Projet ZACA : les propositions de l'Imam Bangré

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Titre
Projet ZACA : les propositions de l'Imam Bangré
Créateur
Yacouba Ouédraogo
Editeur
Le Pays
Date
19 juillet 2002
Résumé
Le coeur de la capitale burkinabè présente un décor peu ordinaire. A plusieurs coins de rue, la police anti-émeute a positionné des éléments prêts à étouffer dans l'oeuf tout débordement. Comment en est-on parvenu à cette situation quasi-insurrectionnelle ? Que fait la coordination des populations pour un retour au calme ? El Hadj Saïdou Bangré a répondu à nos questions le mercredi 17 juillet à son domicile, entouré de ses camarades de lutte.
Couverture spatiale
Ouagadougou
Droits
In Copyright - Educational Use Permitted
Langue
Français
Source
Archives Le Pays
Contributeur
Frédérick Madore
contenu
Le coeur de la capitale burkinabè présente un décor peu ordinaire. A plusieurs coins de rue, la police anti-émeute a positionné des éléments prêts à étouffer dans l'oeuf tout débordement. Comment en est-on parvenu à cette situation quasi-insurrectionnelle ? Que fait la coordination des populations pour un retour au calme ? El Hadj Saïdou Bangré a répondu à nos questions le mercredi 17 juillet à son domicile, entouré de ses camarades de lutte.

"Le Pays" : Plusieurs mois après la création de la coordination que vous dirigez, quel bilan peut être fait de vos actions?

El Hadj Saïdou Bangré : Cela fait près d'un an et 7 mois que notre structure existe; mais j'avoue que les résultats obtenus sont largement en deçà de nos attentes. Nous avons tenu des assemblées générales et des réunions, nous avons rencontré les autorités à 4 reprises, nous avons fait marcher nos épouses, demandé une audience au Premier ministre, avec pour seule intention de faire aller au mieux les choses. Mais jusque-là, nous n'avons pas reçu le moindre égard. Nous poursuivons cependant nos démarches dans l'espoir qu'un jour, une oreille attentive se prêtera à nos doléances.

Ce silence des autorités a-t-il pu vous faire sentir une nécessité de revoir vos méthodes de revendications?

Il nous est difficile d'envisager cette hypothèse tant qu'une réponse ne nous a pas été accordée. Il importe que les responsables du Projet ZACA acceptent d'instaurer une communication directe avec nous pour éviter que ce soit toujours par de tierces personnes que nous entretenons des rapports. Je crois qu'il est possible de mieux faire. Et c'est dans cet esprit que nous avons rencontré le conseiller du ministre des Infrastructures à deux reprises dans l'espoir d'accéder au ministre afin d'obtenir de lui un recul des échéances pour les différentes phases du projet. Ce report que nous avons demandé devait nous permettre de recueillir les avis des populations. Mais quel ne fut pas notre étonnement de constater, deux jours après la tenue de notre assemblée générale, la présence sur le terrain d'équipes de bornage de la zone. A l'évidence, ils ont refusé d'accéder à notre requête.

Si le dialogue que vous prônez devait s'instaurer, quels devraient être les points au menu ?

Tout est fonction de ce que nous diront les autorités. C'est elles qui ont manifesté un intérêt pour les espaces que nous occupons, sinon, nous n'avons jamais exprimé le moindre souhait de déguerpir. Aux autorités donc de nous faire des propositions que nous répercuterons auprès des populations intéressées pour analyse. Si pour elles, toute discussion se résume à nous dire que nous serons déguerpis et installés ailleurs, sans qu'aucune allusion ne soit faite aux modalités de cessions de nos cours, nous ne savons que dire. Nous ne sommes pas les seuls à disposer de parcelles à Ouagadougou, mais si leur dévolu s'est porté sur les nôtres, le bon sens voudrait que la transaction se fasse à nos conditions. Il nous faut donc tous accepter un cadre de discussion pour trouver le juste milieu.

Comment expliquez-vous la soudaine montée de tension de ces derniers jours?

C'est le manque d'égard à notre attention qui est à la base de la dégradation de la situation. La raison d'être de la coordination est d'éviter des débordements du genre de ceux que nous venons de vivre. Il faut savoir que quand le projet a été rendu public, certaines personnes avaient décidé de descendre dans la rue pour exprimer leur désaccord, avec tout ce qu'il pouvait y avoir comme risque. Nous qui formons la coordination avions estimé à l'époque qu'il n'était nullement opportun de provoquer des dégâts en faisant comprendre que de telles entreprises ne pouvaient que nous être préjudiciables.

Ensemble donc, avec nos enfants, nous faisons depuis de longs mois des démarches qui sont demeurées infructueuses. Nous sommes contraints à des efforts exceptionnels pour faire garder raison à nos enfants, en leur promettant qu'un jour, notre lutte connaîtra une issue satisfaisante. Mais cela fait plus d'un an et demi d'attente et pendant ce temps, les travaux d'exécution du projet avancent. Les levées topographiques ont été initiées, malgré notre avis contraire. Cette pratique a convaincu les jeunes que les responsables du projet ne veulent d'aucune discussion avec eux, seul compte le respect de leur calendrier. D'où leur décision de déterrer les bornes. On peut déplorer leur comportement, mais je crois que si le dialogue avait prévalu, nous n'en serions pas là.

Doit-on déduire que la coordination est à ce jour dépassée par les événements?

Ceux qui ont posé les faits que nous regrettons sont nos enfants et nos cadets et nous nous sentons responsables de tout ce qu'ils ont eu à poser comme actes. Mais je réaffirme que les enfants n'avaient pas d'intentions malveillantes ; la faute incombe à ceux qui fixent les bornes. Si ces personnes avaient fait preuve de sagesse pour nous écouter avant tout travail, je crois que les enfants aujourd'hui mis en cause les auraient même aidés sur le terrain.

Le dialogue est inexistant et la situation est assez tendue. A quoi faut-il s'attendre si ce statu quo devait perdurer?

Nous croyons que les choses ne peuvent pas rester en l'état. Tout simplement parce que nous disons que ceux qui gèrent ce pays sont assez responsables et ne pensent qu'à son bien. Avec les récents développements dans le cadre de la mise en oeuvre du projet ZACA, je reste optimiste que nos autorités sauront rechercher la meilleure conduite à tenir pour éviter tout malheur. Nous, nous réaffirmons notre volonté de dialogue et nous invitons les différentes autorités à nous suivre sur cette voie. Car, si la tension actuelle devait être maintenue, ni les populations, ni les responsables du projet ne tireront profit.

La police a investi les quartiers concernés par le Projet ZACA; qu'avez-vous relevé du fait de cette présence?

Avant toute chose, il faut savoir pourquoi les policiers sont venus. Comme je l'ai déjà signalé, il y a une absence de dialogue dans l'exécution du projet ZACA, ce qui a failli créer par moment des frictions entre nos enfants. Il en est ainsi avec le recensement des habitants. Le fait que certaines personnes se font recenser discrètement, en dépit de la décision unanime de boycotter l'opération, a pu être interprété comme une trahison. Nous savons pourtant que chacun est libre de disposer de sa parcelle.

N'empêche que lors de nos réunions, certains intervenants n'hésitaient pas à soutenir que l'échec éventuel de la lutte est imputable à ceux qui se sont fait recenser, proférant à leur endroit des injures. Pour éviter que cette nouvelle tournure ne crée une division inutile entre eux, les jeunes ont décidé de renforcer la mobilisation de la coordination, pour des actions mieux concertées. Et pour donner corps à cette nouvelle dynamique, ils ont projeté une assemblée générale (le samedi 13 juillet à 21 h ndlr) au cours de laquelle ils entendaient réaffirmer leur soutien à toute action du projet décidée en accord avec la coordination à qui ils restent attachés. Pour nous, cette initiative était louable, surtout que les jeunes ne se sont pas montrés hostiles au projet ; ils ont seulement demandé un minimum de respect à l'égard de la coordination.

Nous ne savons pas ce qui a été rapporté aux forces de l'ordre mais toujours est-il qu'aux environs de 16h 30, des policiers ont commencé à être positionnés à différents endroits dans la zone. Même si nous savons qu'il y a toujours des raisons à tout déploiement des forces de sécurité, nous n'avions pas la moindre inquiétude. Pour nous, rien de particulier susceptible de porter atteinte à l'ordre public n'était en vue. Aux environs de 20 h, certains jeunes, qui avaient devancé leurs camarades au lieu de la réunion pour les préparatifs, ont été rejoints par des policiers qui se sont mis à tirer sur eux des grenades lacrymogènes sans sommation. Et comme un signal donné de partout, on entendait des tirs, près d'une heure avant le rendez-vous des jeunes.

De notre avis, il fallait au moins laisser la réunion se tenir, en restant au besoin à proximité pour l'interrompre si toutefois des risques de désordre se présentaient. Nous aurions même compris que les policiers fassent comprendre aux organisateurs qu'ils ont trouvé sur les lieux qu'un regroupement sur la voie publique ne peut se faire sans autorisation.

Cette nuit de samedi, c'est presqu'à une attaque que se sont livrées les forces de l'ordre. En plus des tirs dans la rue et des projectiles qui tombaient dans les domiciles, certains agents se sont permis d'ouvrir des fenêtres pour pulvériser l'intérieur des maisons, rendant malades plusieurs personnes. C'est un comportement condamnable car, même si les jeunes avaient commis des erreurs, les policiers ont fait pire.

Ces échauffourées, qui se sont poursuivies jusqu'à 2 h du matin, ont donné lieu à plusieurs arrestations que nous avons tenté de comprendre. Mais dans la journée de dimanche, les arrestations ont encore eu lieu, sur la base d'une liste. Nous avons alors entrepris de faire la ronde des commissariats pour intercéder en faveur de leur libération. A notre avis, il n'y avait pas de raison de les garder plus longtemps. Nous ne croyons pas qu'on peut détenir quelqu'un parce qu'il avait l'intention de tenir une assemblée générale. Nous avons été au commissariat central de police, à la Sûreté et à la DCIR, mais partout, il nous a été dit que nos enfants n'y étaient pas. C'était une grande consternation pour les parents mais surtout pour nous responsables de la coordination en charge de conduire les actions de revendication pour une solution heureuse. Nous avons donc poursuivi nos démarches, pour demander la compréhension et la clémence des autorités à l'endroit des personnes détenues.

Dans la matinée du mardi, nous avons été à la Sûreté où nous avions un rendez-vous. Et juste, au moment où nous repartions, on est venu nous informer qu'un mouvement d'humeur se préparait dans le quartier. Nous nous sommes dépêchés pour venir trouver un attroupement de personnes mécontentes. Les jeunes nous ont fait savoir leur décision d'aller se constituer prisonniers en solidarité avec leurs camarades détenus. A la suite de longues supplications de notre part, il ont fini par surseoir à leur initiative et aussitôt, nous avons été au commissariat central où nous avions un autre rendez-vous. Le directeur, qui était en réunion, n'a pu nous recevoir et nous sommes repartis pour revenir l'après-midi.

A 15 h, alors que nous nous apprêtions à retourner à la police, nous avons remarqué un nouvel attroupement des jeunes, qui tenaient à aller se faire prisonniers. Ils nous ont assurés que leur démarche serait sans violence, mais nous leur avons suggéré de ne rien entreprendre pour que les négociations en cours se poursuivent.

Arrivés au Commissariat, l'accès à la cours nous a été refusé. Nous avons trouvé des policiers portant des masques à gaz et des boucliers, qui barraient certaines voies. Puisqu'on nous a dit que le commissaire était absent, nous avons trouvé un endroit pour nous asseoir, de sorte qu'il puisse nous apercevoir à son retour. Et quelque temps après, nous avons entendu des détonations et c'est en ce moment que les policiers nous ont demandé de partir, pour que personne ne dise que nous avons été retenus par eux. Nous avons obtempéré, pour vite rejoindre les manifestants et les raisonner.

La quiétude du quartier est notre préoccupation. En nous rendant au commissariat, nous voulions suggérer aux policiers d'accepter de garder les membres de la coordination en lieu et place des enfants. Malheureusement, ils se sont dit que les marcheurs venaient libérer leurs camarades et nous comprenons qu'ils aient pris des précautions pour ne pas se laisser déborder. Nous continuons à demander la clémence et la compréhension pour que nous ayons la sérénité nécessaire à la résolution de nos problèmes.

Pour une éventuelle future discussion sur le projet ZACA à laquelle vous seriez conviée, avez-vous des préalables?

Si nous vivons la tension actuelle, c'est du fait d'un déficit de communication. Nous avons toujours réclamé le dialogue et nous réaffirmons qu'elle sera la bienvenue. Notre volonté est de conduire notre action sans le moindre incident, dans l'intérêt de tous.
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