Tabaski 2013 : sur les traces du bélier

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Titre
Tabaski 2013 : sur les traces du bélier
Créateur
Moumouni Simporé
Date
13 octobre 2013
Résumé
Mardi 1er octobre 2013, 10h au marché de bétail de Tanghin au secteur 17 de la ville de Ouagadougou. Tout autour et à l'intérieur de cet espace dédié à la commercialisation du tout ruminant, des véhicules poids lourds, communément appelés «10 tonnes», en référence à leur poids total autorisé à charge (PTAC), sont stationnés. Certains sont en train de se remplir de moutons. D'autres, vides, se positionnent pour un nouveau départ. Sur l'aire de vente, les différents acteurs de la filière sont bien là. Les uns en sont encore à leur petit déjeuner fait de plats de riz-sauce fumant, arrosés ensuite de sachets d'eau fraîche. Les autres s'occupent comme ils peuvent. On discute de tout et de rien. Mais les débats sont dominés par les difficultés inhérentes à leur activité. «Faut donner à manger aux animaux» ; «je vais vérifier l'état du véhicule» ; «J'ai trois bêtes à laver» ; «N'oublie pas de leur donner à boire hein !», entendait-on dire par ci par là, donnant ainsi une idée de l'occupation immédiate de chacun.
Droits
In Copyright - Educational Use Permitted
Langue
Français
Source
Archives L'Observateur Paalga
Contributeur
Frédérick Madore
Wikidata QID
Q114035508
contenu
Ouf ! En ouvrant le portail de la maison en cette matinée finissante du jeudi 03 octobre 2013, j'ai poussé un double cri de soulagement : l'assurance d'honorer le sacrifice du mouton le jour de la fête de Tabaski et surtout la fin d'une odyssée débutée quarante-huit heures plus tôt sur 210 km, sur l'une des routes burkinabè du bétail : Djibo.

Mardi 1er octobre 2013, 10h au marché de bétail de Tanghin au secteur 17 de la ville de Ouagadougou. Tout autour et à l'intérieur de cet espace dédié à la commercialisation du tout ruminant, des véhicules poids lourds, communément appelés «10 tonnes», en référence à leur poids total autorisé à charge (PTAC), sont stationnés. Certains sont en train de se remplir de moutons. D'autres, vides, se positionnent pour un nouveau départ. Sur l'aire de vente, les différents acteurs de la filière sont bien là. Les uns en sont encore à leur petit déjeuner fait de plats de riz-sauce fumant, arrosés ensuite de sachets d'eau fraîche. Les autres s'occupent comme ils peuvent. On discute de tout et de rien. Mais les débats sont dominés par les difficultés inhérentes à leur activité. «Faut donner à manger aux animaux» ; «je vais vérifier l'état du véhicule» ; «J'ai trois bêtes à laver» ; «N'oublie pas de leur donner à boire hein !», entendait-on dire par ci par là, donnant ainsi une idée de l'occupation immédiate de chacun.

Au milieu de tout ce beau monde, Issaka Tiemtoré, président de l'association Wend-la-Songda des vendeurs de bétail. En sa qualité de personne ressource, démarchée voilà quelques semaines, il m'a trouvé un convoi pour aller au marché de bétail de Djibo, dans cette région du Sahel où eux-mêmes s'approvisionnent. Première info : on ne partira plus à 10h comme prévu. «Le véhicule doit prendre des marchandises et jusque-là, le chauffeur n'a pas fini le chargement. Le départ est reporté à 12h», s'excuse notre interlocuteur. «Tu dois t'asseoir sur le seul siège de la cabine à côté du chauffeur afin de mieux voir le paysage et la route», a-t-il également insisté. A l'heure indiquée, les choses ont encore évolué. Il faut rejoindre maintenant le véhicule à la sortie de Ouagadougou sur la route nationale n°22, celle qui mène à Djibo, car l'escale de Tanghin n'aura plus lieu. Chose faite un quart d'heure plus tard, avec l'aide d'un jeune motocycliste dépêché par Issaka Tiemtoré à cet effet. Je fais alors connaissance avec le propriétaire du camion dans lequel je vais embarquer : Rasmané Nabayago, c'est son nom, la cinquantaine révolue. Il est dans la filière depuis une quinzaine d'années et approvisionne uniquement le marché ivoirien. Mais avec le poids de l'âge, son travail est réduit à trouver les animaux au Burkina et à les charger dans une remorque ou dans un train pour la Côte d'Ivoire. Il s'est fait relayer par un de ses fils au bord de la lagune Ebrié.

Pour ce voyage, M'kié Rasmané, ainsi l'appelle son entourage, compte prendre uniquement des béliers en prévision de l'Aid el-Kebir. De formalités en formalités, c'est finalement sur le coup de 14h 10 mn, heure de ma montre, que le véhicule bouge enfin pour Djibo. Dans la cabine, sept voyageurs : le chauffeur, Inoussa Compaoré, dit colonel, son adjoint, Harouna Guigma, le propriétaire de l'automobile, trois hommes venus du Ghana pour le marché et bien sûr l'auteur de ces lignes. Dans la remorque, une vingtaine de personnes dont quatre sont «du commando» de Colonel. Assis qui sur le toit de la cabine, qui sur les arceaux de l'attelage… l'essentiel pour ces gens semble être : "avoir le minimum de contact avec la voiture et espérer arriver à bon port".

14 h 30, premier arrêt de police aux encablures de la commune rurale de Pabré. Quelques centaines de mètres plus loin, nous nous immobilisons devant un autre poste de contrôle : gendarmerie. 15h 28, nouvel arrêt devant des pandores. A chaque fois, le chauffeur descend avec les documents afférents à la conduite du véhicule. A Malou, 34 km de Kongoussi, la douane vérifie les reçus des marchandises contenues dans la remorque. Au moment de repartir, le chauffeur cède sa place à son assistant. Mais le camion s'éteint au premier coup d'embrayage de ce dernier. Silence interrogateur dans la cabine. Le trajet se transforme alors en un cours de conduite. Le nombre de vitesse, l'attitude à observer pour un dépassement et un croisement, ou pour aborder un virage, les cassis ou dos d'âne… Heureusement pour nous, cet exercice pratique n'ira pas au-delà de la prochaine localité, Sabcé. A ce lieu-là, panne. L'embrayage n'a certainement pas supporté les maladresses de l'apprenti-chauffeur. Une dizaine de minutes sera nécessaire pour remettre le moteur en route. Quand nous redémarrons, c'est Colonel qui reprend les choses en main et on entre à Kongoussi peu avant 17h.

Un "arrêt pipi", comme on dit, d'une vingtaine de minutes et cap est mis sur Djibo à 100 km plus loin. Bienvenue en enfer ! Ce tronçon de la RN 22 en effet n'est pas bitumé et le ruissellement des eaux de pluies a rendu la voie tortueuse et cahoteuse, avec, par endroits, des ponts dénudés.

Malheur à vous si un ou plusieurs véhicules vous précèdent, car la poussière vous envahit : visibilité nulle. On toussote à n'en pas finir. Les habits commencent à changer de couleurs. Mais Colonel maîtrise son sujet. Ses coups de freins, ses tours de volant et ses passages de vitesses sonnent comme des ordres que la machine exécute à la lettre. Il slalome et contourne les point-à-temps, et effectue même, par moments, des dépassements. Cette assurance aux commandes ramène la sérénité au sein de ses compagnons de voyage. Bourzanga, Namsiguiya… les communes rurales traversées, sont dépassées sur fond d'anecdotes croustillantes. A l'entrée de Djibo, les «enfants de Colonel» vident le contenu d'un fut de 20 litres d'eau dans le radiateur. L'engin s'immobilise ensuite à la brigade de gendarmerie de la ville pour un dernier contrôle. Il en fait de même au poste de douane quelques mètres plus loin avant de stationner aux alentours du marché central. Il est 20h 38 mn quand nous arrivons à destination, fourbus, crasseux mais déjà contents d'être Djibo sans encombre. Rasmané Nabayago rejoint la maison qu'il loue depuis peu pour les besoins de son activité afin d'y passer la nuit.
Quant aux membres du commando, trois possibilités s'offrent à eux : la cabine, la remorque ou la belle étoile. Colonel et moi prenons la dernière option sur une natte, au pied du camion.

Bienvenue au Luumal Senoore Jibow

e marché de Djibo, «Luumal Senoore Jibow» en fulfuldé, est une création de la population datant de 1969 pour faciliter la commercialisation du bétail. Il a par la suite été structuré par le Projet de développement de l'élevage en 1996 dans la province du Soum. Luumal Senoore Jibow est situé au secteur n°05 sur l'axe Djibo-Arbinda, limité à l'est par le barrage et à l'ouest par les cimetières. En termes d'infrastructures : un parc aménagé, un magasin, un bureau, un pied-à-terre du gardien, une fontaine et un abattoir. Les animaux sont vendus au comptant ou à crédit à des commerçants ou à des particuliers. Le marché se tient tous les mercredis et regroupe toutes sortes de ruminants et de volailles. Une bonne partie des animaux est acheminée par des camions en direction des grands centres de consommations comme Kaya, Pouytenga, Ouagadougou, Ouahigouya, Bobo-Dioulasso et les pays voisins notamment la Côte d'Ivoire, le Niger, le Bénin, le Togo et le Ghana…

Ce mercredi matin, les gens n'ont pas attendu les premiers rayons du soleil pour rejoindre l'aire de vente. Aux abords ou sur les différents sentiers qui y mènent, les bestiaux se vendent relativement moins chers. Mais marchander en ces lieux comporte des risques que seuls les moins avertis sont prêts à prendre. «Si tu prends une bête dehors, celui là même qui t'a vendu l'animal peut venir voir la sécurité pour dire que tu le lui as volé. Dans ce cas, tu pourrais payer plus cher sans compter les désagréments. Si ce n'est pas un étranger, les habitués comme nous n'achètent qu'à l'intérieur», confie M'Ké Rasmané, avec l'assurance de celui qui maîtrise son affaire. Il est soutenu par l'agent de la police municipale, chef de mission de l'équipe de six éléments présente sur les lieux. «Payer des animaux en dehors du marché est une infraction. Notre responsabilité est désengagée en cas de problème et les intéressés iront dans d'autres structures pour le résoudre», indique Tamboura Saïdou.

Les transactions durent le temps qu'il faut pour trouver un terrain d'entente et se font avec uniquement de la liquidité (ce jour-là), en mooré ou en fulfuldé. Les prix varient en fonction du poids et surtout du pelage. Pour la même corpulence, un bélier tout blanc coûte plus cher que tout autre. Les animaux au pelage noir peuvent même s'acquérir à moitié prix. Plus le soleil darde ses rayons sur nos têtes, plus les prix grimpent. La raison d'un tel paradoxe : l'objet de la transaction a eu le temps de passer entre plusieurs mains de vendeurs-acheteurs et chacun tient mordicus à rentabiliser son investissement. Une bête acquise est immédiatement marquée du sceau de son nouveau propriétaire. Chacun en la matière dispose de son emblème et cela va de la couleur de la peinture à la partie marquée du corps de l'animal. Aucun des différents acheteurs n'a un registre sur quoi détailler les prix d'acquisition. Comment procèdent-ils alors pour ne pas revendre à perte quand on sait qu'ils totalisent parfois plus d'une centaine de têtes ? «C'est l'intuition. Quand un client vient toucher mon animal, je reconnais immédiatement sa valeur», répond M. Nabayago, entre deux éclats de rire, devant la dizaine de têtes qu'il a déjà acquises.

Dans cette bourse aux bestiaux du Sahel burkinabè, les béliers sont aussi beaux les uns que les autres. Dans ces conditions, il est difficile de se décider et l'embarras du choix devient très vite un choix de l'embarras. Heureusement, il existe un argument imparable pour départager vendeur et acheteur : l'argent. Quelques minutes se sont écoulées après 8 heures, quand un mouton me tape particulièrement dans l'œil tant par son pelage blanc-marron que sa corpulence. Son propriétaire ayant senti mon intérêt pour son bien prend alors les devants dans un mooré à l'accent peulh.

- 110 000, me dit-il.

Je fais signe à mon compagnon de route que la bête me plaît bien tout en lui faisant savoir que je ne peux pas aller au-delà de 75 000 F CFA. Il achète donc ma bagarre, comme on dit.

- A ce prix, tu vas l'accompagner ou quoi ? Prends 55 000.

- Je ne l'ai même pas eu à ce montant.

- On a beaucoup d'achats à faire. Donne la valeur de ta marchandise pour qu'on gagne en temps.

- Si vous pouvez faire un effort…

- Ok ! 70 000.

- 75 000

- Ton maigrichon ne vaut pas ça.

Le reste de la conversation se passe en fulfuldé. Chacun tentant de faire plier l'autre dans un bras de fer commercial où la psychologie joue souvent un rôle important. Pour ce coup-ci, personne n'aura gain de cause. Mais ce n'était que partie remise. En effet, plus d'une heure après les premiers échanges, les deux hommes ont enfin trouvé un terrain d'entente à mon insu : ce sera 72 500 F CFA. Pas si mal !

M'étant fondu dans la foule, je me rends compte qu'à côté de ces acheteurs professionnels, il y a des particuliers venus se doter pour la fête. C'est le cas de Drissa Samandoulgou qui a profité d'une mission dans la localité pour prendre son bélier. Pour cela il a dû débourser 85 000 F CFA. «A Ouaga, avec les différents marchés et les vendeurs ambulants, la concurrence facilite souvent les choses», se dit-il. N'empêche ! Ce n'est pas pour autant qu'il regrette son choix, car, affirme-t-il, l'argent qu'il a ainsi investi allait être affecté à autre chose.

Mais au juste, combien de personnes et de bêtes peut-on avoir en ce jour de marché de Djibo ? Difficiles d'avoir un chiffre précis. A écouter les responsables du comité de gestion, l'affluence varie tout au long de l'année. L'animation commence en septembre et va jusqu'en janvier. En hivernage, les éleveurs libèrent les champs pour les cultures et certains remontent même jusqu'au Mali. «Nous avons un chiffre d'affaires de 10 millions de F CFA par an. Il faut multiplier cette somme par quatre ou par cinq pour avoir celui de la mairie», indique Alou Dicko, chargé de la perception. On pourrait donc se faire une idée à partir de ces recettes. En effet, la commune de Djibo perçoit une taxe de stationnement en raison de 500 F CFA par gros ruminant et 100 F CFA par petit ruminant. Le comité de gestion prend une taxe de sortie de 200 F CFA pour la première catégorie et 50 F CFA pour la deuxième. Une partie des recettes sert à la paye du personnel. Lequel personnel se compose de six collecteurs, deux agents de sécurité et deux gardiens. L'autre partie des ressources sert à la réparation du parc et à la construction d'autres infrastructures. La perception pourrait être plus importante si les principaux acteurs avaient l'assurance de faire leurs transactions financières avec plus de quiétude, foi d'Alou Dicko : «Le problème des commerçants demeure les braquages. Des Ghanéens ont déjà perdu 20 à 30 millions de F CFA sur la route. Ils viennent toujours, mais avec moins de moyens dorénavant.

L'insécurité ne peut pas être attribuée à notre marché seulement. Là où il y a de l'argent, il y aura toujours de l'insécurité hein !». Mais, comment s'assurer de la qualité des bêtes qui sont vendues ? «Les vétérinaires sont intégrés dans le comité de gestion. Il y a des moments où ils nous demandent de fermer le marché jusqu'à ce qu'ils finissent de vacciner toutes les bêtes», ajoutera-t-il pour ce qui est de la sécurisation de la filière bétail au Soum.

11h, l'astre du jour est bien haut dans le ciel. Le sol, fait de sable, devient de plus en plus chaud, brûlant même. Le marché commence à se vider. Mais avant de prendre la route il faut un document de référence : le «Laissez-passer zoo-sanitaire». Il est délivré par le poste de contrôle vétérinaire de Djibo, reconnu par la commune et visé par la douane. Pour cent têtes, Rasmané Nabayago a versé 6 500 FCFA au compte du trésor public.

12h 30 mn, la remorque de la bétaillère, stationnée à une centaine de mètres de là, est maintenant compartimentée en deux niveaux à l'aide de planches et de bois d'eucalyptus. Le chargement peut commencer. A ce stade, de nouveaux acteurs apparaissent. Des garçons, dont la plupart font la manche, y trouvent une opportunité de gagner quelques pièces. Ces «Raag-koamba», entendez, «les enfants du marché», s'interposent entre les animaux pour éviter les erreurs d'aiguillage car les têtes de différents propriétaires peuvent se mélanger. Pour éviter cela, ils se débattent dans tous les sens : s'ils ne font pas une course folle derrière une bête, c'est en faisant rempart de leur corps qu'ils empêchent deux bêtes de «se téter». Zut ! Au moment où ça commence à bouger partout, la batterie de l'appareil photo me lâche. Il faut vite replier en ville et croiser les doigts pour tomber sur un point où on peut la remettre à neuf. Le problème trouve un début de solution après une demi-heure de marche et de renseignements. A mon retour, je constate qu'on attendait que moi avant le départ. En moins d'une heure, environ deux cents animaux, des moutons et des chèvres, ont été installés dans le veau. Le proprio du véhicule n'en possède qu'une trentaine. Les autres viennent d'autres commerçants qui louent ses services pour arriver dans la capitale. Impossible de prendre place dans la remorque afin de surveiller de près mon bélier. Mes tentatives sont restées vaines tant les esprits de beaucoup de personnes étaient déjà à Ouagadougou. «Eh toi là, c'est toi qu'on attend. Va occuper ton siège», ont-ils hurlé en chœur, comme pour dire qu'ils ne vont plus tolérer une seconde de retard de plus.

A 14h, Harouna Guigma démarre la carriole, retour sur Ouagadougou.

7h pour parcourir 210 km

la sortie de Djibo, le propriétaire reçoit un appel. Son «bon petit», qui veille au grain dans la remorque, lui fait savoir que les secousses étouffent les animaux. C'est le premier arrêt du trajet. Les commerçants en profitent pour redresser les bêtes et leur permettre de souffler. Ils le font tout en pestant contre la conduite du chauffeur. Le crépitement de l'appareil photo calme l'ardeur de ceux qui sont sur le toit. Ils arrêtent de se mouvoir et se tiennent débout. Entre étonnement et méfiance, ils manifestent leur désapprobation. «M'Ké Rasmané, c'est qui votre étranger-là ? Les gens font comme ça. Il va nous faire des photos et rentrer dans l'avion pour ensuite prendre de l'argent avec les blanc». C'est en ces termes que l'un deux interpelle M. Nabayago. Le clin d'œil que ce dernier me fit, me convainc de ranger «l'indésirable outil». Le trajet pouvait continuer. Mais après une dizaine de minutes de route, même scénario. Cette fois-ci, l'arrêt coûte à l'apprenti-chauffeur Harouna Guigma sa place. Colonel prend le volant.

15h 50 mn, on demande au conducteur de s'arrêter car un bouc est tombé. Le véhicule, à peine immobilisé, qu'au loin, un homme débouche sur sa grosse cylindrée avec l'animal, sain et sauf. Le propriétaire vide sa poche et lui donne toutes les pièces qui s'y trouvaient. La route reprend. Il goutte. Au fur et à mesure que l'équipage avance, le ruissellement de l'eau sur la voie se fait de plus en plus dru, preuve qu'il a bien plu au loin. Pas de poussière donc. C'est le seul mérite de ces précipitations. Soudain, un cri strident se fait entendre. Le tuyau d'échappement est sorti de son «trou». 10 minutes, c'est le temps qu'ils prennent pour le remettre à sa place. Il tiendra seulement sur quelques kilomètres. Ce coup-ci, la réparation de la panne prend une vingtaine de minutes. Il est 18h quand le camion arrive devant la brigade de gendarmerie de Kongoussi. Le temps du contrôle des documents est mis à profit par les occupants pour évacuer les différentes prières musulmanes de la journée. En quittant le chef-lieu de la province du Bam, et le bitume aidant, le véhicule avale rapidement les kilomètres. Mais son élan est soudainement freiné par les cris provenant de la remorque. Un mouton est tombé. Son propriétaire et certains de ses compagnons de route partent à sa recherche dans la nuit noir. Ils réapparaîtront avec le trophée. Mais le bélier n'a pas eu la même chance que le bouc. De sa chute, il s'est fracturé la patte arrière gauche. Il a également des filets de sang sur les cornes et sur le museau. Le reste du trajet se passe dans le silence total. Fourbus, la plupart des voyageurs ont les paupières lourdes et ne tardent pas à tomber dans les bras de Morphée. C'est donc dans la somnolence que certains voient apparaître les premières lueurs de Ouagadougou peu après 21h.

Enfin ! On peut regarder la fête venir

ous sommes accueillis dans la capitale par un vent tout en force, suivi immédiatement d'une pluie. A l'entrée du marché de Tanghin, la chaussée mouillée et les flaques d'eau rendent la manœuvre difficile. Colonel arrive tant bien que mal à se stabiliser devant une des aires de stationnement des petits ruminants. Tous les animaux y sont débarqués et parqués, sous une pluie battante et dans l'obscurité. Dans de telles conditions, les commerçants se résolvent à rentrer seuls. Rendez-vous est alors pris pour le lendemain à 7h pour la répartition. Le jeudi 03 octobre, je ne réussis pas à me présenter à l'heure indiquée. C'est finalement 03 heures après que je me retrouve au marché de bétail. Rasmané Nabayago, qui a supervisé le dispatching, est sorti pour d'autres courses. C'est Issaka Tiemtoré, le président de l'association des vendeurs de bétail, qui me reçoit. Il m'apprend que je suis exempté des frais de transport. J'enlève alors mon bélier et direction la maison.

Sereinement, je peux donc regarder la fête venir. Ouf !

Moumouni Simporé

Encadré 1

Les maux de la filière avec Issaka Tiemtoré

Issaka Tiemtoré totalise trente-cinq années dans la vente de bétail. Il a été porté à la tête de l'association Wend-la-Songda depuis une douzaine d'années. Aujourd'hui, leur activité est confrontée à une concurrence déloyale. «A Ouagadougou, il y a quatre marchés homologués pour ce commerce : ceux de la gare routière au sud, de Kilwin au nord, de Cissin à l'ouest et le nôtre. Malheureusement, au moment de la fête, tous les coins de la ville deviennent des lieux de vente d'animaux. Cela ralentit notre activité», se plaint-il.

Heureusement, les autorités communales ont pris à bras le corps le problème à travers la Régie administrative des équipements marchands (RAGEM). Cette structure fait des communiqués dans les différentes stations de radio de la place pour sensibiliser les gens à ne pas acheter d'animaux en dehors des quatre marchés. Cela met à l'abri des problèmes liés aux animaux volés. La mairie compte veiller au grain avec des contrôles de la police.
Les membres de l'association Wend-la-Songda, qui font de l'exportation d'animaux, ont aussi d'autres difficultés. Et tous ces problèmes proviennent d'une principale source : les tracasseries. «La police et la douane ne nous facilitent pas la tâche. Sur le territoire ivoirien surtout, il y a beaucoup de contrôles sur la route. Même avec des documents en règle, les agents nous demandent toujours de leur verser de l'argent. Si on ne le fait pas, ils bloquent nos papiers», affirme le président Issaka Tiemtoré, dans un concert de beuglement et de bêlement comme si les bêtes acquiesçaient.

M.S.

Encadré 2

Tiogo Tiemtoré, imam CERFI et de l'AEEMB
«La bête à sacrifier peut être un chameau, une vache, une chèvre…»

L'Aïd el Kébir, la fête du sacrifice, est perçue comme la fête du mouton dans l'imaginaire populaire tant c'est cet animal qu'on immole ce jour-là. Pourtant, à écouter Tiogo Tiemtoré, d'autres animaux peuvent bien servir pour ce rituel. Dans l'entretien qui suit, cet imam du Cercle d'études, de réflexion et de formation islamiques (CERFI) et de l'Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina (AEEMB), revient sur biens de pratiques autour de la célébration de la Tabaski sous nos tropiques.

D'où les musulmans tiennent-ils la célébration de la fête de la Tabaski, encore appelée l'Aïd el Kébir ?

La célébration de l'Aïd El Kébir est un grand moment de souvenir et de reconnaissance à Allah. Il couronne la pratique du 5e pilier qu'est le pèlerinage aux Lieux Saints et nous rappelle le souvenir d'Abraham, le patriarche dont la figure emblématique illumine les itinéraires des musulmans, des chrétiens et des juifs. Abraham avait demandé à Dieu de lui donner un enfant et ce vœu fut exaucé. Il était attaché à cet enfant de sorte que son cœur fut pleinement occupé par ce dernier. Un jour, il reçu en songe l'ordre de Dieu d'égorger son bien aimé Ismaël. La finalité de ce commandement était loin le sacrifice de l'enfant, mais la preuve de sa foi en Dieu. Dès qu'Ismaël apprit la nouvelle, il s'est soumis à la volonté de Dieu sans la moindre réticence et a même encouragé son père à exécuter la volonté de Dieu. Au moment où Abraham posa la lame sur le cou d'Ismaël, Dieu le racheta contre une prestigieuse victime (un bélier selon certaines sources). C'est en mémoire de ce sacrifice plein de piété et de confiance en Dieu que les musulmans du monde entier, sans exception, célèbrent la Tabaski et sacrifient un animal.

Que revêt le sacrifice du mouton pour tout musulman ?

a fête du sacrifice a lieu le dixième jour du mois sacré Dhul-hidjja (dernier mois du calendrier lunaire musulman). «Il n'y a pas de jours plus importants auprès d'Allah et au cours desquels les œuvres sont plus aimées de Lui, que durant ces 10 jours», dit le Prophète Mohamed (saw). L'acte d‘immolation nous rappelle Abraham. Abraham a vécu les épreuves : quitter son père, son pays, sa famille, être insulté, être rejeté par son peuple, obéir au sens du sacrifice de son fils jusqu'à l'ultime limite. Parmi les leçons à retenir de lui, on peut comprendre que ceux qui déploient toutes leurs forces pour la cause de la vérité et placent leur confiance en Dieu, obtiennent le soulagement et le réconfort.

Quelles doivent être les caractéristiques de l'animal à sacrifier lors de la Tabaski ?

La bête à sacrifier peut être un chameau, une vache, un mouton ou une chèvre, selon la parole d'Allah (traduction du sens des versets). La condition pour que la bête soit bonne à sacrifier est qu'elle soit exempte de défauts apparents, selon la parole du Prophète (Paix et Salut d'Allah sur Lui) : «Quatre défauts font que le sacrifice n'est pas accepté : la bête borgne de manière apparente, la bête visiblement malade, la bête boîteuse de manière évidente et la bête maigre que l'on ne peut récupérer». Elle doit également avoir l'âge minimum obligatoire : cinq ans, pour le chameau ; deux ans, pour une vache ; un an pour une chèvre et six mois pour un mouton. On n'a pas à s'endetter pour l'acheter.

Certaines personnes se disent que le jour du jugement dernier, les moutons qu'elles auraient sacrifiés de leurs vivants, les transporteront sur le dos pour entrer au paradis. C'est la raison pour laquelle il ne faut pas lésiner sur les moyens dans l'achat du bélier. Qu'en est-il exactement ?

C'est une image. Le propos du prophète Mohamed nous dit que le croyant sera récompensé pour chaque poil de la bête sacrifiée. Le sacrifice est une adoration. Quand on l'accomplit, on laisse la récompense à Allah. Il sait comment récompenser, au-delà de nos supputations. Le Coran dit, «Pour qu'ils rappellent le nom d'Allah sur ce qu'Il leur a octroyé des bêtes de troupeaux», sourate 22, v. 34. Cela, pour montrer que l'acte d'immolation a une dimension spirituelle, car il doit nous conduire à se souvenir de Dieu, à travers ses bienfaits.

A quel moment de la journée doit avoir lieu le sacrifice ?

C'est une Sunnah confirmé et il est détestable de la délaisser si l'on a les moyens de la faire, selon le Prophète - Paix et Salut d'Allah sur Lui. L'immolation doit avoir lieu donc après la prière de la fête. Selon un hadîth, le Prophète (Paix et bénédictions sur Lui) dit : «Celui qui immole avant la prière de la Fête, n'aura fait qu'abattre un animal pour être consommé, mais celui qui immole après cette prière aura offert un sacrifice rituel». Il est autorisé d'égorger le jour de l'Aïd et les trois jours qui suivent, selon le hadith du Prophète.

Que devient la viande du mouton après le sacrifice ?

Comme Dieu nous l'enseigne dans le Saint coran, ni la viande, ni le sang qui s'écoule ne l'atteignent mais la piété qui nous anime. Cette viande est divisée en trois parties : la première pour la famille, la deuxième pour les voisins et amis et la troisième est destinée aux nécessiteux. Cela est juste une recommandation et non une obligation. On peut consommer la totalité de la viande (le cas des grandes familles) comme on peut également tout donner en aumône.

Entretien réalisé par M.S.
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