Panique dans la communauté musulmane

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Titre
Panique dans la communauté musulmane
Créateur
Abdoulaye Ly
Editeur
Mutations
Date
1 mars 2013
Résumé
Le rassemblement d’un groupe de jeunes musulmans chez l’imam de la grande mosquée de Ouagadougou pour protester contre sa visite chez l’archevêque de Ouagadougou continue de faire des vagues dans la communauté musulmane du Burkina Faso. Accusations mutuelles et sanctions sur fond de règlements de comptes sont tombées au mépris parfois des règles élémentaires de fonctionnement d’une structure associative. La panique semble avoir pris le dessus.
Couverture spatiale
Ouagadougou
Droits
In Copyright - Educational Use Permitted
Langue
Français
Contributeur
Frédérick Madore
contenu
Le rassemblement d’un groupe de jeunes musulmans chez l’imam de la grande mosquée de Ouagadougou pour protester contre sa visite chez l’archevêque de Ouagadougou continue de faire des vagues dans la communauté musulmane du Burkina Faso. Accusations mutuelles et sanctions sur fond de règlements de comptes sont tombées au mépris parfois des règles élémentaires de fonctionnement d’une structure associative. La panique semble avoir pris le dessus.

Un imam semble avoir fait les frais de la manifestation des jeunes. Il s’agit de Ali Sanfo. Il a été suspendu de toutes ses fonctions et interdit d’activités dans toutes les infrastructures de la communauté musulmane. Conséquence, il n’officie plus comme imam de vendredi à la mosquée du quartier Trame d’accueil de Ouaga 2000. Il ne prêche plus non plus dans la mosquée de son quartier à la Patte d’oie. Membre de la commission générale des Affaires islamiques, il se voit suspendu de ses fonctions jusqu’à nouvel ordre.

Toutes ces sanctions lui ont été infligées parce qu’il aurait soufflé à l’oreille de l’imam de dire qu’il a eu tort de se rendre chez l’archevêque. Il aurait non seulement induit l’imam en erreur, mais désavoué aussi un acte du bureau de la communauté musulmane. De manière plus générale, on le soupçonne d’être derrière la manifestation des jeunes. Dans sa lettre de suspension, le président par intérim de la communauté, Adama Sakandé, accuse le jeune imam Sanfo de faire des « prêches incendiaires » et d’être « arrogant ». Sanfo serait coutumier des prêches sans concession. Dans le mois de décembre 2012, il avait consacré un prêche sur la question des fêtes non musulmanes et avait apporté des arguments religieux qui interdiraient aux musulmans d’y participer et même de souhaiter « bonne fête » aux autres. Sanfo ne nie pas ce prêche et ne regrette pas non plus de l’avoir tenu. Pour lui, c’est ce qu’on lui a enseigné. Plusieurs imams dont Sana lui-même partage cet avis religieux et des cassettes attestent de sa position sur la question. Mais il n’est pas contre le fait que la communauté musulmane rende des visites de courtoisie à Mgr. Il est pour le dialogue interreligieux dans le respect des textes islamiques. Pour ce qui est de son « arrogance », il pense que certains de ses gestes ont été mal appréciés par des responsables de la communauté musulmane.  Il avait refusé l’offre d’officier la prière du vendredi dans la mosquée de Ouaga 2000. Il a fallu l’insistance du regretté Oumarou Kanazoé pour qu’il accepte, mais à une condition : il ne souhaite pas percevoir les 50 000 FCFA mensuels prévus pour l’imam. En refusant cet argent, il voulait garder son indépendance et éviter les conflits autour de cette somme qui divise parfois les responsables religieux dans les mosquées. Il lui est aussi reproché de s’afficher avec des opposants. Avant les élections, Assimi Kouanda l’a interpellé après une prière de vendredi. Il lui a demandé de faire attention à Ablassé Ouédraogo, le président du Faso Autrement parce que ce dernier est un « ingrat vis-à-vis du chef de l’Etat». Ablassé venait de donner de l’argent pour l’entretien de la mosquée et le jeune imam s’est fait le devoir d’informer tous les fidèles pour éviter tout quiproquo. Pour le chef de cabinet du président, l’imam fait la propagande de Ablassé. Quand l’affaire des jeunes a éclaté, Assimi est allé voir le grand imam et a beaucoup communiqué avec les responsables de la communauté musulmane. Le sort du jeune imam a-t-il été décidé sous l’influence du ministre ? Ce qui est certain, des sanctions ont été prises par le bureau sans au préalable entendre l’imam Sanfo, bien que membre de la commission des affaires islamiques de l’association. L’instance dirigeante s’est basée sur des suppositions et la version donnée par Ismaël Derra pour prendre ses décisions. Ce dernier aurait tout mis sur Sanfo dans le seul but de l’écarter de la gestion d’une mosquée où tous les deux officient. C’est lui qui aurait convaincu les responsables de cette mosquée à suspendre Sanfo avant même la décision du bureau de la communauté musulmane. Ils risqueraient d’être interpellés par la gendarmerie s’ils n’écartaient pas Sanfo, leur aurait-il dit. Paniqué, le président du comité de gestion de la mosquée a cédé face à cette menace qui planerait sur sa tête.

Le contexte de la guerre au Mali a également contribué à amplifier la situation. Sanfo se rend souvent au Mali où il a des amis et des parents. Ces déplacements fréquents dans ce Mali aux prises avec l’islamisme radical sont vus par ses détracteurs comme la preuve qu’il entretient des rapports avec des groupes djihadistes. Cette affaire apparait pour ses proches comme un bon prétexte pour se débarrasser d’un imam impertinent. Il a demandé en vain d’être confronté avec ses accusateurs. Le bureau de la communauté musulmane lui refuse ce droit élémentaire. Il a été entendu après les sanctions. Les « jeunes musulmans » également ont été entendus le 23 février, trois jours après la prise des sanctions contre l’imam. Ils ont réaffirmé qu’ils ne sont manipulés par personne. Ils voulaient juste comprendre le « revirement » de l’imam Sana.  

La communauté musulmane a-t-elle agi dans la panique, avec précipitation ? Tout laisse à le croire. Certains responsables avouent en privé qu’ils ont été débordés par le contexte. Ils voulaient montrer que la communauté ne couve pas de jeunes extrémistes. Cette volonté de montrer patte blanche l’a conduit à faire des accusations à peine voilée contre une autre tendance de la communauté, précisément le mouvement sunnite. Dans la déclaration de la communauté musulmane, on laisse croire que les jeunes sont des infiltrés de l’autre mouvement. On a accusé certains responsables de ce mouvement d’être derrière. La gendarmerie a entendu certains d’entre eux, mais rien de probant. Pendant un bon moment, certaines personnes ont fait l’objet de surveillance, mais pas plus. Aucun des jeunes n’a été interpellé non plus. La gendarmerie semble avoir abandonné l’enquête.

Abdoulaye Ly

MUTATIONS N° 24 du 1er  mars 2013. Bimensuel burkinabé paraissant le 1er et le 15 du mois (contact : [mutations.bf@gmail.com](http://www.mutationsbf.net/index.php/societe/102-panique-dans-la-communaute-musulmanemailto:mutations.bf%40gmail.com))
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