a pour but de faire comprendre les fondamentaux de l’islam, mais elle a dû être suspendue à la radio nationale sans que
la raison nous soit précisée alors que son statut est précaire à la radio Al
Houda en raison de l’absence d’un animateur régulier provenant de
l’AEEMB. Par ailleurs, deux émissions sont proposées à la radio Ridwan
par des membres de l’AEEMB et durent chacune une heure avec un invité :
« Nutrition » animée par des médecins de l’association et « Santé pour tous »
par d’autres qui sont nutritionnistes dans l’optique de transmettre des

36. Entretien avec Lina (pseudonyme) (6 juin 2013).
37. Ibid.
38. Observations non-participantes auprès de femmes du CERFI au moment du Ramadan
(août 2011).

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conseils d’hygiène de vie afin de répondre au principe central d’être un
« bon musulman » dans un corps sain.
Une diffusion plus régulière s’observe à la télévision même s’il s’agit
d’un seul cas. En effet, l’émission de télévision « Foi de Croyant » est diffusée depuis 2010 de façon hebdomadaire à la Radiodiffusion Télévision
du Burkina (RTB), une chaine de télévision nationale publique. Un comité
regroupant six associations (AEEMB, CMBF, MS, Association des Tidianes
du Burkina de Maïga, Al Itihad et le CERFI) gère la programmation de
l’émission réservée à l’islam39. L’imam Alidou Ilboudo de l’AEEMB/CERFI
a été choisi pour animer cette émission de 30 minutes. Il sélectionne un
thème, l’introduit et pose des questions à un ou deux invités, généralement
l’imam Ismael Tiemdrebeogo et l’imam Tiemtoré, dans un décor très
neutre. Telle que conçue, cette émission permet en réalité aux deux associations — l’AEEMB et le CERFI — d’acquérir une visibilité. Du même
coup, les francisants peuvent gagner une légitimité aux yeux de tous dans
la mesure où cette émission est régulière et met en scène des cadres francophones pour parler des préceptes religieux. À travers les thèmes choisis
— « Le Hadj », « Le sens et les types de jeûnes », « La lecture du Coran »,
etc. —, on remarque que le médium télévisuel reste un prolongement de ce
qui était déjà offert à travers le journal An-Nasr, s’inscrivant clairement
dans l’optique d’un raffermissement de la foi des fidèles. La répétition du
contenu sur des supports différents fait partie de la stratégie de communication des associations, car leurs responsables considèrent que l’auditoire
n’est jamais le même ou est désireux d’entendre une nouvelle fois le message à des heures et circonstances différentes.
Bien que l’utilisation de l’internet au Burkina Faso demeure encore
restreinte à une très faible proportion de la population — 4,4 % selon
Internet World Stat40 — un nombre croissant de musulmans maîtrisant
le français se servent du web pour obtenir des informations religieuses.
De toutes les associations musulmanes du pays, le site web de l’AEEMB
a toujours été le plus fréquemment mis à jour et le plus riche en termes
de contenu, que ce soit des nouvelles concernant les activités de l’association, des commentaires de l’actualité nationale et internationale ou la
possibilité de s’abonner à une newsletter41. Pour les musulmans en quête

39. Les autres confessions, catholique et protestante, ont elles aussi chacune une émission, le samedi et le dimanche de 30 minutes.
40. <www.internetworldstats.com/stats1.htm>.
41. <www.aeemb.bf>. Il est présentement inaccessible pour des problèmes d’hébergement.

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de raffermissement de leur foi, les forums de discussions sont des endroits
privilégiés pour discuter des comportements adéquats en regard aux préceptes de l’islam. Sur le forum du Musulman du Faso42, en ligne depuis
plus de deux ans, les internautes, basés au Burkina Faso ou expatriés,
soumettent des situations concrètes portant autant sur les devoirs cultuels
et notamment sur la prière (les ablutions, la posture, réciter les sourates,
conjuguer travail et heures de prières)43 que sur les pratiques sociales et les
rapports hommes-femmes. Ils attendent des réponses concrètes pour les
éclairer sur le « bon » comportement que le musulman doit adopter.
L’anonymat qu’assurent l’internet et l’utilisation d’un nom d’utilisateur permettent également de poser des questions sur des sujets plus sensibles comme ce fut le cas pour cette femme :
Le problème est que mon mari me méprise depuis des années et ne respecte
pas mon droit physique et ne me donne même pas un baiser. En plus, il
regarde des films pornographiques. J’ai des enfants et je crois que le divorce
ne serait pas une solution à cause d’eux. Quelle solution faudrait-il adopter ?
Je suis très gênée d’avoir à parler de ces choses avec lui44.

Ainsi, bien que ce procédé soit nouveau et encore peu utilisé, ce
médium offre une liberté d’expression accrue de la part des fidèles sans que
cela conduise à créer un environnement délibératif mais plutôt à accentuer
l’ancrage identitaire religieux45. Pour les prêcheuses, la radio demeure le
médium privilégié étant donné qu’elle est très écoutée par les populations
et leur a permis de prendre de l’assurance et de ne pas être confronté aux
regards des hommes. Elles considèrent, en effet, que la radio crée une distance physique avec l’auditoire de plus en plus mixte.
Si les francisants ont exploité des moyens non-conventionnels (théâtre,
activités sportives, etc.) et « modernes » comme l’internet pour rejoindre
un profil particulier de converti généralement issu des milieux éducatifs
publics et francophones, les prêcheurs et prêcheuses arabisants ont, grâce
au soutien financier de la Fondation Abdallah Ben Massoud d’Arabie
Saoudite, ciblé les médias radiophoniques puis télévisuels. L’accent a été
mis sur l’utilisation de plusieurs langues locales pour rejoindre un plus

42.
43.
44.
45.

Bien que le site soit en français, il n’est pas lié avec l’AEEMB ou le CERFI.
<http://islam.bf/forum/>.
<http://islam.bf/forum/viewtopic.php ? id=42>.
Ceci a aussi été observé notamment au Mali (Schulz 2003) et dans le monde arabomusulman avec l’emploi d’internet (El-Nawawy, M. et S. Khamis 2009).

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grand bassin de convertis parmi lesquels plusieurs ne connaissent pas ou
très peu l’arabe.
2.3 Stratégies de communication vers les arabisants et musulmans
non-francophones : être visible à tout prix et après… ?
Selon des données de 2005, deux tiers des ménages burkinabés disposent
d’une radio alors qu’un sixième d’entre eux ont une télévision (Capitant
2008, 202). Ainsi, le lancement de la radio Al Houda en 2004 visait à
rejoindre un maximum de fidèles et pour « apprendre l’islam aux ignorants46 » par le biais du médium le plus répandu à l’échelle nationale. Ce
lancement était aussi une réaction à la marginalisation de l’islam dans
l’espace public face à aux communautés chrétiennes, en position hégémonique, et aux pentecôtistes, très influents sur la scène politique47. Le comité
de pilotage pour la création de la radio Al Houda avait utilisé l’argument
selon lequel les musulmans n’avaient encore aucune radio à Ouagadougou
à l’inverse des chrétiens et des pentecôtistes pour acquérir un droit
d’émettre et « répondre au dynamisme des chrétiens48 ». Comme nous
l’avons précisé dans l’introduction, les chrétiens et les pentecôtistes avaient
fondé des radios confessionnelles au Burkina Faso dès les années 1990.
Toutefois, bien que la radio Al Houda ait été ouverte à tous les musulmans, sa ligne éditoriale demeure proche de la tendance wahhabi en raison
du commanditaire, l’ONG d’Arabie Saoudite Abdallah Ben Massoud et
46. Entretien avec Monsieur Ouattara, directeur général administratif de la radio Al
Houda, à son bureau (16 juillet 2009).
47. L’Église catholique n’hésitait pas à publiciser ses positions politiques. Dès les années
1960, le sermon du cardinal Paul Zoungrana, sur l’importance pour les chrétiens de
s’engager au plan politique, a été publié sur trois numéros de Carrefour africain. « Un
sermon retentissant du cardinal Zoungrana », Carrefour africain (12, 19 et
26 novembre 1966). Elle a fait régulièrement connaître sa position sur les évènements
et débats majeurs notamment par la publication de lettres pastorales dans les médias
(voir Couillard 2013 ; Otayek, 1997 ; Somé 2006). Elle a aussi récemment pris position contre le Sénat : « Opportunité du Sénat − Le sermon des évêques »,
L’Observateur Paalga, (21 juillet 2013). Quant aux pentecôtistes, le fait que des
représentants de l’Église des Assemblées de Dieu aient été sollicités pour diriger la
Commission électorale nationale indépendante par le gouvernement à l’occasion des
élections présidentielles de novembre 1998 témoignent de leur rôle de plus en plus
important (voir aussi Laurent 2002 ; 2009).
48. Entretiens avec Monsieur Ouattara, directeur général administratif de la radio Al
Houda, à son bureau (16 juillet 2009) et avec El Hadj Issouf Kanazoé, à la radio Al
Houda (10 novembre 2011).

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des principaux animateurs, des théologiens du MS dont Mohamed Kindo
et Mohamed Sawadogo. De plus, la radio ne parvient pas à répondre entièrement aux exigences du Conseil Supérieur de la Communication (CSC).
Il est notamment difficile à la direction de trouver des animateurs francophones pour animer certaines émissions d’ordre généraliste49. La très
grande majorité des responsables de cette radio, n’étant pas issue du milieu
radiophonique, considère la radio comme un moyen supplémentaire pour
poursuivre l’effort de da’wa ce qui ne permet pas de réserver une tranche
horaire aux émissions non religieuses et de diffuser un discours religieux
consensuel voire neutre.
La mise sur pied d’une chaine de télévision Al Houda, au printemps
2012, répond d’une certaine manière à la même logique que celle utilisée
pour la radio. Son lancement relève non seulement d’une stratégie d’occupation de la sphère publique, mais aussi d’une volonté de s’adapter à la
demande du public qui est attiré par l’image selon les responsables. Moussa
Sana, directeur de la télévision Al Houda, faisait remarquer qu’« une image
vaut 1000 mots » et que « la télévision a plus d’impact que la radio50 ». Ce
type de discours montre une volonté affichée de donner une allure moderne
à l’islam pour attirer une nouvelle catégorie de convertis. Par ailleurs, le
souci est de concentrer plusieurs expertises : celle technique avec le directeur, Moussa Sana, qui est issu du milieu radiophonique, celle francophone
et communicationnelle avec le chef de programme, Souleymane Kologho,
venant de l’AEEMB et ayant une ancienne expérience de la radio et de
coordination, et enfin, celle arabisante et religieuse avec le chef de programme religieux, Ismaël Derra, qui a su gagner la confiance du MS.
Dans la même optique, une place est réservée aux femmes dans les
médias et notamment à la radio et la télévision Al Houda afin qu’elles
puissent animer des émissions. Cela s’inscrit dans la volonté de Mohamed
Kindo, grand imam du MS et coordonnateur du conseil des sages de ce
mouvement, d’inviter les femmes à sortir de chez elles, afin qu’elles puissent
aussi œuvrer à la da’wa comme les hommes auprès d’autres femmes51. Bien
que cette ouverture offerte aux femmes soit le signe d’une volonté de changement dans les rangs du MS, celles-ci rencontrent malgré tout des difficultés à obtenir une place pérenne dans la sphère médiatique. En effet, la
plupart rapportent qu’elles ont été confrontées à la défiance d’une part, de
49. 35 % doit être réservé à ce type d’émissions selon les règles du CSC.
50. Entretien au siège de la télévision (4 juin 2013).
51. Entretien avec Amia, à son domicile (27 juillet 2011).

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certains membres masculins de leur association qui considèrent que les
femmes n’ont pas à « parler haut et fort » et d’autre part, des responsables
des radios qui considèrent que leurs connaissances religieuses sont à encadrer car sont à parfaire52. Outre l’aspect purement religieux, les animatrices ne bénéficient pas d’une rémunération ; seule une indemnité pour les
frais d’essence leur est accordée. Ceci ne contribue pas à voir augmenter la
visibilité des femmes à la radio, même si cela est considéré par ces dernières
comme une consécration. L’absence de visibilité s’avère plus prégnante à
la télévision dès lors que l’enjeu est de voir comment une femme, membre
du MS de surcroit, peut ou doit se présenter à l’écran suivant les principes
religieux véhiculés par l’association à tendance salafiste. Les femmes ne
sont pas non plus présentes sur le web.
Nonobstant ces signes de défiance de nature religieuse, la situation
pourrait se modifier à moyen terme dans la mesure où de plus en plus de
femmes, membres ou non du MS, poursuivent des études religieuses à
l’université Al Houda ou au Centre polyvalent, obtiennent des diplômes
validant leurs connaissances, côtoient et forment d’autres femmes à être
mieux informées sur leur religion. Cette situation contribuerait à approfondir l’intérêt pour le religieux auprès des femmes de différents milieux et
profils, ce qui ne devrait pas laisser indifférents les responsables cherchant
à étendre leur auditoire. Des signes de changement de perception des
femmes sont d’ailleurs déjà perceptibles à la radio Ridwan où trois jeunes
femmes, habillées en noir et voilées presque intégralement, animent une
émission interactive qui a un fort succès d’écoute et suscite l’intérêt des
hommes comme des femmes de différentes tranches d’âge ; elles abordent
des sujets délicats tels que le mariage forcé ce qui conduit, de façon subtile,
à rediscuter des normes sociales voire les critiquer dans certains cas pour
éveiller les consciences53.
Depuis les années 1990, de « nouveaux » profils de convertis musulmans aux quêtes identitaires et religieuses ont émergé. Les hommes et les
femmes ayant suivi un cursus scolaire dans le système public en font partie.
Musulmans de naissance et faiblement pratiquants, ils souhaitent réaffirmer leur foi. Ce désir passe par l’acquisition de meilleures connaissances
religieuses par le biais de nouvelles activités religieuses dans le cadre de la
da’wa et l’utilisation de médias tels que la télévision et l’internet. Les
prêcheurs(ses) arabisant(e)s ont, quant à eux, misé sur l’utilisation de la
52. Ce type de propos a été relevé dans les deux radios.
53. Observation participante à la radio Ridwan (juin 2013).

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radio puis la télévision pour rejoindre le plus grand nombre possible de
convertis. Outre ces nouveaux convertis, certaines figures musulmanes se
sont posées dans les dernières années en « converti-éclaireur » par leur
autorité et leur légitimité religieuses ainsi que leur mise en valeur d’une
forme de citoyenneté religieuse.
3. Le converti-éclaireur guide de sa communauté ou comment acquérir
une reconnaissance sociale par le religieux
La médiatisation progressive de l’islam dans les années 1990 a conduit à
l’émergence de personnalités qui jouent le rôle de guides pour leur communauté et qui jouissent d’une influence grandissante au sein de celle-ci, au
point de devenir des figures d’autorité. Ce phénomène de « starisation » est
d’autant plus intéressant qu’il transcende les différentes tendances de
l’islam, les différents milieux — tant francisants qu’arabisants — et les
générations. Cette médiatisation permet, dans certains cas, de confirmer
l’autorité de certaines figures déjà considérées comme des références dans
leurs milieux et d’ouvrir la voie à de nouvelles générations de convertis dès
lors que ce converti-éclaireur met en exergue l’engagement citoyen de
chaque musulman.
3.1 Entre starisation et mise en autorité progressive
À la faveur de la création des différents médias islamiques, de nouvelles
figures de prêcheurs(ses) ont émergé et sont mises sur le devant de la scène.
Certaines émissions contribuent à accentuer une hyperpersonnalisation de
l’animateur dans la mesure où est mis en scène son savoir religieux afin de
rendre compte de son autorité, de son éloquence et de sa légitimité religieuse auprès des auditeurs. On assiste donc à un phénomène de starisation
de certains prêcheurs qui se sont posés en figures d’autorité reconnues pour
leurs connaissances islamiques, et ce, devant un auditoire de plus en plus
important. L’« hypermédiatisation des prêches » traverse les différents
courants islamiques au Burkina Faso et les cohortes — avec la présence
tant de prêcheurs de la cohorte des années 1980 que d’autres des deux
décennies suivantes.
Un exemple éloquent de prêcheur nous vient des années 1980, en la
personne d’Aboubacar Doukouré. Né en 1952, il a fait partie de la première promotion de trois étudiants boursiers pour l’Arabie Saoudite en
1967-1968 où il a poursuivi ses études secondaires puis universitaires à

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l’Université islamique de Médine, avec un doctorat d’État en droit islamique à la clé en 198354. De retour à Ouagadougou, il est devenu imam,
puis le cheikh d’Hamdallaye, et a choisi de se détacher de la tradition
soufie paternelle pour s’orienter vers un islam « réformiste » (Vitale 2012,
378-379 ; Dasseto et al. 2012). En 1986, il a été à l’origine de l’implantation d’une ONG islamique koweïtienne au Burkina Faso, la Fondation
islamique internationale de charité. Son réseau dans le monde arabe lui a
permis de devenir membre permanent de l’Académie de Jurisprudence de
l’Organisation de la coopération islamique (OCI) en 1987 et conseiller aux
affaires islamiques de façon ponctuelle pour le Ministère burkinabé des
Relations extérieures55. En 2009, il a été élu, pour la troisième fois consécutive, président du Conseil exécutif de l’Organisation islamique pour
l’éducation, la culture, la science et la communication (ISESCO)56. Fait
intéressant à noter, son autorité a précédé sa médiatisation : compte tenu
de son aura, il a en effet été approché par un cercle de ses amis pour l’inciter à lancer la radio Ridwan57.
D’autres prêcheurs arabisants appartiennent en revanche à une cohorte
plus récente, étant revenus des pays arabes à la fin des années 1990 et au
début des années 2000. Parmi ceux-ci, Aboubacar Sana, grand imam de la
Grande mosquée de Ouagadougou de la CMBF, Mohamad Kindo, grand
imam du Mouvement Sunnite et Mohamed Sawadogo, imam de la mosquée Al Houda, sont devenus des figures musulmanes très médiatisées tant
dans les médias islamiques que dans le médias non confessionnels. Ces
arabisants ont en commun d’avoir un talent d’orateur et d’avoir poursuivi
des études islamiques à l’étranger. Aboubacar Sana a fait ses études universitaires en Arabie Saoudite et a été désigné comme imam par la CMBF
en 199758. Mohamad Kindo a étudié dans une madrasa à Bobo-Dioulasso
avant de partir en Arabie Saoudite en 1982 en tant que boursier de l’Université de Médine, où il a obtenu une thèse en théologie en 200359. Il a été
le premier président du comité du spirituel à la radio Al Houda entre 2004
et 2006. Quant à Mohamed Sawadogo, boursier, il est parti en Arabie
54. Entretien avec Aboubacar Doukouré, à sa résidence (17 novembre 2011).
55. Ibid.
56. « Cheick Boubacar Doukouré, guide spirituel, président du Conseil exécutif de
ISESCO », Sidwaya (13 mars 2013).
57. Entretien avec Cheikh Doukouré, à son domicile (22 mars 2010).
58. Entretien avec imam Sana, à son domicile (26 mars 2010).
59. Entretien avec Mohamad Kindo, imam du Mouvement Sunnite, radio Al Houda
(22 octobre 2011).

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Saoudite en 1979 où il a obtenu un doctorat en rhétorique prophétique. Il
est recteur de l’université Al Houda depuis la rentrée 2007 et est superviseur général de la fondation Abdallah Ben Massoud60.
Pour ce qui est des prêcheurs francisants de la cohorte de la transition
démocratique, les figures les plus médiatisées ont la particularité d’être
issues de milieux universitaires francophones et d’avoir majoritairement
étudié au Burkina Faso, tout en ayant suivi des cursus scolaires très différents les uns des autres. Ainsi, certains imams et prêcheurs de l’AEEMB/
CERFI possèdent une formation en mathématique, en sociologie ou
encore en communication. L’imam Ismaël Tiemdrebeogo a fait une maîtrise en droit et un master en gestion des entreprises à l’Université de
Ouagadougou61. L’imam Alidou Ilboudo est enseignant de formation62
alors que l’imam Tiégo Tiemtoré a suivi une formation en journalisme et
en communication63.
La médiatisation des prêcheurs au Burkina Faso tend à toucher autant
les prédicateurs plus âgés comme ceux évoqués précédemment que des plus
jeunes comme Ismaël Derra, et ce, toutes tendances confondues. Derra,
membre de la CMBF, est devenu une figure incontournable de l’islam
ouagalais, car il fait le pont entre la CMBF et le MS et il est reconnu pour
son savoir religieux. D’ailleurs, après avoir suivi des études en pédagogie
islamique en Égypte en tant que boursier de l’Université Al-Azhar en 1996,
il est retourné au Burkina Faso en 2004, après avoir obtenu sa licence, et
s’est fait connaître par ses prêches à Ouagadougou64. Dans ce contexte, les
responsables de la radio Al Houda l’ont invité à les rejoindre comme
d’autres arabisants reconnus, pour aider au lancement de la programmation radiphonique. De fil en aiguille, il est devenu le responsable des émissions religieuses dans cette radio après le retrait de Dr Kindo.
À l’inverse du Sénégal, on ne peut cependant pas parler de figures-stars
au sein des prêcheuses au Burkina Faso. Toutefois, quelques figures ascendantes, qui animent des émissions à la radio Al Houda et quelques fois à

60. Entretiens avec Mohamed Sawadogo, à son bureau à l’université Al Houda, (21 juillet 2009 et 12 octobre 2011).
61. Entretiens avec imam Tiemdrebeogo, à son domicile (juillet 2009 et juin 2013).
62. Entretien avec Alidou Ilboudo, au siège de l’AEEMB (15 juillet 2009).
63. Entretien avec Belem Ousmane, militant de l’AEEMB responsable des communications, au siège de l’AEEMB (octobre 2011).
64. Entretien avec Ismaël Derra, prêcheur, radio Al Houda (10 octobre 2011). Un article
dans la presse fit état de son éloquence : « Prêches du dimanche de Ismaïl Derra : un
jeune érudit qui fait courir les foules », Sidwaya (1er juillet 2005).

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la radio Ridwan, se démarquent. Zara, après être passée à la madrasa de
Samandin entre 1974-1977 et à la madrasa centrale de la CMBF entre
1977 et 1982, a obtenu le BEPC en 1991 à l’institut Aorèma puis est repassée par la madrasa centrale pour obtenir son baccalauréat65. Quant à
Amia, elle a aussi été formée dans la madrasa centrale jusqu’au BEPC. En
1998, elle est allée à l’institut de Doukouré pour suivre des cours afin de
passer le baccalauréat (obtenu en 2001)66. Parallèlement, dès les certificats
obtenus, elles ont décidé de suivre des cours du soir en français (car selon
leur constat, c’est la langue parlée dans l’administration), des cours de
perfectionnement (dactylographie, informatique) et enseignent, pour la
plupart, dans des établissements privés.
Un autre type de figure de converti-guide a émergé dans les dernières
années suite à l’utilisation des nouvelles technologies de la communication.
Ce sont ceux qui, à travers l’utilisation croissante des forums, ont acquis
une certaine autorité ou à tout le moins une légitimité. Ainsi, sur le forum
du site le Musulman du Faso, un certain Harouna Sawadogo semble être
la personne-ressource/experte par excellence, étant celui qui apporte le plus
souvent les réponses aux internautes et fournit régulièrement des liens
externes vers d’autres pages web en arabe dans la majorité de ses réponses.
Par ce procédé, il peut laisser entendre qu’il a une excellente maîtrise de
l’arabe, langue considérée comme sacrée et d’autant plus prestigieuse dans
un espace musulman non arabophone. Il est intéressant de noter que sa
formation ou son profil n’est pas spécifié sur le site. Bien qu’il ne puisse
pas s’appuyer sur le prestige lié à une formation à l’étranger comme c’est
le cas de Mohamed Sawadogo et de Mohamed Kindo, le fait que les autres
internautes ne complètent pratiquement jamais ses réponses peut témoigner du fait qu’il a acquis une certaine autonomie voire autorité sur ce
forum.
L’utilisation de l’internet pose toutefois le problème de l’identité véritable de l’internaute. L’utilisation potentielle d’un pseudonyme ne permet
pas de valider l’identité. D’ailleurs, quelqu’un du nom d’Ismaël Tiemdrebeogo est déjà intervenu sur le forum. L’internet rend donc poreuses les
frontières de la légitimité et de l’autorité religieuse et permet en quelque sorte
une démocratisation de l’interprétation religieuse. Le converti-guide, de par
son statut privilégié, est ainsi au centre de l’entreprise de remoralisation des

65. Entretien avec Zara (pseudonyme) (25 juillet 2009).
66. Entretien avec Amia (pseudonyme) (25 juillet 2009).

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fidèles et de conversion et s’ingénie à former une lignée de convertis afin que
le travail de la da’wa se perpétue.
3.2 Pour une lignée de convertis : de l’action sociale à l’engagement
citoyen ?
Le converti-guide s’évertue à ramener des membres, un temps exclus de la
communauté, sur le droit chemin. Ceci s’observe dans le cadre de visites
dans les prisons ainsi que dans les hôpitaux et répond à l’exigence de la
da’wa, c’est-à-dire de conversion par l’action sociale. Par exemple, à l’occasion de la Tabaski 2011, l’ONG Hasene, en collaboration avec l’association An Nasr pour la promotion de l’enseignement islamique a offert
10 bœufs aux prisonniers de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO)67. La commission jeunesse de la CMBF a, quant à elle,
remis des vivres aux malades de l’hôpital Yalgado Ouédraogo en juillet
2012. Une semaine plus tard, une délégation de la CMBF conduite par
Mahamoudou Bandé a remis des vivres aux détenus de la MACO68. Au
terme de cette visite, la CMBF avait fait savoir son désir de poursuivre ses
gestes de solidarité à l’endroit d’autres groupes en difficulté69. En fait, ceci
s’inscrit plus largement dans un contexte où, depuis les années 1990, les
associations et les ONG islamiques s’impliquent de plus en plus dans les
secteurs de l’éducation et de la santé pour pallier les carences de l’offre des
structures sociales publiques (Couillard 2013) et répondre au dynamismes
des pentecôtistes et de l’Église dans ce secteur.
En dehors de quelques émissions qui portent indirectement sur des
débats de société tels que le mariage forcé, certaines prêcheuses initient des
actions sociales en direction du milieu carcéral et du milieu hospitalier. Par
exemple, Lisa donne une formation depuis 1999 aux femmes musulmanes
à la MACO sur ses propres fonds — cette initiative est aussi soutenue par
Itihad islami — après qu’elle ait reçu une formation en 1999 sur les dangers de l’excision par le centre national de lutte contre l’excision et une
formation en Libye sur la vie de la femme musulmane en islam, la même
année, sur des financements de l’Association de l’Appel Islamique

67. « Fête de la tabaski - 832 bœufs pour les musulmans du pays », Le Pays (10 novembre
2011).
68. « La communauté musulmane du pays solidaire des détenus de la MACO », Le Pays
(9 août 2012).
69. Ibid.

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(AMAI)70. En prison, les discours invitent les femmes à abandonner de
mauvaises pratiques telles que l’excision qui ne sont pas reconnues par
l’islam ainsi qu’à leur adresser des formules de pardon et de réintégration
dans la société. Quant aux visites à l’hôpital, il s’agit d’appeler les familles
des enfants malades d’avoir la foi et de ne pas faiblir devant l’épreuve. Ces
visites ont lieu le plus souvent durant le mois de Ramadan71.
Pour les figures de converti-guides, l’action sociale religieuse passe
également par l’engagement citoyen du musulman. Dans ce contexte, l’individu et le collectif sont donc étroitement liés. Ainsi, à l’occasion de la
prière de l’Aïd el-Fitr72 en septembre 2010, l’imam Tiégo Tiemtoré rappelait aux fidèles qu’à l’approche des élections présidentielles de novembre,
« la foi musulmane invite le croyant à l’engagement citoyen », car les
musulmans ont « une responsabilité vis-à-vis de Dieu, mais aussi des
hommes73 ». La présence et l’action citoyenne du bon musulman dans sa
cité sont fondamentales. Pour autant, la revendication d’une meilleure
visibilité du religieux dans la sphère publique qui peut être symbolisée par
la figure du converti bon citoyen ne va pas sans l’usage de précautions
d’ordre technique, politique et idéologique. Les nouvelles figures-guides
religieux expérimentent les règles inhérentes à la diffusion de messages
dans les médias. Elles expérimentent de nouvelles façons de transmettre
des messages religieux en s’éloignant de positions islamiques radicales et
révolutionnaires propres aux années 1970-80 pour mieux s’adapter à un
nouveau contexte de la « normalization » (Göle 2002, 174 ; Savadogo et
Gomez-Perez 2011 ; Gomez-Perez 2012). Par exemple, dans un article du
An-Nasr Vendredi intitulé « Élections législatives du 6 mai 2007 : voter
pourquoi faire ? », l’auteur faisait valoir que le boycottage n’est pas une
expression politique fructueuse. Que la meilleure façon de changer les
choses, c’est de participer aux élections dans la persévérance puisque l’impunité et l’injustice se nourrissent de l’inaction74.
Cependant, bien que ces prêcheurs encouragent les bonnes actions
citoyennes, ils ne formulent pas vraiment de véritable programme politique
70.
71.
72.
73.

Entretien avec Lisa (pseudonyme), à la radio Al Houda (25 juillet 2009).
Ibid.
La fête musulmane marquant la rupture du jeûne du mois de ramadan.
Imam Tiégo Tiemtoré, « Sermon de la prière de l’Aïd el-Fitr », An-Nasr Vendredi
(10 septembre 2010).
74. « Élections législatives du 6 mai 2007 : voter pourquoi faire ? », An-Nasr Vendredi
(6 mai 2007) ; Imam Yacoub Tiemtoré, « Sermon de la prière de la Tabaski 2009 »,
An-Nasr Vendredi - spécial Tabaski (27 novembre 2009).

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concret. Le discours de l’AEEMB/CERFI met souvent l’accent sur le retour
aux premiers temps de l’islam pour régler les problèmes actuels de la
société. Par exemple, le calife Omar et Ibn Abdelaziz sont montrés comme
des modèles de bonne gouvernance dans les sermons et articles du An-Nasr
Vendredi75. De plus, il apparaît être plus facile pour les prêcheurs d’aborder l’actualité sous-régionale et internationale76 que l’actualité nationale
ou locale dans la mesure où cela ne concerne pas la politique nationale du
président Compaoré. En fait, l’apolitisme est largement répandu chez les
prêcheurs burkinabés de toutes les tendances dans un contexte d’État semiautoritaire (Hilgers et Mazzocchetti 2006 ; Hilgers 2010).
Conclusion
Trois figures de converti ont émergé dans l’espace public à la faveur de la
médiatisation croissante du religieux depuis les années 1990 et surtout
depuis le début des années 2000 : celui du converti en situation de raffermissement de sa foi, le nouveau-converti en quête identitaire et enclin à
mieux comprendre sa religion, et le converti-guide de sa communauté, qui
a le rôle de remettre sur le bon chemin des convertis égarés. À travers ces
trois figures de converti se mêlent deux logiques d’appartenance : celle de
l’individualisation qui passe par l’exaltation de la foi, l’exemplarité du
comportement et la moralisation de soi ; celle de l’individuation qui passe
par l’ancrage dans la communauté religieuse, par une volonté de lutter
contre toute division de la communauté et par un effort de da’wa.
Pour attirer un maximum de convertis, des stratégies de communication diversifiées sont mises en place à travers lesquelles s’établissent plusieurs logiques : le désir de renforcer les connaissances religieuses des
francisants à travers différentes activités éducatives, culturelles et récréatives bien ciblées afin qu’ils acquièrent une plus grande légitimité auprès
des arabisants ; la volonté de ces derniers à rejoindre davantage de convertis en utilisant les langues locales et la radio et, pour certains, à entrer en
compétition pour se poser en figure d’autorité ; la volonté pour les femmes
de s’autonomiser religieusement en utilisant notamment certains médias.
À travers la figure du converti-guide se pose la question de la mise en
autorité du religieux et des effets de la médiatisation du religieux. En effet,

75. « Omar ibn Abdel Aziz : un exemple de bonne gouvernance », An-Nasr Vendredi
(1er octobre 2010).
76. Ceci avait déjà été souligné au Sénégal, voir Gomez-Perez 2008.

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l’utilisation de différents médias permet de transformer les rapports entre
le converti-guide et sa communauté, voire de les rendre plus fluides, car la
barrière de l’âge ou du sexe n’entre plus autant en ligne de compte. Il
s’opère ainsi une certaine démocratisation des relations entre instructeur
et apprenant. La légitimité religieuse semble plus immédiate, plus directe,
car le prêcheur(se) ne souffre d’aucun intermédiaire ni artifice et entre plus
directement en contact avec des profils de convertis plus diversifiés. C’est
notamment le cas via le web, même si les convertis ont des demandes religieuses qui relèvent surtout du dogme. Si la médiatisation donne une plus
grande audience aux discours du converti-guide dans l’espace public, les
propos de celui-ci doivent cependant respecter un ensemble de normes qui
résultent en une certaine retenue et standardisation, comme c’est le cas
pour les discours à teneur plus politique.
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Résumé
Depuis le tournant des années 1990, la visibilité accrue de l’islam dans
l’espace public au Burkina Faso s’est manifestée entre autres par l’émergence
de prêcheurs et prêcheuses de plus en plus médiatisés. La participation active
tant des hommes que des femmes invite l’ensemble des membres de la communauté musulmane du pays à faire évoluer les discours religieux pour
atteindre des fidèles aux profils diversifiés et tenter de répondre à la concurrence des chrétiens. Il s’agira ici de proposer un regard croisé entre prêcheurs
et prêcheuses du Burkina Faso afin de relever les permanences et les ruptures
dans leurs stratégies de conversion — à savoir le raffermissement de la foi
des croyants et les tentatives de rejoindre de nouveaux profils de fidèles — et
leur utilisation des médias. La médiatisation croissante de l’islam a favorisé
l’émergence de trois figures de converti à travers lesquelles l’expérience
religieuse oscille entre individualisation et individuation. Selon qu’il s’agisse
d’un homme ou d’une femme, d’un arabisant ou d’un francisant, d’un jeune
ou d’un aîné, différentes logiques se dégagent que ce soit la recherche d’une
plus grande légitimité, visibilité ou autonomie dans une perspective individuelle et communautaire.

Abstract
Since the early 1990s, Islam has been increasingly visible in Burkina Faso’s
public space. At the same time, several preachers, including women, have
become more mediatized. The active participation of both men and women
invite all Burkinabe Muslims to adapt their religious discourse in order to
attract converts from different social classes and to respond to the fierce
competition from Christian movements. This paper seeks to provide a new
perspective on the ruptures and continuities in male and female preachers’
conversion strategies in Burkina Faso, namely to strengthen the faith of
believers and to attempt to reach new groups of converts. It also explores
how the use of modern communication methods has affected the religious
message. The higher mediatization of Islam has favored the emergence
of three figures of convert through which religious experience oscillates

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between individualization and individuation. Depending on whether it is
a man or a woman, an Arabisant or a French speaker, youth or elders,
different approaches have emerged such as the search for more legitimacy,
visibility and autonomy in an individual and collective perspective.

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Mouvement interreligieux et usages d'Internet au Burkina Faso : le cas de l'Union fraternelle des croyants (UFC) de Dori Article universitaire